République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 17 février 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 4e session - 7e séance
M 975
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- qu'il existe des formes hétérogènes de familles;
- que les familles en situation de vulnérabilité économique sont non seulement les familles de chômeurs, souvent de longue durée, mais aussi les familles à faible revenu du travail;
- que le système des droits dérivés est en général conçu en fonction d'un modèle familial traditionnel et perd une partie de son efficacité lors d'un divorce ou d'une séparation;
- que dans ces cas, les revenus d'un travail à temps partiel ne permettent pas de subvenir aux besoins du ménage alors que le temps partiel constitue une possibilité de concilier la vie professionnelle et la vie familiale;
- que la politique de lutte contre la pauvreté peut pallier les carences de la politique familiale, en faveur des familles les moins favorisées;
- qu'à Genève, le statut de rentier AVS/AI de condition modeste et le statut de chômeur en fin de droit ouvrent déjà un droit à un revenu minimum d'aide sociale;
- que ces droits ne concernent qu'une partie des personnes à l'assistance;
- qu'il convient de procurer aux familles des moyens convenables d'existence,
invite le Conseil d'Etat
- à procéder à une analyse des aides financières déjà apportées aux familles défavorisées;
- à étudier l'opportunité d'introduire pour cette population un revenu minimal d'aide sociale basé sur les mêmes principes que ceux d'ores et déjà en vigueur;
- à transformer à ce titre l'assistance sociale en aide sociale.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Par définition, une politique familiale englobe toutes les mesures qui ont pour but de créer un climat favorable à la famille en vue de son développement harmonieux et du maintien de sa cohérence. Ce principe s'applique à ce qu'il est convenu de désigner par l'expression de «constellations familiales», tant l'évolution des liens conjugaux bouscule la forme traditionnelle du modèle familial en multipliant les formes possibles de familles.
Par les soins et l'éducation qu'elle donne aux enfants, la famille apporte une contribution très importante à la société. Les mesures de compensation des charges familiales ont pour but de reconnaître ces prestations de la famille. Cette compensation est l'expression d'une solidarité entre générations, d'une part, et en adultes qui élèvent des enfants et ceux qui n'en ont pas, d'autre part. Les mesures de compensation allègent au moins les charges financières incombant aux familles et contribuent à donner aux enfants les chances les meilleures pour leur développement.
Or, malgré une référence à la famille, à l'article 34 de la constitution, la Suisse ne dispose, à l'échelon fédéral ou cantonal, ni d'une politique familiale, ni d'une politique de lutte contre la pauvreté.
Malgré tout, en comparaison internationale, notre pays est de ceux dont le taux de pauvreté infantile est le moins élevé. La Suisse étant dans les pays les moins généreux en matière de politique sociale et, particulièrement, en matière de politique familiale, ce résultat indique clairement que le bien-être des familles est directement fonction de l'existence de revenus du travail.
Dans l'actuelle crise économique, les conditions de vie des familles pourraient se détériorer de façon plus prononcée que pour la moyenne de la population. Ce phénomène observé dans les pays confrontés plus précocement que nous aux difficultés économiques ne saurait nous épargner.
La pauvreté est multidimensionnelle et ses causes le sont généralement aussi, mais des observations concordantes permettent de sérier les situations conduisant à la précarité et/ou à la pauvreté.
En effet, c'est du travail que dépendent essentiellement les revenus des ménages. Lors de la survenance de certains événements, un appareil de protection sociale vient compléter le salaire ou prendre la relève du marché de l'emploi. Les situations de précarité économique apparaissent donc comme la conséquence
- soit de l'insuffisance des revenus du travail,
- soit d'une carence du système de protection sociale.
Concernant, les revenus du travail, l'analyse des bénéficiaires de l'action 700e, rappelle que «... malgré les dettes souvent importantes de ces ménages, et quel que soit le type de dettes, le problème crucial réside dans l'insuffisance chronique des revenus et non pas dans les dépenses excessives: les salaires sont trop bas pour vivre, trop précaires et trop irréguliers pour prévoir. Pour des raisons structurelles l'accès à l'emploi stable et assuré est difficile: pas de qualification professionnelle, trop longue absence du marché du travail, discrimination, chômage.»
Remarques à propos des groupes sociaux concernés:
1. 40% des pauvres classés dans les catégories les plus défavorisées vivent dans des familles de travailleurs salariés (on leur a trouvé un nom: les «working poors»). Chez eux, les imprévus (accident de santé, frais dentaires, séparation, etc.) compromettent vite leur équilibre précaire;
2. les familles monoparentales (dont les chefs sont presque toujours des femmes) sont plus vulnérables économiquement. La conciliation d'une vie professionnelle assurant un revenu décent, avec la charge d'enfants, n'est pas chose aisée, même là où de bonnes conditions de formation existent. Les structures d'accueil de la petite enfance sont insuffisantes. Le fait qu'il n'existe pas de droit clairement identifiable à une allocation de remplacement des pensions alimentaires quand l'ex-partenaire ne peut s'en acquitter constitue un facteur de vulnérabilité supplémentaire.
Le bilan de l'action 700e observe à ce propos que la moitié exactement des bénéficiaires de l'action 700e, qui ne peuvent se passer d'une aide matérielle pour équilibrer leur budget, sont des femmes élevant seules des enfants.
3. dans certains cas, la présence de handicap chez l'enfant n'est pas entièrement couvert par l'AI, alors que dans de telles situations la disponibilité professionnelle est souvent restreinte avec des répercussions obligées sur les possibilités de gain;
4. dans le contexte économique actuel, les bas salaires des personnes peu ou pas qualifiées diminuent parfois fortement.
Développement du concept de revenu minimal garantisur le plan politique
En 1993, en réponse à une motion écologiste «concernant le minimum social garanti» (M 684), la commission des affaires sociales a proposé de renvoyer au Conseil d'Etat une motion «concernant la pauvreté à Genève et les moyens d'y remédier». Le Grand Conseil l'a acceptée et la motion est toujours pendante devant le Conseil d'Etat. Simultanément, sur la base du projet de loi socialiste «instituant une allocation d'insertion» (PL 6629), la commission a décidé de donner priorité au traitement du problème des revenus des chômeurs en fin de droit. Le RMAS pour les chômeurs en fin de droit (assorti d'une exigence d'évaluation) a été accepté par notre Conseil, le 18 novembre 1994.
Lors de la présentation du projet, les Verts, nous avions déjà annoncé que selon la démarche pragmatique adoptée dans ce canton, les familles devraient être les prochains bénéficiaires d'un revenu minimal d'aide sociale.
Auparavant, Genève avait déjà introduit la notion de revenu minimum à propos des prestations complémentaires cantonales pour les bénéficiaires des rentes AVS/AI lors de la révision de la loi sur les presatations complémentaires cantonales pour les rentiers AVS /AI.
Le Tessin a, lui, adopté (15 jours avant l'introduction genevoise d'un revenu minimum d'aide sociale pour les chômeurs en fin de droit) un «revenu d'insertion» pour tous ceux qui font appel à l'assistance publique.
Au terme de son bilan de l'action 700e, l'institut d'études sociales recommande notamment de rendre non remboursables les dettes de d'assistance.
Dans le même sens, la très célèbre commission d'experts chargée de la refonte de la loi sur les allocations familiales, rappelait, sous la plume de sa présidente Hélène Braun, que «la politique familiale en Suisse et à Genève est lacunaire, éclatée: la volonté politique fait gravement défaut. Il est urgent de prendre conscience de la nécessité impérieuse de réaliser une politique digne de ce nom, non seulement pour nos aînés, mais également pour les jeunes et leurs familles... Les efforts doivent porter plus particulièrement sur la fiscalité des familles nombreuses, le logement, les structures de garde pour les enfants et les familles monoparentales.
»En matière de revenu minimum d'aide sociale, la commission rappelle... qu'une proportion importante de bénéficiaires de prestations d'assistance sont des mères élevant seules leurs enfants. Par conséquent, dans une deuxième étape, les familles monoparentales devront elles aussi être mises au bénéfice de RMAS, ce qui évacuera le poids de la dette d'assistance des familles les plus vulnérables.»
Enfin, la majorité du Conseil national a refusé une initiative parlementaire concernant un revenu minimum généralisé en estimant que l'assistance publique est du ressort des cantons et des communes. Rappelons qu'en matière de sécurité sociale, l'histoire montre que la Confédération intervient rarement avant que des cantons aient pris l'initiative dans les limites de leurs compétences.
Revenu minimal d'aide sociale
Sans refaire le débat engagé sur le bien-fondé du concept de revenu minimal, ses différentes formes possibles, ses limites, voire ses effets pervers, les auteurs de la présente motion tiennent pour acquis qu'aucune réponse technique, telle que le revenu minimum, n'est suffisante pour résoudre les problèmes d'intégration sociale qui se trouvent en aval des phénomènes de marginalisation et d'exclusion sociale, mais ils tiennent également pour acquis que la persistance de pauvreté au sein d'une société aussi prospère que la nôtre est inacceptable.
Si les services qui peuvent prioritairement contribuer à faire reculer la pauvreté sont les services de santé, les services de logements, les services d'éducation et de formation ainsi que les services de l'emploi, l'important ce sont aussi les ressources pécuniaires immédiates, régulières. Comme le faisait observer une responsable des prestations de l'OCPA, le versement des prestations complémentaires règle parfois automatiquement une série de problèmes. Nul doute que la tension due à des revenus insuffisants, irréguliers, précaires, joue en défaveur de toute prise de responsabilité ou de projet. Nul doute que la situation précaire de ces ménages n'entrave l'objectif décrit par l'OFAS (office fédéral des assurances sociales) en 1982, à savoir que «tout enfant a le droit de bénéficier de mesures et de moyens lui permettant de s'épanouir sainement et librement sur les plans physique, psychique, intellectuel et social».
Ce risque est d'autant plus présent que l'on sait que la charge que représentent les enfants se définit de manière pertinente par rapport à un revenu déterminé et que plus le revenu est bas, plus la part relative des dépenses de première nécessité (alimentation, logement et assurance) est élevée. Dans ces circonstances toute difficulté matérielle devient significative.
Au vu des considérations qui précèdent, le revenu minimal pour les familles (monoparentales ou conjugales) consiste bien en une solution partielle, minimale comme son nom l'indique, mais cependant sérieuse et nécessaire. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le soutien du mouvement populaire des familles déclaré au moment du RMAS pour les chômeurs en fin de droit: soutien à l'intention de transformer l'assistance en un droit à un revenu minimal.
C'est dans cette perspective que nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette motion.
Débat
Mme Liliane Maury Pasquier (S). Comme le précédent débat vient de le démontrer, tout le monde s'accorde à reconnaître l'importance des premières années de la vie pour la construction de l'identité, pour la solidité de cette construction qui conditionne tellement les capacités à faire face aux problèmes de la vie en général et, en particulier, de l'adolescence : toxicomanie, délinquance, violence.
Ces premières années de la vie se passent dans le cadre de la famille et c'est la raison pour laquelle toute fragilisation de cette famille peut être problématique pour le futur adulte autant que pour la société. Nous devons nous soucier d'assurer aux familles des conditions de vie décentes garantissant autant que possible une image positive de tous ses membres. Le jour où, en raison d'un accident - entendez par accident tout événement imprévisible ou inattendu, que ce soit un traitement dentaire ou le remplacement de sa cuisinière - l'argent manque pour les autres frais courants - alimentaires, vestimentaires ou autres - l'image positive en prend un coup et ce coup-là peut avoir de lourdes conséquences.
Ces situations précaires que je viens d'évoquer sont malheureusement une réalité à Genève, à cause de la crise et, bien sûr, du chômage, mais aussi, et nous ne le dirons jamais assez, à cause des salaires scandaleusement bas, notamment ceux des femmes, pratiqués dans certaines branches. Combien de familles sont-elles touchées par ce problème d'insuffisance de revenus dans notre canton ? Les chiffres de l'Hospice général pour 1994 sont à ce titre assez édifiants, puisque, sur trois mille cinq cent septante-quatre dossiers d'assistance financière traités l'an dernier, mille trois cent septante-huit, soit près de la moitié, concernaient des familles, huit cent septante et un pour des familles monoparentales et cinq cent sept pour des couples avec enfant. Si certains dossiers peuvent être déduits de ces chiffres en raison de l'entrée en vigueur du revenu minimum d'aide sociale, il reste toujours un nombre important de situations précaires pour des familles.
Si le revenu minimum, qu'il soit d'aide sociale pour les familles ou pour tout le monde, n'est pas une solution en tant que telle, c'est néanmoins une possibilité parmi d'autres de soutien, en l'occurrence aux familles. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'accueillir favorablement cette motion.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). La question d'un revenu minimal d'aide sociale a déjà occupé notre parlement à plusieurs reprises. Les transformations socio-économiques que nous connaissons ici ou ailleurs incitent à la réflexion et à l'action dans ce domaine.
Comme rappelé dans l'exposé des motifs, une motion écologiste et un projet de loi socialiste ont ouvert les feux en 1990. Simultanément, l'expression même de revenu minimal a été inscrite pour la première fois dans notre législation cantonale à propos des prestations complémentaires cantonales AVS/AI. L'année dernière, nous avons accepté une loi pour un revenu minimal cantonal pour les chômeurs en fin de droit, reconnaissant par là que le traitement social du chômage ne répondait plus à la situation nouvelle du chômage longue durée.
L'avance politique pas à pas, ou dite des «tranches de saucisson», a cela de positif qu'elle permet d'obtenir une large adhésion sur des problèmes devenus évidents. La même démarche pas à pas a toutefois cela de regrettable :
1. En désignant des ayants droit catégorie par catégorie elle signale des catégories moins méritantes, moins acceptables politiquement.
2. Elle perdure dans l'idée du transitoire ou du marginal sans voir que l'organisation sociale a besoin d'une nouvelle définition de redistribution et du travail et des revenus.
A cet égard, les «verts» estiment toujours - comme ils l'ont écrit dans leur motion de 1990 - qu'il faut introduire une notion plus générale d'un minimum d'existence permettant de couvrir les besoins des bénéficiaires en logement, en soins de santé et en formation. Les «verts» soutiennent, à terme, la notion de revenu de citoyenneté, c'est-à-dire le droit à un revenu d'existence généralisé et déconnecté, au moins partiellement, de la situation du travail ou du chômage. Les réalités concrètes pourraient bien, sous peu, renforcer l'intérêt pour un tel revenu, puisque même l'OCDE estime que les mutations technologiques et les gains de productivité observés génèrent un relâchement des liens entre production et emploi, d'une part, et entre emploi et chômage, d'autre part.
La politique des petits pas, quant à elle, nous conduira à examiner toutes sortes d'autres populations précarisées. Après les familles, les jeunes devraient être les prochains bénéficiaires. En effet, nombre d'études en Suisse ou à l'étranger révèlent la surreprésentation des jeunes personnes parmi les pauvres. Au moment où, par cette aide sociale, groupe par groupe, nous réaliserons que le partage du travail et des revenus s'est bien concrétisé de la pire manière, nous pourrons reprendre la discussion sur le revenu d'existence avec une adhésion politique plus large. En attendant, nous vous prions d'apporter toute votre attention au présent projet de motion.
L'année de la famille est terminée, les familles demeurent. En préliminaire, disons que pour les familles, plus que pour toute autre catégorie sociale peut-être, la solution d'un revenu minimal est partielle. Ici, plus que dans tout autre domaine, les politiques doivent porter d'abord sur le logement, la garde d'enfants, l'instruction, la formation, la culture, l'égalité entre hommes et femmes, la santé et l'emploi. Il s'agit, ni plus ni moins, que de partager l'avenir. Il n'empêche que le revenu minimal pour les familles est une nécessité, la nécessité minimale pour garantir toute autre possibilité de liberté.
Comme l'a dit Liliane Maury Pasquier, un revenu insuffisant pour les familles a deux origines possibles : soit l'insuffisance des revenus du travail, soit une carence des systèmes de protection sociale existants. Nous savions déjà, en proposant le légitime revenu minimal cantonal d'aide sociale pour les chômeurs en fin de droit, que cela ne concernerait qu'une minorité des ménages s'adressant d'ores et déjà à l'assistance. Dans une société à salaire libre, l'autorité publique est donc contrainte d'entrer en matière sur l'insuffisance des revenus du travail. Nous insistons sur le fait que le projet doit concerner toutes les familles, même si la plupart des revenus familiaux insuffisants concernent des familles monoparentales.
En effet, diverses législations étrangères privilégiant les familles monoparentales font actuellement l'objet d'analyses critiques quant à l'incitation à la non-cohabitation. De plus, il s'agit tout simplement d'une question d'égalité de traitement, le calcul d'un revenu minimal pour une famille ne peut discriminer les membres de cette famille.
En conclusion, l'instauration d'un revenu minimal pour les familles est une mesure d'urgence tant il est vrai que les petits salaires sont, avec les chômeurs, les laissés-pour-compte de la reprise. Revenu minimal, condition nécessaire mais pas suffisante. Revenu minimal et mesure d'urgence signifient, en conséquence, que nous ne sommes pas quittes de développer une véritable politique familiale, pas plus que nous ne sommes quittes d'instaurer des véritables mesures de lutte contre la pauvreté en reconsidérant notamment nos modes de partage.
M. Daniel Ducommun (R). Permettez-nous d'être surpris de la démarche des motionnaires. Nous ne comprenons pas leurs motivations, sauf s'il s'agit d'un cri du coeur faisant abstraction de tout considérant rationnel ou économique. Notre parlement vient de voter un RMAS pour nos chômeurs. Certains ont émis quelques réserves sur l'incertitude des demandeurs et des besoins pouvant entraîner une explosion de nouvelles charges non maîtrisées et, surtout, non couvertes par l'Etat.
Pour cela, nous avons mis un garde-fou consistant en une évaluation dans deux ans. Cela nous paraît être la moindre des sagesses. Alors, de qui se moque-t-on quand, deux mois après, on vient avec un élargissement fondamental des mêmes prestations ? Nous n'allons pas ce soir reprendre la totalité des dépenses consacrées aux transferts sociaux. Rappelons le chiffre global de 950 millions - près d'un milliard - 40% de plus qu'en 1991.
Alors, quels objectifs animent ceux qui veulent encore et toujours plus ? Nous sommes actuellement sollicités dans diverses commissions, qu'elles soient sociale ou fiscale, pour un nouveau fonds de solidarité, pour un fonds de création d'emplois d'utilité publique et écologique, pour une contribution sociale généralisée pour la réforme des allocations familiales, et j'en passe, et ce soir, pour un nouveau revenu minimum d'aide sociale. Et qui paie ? Il nous manque 400 millions pour le fonctionnement des prestations courantes. Les moyens de production suffoquent.
Mesdames et Messieurs les motionnaires, et la gauche en général, pourquoi ne faites-vous pas plus confiance à l'individu, à ses capacités de réaction, d'entreprendre ou de créer ? Vous voulez un Etat d'assistés sous un immense «machin» étatique. Nous n'en voulons pas et refusons cette proposition de motion. Nous ne restons pas, toutefois, opposés à une poursuite du dialogue, mais, s'il vous plaît, dans deux ans. (Applaudissements.)
Mme Anne Chevalley (L). Le but de mon intervention est de dire l'étonnement du groupe libéral de voir cette motion proposée à notre Grand Conseil trois mois seulement après l'adoption du troisième volet du projet de loi 6629 concernant le revenu minimum d'aide sociale en faveur des chômeurs en fin de droit.
J'aimerais rappeler la position exprimée par les commissaires libéraux lors des travaux de la commission des affaires sociales à laquelle je participais à l'époque. S'il est vrai que, conscients des problèmes existentiels auxquels font face nombre de nos concitoyens, ils ont accepté le principe de l'institution d'un revenu minimum d'aide sociale, ils ont clairement déclaré vouloir donner une priorité aux chômeurs en fin de droit dont la situation devenait préoccupante.
Je ne reviendrai sur les débats difficiles du mois d'octobre que pour déplorer le manque de crédibilité des estimations qui ont été faites, notamment sur le plan du nombre probable de bénéficiaires. Preuve en est que le nombre de dossiers actuellement à l'étude approche le millier, que, sur les coûts même approximatifs qui en découleront, aller aujourd'hui au-delà, c'est-à-dire dans le sens de la motion qui demande la généralisation du RMAS, sans encore connaître les conséquences financières des décisions prises en faveur des chômeurs serait à nos yeux faire preuve d'incurie.
Les dispositions finales du volet du RMAS, voté en octobre, stipulent qu'une évaluation de ses effets serait faite tous les deux ans. Avant d'aller plus loin, et dans l'attente de la première réévaluation, le groupe libéral s'opposera à toute extension de cette aide. C'est la raison pour laquelle, en rappelant que notre canton va consacrer en 1995 près d'un milliard et demi au budget du DASS, en augmentation de 5,6% en raison de l'accroissement de l'aide prévue en faveur des plus démunis, le groupe libéral refusera cette motion.
M. Bernard Clerc (AdG). Il faut aborder cette motion sur le problème de fond, à savoir qu'aujourd'hui un certain nombre de nos concitoyens doivent recourir à l'assistance publique. Voilà le problème essentiel et cela pose des questions en termes de politique d'emplois et de politique familiale. Il convient d'agir en amont de l'assistance et pas en aval. Voilà l'orientation générale de notre groupe.
Cela étant, nous sommes favorables au principe de l'extension du revenu minimum remplaçant l'assistance publique actuelle. Mais cette motion présente certains dangers. Elle risque de créer des catégories. Nous allons avoir d'un côté les bons pauvres et, de l'autre, les mauvais. Nous avons eu les premiers bons pauvres, c'était les chômeurs en fin de droit, même si, Madame Chevalley, ils ne sont pas au nombre du millier dont vous parlez. A fin janvier, il y en avait exactement deux cent cinquante-deux. Vous confondez les demandes et les prestations accordées; évidemment, ce n'est pas tout à fait la même chose ! (Contestations de M. Brunschwig.)
M. Jean-Pierre Lyon. Tais-toi, Brunschwig !
M. Bernard Clerc. En outre, je pense qu'il est dangereux de créer des catégories à l'intérieur de la population assistée. Je rappelle, contrairement à ce qui a été dit, que la majorité des personnes assistées sont des personnes seules et que l'introduction par «tranche de saucisson», comme cela a été dit tout à l'heure, engendre des risques de stigmatisation de ceux qui restent dans le système de l'assistance. En conséquence, nous ne sommes pas favorables à cette tactique dite de la «tranche de saucisson».
Nous pensons qu'il faut un débat politique global sur l'ensemble de la problématique pour le passage à terme de la population assistée au système du revenu minimum. Cette motion soulève en partie ce problème, elle le soulève mal, mais nous sommes favorables à en discuter, et c'est pour cela que nous appuierons son renvoi en commission.
M. Philippe Schaller (PDC). Monsieur Ducommun, c'est un cri du coeur mais également de la vérité et de la justice. Vous dites que certaines personnes en veulent toujours plus et il est vrai que nous ne pouvons pas faire confiance au mécanisme de l'économie de marché. Des motions et des propositions sont faites à la commission fiscale, mais elles aboutissent toujours au même résultat. On ne veut pas augmenter les impôts.
J'espérais que ce parlement serait convaincu par les explications contenues dans l'exposé des motifs, par les interventions de mes deux collègues, Gabrielle Maulini-Dreyfus et Liliane Maury Pasquier, convaincu qu'aujourd'hui il faut sortir ces familles injustement mises à l'assistance, parce que notre système de sécurité sociale ne les protège pas, parce que le filet de sécurité sociale que nous avons mis en place ne permet pas de les retenir.
Ce ne serait que justice, face aux carences envers les femmes de notre système social de protection, que de donner un coup de pouce à ces familles, car sur les mille citées ayant recours aux services de l'Hospice général, il s'agit, dans la plupart des cas, de femmes vivant seules ou cheffes de famille. Mme Chevalley dit qu'en commission nous nous étions mis d'accord sur un revenu minimum d'aide sociale en faveur des chômeurs en fin de droit et que nous avions demandé que ce projet soit traité dans l'urgence, parce qu'il y avait urgence compte tenu de la législation sur le chômage existant dans notre pays. Mais nous avions aussi dit qu'il fallait s'y attaquer rapidement et, en ce qui concerne l'urgence, je reprends les termes du rapport de Mme Saudan :
«Toutes les personnes auditionnées relèvent l'importance et l'urgence d'une telle réflexion. Elles sont d'accord sur le fait que la pauvreté a changé de nature. De phénomène lié à l'urbanisation, elle touche maintenant plus spécifiquement les jeunes et les femmes et de manière générale toutes les couches de la population qui peuvent être confrontées à une perte d'emploi, à la dure réalité de la crise économique, à un endettement excessif ainsi qu'à des problèmes de santé.».
Il est apparu lors des travaux de la commission - qui ont duré deux ans, je vous le rappelle - qu'il était également urgent de discuter des autres personnes touchées par la précarité et la pauvreté. Même si la marge de manoeuvre est difficile et aussi imparfaite que puisse être la proposition, Monsieur Clerc, je crois que nous devons mettre en place de manière pragmatique des structures permettant de sortir rapidement ces familles de l'assistance. J'aimerais rappeler qu'il ne s'agit pas de dépenses supplémentaires, mais simplement d'un transfert de charges passant de l'assistance à l'aide sociale.
Madame Chevalley, lorsque vous dites que l'on avait mal prévu le revenu minimum pour les chômeurs en fin de droit, c'est vrai. S'il y a tant de monde, c'est tant mieux, c'est que vraiment notre loi avait une raison d'être et qu'elle correspondait à un réel besoin, et l'évaluation nous permettra de savoir de manière plus fine quelles sont les couches de la population touchées, les pourquoi, les raisons et si l'action que nous avons voulu mener tombe sur les bonnes personnes.
J'aimerais simplement rappeler les paroles de M. Vodoz lors de la commémoration de la Restauration. Ses paroles faisaient chaud au coeur et j'ai été enthousiasmé de l'entendre, mais je crois que maintenant il faut agir et pas seulement parler. Le social c'est aussi des actions. Sauver ces familles qui sont aujourd'hui à l'assistance est un devoir moral de ce parlement. J'aurais demandé que l'on renvoie directement cette proposition de motion au Conseil d'Etat, parce qu'à la commission sociale nous avons déjà un certain nombre de travaux. Nous avons la réforme des allocations familiales, le projet sur les parturientes et, si nous voulons être un peu trop juristes et technocrates et attendre d'avoir une solution globale, nous enterrerons ce projet pour plusieurs années. Ce serait dommage. C'est pourquoi je demande à ce parlement de se rallier à la proposition de renvoyer ce projet directement au Conseil d'Etat.
M. Nicolas Brunschwig (L). J'ai deux questions à poser au député Schaller et une remarque à lui faire. Je me demande pourquoi le député Schaller a choisi le parti démocrate-chrétien pour siéger...
La présidente. Oh, Monsieur le député ! (Forte contestation, sifflets.)
M. Nicolas Brunschwig. ...et non pas un parti comme l'Alliance de gauche s'opposant ouvertement au principe de l'économie de marché. (Grand brouhaha.)
La deuxième question est de savoir pourquoi le député Schaller, qui fut rapporteur du projet de loi sur le RMAS, a accepté le principe d'une évaluation après deux ans, alors qu'il y a à peine deux mois que cette loi est en vigueur et que déjà le député Schaller propose un élargissement du champ de cette loi.
Mon propos est de dire au député Schaller qu'il serait peut-être intéressant que celui-ci s'intéresse aussi au budget du canton et de la République de Genève. Il verrait qu'il y a deux colonnes dans le compte d'exploitation : une colonne de recettes et une colonne de dépenses, et il verrait que la colonne des dépenses dépasse de 450 millions celle des recettes. (Manifestation de M. Grobet.)
La présidente. Monsieur Christian Grobet, adressez-vous à la présidence et je vous donnerai la parole en temps utile !
M. Claude Blanc (PDC). Très calmement, j'aimerais faire remarquer à mon cher collègue Brunschwig que si M. Schaller siège dans les rangs du parti démocrate-chrétien c'est qu'il y a de la place pour les idées qu'il défend dans notre parti, puisque notre parti s'est toujours fait le champion de la défense de la famille, notamment, et des personnes les plus démunies. Je crois qu'il n'y a aucune antinomie, au contraire, et nous sommes fiers que des gens comme M. Schaller puissent défendre ces idées à l'intérieur de notre parti. (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). Nous avons M. Brunschwig Graf qui nous donne des leçons... (L'assemblée s'écroule de rire.)
La présidente. Je suis navrée, M. Brunschwig Graf n'est pas là, Monsieur Lyon ! (Rires sur tous les bancs.)
M. Jean-Pierre Lyon. Oh, c'est les mêmes noms ! Même parti, mêmes noms ! Monsieur Brunschwig, vous donnez des leçons à tout le monde, alors je vais faire de même. M. Clerc a dit qu'il fallait travailler en amont de l'assistance. Il y a une année et demie, je me souviens d'une magnifique affiche avec sept personnes en photo et, comme slogan : «création d'emplois». Mais qu'avez-vous fait depuis ? Le parlement en est réduit à ne parler que d'aumône. Depuis un an et demi, il n'y a même pas de projet du Conseil d'Etat pour l'emploi. Montrez-le nous ce projet, il est dans les tiroirs du département de l'économie ! C'est tout ce qu'il y a ici...
La présidente. Oui, mais nous sortons du sujet, Monsieur Lyon !
M. Jean-Pierre Lyon. (Agacé.) Ah, ouais, ouais !
M. John Dupraz (R). Il est vrai que cette motion pose quelques problèmes, puisque le RMAS pour les personnes au chômage en fin de droit vient tout juste d'être mis en place. Cependant, j'aimerais dire que nous devons veiller - c'est le rôle des responsables politiques et des élus de ce canton - à ne pas aggraver la fracture sociale. Faisons très attention. S'il est vrai que le budget, l'équilibre des finances de l'Etat sont des données très importantes, je constate une chose, Monsieur Brunschwig, c'est que les problèmes financiers ont toujours trouvé une solution.
Mais si nous ne trouvons pas de solutions aux problèmes sociaux, c'est alors la fracture, jusqu'à l'affrontement et l'explosion sociale. Je ne le souhaite pas pour mon canton, encore bien moins pour mon pays. Nous devons être extrêmement prudents, et je crois qu'à l'avenir il est illusoire de croire que nous allons vivre, reconquérir et revoir le plein-emploi, car il faut de moins en moins de gens pour produire de plus en plus de choses, et nous devons partager le travail, trouver des solutions nouvelles, revoir la société...
La présidente. Mais nous sortons du sujet !
M. John Dupraz. Mais, Madame la présidente, un parlement c'est fait pour parler et la présidente pour présider et nous laisser parler ! (Rires.)
La présidente. Oui, mais du sujet !
M. John Dupraz. Je pense qu'il est important que nous prenions conscience de ces problèmes et, s'il est vrai que cette motion est un peu prématurée, elle pose de vraies questions et mérite que l'on y réfléchisse et qu'ensemble nous trouvions des solutions.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Ce parlement, sur les différents bancs, élève rapidement le ton à propos de cette motion, mais il n'a pas lu attentivement, pour la plupart des intervenants, les demandes exprimées.
Je vous les relis. La motion invite le Conseil d'Etat «à procéder à une analyse des aides financières déjà apportées aux familles défavorisées;» - il ne s'agit donc pas, dans la première invite, d'en créer de nouvelles mais d'analyser celles qui sont déjà apportées - «à étudier l'opportunité d'introduire pour cette population un revenu minimal d'aide sociale basé sur les mêmes principes que ceux d'ores et déjà en vigueur;» - il ne s'agit donc pas de l'introduire, mais d'étudier l'opportunité de l'introduire - et, enfin, «à transformer à ce titre l'assistance publique en aide sociale.».
Que l'on dépense l'argent au titre de l'assistance publique ou au titre de l'aide sociale, financièrement la dépense est la même : c'est la qualification juridique qui change. C'est la raison pour laquelle je vous invite à y réfléchir plus tranquillement en la renvoyant en commission.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires sociales.