République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 23e séance
R 286
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'Algérie est en guerre civile: plusieurs centaines de morts par semaine, 35 000 depuis le début des affrontements. L'économie algérienne est dans un état catastrophique, les relations sociales sont cassées et l'écrasante majorité de la population se trouve prise entre les feux du terrorisme et de la répression aveugle.
Pour de plus en plus d'Algériennes et d'Algériens - et particulièrement pour les intellectuels qui, dans leurs activités professionnelles, défendent publiquement le droit à la liberté d'expression et à une information équitable - la situation dans le pays est devenue si insupportable et les dangers encourus si grands, que la seule solution apparaît comme celle de l'exil. Non pas un exil définitif mais un refuge provisoire dans les pays européens proches, particulièrement les pays francophones.
Or, on assiste à une politique d'accueil extrêmement restrictive de ces pays, dont le nôtre. Pourtant la Suisse ne considère plus l'Algérie comme un pays sûr. Le personnel de l'Ambassade de Suisse a été rapatrié, même si un ambassadeur « fantôme » y est maintenu. Swissair également, autre symbole helvétique, a décidé l'automne dernier de supprimer ses vols vers l'Algérie. La Suisse abandonne peu à peu l'Algérie à sa tragédie et, parallèlement, ferme ses frontières à ses persécutés.
Autant il nous semble justifié de prendre toutes les mesures propres à empêcher des groupes armés de s'organiser à partir de notre territoire, autant nous devons prendre en compte les situations de détresse dans lesquelles sont plongés les Algériennes et les Algériens qui luttent pour l'expression de leurs droits démocratiques. Signalons à ce propos, la démarche de Reporters sans frontières qui suit particulièrement la situation des journalistes algériens. Sa section suisse est intervenue auprès du Conseil fédéral pour s'étonner de son refus d'accueillir provisoirement ceux d'entre eux qui en font la demande. « Ne pas accepter ceux qui sont contraints à l'exil, c'est fermer les yeux sur la gravité des dangers qu'affrontent jour après jour les journalistes algériens dans l'exercice de leur profession et renoncer à la tradition d'accueil de la Suisse à l'égard de ceux qui sont victimes de la persécution. » (Reporters sans frontières).
Tels sont, en substance, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs qui nous conduisent à soumettre à votre bienveillante attention la présente proposition de résolution.
Débat
Mme Claire Torracinta-Pache (S). Depuis plus de quatre ans, le quotidien des Algériennes et Algériens est fait de feu, de sang, de souffrance et de mort. Pris entre le terrorisme religieux et la répression de l'Etat, ce pays connaît à nouveau une guerre civile, quarante après celle qui prit fin en 1954, avec les accords d'Evian.
Lorsque j'ai déposé cette proposition de résolution, j'imaginais naïvement qu'elle pourrait être signée par tous les membres des partis de ce Grand Conseil. Cela n'a pas été possible. Je le regrette, même si je respecte les convictions de chacun.
Je remercie donc le PDC, l'Alliance de gauche et les «Verts» qui ont accepté de la signer avec le groupe socialiste, permettant ainsi que quelques voix s'élèvent dans ce parlement pour défendre les Algériennes et les Algériens persécutés.
Je sais aussi que pour certains députés ces résolutions adressées au Conseil fédéral sont des voeux pieux, inutiles. Pour ma part, je pense que si tous les cantons faisaient de même, ces résolutions auraient plus de poids et je pense aussi que nous pouvons donner l'exemple.
Actuellement, en Algérie, la violence et l'horreur sont quotidiennes : femmes violées, décapitées; enfants déchiquetés dans les attentats à la bombe; cadavres bourrés d'explosifs, face contre terre, qui sautent quand on les retourne; intellectuels, artistes, journalistes persécutés, kidnappés, assassinés.
Ceux qui continuent à lutter pour l'expression de leurs droits démocratiques, même au péril de leur existence, vivent dans la peur, ne couchent jamais deux soirs de suite au même endroit, sont séparés de leurs proches et subissent une véritable guerre des nerfs qui les épuise.
Or, malgré ces faits relatés régulièrement par les médias, et les médias de tous bords, le Conseil fédéral applique une politique extrêmement restrictive dans l'accueil des ressortissants algériens qui en font la demande.
Refus quasi systématique, et le comble est que ce sont les activistes du FIS qui ont le plus de chance d'obtenir l'asile en Suisse, puisque la loi veut qu'il ne soit accordé qu'aux personnes qui subissent la violence de leur gouvernement.
La plupart des autres, ceux qui sont persécutés par les intégristes musulmans, sont renvoyés.
Dans leur majorité, les Algériens ne songent pas à un exil définitif. Ils demandent simplement un répit, leur permettant de souffler un peu. Ils demandent de pouvoir vivre quelque temps autrement que dans la peur. Ils se tournent alors vers les pays dont ils parlent la langue, et c'est normal, leur demandant des permis provisoires ou, tout simplement, des autorisations de séjour de quelques mois.
Ils se heurtent alors au mur du refus.
Cette attitude n'est pas acceptable sur le plan humain d'abord, et pour l'image de notre pays ensuite.
Rappelons, et c'est tout à son honneur, que la Suisse avait joué un rôle actif et positif d'intermédiaire dans les négociations secrètes et dans l'organisation des conférences, qui ont abouti à la paix en Algérie, en 1954.
Aujourd'hui, nous ne pouvons peut-être pas intervenir directement dans cette nouvelle guerre algérienne, mais nous pouvons certainement ouvrir provisoirement nos frontières, plus généreusement, aux ressortissants algériens persécutés qui en font la demande, et cela jusqu'à ce qu'une solution politique durable soit apportée au conflit.
C'est pourquoi j'espère qu'il se trouvera, dans ce parlement, une forte majorité pour accepter cette résolution.
J'ai maintenant un petit amendement à vous proposer au titre de la résolution, Madame la présidente. Je vais vous le lire. Je propose que la résolution s'intitule :
«Proposition de résolution concernant l'accueil des ressortissants algériens».
C'est un titre plus général, et qui correspond mieux à l'invite.
La présidente. J'en ai pris note, Madame.
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
M. Gérard Ramseyer. Un ressortissant algérien, qui dépose une demande d'asile en Suisse, engage une procédure qui lui garantit l'examen de ses motifs de fuite.
En dernier ressort, l'Office fédéral des réfugiés, autorité compétente en la matière, décide du bien-fondé de sa requête.
Il y a un problème particulier. L'évocation d'une persécution par des tiers, fréquente et vraisemblable dans le contexte algérien, peut déboucher sur une décision négative. En effet, une telle agression n'est pas considérée comme un motif d'asile; elle ne l'est que si l'Etat d'origine n'a pas la volonté d'offrir une protection à l'intéressé. D'où le dilemme.
Il ne faut pas non plus perdre de vue qu'il y a un certain nombre d'Algériens, en Suisse, qui ne viennent pas directement de leur pays, mais qui ont, parfois de manière très prolongée, séjourné à l'étranger, en particulier en France.
Ce faisant, ils savent qu'ils bénéficient de l'impact de la tragédie algérienne et de la sympathie qu'elle peut susciter à l'égard de ceux qui sont obligés de fuir ce pays.
Le grand nombre de ressortissants algériens sans papiers, interceptés par la police genevoise à Genève, et qui n'ont pas demandé l'asile, prouve, malheureusement, qu'il existe une catégorie d'individus qui viennent en Suisse pour d'autres motifs.
Ceci dit, cette mise en garde ayant été clairement énoncée, le Conseil d'Etat ne peut qu'appuyer la démarche des signataires de cette résolution qui a le mérite de distinguer les personnes qui fuient réellement leur pays pour des raisons personnelles de celles qui utilisent notre territoire pour tenter d'y organiser des actions plus ou moins avouables et plus ou moins tolérables.
Mise aux voix, cette résolution ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
concernant l'accueil des ressortissants algériens
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'aggravation de la situation politique en Algérie et le déchaînement de la violence qui s'y déroule;
- les nombreux intellectuels, journalistes, écrivains, artistes - ainsi que leurs familles - qui font l'objet de menaces, de pressions et d'attentats meurtriers de la part des extrémistes des deux camps, en raison de leurs prises de positions en faveur de la liberté d'expression et du droit des citoyens algériens à une information équitable;
- que seuls 11 permis provisoires ont été accordés en 1994 à des ressortissants algériens, sur 382 demandes, soit un taux de refus de 97%,
invite le Conseil fédéral
- à mieux prendre en compte dans sa politique d'accueil et dans le cadre de l'octroi d'autorisations de séjour à titre provisoire la gravité des dangers menaçant les Algériennes et les Algériens qui défendent leurs droits démocratiques au péril de leur vie.