République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 23e séance
M 992
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le rôle convivial et d'animation que joue le commerce de détail dans la vie de quartier;
- que les voitures ventouses bloquent l'accès des fournisseurs et des clients aux commerces indépendants;
- qu'une partie de la clientèle motorisée privilégie les grands centres commerciaux, aux dépens du commerce de détail faute de pouvoir s'arrêter devant celui-ci;
- que la crise fragilise certains commerces,
invite le Conseil d'Etat
- à développer un système qui réserve deux cases de parking devant les commerces indépendants;
- à étudier les moyens de faire respecter la mise à disposition de cet emplacement auxdits commerces.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Bien que Genève offre davantage de places de parking que la plupart des grandes villes suisses, le parcage en ville de Genève, et même dans certaines agglomérations importantes, reste un problème non résolu. Considérons par exemple le parcage sauvage sous toutes ses formes.
La création de zones piétonnes est favorable à la vitalité des commerces, comme d'ailleurs au renouvellement du stock des magasins qui doit s'effectuer à des heures déterminées. Cependant, la majorité des rues de nos quartiers sont ouvertes à la circulation et au stationnement. Lorsque celles-ci sont à sens unique, le parcage est souvent autorisé des deux côtés de la route, ce qui ne laisse un espace qu'à une voiture pour circuler. L'approvisionnement du magasin bordant cette artère devient impossible sans bloquer la circulation, et bien sûr, a fortiori, le client motorisé abandonne ce commerce à la recherche d'espaces plus accueillants.
Il faut considérer la nécessité d'un parking devant le magasin en fonction du genre de commerce. Pour des achats quotidiens, il s'avère indispensable; pour des achats ponctuels, un parking de proximité est suffisant. Bien sûr, l'aménagement de parking devant le magasin ne doit pas entraver la circulation des transports publics, mais la cohabitation est possible si l'on ne construit pas des murets pour préserver le site propre des transports en commun.
La législation actuelle offre déjà aux artisans-commerçants, où cela est possible, des espaces marqués d'un «X» en jaune à l'usage exclusif du stationnement pour charger et décharger un véhicule; malheureusement, ils sont constamment occupés par des voitures ventouses. A titre d'exemple, on a longtemps prétendu à Genève qu'il était impossible de créer des terrasses parisiennes avançant sur le trottoir, or l'une d'elles vient d'être érigée à la rue de Montchoisy. L'emprise d'un nouveau trottoir s'est faite sur la voie réservée aux places de stationnement. C'est pourquoi une solution dans le même ordre d'idées n'est pas complètement incongrue. En aménageant un parking devant chaque magasin où cela est possible, en rehaussant à la hauteur du trottoir existant une place de stationnement avec un accotement arrondi, on délimiterait ainsi la zone réservée à l'usage du commerce.
Autre solution, un parcomètre limité à 15 minutes. Même si cette solution est moins favorable, elle aurait l'avantage de libérer la place plus fréquemment.
Solution extrême: aménagement de potelet utilisé sur les emplacements privés, mais qui entraîne des modifications législatives et conduit à une application plus compliquée.
Dans les discours politiques, on utilise souvent le «petit» artisan-commerçant pour prôner la revitalisation du commerce, mais malheureusement il en est rarement le bénéficiaire direct.
Par cette motion, nous sollicitons votre appui, Mesdames et Messieurs les députés, en faveur de ces commerçants qui sont à votre service. Ils vous en sont reconnaissants.
Débat
M. Jean-Claude Genecand (PDC). Certains d'entre vous se demanderont ce qui me pousse à défendre la «bagnole», alors que mes options politiques sont les transports en commun.
Je réponds qu'à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Le commerce genevois se porte très mal. Il faut lui donner un signe politique de soutien.
Il y a deux autres raisons qui sont, d'une part, l'équité de traitement et, d'autre part, l'application de la conception globale de «Circulation 2000». Une enquête de la Coop a révélé que le montant des achats effectués, hors frontière, par des Suisses, a passé, en cinq ans, de 700 millions à un milliard et demi.
A Genève, et surtout en ce début d'année, le commerce subit une véritable érosion.
M. Maitre, qui a assisté à l'assemblée de la Fédération des artisans commerçants, a révélé que les entreprises, ayant moins de dix employés, représentaient les 95% de toutes les entreprises et utilisaient les 55% des actifs.
C'est dire que la fermeture d'un commerce passe presque inaperçue, mais vient aggraver le chômage.
Bien sûr, le parking devant le commerce ne représente pas la solution miracle, puisque ce sont les avantages économiques qui font courir les Genevois en France voisine.
Mais la mobilité et la possibilité de s'arrêter pour faire des achats dans des quartiers extérieurs au centre-ville procèdent de la course d'obstacles.
La gestion des parkings, notamment des parkings sauvages, est laissée à l'abandon.
Récemment, j'ai assisté à la scène suivante : deux gendarmes se trouvaient à proximité d'une voiture mal garée. Un passant la leur a signalée et les gendarmes lui ont répondu que cela ne servait à rien d'intervenir.
Je ne parle pas des places réservées aux livraisons. Si vous en voyez de disponibles, vous seriez aimables de me le dire.
S'occuper du parking devant les commerces, ce n'est pas faire une fleur aux commerçants, c'est faire preuve d'équité.
L'année dernière, nous avons voté une loi pour modifier l'emplacement de la voirie, afin de permettre à Balexert de construire une entrée sur le tronçon Cointrin-Genève. Leur chiffre d'affaires en a été augmenté de 2%, et ce n'est pas M. Kunz qui me contredira.
Pourquoi ce qui est bon pour les grands ne le serait pas pour les petits ?
C'est une question de volonté politique... (Brouhaha.)
La présidente. Que ce soit vos propres collègues qui vous dérangent, Monsieur Genecand, c'est quand même un peu fort de café !
M. Jean-Claude Genecand. Comme vous le savez, Madame la présidente, c'est toujours par les siens que l'on est trahi ! Le pouvoir politique a les moyens. Dans «Circulation 2000», mes souhaits sont clairement exprimés. A la page 20, je cite : «Améliorer le taux d'utilisation des places de stationnement de courte durée est urgent. [...] Les conditions de stationnement pour les véhicules professionnels sont actuellement insatisfaisantes. Pour remédier à cet état de fait, «Circulation 2000» préconise d'élargir les trottoirs pour y placer des cases de livraison, en y fixant des obstacles amovibles.».
Si je n'ai pas caché les souhaits légitimes des commerçants, ma motion vise avant tout la nécessité, de la part de l'autorité, de se donner les moyens de faire respecter les mesures de circulation et de stationnement.
Laisser les choses en l'état, c'est non seulement une injustice envers ceux qui travaillent à la prospérité de Genève, mais c'est se préparer des lendemains qui seront difficiles à gérer.
Les demi-mesures, Monsieur le conseiller d'Etat Ramseyer, brouillent la circulation. Comme moi, vous êtes allé à Strasbourg et avez pu constater qu'une circulation bien pensée donne satisfaction à toute la population.
C'est dans cet esprit que je souhaite le renvoi de cette motion à la commission des transports. Je vous remercie de l'accepter.
Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Les socialistes vont vous étonner ! Ils aiment le pain et, surtout le dimanche matin, les croissants, les boulangers et M. Genecand. Vous conclurez donc qu'ils consomment du pain, du beurre, des tartines, mais ce sont surtout «elles» qui font les commissions et fréquentent assidûment les petits commerces.
Les socialistes sont conviviaux. Ils aiment particulièrement toutes les formes d'animation de quartier. Et pour mieux les apprécier, ils se déplacent à pied.
Les arguments, développés dans cette motion, ne nous ont pas convaincus, notamment celui d'encourager sa clientèle à prendre sa voiture pour aller acheter du pain, par exemple.
Les petits commerces vendent des produits de première nécessité. Les achats courants, parfois encombrants, ou le stock indispensable à la fin de la semaine s'acquièrent dans les grandes surfaces, et cela pour un gain de temps et, surtout, pour un gain financier.
C'est pour ces raisons que la grande majorité de la population s'y rend, afin d'y acheter les produits courants dont elle a besoin. Le temps manque et les salaires stagnent.
Même s'il y avait plusieurs places de parking devant chez le boulanger ou l'épicier du coin, celles-ci ne feraient pas que ces commerces soient plus conviviaux, plus animés et plus fréquentés.
Quant aux «voitures-ventouses», qui réduisent l'accessibilité à ces magasins, il appartient aux agents de sécurité et autres «aubergines» de faire régner l'ordre. En fait, Monsieur Genecand, les petits commerçants devraient plutôt militer en faveur des nocturnes pour les agents municipaux !
Vous aurez compris que les socialistes rejettent cette motion.
M. Nicolas Brunschwig (L). Même si parfois la logique et la constance de M. Genecand nous échappent, nous sommes tout à fait favorables à la motion.
Nous pensons qu'il y a là un réel problème pour les artisans et les petits commerçants et que la proposition de M. Genecand est à la fois réaliste et pragmatique. Elle va, très certainement, dans le sens d'une amélioration de l'animation et de la fréquentation des petits commerces.
C'est donc avec plaisir que nous traiterons cette motion en commission des transports.
M. David Hiler (Ve). Je vous surprendrai encore plus que notre collègue socialiste. Nous avons examiné cette motion avec beaucoup d'attention, et nous nous sommes même quelque peu divisés à son sujet.
Pour être tout à fait précis, nous aimerions savoir si l'idée de M. Genecand est de remplacer un certain nombre de places déjà existantes pour en faire bénéficier les petits commerces ou d'en créer des supplémentaires.
S'il s'agit d'en créer des nouvelles, il n'est même pas question pour nous d'en discuter, vous l'aurez compris.
Par rapport au discours que nous avons tenu sur l'accessibilité - qui ne tient pas forcément au nombre des places - nous pouvons, effectivement, discuter.
Nous pouvons éventuellement discuter des conditions données, pour autant que la finalité de la motion ne s'applique pas à de futures zones piétonnes.
Si M. Genecand est disposé à préciser sa motion, nous aimerions savoir si les places en question existent déjà; dans l'affirmative, si les stationnements pour les pendulaires seront transformés en accès pour des commerces.
D'autre part, M. Genecand serait-il disposé à consentir certaines restrictions, lui et sa majorité... (Rires.) ...je veux dire celle de l'Entente ? Si cette majorité admet clairement qu'il ne s'agit pas de situer les places réservées dans les futures zones piétonnes, c'est-à-dire celles que M. Ramseyer s'est, plus ou moins, engagé à créer à cette occasion; qu'il s'agit, non pas d'ajouter, mais de transférer des stationnements pour pendulaires en priorité vers les commerces, nous pourrions en discuter en commission.
M. Gilles Godinat (AdG). Cette motion nous laisse perplexes.
Dans un sens, nous sommes favorables à un commerce de proximité et, de ce fait, à une réflexion sur l'invite de la motion. Mais le paradoxe, mis en évidence, sera également intéressant à discuter. Vous parlez d'un accès facilité pour le client motorisé et cela nous paraît totalement contredire la notion de proximité.
Par définition, défendre la proximité, c'est défendre un accès facile à pied.
M. Jean-Claude Genecand (PDC). Je constate que je suis un élément de division, en tout cas pour la gauche, que je tiens à rassurer.
Il ne s'agit pas de créer de nouvelles places, mais d'utiliser celles qui existent déjà.
Lors du débat précédent sur les parkings, on a constaté que la gestion de ceux-ci était presque déplorable, à Genève. Chacun met sa voiture où il peut, où il veut, sans que les agents interviennent. Et c'est bien la première chose à organiser.
Dans «Circulation 2000», le problème est évoqué. On y parle, précisément, de places de parking pour des achats rapides et, aussi, de places réservées aux livraisons, pour les commerçants.
En fait, l'autorité a déjà réfléchi au problème, mais, pour le résoudre, n'a pas dépassé le stade de la théorie.
Je désire une amélioration rapide de ce qui existe déjà pour permettre à certains commerçants d'aborder leur propre commerce. Il est fréquent de voir, sur une artère à une voie, un commerçant se placer en deuxième file et boucher ainsi la circulation, pendant qu'il procède au chargement ou au déchargement des marchandises. Ceci n'est pas tolérable !
Le petit commerçant, on en rit un peu, parce qu'on le considère toujours comme un citoyen de deuxième zone. Il est sûr que l'on tient un autre langage en parlant des grandes surfaces.
Je voudrais, par conséquent, vous rendre attentifs au fait que le petit commerce constitue un tissu important de notre économie. Je l'ai rappelé tout à l'heure et M. Maitre l'a dit : 95% des entreprises ont moins de dix employés et elles représentent les 55% des forces actives.
Par conséquent, on ne peut pas traiter, avec désinvolture, une proposition susceptible d'améliorer la situation du commerce. Quoi qu'on dise, si nous n'avons plus que des grandes surfaces, la convivialité dans le quartier, dont vous avez parlé, Madame Blanc-Kühn, risque bien d'en souffrir. Quand des commerces sont fermés depuis un certain temps et que des affiches sont appliquées, l'ambiance de la rue n'est plus la même.
Par conséquent, il vaut la peine de réfléchir à ce problème, qui est loin d'être mineur.
M. Gérard Ramseyer. Les cases de livraison sont marquées comme étant réservées à l'usage des commerçants et des artisans. L'Office des transports et de la circulation prend largement en considération les besoins des commerces, lors des études de tous les plans de marquage sur la chaussée publique.
L'utilisation de ces cases est, effectivement, affaire de contrôle, et je me réjouis de voir l'enthousiasme de ce Grand Conseil à l'idée d'augmenter encore ce contrôle par notre police.
Les commerçants ne peuvent pas, pour leur usage personnel, réserver des places sur la voie publique. En revanche, l'avancement des trottoirs sur les zones de stationnement permet aux commerçants de mieux gérer l'espace disponible pour leurs besoins.
Cette solution a été adoptée sur tout le parcours du tram 13. Malheureusement, elle se révèle, d'une part, très coûteuse et, de ce fait, ne peut être appliquée rapidement à toute la ville, et, d'autre part, la compétence relative à l'aménagement de ces avancements de trottoirs est du ressort exclusif des communes, donc, en l'occurrence, de la Ville de Genève.
Je vous assure, Monsieur Genecand, de notre bienveillante attention aux problèmes des petits commerçants et des artisans.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des transports.
(Applaudissements.)