République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 22e séance
GR 82-1 et objet(s) lié(s)
8. Rapports de la commission de grâce chargée d'étudier les dossiers des personnes suivantes :
M. I. S. , 1934, Genève, administrateur, recourt contre le solde de la peine de réclusion.
Mme Anita Cuénod (AdG), rapporteuse. M. I. S. est né en Egypte en 1934. Il est donc âgé de soixante et un ans et il est Genevois. Il a administré sa société Tradasec S.A. pendant plus de vingt ans. Il a été condamné par la Cour d'assises le 15 septembre 1993 à quatre ans de réclusion pour escroqueries par métier, faux dans les titres et banqueroute simple en qualité de président du conseil d'administration.
Suite à plusieurs difficultés, notamment la défaillance de certains débiteurs, sa société s'est trouvée en état d'insolvabilité à fin 1982, ses dettes excédant ses actifs, capital social inclus. Recourant à des transactions fictives durant plusieurs années, M. I. S. s'est déclaré en faillite volontaire après s'être dénoncé au Procureur général, en janvier 1992.
Purgeant sa peine à la maison d'arrêts de Favraz depuis le 2 février 1994, M. I. S. recourt contre le solde de sa peine, voire une réduction de la peine initiale à deux ans, afin de pouvoir occuper un poste en qualité de collaborateur spécialisé dans le négoce international et de subvenir ainsi à ses besoins et à ceux de sa femme et de son fils, âgé de dix-neuf ans.
La commission, suivant le préavis négatif du Procureur général, considérant l'importance du préjudice causé et la probabilité de retrouver plus tard ce même poste ou un autre, a rejeté cette demande de grâce.
M. Jean Spielmann (AdG). Il n'est pas habituel d'intervenir sur un cas traité par la commission. (Le brouhaha est intense.)
La présidente. Monsieur Spielmann, excusez-moi de vous interrompre, mais il me semble que le sujet est suffisamment important pour que les députés fassent l'effort de se taire !
M. Jean Spielmann. Je disais donc qu'il n'est pas habituel de revenir sur une décision de la majorité de la commission de grâce. Permettez-moi tout de même de reprendre une partie de la proposition qui a été faite. Pourtant, nul ici ne pourra prétendre que je suis favorable aux financiers !
Effectivement, les tribunaux doivent punir avec toute la sévérité méritée les délits pour malversations financières, surtout pour des montants aussi importants que celui dont il s'agit ici. La commission de grâce ne doit pas revoir le jugement, qui a déjà tenu compte de ces problèmes, mais examiner l'évolution de la situation à la lumière des faits nouveaux, ce qui pourrait justifier une éventuelle mesure de grâce, une clémence ou, à tout le moins, une réduction de la peine.
Dans le cas particulier, M. I. S. est âgé de soixante et un ans. Sa demande de grâce s'appuie sur certains motifs : il a un fils encore jeune - dix-neuf ans - il doit liquider sa maison suite à tous ses problèmes, puisqu'il n'est évidemment plus solvable. Sa famille paye très lourdement ses agissements, son épouse ayant dû retrouver un emploi comme vendeuse pour subvenir à ses besoins.
M. I. S. aurait la possibilité, malgré son âge, de retrouver un emploi. Pour cela il n'a pas besoin d'une libération complète : il suffirait d'une libération conditionnelle. Cela lui permettrait, pendant un certain temps, de travailler à mi-temps, dans la journée, tout en retournant en prison le soir. Ce serait donc une possibilité pour lui de purger sa peine et de travailler simultanément. Dans son recours en grâce, il précise qu'il considère cette demande de grâce comme une dernière chance de retrouver un emploi étant donné son âge.
C'est pour cela que je propose à ce Grand Conseil d'accepter non pas la grâce pour M. I. S., mais la réduction de sa peine, pour obtenir une éventuelle libération conditionnelle en juin 1995. Bien sûr, si un fait négatif devait survenir, cette libération conditionnelle prendrait fin. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs, à accepter la réduction du solde de la peine pour permettre à M. I. S. d'obtenir une libération conditionnelle.
La présidente. Monsieur Spielmann, j'ai besoin d'une proposition écrite !
M. Jean Spielmann. Elle est dans le rapport : «Réduction de la peine initiale à 2 ans pour que l'éventuelle libération conditionnelle intervienne au mois de juin 1995.».
Mme Christine Sayegh (S). C'est également dans ce sens que je souhaite intervenir et demander que les députés appuient la demande de réduction de la peine initiale à deux ans pour permettre la libération conditionnelle de M. I. S..
Effectivement, certains points sont à son actif. Tout d'abord, il avait spontanément dénoncé les faits dont il était coupable au Procureur général, ce qui lui a évité une détention préventive. Ensuite, il a trouvé un travail, ce qui n'est pas facile à soixante et un ans, vu la situation économique actuelle. Enfin, il ne demande pas la liberté, mais une libération conditionnelle. Je pense que nous devons soutenir cet effort de réinsertion sociale, car M. I. S. va certainement nous montrer qu'il peut respecter les lois.
Je vous invite donc à accepter de réduire la peine initiale à deux ans, pour lui permettre une libération conditionnelle.
M. Pierre Kunz (R). J'aimerais tout d'abord prier mes collègues de la commission de grâce d'excuser mon absence de lundi, puisque je n'ai pas pu participer à la séance, faute de quoi j'aurais présenté une proposition identique à celle présentée par M. Spielmann et Mme Sayegh.
Je soutiens donc cette proposition !
M. John Dupraz (R). Je suis quelque peu étonné des interventions de mes préopinants !
Il est vrai que l'avocat de M. I. S. s'est dépensé sans compter pour intervenir auprès des députés afin qu'ils interviennent dans ce sens ! Je trouve, néanmoins, un peu regrettable que l'on remette en doute le sérieux du travail de la commission qui a examiné ce cas avec attention et qui a estimé qu'on ne devait pas revenir sur le jugement. M. Spielmann a évoqué l'emploi trouvé par M. I. S. : mais c'est un peu facile de demander une diminution de peine pour qu'un détenu bénéficie d'une libération conditionnelle, sous prétexte qu'il a trouvé un emploi ! Avec de tels arguments, on viderait les prisons du jour au lendemain, et, pour ma part, je les trouve nettement insuffisants !
Vu la gravité des faits, je prie ce Grand Conseil de s'en tenir au préavis de la commission !
La présidente. Je mets aux voix la proposition de M. Spielmann, de Mme Sayegh et de M. Kunz, à savoir la réduction de la peine initiale à deux ans.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La proposition de réduire la peine initiale à deux ans est rejetée par 30 non contre 25 oui.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. L. D. , 1961, France, couvreur, ne recourt que contre la peine d'expulsion judiciaire.
Mme Catherine Fatio (L), rapporteuse. Je me suis rendue à la prison de Champ-Dollon pour visiter M. L. D.. Il est tout à fait conscient des erreurs qu'il a commises depuis 1988. En effet, il a conduit un véhicule en état d'ivresse et sans permis de conduire...
La présidente. Je suis navrée, Madame Fatio, il faut attendre que le silence revienne, car certains de vos collègues désireux de vous écouter ne le peuvent pas !
Mme Catherine Fatio, rapporteuse. Je ne parle peut-être pas assez fort ?
La présidente. Si, vous parlez assez fort, Madame ! Ce n'est pas vous qui êtes en cause.
Mme Catherine Fatio, rapporteuse. Donc, en 1988, il a été intercepté en flagrant délit de conduite en état d'ivresse, et, de surcroît, sans permis de conduire. Il a été renvoyé en France, mais, depuis lors, il a été pris dix-huit fois pour différentes fautes de circulation. Depuis 1994, il a été définitivement interdit d'entrée en Suisse.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de rejeter ce recours.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. M. N. S. J. , 1957, Portugal, sans profession, recourt contre le solde de la peine d'expulsion qui prendra fin au mois de septembre 1996.
M. Christian Grobet (AdG). M. M. N. S. J. demande la grâce pour une mesure d'expulsion judiciaire dont il a fait l'objet.
Il faut peut-être expliquer que M. M. N. S. J. est l'époux de Mme S. qu'il a épousée le 1er août 1979. De ce mariage est née une petite fille, Elisabete, le 25 avril 1985; elle a donc maintenant dix ans. Mme S. vit avec cette enfant à Genève. Sa fille fréquente avec succès l'école primaire du Grand-Lancy et, précédemment, celle de la Jonction.
M. M. N. S. J. a été impliqué dans une affaire de drogue très modeste, selon l'avis de la commission. En effet, M. M. N. S. J. se trouvait en compagnie de consommateurs, lorsqu'il a été arrêté. Il a fait l'objet d'une condamnation très légère de la part du juge d'instruction. Vous le savez, pour les affaires modestes, le juge d'instruction peut rendre ce qu'on appelle des «ordonnances de condamnation», ce qui évite que le cas ne soit déféré devant un tribunal.
M. M. N. S. J. a effectué huit jours de prison préventive et il a été condamné par le juge d'instruction à un mois de prison avec sursis. C'est dire que l'infraction a été considérée comme mineure par le juge d'instruction qui a prononcé cette peine. Mais cette ordonnance de condamnation comporte également une mesure d'expulsion judiciaire, laquelle - je tiens à le préciser - a été complétée d'une mesure d'expulsion administrative. La mesure d'expulsion judiciaire est de trois ans. L'expulsion administrative, elle, est de dix ans. L'ordonnance remontant à septembre 1993, il s'est donc maintenant écoulé dix-huit mois depuis que cette mesure a été prise. Cela implique, évidemment, une séparation douloureuse entre le père et sa fille E..
Le motif de l'expulsion, figurant dans l'ordonnance du juge, indique que M. M. N. S. J. n'a pas d'attache familiale à Genève. La commission n'a bien sûr pas compris comment le juge avait retenu ce motif pour prononcer une peine d'expulsion, alors que sa femme et son enfant vivent à Genève, depuis dix ans. Il y a eu, semble-t-il, méprise en ce sens que le rapport de police indiquait que M. M. N. S. J. n'avait pas d'autre attache familiale à Genève que celle de sa femme et sa fille. De cette formulation, le juge a retenu que M. M. N. S. J. n'avait pas d'attache familiale du tout !
Un certain nombre d'attestations figurent au dossier, notamment d'enseignants, prouvant que M. M. N. S. J., après une rupture de ban, s'est repris et s'est occupé avec beaucoup de soin de sa fille. La commission est arrivée à la conclusion qu'il convenait, pour des raisons familiales et du fait que la motivation de l'expulsion paraissait manifestement erronée, de prononcer la grâce pour les dix-huit mois restants de cette expulsion. Bien entendu, M. M. N. S. J. devra encore obtenir la levée de l'expulsion administrative, ce qui n'est pas certain.
Mais, dans l'immédiat, tenant compte des attaches familiales et du peu de gravité de l'infraction, la commission vous recommande d'accorder la grâce pour le solde de l'expulsion.
M. Bernard Annen (L). Je ne sais pas si on peut se prononcer sur le degré de gravité d'un délit de trafic de drogue ! Quant à moi, je pense que, quelle que soit la quantité de drogue dont il s'agit, l'infraction reste grave et même très grave.
Je rappelle à ce Grand Conseil qu'il s'est déjà prononcé sur cette demande de grâce qui a été refusée. J'encourage donc ce dernier à maintenir sa position d'il y a quelques mois.
M. John Dupraz (R). Je me permets d'intervenir pour soutenir le rapport de M. Grobet.
En effet, nous avons longuement discuté de ce cas en commission. Il est excessivement rare qu'une grâce soit accordée pour des délits de drogue. Mais, dans ce cas, M. Grobet a évoqué le fait que le jugement porte sur un motif qui ne correspond pas à la réalité. En effet, M. M. N. S. J. recourt contre la peine d'expulsion qui a été prononcée, parce qu'il a eu le malheur de dire qu'en dehors de sa femme et de son enfant il n'avait pas d'attache à Genève.
Mesdames et Messieurs, combien de Genevois, voire de Confédérés, n'ont pas d'attache avec Genève si ce n'est qu'ils y travaillent et qu'ils y logent, passant tous leurs loisirs à l'extérieur de Genève. Cet argument ne me semble pas suffisant pour expulser quelqu'un trois ans, ce d'autant plus que, même si nous accordons la grâce à ce monsieur, il lui faudra se battre encore contre la peine d'expulsion administrative de onze ans.
Je vous invite donc à suivre le rapport de M. Grobet.
M. Christian Grobet (AdG). Mesdames et Messieurs, même si je comprends parfaitement la préoccupation de M. Annen concernant le problème du trafic de drogue - je partage son avis et je pense que les délits liés au trafic de drogue doivent être sévèrement punis - néanmoins, il ne me semble pas possible de dire que toutes les affaires de drogues doivent être traitées de la même manière ! En effet, cela revient finalement à admettre que d'autres infractions beaucoup plus importantes ne seraient pas punies d'expulsion, alors qu'une infraction modeste, comme c'est le cas en l'espèce, le serait.
De toute évidence, si l'affaire était sérieuse le juge n'aurait pas prononcé une peine aussi légère : trente jours d'emprisonnement, avec sursis. Je ne suis pas ici pour rejuger M. M. N. S. J. par rapport à ce qu'il a fait, mais, à l'évidence, l'infraction était extrêmement mineure. Nous devons tenir compte de cet élément pour nous prononcer, et il me semble disproportionné, pour une infraction mineure, de séparer un homme de son épouse et de son enfant.
En outre, une entreprise de transports d'handicapés lui a promis un emploi. C'est aussi un élément dont il faut tenir compte, car il va dans le sens de l'intérêt familial.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine d'expulsion) est adopté.