République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 23e séance
M 1002
EXPOSÉ DES MOTIFS
Cette motion, annoncée lors de notre récent débat sur la violence, a pour but de ne plus permettre la vente ou la location libre de vidéos violentes aux enfants.
Une récente émission de la Télévision Suisse Romande (A bon entendeur) a révélé après une enquête portant sur une dizaine de vidéo-clubs, que les enfants pouvaient acquérir sans le moindre contrôle des cassettes-vidéo comportant des scènes extrêmement violentes.
Il est délicat dans ce domaine de légiférer sans entraver la liberté du commerce, raison pour laquelle nous avons choisi la voie de la motion plutôt que celle du projet de loi, comme initialement annoncé.
Comme nous avons pu le constater lors de nos débats sur la violence, en commission de l'enseignement, les canaux vecteurs d'images violentes sont multiples.
La télévision en est un, assurément.
Des films comportant des scènes très violentes peuvent amener des troubles de comportement ou d'identification chez l'enfant. L'exemple récent le plus dramatique que l'on a connu, à Liverpool en Angleterre, où des enfants ont tué un des leurs selon un scénario tout à fait similaire à celui du film Childs Play.
Une intervention parlementaire avait d'ailleurs eu lieu sur le plan fédéral pour interdire la projection de ce film en Suisse.
D'autres démarches ont eu lieu tant au niveau fédéral que dans les cantons. Elles visaient à intervenir directement dans les programmes émis par les chaînes de télévision.
A Genève, également, une pétition (P 1030) a été déposée par un groupe de parents. Elle exigeait l'arrêt immédiat des films d'horreur, de torture et de guerre aux heures de grande écoute, en les remplaçant par des programmes consacrés à la poésie, à la chanson et à la paix.
La commission avait estimé, à juste titre «que les exigences des pétitionnaires étaient exclusives et irréalisables» et elle avait déposé ses conclusions à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil.
Ces exemples illustrent à quel point la marge de manoeuvre est faible, s'agissant des programmes de télévision. D'autant plus qu'il est à relever que la Télévision Suisse Romande est attentive à cette situation. Ce qui n'est pas forcément le cas des chaînes françaises. Et même si la télévision consentait à faire un effort dans la diffusion de ses programmes, il resterait aux enfants la possibilité d'assister à des scènes de grande violence par le biais des cassettes-vidéo.
Raison pour laquelle, nous souhaitons agir au niveau du commerce et de la location des cassettes-vidéo.
Quelques pistes sont envisageables.
D'abord, par l'entremise de la commission cinéma-spectacles instituée par la loi sur les spectacles et divertissements (voir annexe) ou par son secrétariat qui dépend du service des loisirs et qui possède toutes les fiches relatives aux films visionnés depuis plus de trente ans.
On élargirait les compétences de cette commission, dont les membres pourraient visionner les cassettes et fixer d'éventuelles conditions pour leur accès.
Sur la même base que ce qui se fait actuellement dans les cinémas.
Les propriétaires des vidéo-clubs auraient alors l'obligation, comme ils le font déjà en ce qui concerne la pornographie, de réserver un endroit particulier à l'exposition des cassettes nécessitant une limite d'âge. Ils auraient également interdiction de les remettre aux mineurs, sous peine des sanctions prévues par le Code pénal suisse, art. 135 (voir annexe).
Les auteurs de la motion sont conscients que cela n'empêchera pas les parents de laisser à disposition des enfants des films qu'ils ne devraient pas voir. Mais le but de cette motion n'est ni de pénétrer dans la sphère familiale, ni de se substituer aux responsabilités des parents.
Nous vous remercions d'accepter de la renvoyer directement au Conseil d'Etat. Les annexes montrent qu'il n'est pas nécessaire qu'elle transite par une commision, mais qu'au contraire un envoi rapide au Conseil d'Etat pourra permettre à celui-ci d'intervenir avec diligence. C'est ce que nous souhaitons.
Annexes: extrait du règlement sur la surveillance des mineurs de la loi sur les spectacles et divertissements et de son règlement du Code pénal suisse
ANNEXE 1
page 4
page 5
page 6
page 7
page 8
ANNEXE 2
ANNEXE 3
ANNEXE 4
Débat
La présidente. Nous avons une lettre à lire. Monsieur le secrétaire, vous avez la parole.
lettre C 286
(P 1072)
PÉTITION
Protégeons nos enfants
Lors d'une émission d'A Bon Entendeur (ABE) du mois de janvier 1995, nous avons appris que des vidéo-clubs louaient des vidéocassettes VIOLENTES, voire TRÈS VIOLENTES (des Brutalos), à des enfants.
Nous estimons que cette situation est intolérable.
En effet, nous sommes d'avis que l'accès à des scènes violentes peut perturber le développement harmonieux de l'enfant.
Par conséquent, comme le suggèrent les journalistes d'ABE, nous soussignés demandons qu'une législation soit rapidement mise en place pour protéger nos enfants.
Une législation existe pour les cinémas. POURQUOI n'en existe-t-il pas pour la location et la vente des vidéocassettes?
N.B. : 1584 signatures
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je vous remercie d'avoir fait lire cette lettre. Mon idée de départ est la même que celle des personnes qui ont déposé cette pétition, c'est-à-dire qu'en suivant l'émission «A Bon Entendeur», au mois de janvier, j'ai appris, d'après l'enquête menée par les auteurs de l'émission, avec le concours d'une enfant de douze ans, qu'il était possible de louer, dans les vidéoclubs, n'importe quel type de cassette. En effet, cette enfant de douze ans qui, en plus, ne les paraissait pas, est allée dans six ou huit magasins louant des cassettes vidéo, munie d'une liste préparée par les responsables de l'émission précitée. Cette liste comportait notamment le titre «Orange mécanique», ainsi que des films appelés «Brutalos», uniquement réservés aux cassettes vidéo, et qui sont d'une violence extrême, absolument gratuite.
J'ai rencontré l'équipe de «A Bon Entendeur». Elle a visionné toutes ces cassettes et ses membres, bien qu'adultes, ont fait des cauchemars. Suite à cette entrevue, j'ai demandé à Berne ce qui se faisait dans les autres cantons et ce qui s'était fait au niveau fédéral. J'ai constaté qu'il y avait beaucoup d'interpellations individuelles, mais que personne n'avait légiféré pour interdire la location de ces cassettes vidéo.
A Genève, des parents ont rédigé la pétition présentement déposée. Le Grand Conseil de Vaud a également été interpellé. D'autres cantons ont aussi réagi.
L'idée de départ était de faire un projet de loi, mais comme tout ce qui touche à la liberté du commerce est délicat, nous avons décidé de déposer une motion.
Que demande cette motion ? Tout simplement que le règlement sur la surveillance des mineurs, qui comporte une clause concernant le cinéma, comporte également une clause concernant l'usage des cassettes vidéo. Des limites d'âge étant prévues pour le cinéma, nous ne voyons pas pourquoi il n'en serait pas de même pour les cassettes vidéo.
La motion demande aussi que soient élargies les compétences de la commission cinéma et spectacle. Instituée par la loi sur les spectacles et divertissements, cette commission comprend un certain nombre de personnes. Peut-être l'une d'elles, également signataire de cette motion, vous expliquera le fonctionnement de cette commission. Ces personnes visionnent les films destinés aux enfants, dans les salles, et fixent des limites d'âge. Elles pourraient faire de même pour les cassettes vidéo.
Si nous ne voulons pas légiférer, il importe qu'un règlement soit édicté à l'intention des commerçants en vidéo, puisque les enfants peuvent se procurer des films d'une telle violence.
Suite à cette motion, une journaliste du «Nouveau Quotidien» a rencontré quelques propriétaires de magasins de vidéo qui aimeraient qu'un tel règlement soit édicté, confrontés qu'ils sont à beaucoup de problèmes, notamment aux plaintes des parents.
Les magasins de vidéo ne sont, généralement, pas grands. Ils doivent, de surcroît, disposer d'un local spécial pour les films pornographiques. Le fait de trouver un lieu de rangement pour les films violents pourrait poser un problème de place, mais des solutions peuvent être trouvées.
J'ai mis cette motion en consultation auprès des divers groupes politiques qui ont tous réagi positivement. Je pense donc qu'elle sera acceptée ce soir. Je demande seulement qu'elle ne transite pas par une commission du Grand Conseil, étant donné que j'ai annexé toutes les pièces : le règlement sur la surveillance des mineurs, l'information sur les compétences de la commission cinéma et spectacles, l'article 135 du code pénal suisse. Cela me semble suffisamment explicite.
La motion peut donc être renvoyée directement au Conseil d'Etat pour qu'il puisse y répondre assez rapidement.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). La télévision est présente dans 90% des familles. Elle est l'objet transgénérationnel par excellence. Ces foyers, dans une grande proportion, possèdent aussi un magnétoscope. La jeune génération a parfaitement intégré, souvent mieux que les adultes, les ressources offertes par les nouveaux moyens audiovisuels.
Certaines familles ont du temps, de la disponibilité, des moyens culturels, pour promouvoir un usage sélectif des cassettes. Mais il existe aussi des familles qui n'ont ni les aptitudes, ni surtout la vigilance, pour contrôler les médias de leurs enfants.
Certains d'entre eux sont affectivement défavorisés et compensent l'absence parentale en se réfugiant dans un imaginaire, nourri des nombreuses aventures violentes ou perverses mises en image.
Il est de notre devoir d'éviter à cette catégorie de jeunes la vision de cassettes médiocres et nocives, pouvant fragiliser leur équilibre. Rejeter le problème par crainte de passer pour des esprits bornés avides de censure, ou dire «c'est l'affaire des parents», revient à éluder la responsabilité que nous avons, en tant qu'adultes, vis-à-vis de la jeune génération.
C'est la raison pour laquelle le groupe radical vous propose de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). Le commerce vidéo a pris un essor considérable ces dernières années. Aujourd'hui, un film est disponible en cassette six mois après sa sortie en salle.
Malheureusement, un film vidéo ne comporte aucune limite d'âge. Les parents non avertis ne peuvent pas savoir si un film correspond à l'âge de leurs enfants.
D'autre part, les propriétaires de vidéoclubs n'aménagent pas forcément leur boutique en fonction de leurs offres. Les pornos peuvent côtoyer les Walt Disney. J'ai vu dans un grand magasin de la place - les vidéoclubs n'étant pas les seuls concernés - des pochettes aux titres évocateurs, illustrées de photos non moins évocatrices, placées à côté d'une promotion pour «Les 101 Dalmatiens». A l'entrée du même magasin, des vidéos étaient offertes à moitié prix. On y trouvait, pêle-mêle, des films d'horreur et des films pour enfants.
Il faut aussi savoir que dans un vidéoclub, un enfant peut louer n'importe quel film, à l'exception des pornos, et encore... Si le jeune a l'air par trop poupin, on lui demande sa carte d'identité, sinon, il lui suffit seulement de montrer la signature des parents, bien souvent fictive, pour obtenir n'importe quoi.
Si les auteurs de cette motion ne veulent pas se substituer aux parents, ils souhaitent néanmoins les informer sur les films que leurs enfants peuvent choisir, car il n'est pas toujours facile de se souvenir de l'âge qui était indiqué lors de leur projection en salle. Par là même, ils entendent obliger ceux qui vendent ou louent des cassettes vidéo, à être soumis au même règlement que les exploitants des salles de cinéma.
Si ce règlement paraît trop sévère à certains, qui jugent l'impact du petit écran plus faible que celui du grand écran, il est bon de leur rappeler que, conformément à l'article 25, alinéa 4, de la loi I 4 1, la limite d'âge peut être dérogée de deux ans si le mineur est accompagné d'une personne majeure.
Le visionnement d'une cassette, dans un environnement familial, pourrait bénéficier de cet article.
Je vous remercie de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Il faut tout d'abord se souvenir que, le 27 février 1989, le Conseil d'Etat a déposé le projet de loi 6309 sur les spectacles et les divertissements.
Ce projet constituait une réplique au projet de loi sur l'exploitation des salles de cinéma déposé en 1980, déjà.
A la différence du projet de loi précité, le projet de loi du Conseil d'Etat ne se limitait pas au cinéma, mais visait aussi les spectacles et les divertissements.
S'agissant plus particulièrement de la question du commerce de cassettes vidéo, le Conseil d'Etat avait, à l'époque, estimé qu'il était préférable d'attendre que la révision des dispositions du code pénal, concernant la violence et la pornographie, soit terminée, pour régler, si nécessaire, la question avec une loi spécifique.
Ce point de vue avait été partagé par le Grand Conseil. Je vous invite à vous référer, à cet égard, au Mémorial, séance du 4 décembre 1992, pages 7604 et suivantes.
Le code pénal a été révisé entre-temps, et l'article 135, qui vient d'être cité, nous paraissait régler le problème. Effectivement, la police genevoise dénonce au Procureur général les commerces qui diffusent des cassettes vidéo susceptibles de tomber sous le coup de cette disposition pénale.
Dès lors, la motion qui vous est présentée, ce soir, a le mérite de rouvrir le débat sur la question de savoir s'il faut compléter l'arsenal législatif cantonal.
Nous avons le sentiment que les invites ne peuvent pas être acceptées sous la forme de dispositions réglementaires. Il nous paraît, en effet, qu'il faut une base légale formelle, donc un projet de loi, et que le Conseil d'Etat ne peut donc pas, par conséquent, régler ceci par le biais de simples dispositions réglementaires.
Je fais d'emblée quelques remarques complémentaires pour dire que vous pouvez bien réglementer le commerce de la vidéo, mais que, par ailleurs, la vente par correspondance de cassettes vidéo est des plus florissantes.
D'autre part, il est vrai que l'on se heurte à la sphère privée des gens, puisque l'on intervient sur ce qui se passe chez eux et non plus dans des salles publiques de cinéma.
Ceci étant, le Conseil d'Etat ne peut qu'approuver les invites sur le principe. Simplement, il y a une divergence quant aux moyens d'aller dans le sens de ce qui est proposé.
Le Conseil d'Etat accepte donc volontiers cette motion. Il la travaillera, vous la ramènera, avec les dispositions qui lui auront paru nécessaires.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). J'ai un peu de peine à entendre M. le conseiller d'Etat et j'ai l'impression que si l'on ne parle pas d'aménagement, dans ce Grand Conseil, on n'intéresse vraiment personne.
Je voudrais juste vous demander quelles sont vos propositions, car le problème devrait être réglé assez rapidement. Cette affaire n'est pas si compliquée qu'elle doive traîner aussi longtemps. Il y a mille cinq cents parents qui ont signé cette pétition et un certain nombre de choses peuvent être faites rapidement.
Accepter une motion en disant : «on n'est pas contre le fond, mais la forme ne convient pas; envoyez-nous cette motion, on verra ce qu'on va en faire...» n'est pas, je regrette de le dire, une réponse satisfaisante.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. J'ai l'impression que vous ne m'avez pas bien écouté. Vous proposez, dans l'invite, d'introduire une clause dans le règlement sur la surveillance des mineurs. Et nous, nous avons l'impression que cela n'est pas possible et qu'il faut le faire par le biais d'une loi.
Par conséquent, nous acceptons vos invites. Nous proposerons, en temps opportun, une loi qui réponde à vos interrogations.
Quant à savoir si les choses doivent aller vite, je vous promets qu'on ne va pas traîner. Le sujet est relativement simple. Il y a déjà tout un arsenal législatif. Mais je vous rends simplement attentive au fait que cela ne se décrétera pas avec un règlement, mais avec une loi, processus forcément plus lent.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant la mise à disposition de cassettes-vidéo aux mineurs(vente et location)
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que le règlement sur la surveillance des mineurs (J 8 6) ne fait aucune référence à l'usage des cassettes-vidéo;
- les limites d'âge telles que prévues pour les projections cinématographiques;
- l'article 135 du Code pénal suisse qui sanctionne la représentation de la violence;
- l'absence de loi cantonale dans ce domaine,
invite le Conseil d'Etat
- à introduire dans le règlement sur la surveillance des mineurs, une clause concernant l'usage des cassettes-vidéo dans le cadre de l'article 1;
- à élargir les compétences de la commission cinéma-spectacles instituée par la loi sur les spectacles et divertissements (loi I 4 1 et règlement I 4 2) en lui donnant un mandat concernant le visionnement des cassettes-vidéo mises à disposition des mineurs;
- à édicter un règlement à l'attention des magasins mettant en vente ou en location des cassettes-vidéo.