République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 104
17. Initiative populaire dite «La Suisse» pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi. ( )IN104
IN 104-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire dite «La Suisse» pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi. ( -)IN104

IN 104

LANCEMENT D'UNE INITIATIVE

L'Union des syndicats du canton de Genève a lancé l'initiative populaire suivante intitulée dite «La Suisse», pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi, qui a abouti.

1.

Arrêté du Conseil d'Etat constatant l'aboutissement de l'initiative, publié dans la Feuille d'avis officielle le  

19 octobre 1994

2.

Débat de préconsultation sur la base du rapport du Conseil d'Etat au sujet de la validité et de la prise en considération de l'initiative, au plus tard le  

19 janvier 1995

3.

Décision du Grand Conseil au sujet de la validité de l'initiative sur la base du rapport de la commission législative, au plus tard le  

19 juillet 1995

4.

Décision du Grand Conseil au sujet de la prise en considération de l'initiative sur la base du rapport de la commission en charge, au plus tard le  

19 avril 1996

INITIATIVE POPULAIRE

dite «La Suisse»,

pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi

Les soussignés, électrices et électeurs dans le canton de Genève, en application des articles 64 et 65A de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, et des articles 86 à 93 de la loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, appuient la présente initiative non formulée, qui a pour but de légiférer dans le sens ci-après:

En application de l'article 8 de la constitution genevoise consacrant la liberté de la presse, les autorités doivent prendre des mesures garantissant la diversité de la presse et veiller, conformément au droit fédéral, à ce que des situations de monopole ne se créent pas dans le secteur de la presse. A cette fin, elles doivent notamment intervenir concrètement pour contribuer au maintien de journaux existants et des emplois qui leur sont rattachés. Afin de contribuer aux objectifs énoncés ci-dessus tout en les étendant, en ce qui concerne plus particulièrement l'emploi, à l'ensemble des secteurs de l'économie, l'Etat doit, de manière générale, prendre notamment les mesures suivantes:

a) octroyer, à travers la Banque cantonale, un appui financier à des entreprises nouvelles, telles que la société coopérative créée pour sauver «La Suisse», ou à des entreprises assainies sur le plan financier, qui permettent le maintien ou la création d'emplois;

b) garantir dans tels cas les prêts consentis par la Banque cantonale ou d'autres banques ou institutions, lorsque des secteurs importants de l'économie locale sont en jeu;

c) verser, en s'inspirant à cette fin de la législation tessinoise en la matière, des subsides aux:

- entreprises engageant des chômeurs ou des jeunes qui viennent de terminer leur formation,

- ou à des secteurs d'activités menacés de fort chômage.

EXPOSÉ DES MOTIFS

RÉAGISSEZ CONTRE LA «CASSE» DE «LA SUISSE»

En date du 14 mars, «La Suisse» a cessé de paraître suscitant une très vive émotion dans la population de notre canton. Le personnel du journal décida alors de créer une coopérative pour reprendre sa parution, ce qui a entraîné un énorme élan de solidarité à Genève. Cet espoir a été trahi par ceux qui ne voulaient plus de «La Suisse», par les pressions de certains milieux économiques et surtout par l'inaction du Conseil d'Etat (pourtant élu sur le slogan «un emploi pour chacun»!), alors que ce dernier disposait des moyens d'agir et aurait dû intervenir, comme l'Etat l'a fait avec succès en d'autres occasions.

Face à ce désastre, il importe de réagir et d'en tirer les enseignements, en prévoyant d'inscrire dans la loi les moyens d'intervention dont dispose l'Etat et dont il pourrait disposer pour agir dans de tels cas. C'est le but de la présente initiative que vous êtes invités à signer, car il n'est pas possible devant la grave crise économique que nous traversons, que l'Etat continue à mener une politique de «laisser faire et laisser aller» avec pour conséquence que des pans entiers de notre économie risquent de s'effondrer avec les pertes d'emplois inacceptables qui en résultent. Les autorités doivent, de ce fait, mener une politique active de sauvegarde des activités économiques existantes et des emplois qui leur sont rattachés, ce qui amène cette initiative à proposer des mesures de portée générale étendues à l'ensemble de l'économie ou à certains secteurs de celle-ci, destinés à préserver les activités vitales pour la survie de notre économie locale, ce qui est à la fois moins coûteux et surtout plus efficace pour l'avenir que de verser de simples indemnités de chômage, de surcroît, limitées dans le temps.

IN 104-A

Le Conseil d'Etat a constaté l'aboutissement de cette initiative par un arrêté du 3 octobre 1994, publié dans la Feuille d'avis officielle du 19 octobre 1994. De cette date court une série de délais successifs qui définissent les étapes de la procédure en vue d'assurer le bon exercice des droits populaires.

Le premier de ces délais a trait au débat de préconsultation qui doit, de par la loi, intervenir à la séance du Grand Conseil du 19 janvier 1995. C'est en vue de ce débat que le Conseil d'Etat soumet le présent rapport.

A. La validité de l'initiative

1. Préambule

A titre préliminaire, s'agissant de la recevabilité formelle de cette initiative, le Conseil d'Etat entend émettre certaines réserves quant à la conformité de son intitulé au regard de l'article 87, alinéa 1, lettre b, de la loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982 qui précise que «la formule destinée à recevoir les signatures doit porter en tête, de manière précise et apparente, l'objet de l'initiative».

On est en effet légitimement en droit de se demander si le citoyen n'a pas été trompé par l'intitulé de cette initiative, de même que par le commentaire «Réagissez contre la Casse de la Suisse», alors qu'en réalité l'initiative vise à obliger l'autorité à «octroyer à travers la Banque cantonale un appui financier à des entreprises nouvelles et à garantir dans de tels cas les prêts consentis par la Banque cantonale».

Le Conseil d'Etat laissera ouverte cette question en relevant toutefois que la jurisprudence du Tribunal fédéral est très restrictive lorsqu'il s'agit d'annuler une initiative pour de tel motifs. Le Tribunal fédéral considère en effet qu'un intitulé doit être «manifestement source de confusion» et qu'au surplus, il est vraisemblable qu'une telle irrégularité, compte tenu de sa nature et de son importance, peut influencer de façon déterminante sur les résultats de la votation (voir notamment Revue du droit administratif et fiscal 1987, p. 42 et suivantes; arrêté du Tribunal fédéral 105 I a 377, considérant 5a; arrêté du Tribunal fédéral 117 I a 1991 41 et suivants). En tout état de cause, une telle informalité aurait dû être soulevée lors du dépôt de l'initiative en chancellerie d'Etat.

Cela étant et ainsi que cela résulte de l'analyse qui suit, le Conseil d'Etat est d'avis que l'initiative intitulée: dite «La Suisse», pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi (IN 104), s'agissant de sa conformité au principe de l'unité de la matière, soulève des problèmes tels qu'elle doit être déclarée, à tout le moins, partiellement irrecevable.

II. Recevabilité formelle

1. Unité de la matière

Le respect de ce principe, dont le contenu relève du droit fédéral, postule que l'on présente au suffrage du corps électoral une question unique à laquelle il puisse être répondu par «oui» ou «non».

En principe, l'exigence de l'unité de la matière est plus souple s'agissant d'un projet rédigé en termes généraux dans la mesure où il doit ensuite être concrétisé par le législateur. Ce dernier pourra en effet corriger les imperfections de l'initiative dans la procédure d'adoption de la loi.

L'initiative 104 prend appui sur le souci d'assurer la liberté de la presse en en garantissant la diversité et habilite à cette fin les autorités à intervenir concrètement pour contribuer au maintien des emplois par divers soutiens à l'économie.

La simple lecture du texte de l'initiative met en évidence deux objets différents.

Le premier objectif est exposé dans les deux paragraphes initiaux. Il s'agit de donner mandat à l'Etat de prendre les mesure nécessaires pour assurer un soutien aux journaux existants à Genève. Dans ce cadre, l'initiative requiert une intervention concrète des autorités. Il est important de relever que les initiants ne visent que le maintien des entreprises de presse déjà existantes, ils n'évoquent pas la création de nouveaux journaux. Le deuxième paragraphe, très clair dans ce sens, est ainsi en contradiction avec les moyens proposés à la lettre a de l'initiative dans laquelle est évoqué le soutien à l'entreprise nouvelle créée pour reprendre le journal «La Suisse». Pour concilier ces deux approches, apparemment contradictoires, il est possible d'admettre que l'initiative vise le soutien à des entreprises de presse existantes ou à des entreprises nouvelles qui reprennent un titre existant qui autrement disparaîtrait, comme cela a été le cas du journal «La Suisse».

Le second objectif, énoncé au troisième paragraphe, a une portée plus générale. l'Etat doit intervenir pour soutenir des secteurs de l'économie en difficulté afin d'assurer le maintien de l'emploi.

Les moyens proposés par les initiants pour atteindre ces objectifs doivent être distingués.

A la lettre a), les initiants évoquent à titre d'exemple le cas du journal «La Suisse» en se référant à la société coopérative créée pour la sauver. Ils intègrent cette référence dans la perspective plus générale de mesures destinées à sauvegarder des emplois. Ainsi, le but poursuivi principalement par ce paragraphe est «le maintien ou la création d'emplois» par un appui financier, soit à des entreprises nouvelles ou des entreprises existantes préalablement assainies sur le plan financier. Dans ce cadre, l'intervention de l'Etat en faveur de la diversité de la presse telle qu'exposée au début de l'initiative, ne remplit qu'une fonction accessoire. Le moyen proposé est une intervention en faveur d'entreprises existantes en difficulté qui permet accessoirement d'aider une entreprise de presse. Tout au plus le mandat fixé au début de l'initiative pourrait être interprété comme fixant un devoir d'intervention s'il s'agit d'une entreprise de presse alors que les autorités auraient dans les autres cas une certaine marge d'appréciation.

Les moyens prévus à la lettre b) n'ont, quant à eux, pas de lien direct avec la protection de la diversité de la presse. En effet, en utilisant les termes «dans de tels cas», ce paragraphe se réfère aux deux situations visées à la lettre a) dans lesquelles un appui financier peut être apporté, soit les entreprises nouvelles ou les entreprises assainies qui permettent la création ou le maintien d'emploi. Indirectement, cela peut concerner une entreprise de presse si elle entre dans l'une de ces catégories.

Enfin, les moyens stipulés à la lettre c) présentent un caractère extrêmement général qui va au-delà de la sauvegarde de la presse. Les autorités devraient subventionner les entreprises qui engagent des demandeurs d'emplois ou des entreprises qui exercent leur activité dans un secteur déjà atteint par un niveau important de chômage. Il s'agit dans ce cas d'une aide à de telles entreprises au moyen du versement de subventions.

Force est de constater que l'initiative contient deux éléments distincts. D'une part, un mandat conféré à l'Etat d'intervenir pour sauver une entreprise de presse menacée de disparition et dont la cessation d'activité porterait atteinte à la diversité de la presse. D'autre part, l'adoption par l'Etat d'un catalogue de mesures qui permettent une intervention dans les différents secteurs économiques pour assurer le maintien ou la création d'emplois. Les initiants sont conscients de cette différence entre ces deux éléments puisque l'initiative porte le titre «pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi». De même, dans l'exposé des motifs, les initiants commencent par évoquer longuement l'échec de la reprise du journal «La Suisse» par une coopérative pour ensuite déclarer qu'il «importe de réagir et d'en tirer les enseignements». Ainsi, proposent les initiants, il faut adopter des «mesures générales étendues à l'ensemble de l'économie ou à certains secteurs de celle-ci...».

Il est ainsi indiscutable que l'initiative traite de deux objets distincts: la protection de la diversité de la presse et la «politique économique active de sauvegarde des activités existantes». Il convient donc d'examiner si la présence de ces deux objets dans la même initiative est admissible au regard du principe de l'unité de la matière; en d'autres termes, existe-t-il un lien suffisant entre ces deux objets.

S'agissant des objectifs, force est de constater qu'ils sont distincts. En effet, il n'existe guère de rapport entre la recherche de la diversité de la presse pour, selon les initiants, garantir la liberté de la presse au sens de l'article 8 de la Constitution cantonale genevoise, et le maintien ou la création de l'emploi dans les secteurs de l'économie en difficulté. Quant aux moyens énoncés aux lettres a) à c), ils sont adaptés à l'objectif économique général et ils peuvent aussi servir à sauver un titre de presse menacé de disparition.

Le lien qui existe entre les deux éléments de l'initiative relève non des objectifs de celle-ci, qui sont différents, mais des moyens envisagés pour les atteindre. La question qui se pose est de savoir si l'utilisation des mêmes moyens pour atteindre deux objectifs différents crée un rapport de connexité suffisant entre les deux éléments de l'initiative.

Il est intéressant de relever à ce titre que la situation de l'IN 104 est distincte de celle de l'initiative «Energie notre affaire». Cette initiative visait l'adoption par les autorités genevoises d'une politique énergétique et préconisait l'adoption de toute une série de moyens. En raison de la variété de ces derniers, les recourants avaient soulevé devant le Tribunal fédéral le fait qu'un citoyen pourrait être favorable aux transports publics ou à la circulation en vélo tant en refusant les mesures à l'encontre du chauffage «tout électrique». Le Tribunal fédéral a estimé qu'un tel argument ne pouvait être retenu dans la mesure où «une initiative qui préconise des économies d'énergie peut fort bien préciser ainsi son programme et délimiter l'intervention de l'Etat et des collectivités publiques. La nature et l'ampleur de l'objectif poursuivi expliquent et justifient ici la complexité des mesures prévues. Celles-ci sont néanmoins toutes liées aux buts visés et sont suffisamment cohérentes pour échapper au reproche d'une juxtaposition artificielle, destinée à rassembler un maximum de suffrages». L'objectif commun assurait ainsi, selon le Tribunal fédéral, un lien de connexité suffisant entre des moyens différents, car les citoyens étaient plus appelés à se prononcer sur une politique déterminée que sur les différents moyens de la réaliser.

En l'occurrence, l'IN 104 poursuit deux objectifs distincts. Le seul lien entre ces deux objectifs résulte des moyens qui peuvent être utilisés pour les atteindre. Ce lien est ténu. De plus, à tout le moins une partie des citoyens qui vont être appelés à se prononcer sur l'initiative vont voter en fonction de ses objectifs et non de ses moyens. Dans ce sens, certaines personnes pourront souhaiter que l'Etat prenne des mesures pour assurer la diversité de la presse sans pour autant vouloir que les autorités adoptent une politique économique active. L'inverse est également vrai. Ces deux objectifs, l'un à caractère idéal, l'autre de nature économique, ne peuvent, à la différence de l'initiative «Energie notre affaire», s'intégrer dans une politique plus générale. Dès lors, il existe un risque non négligeable qu'une partie des électeurs ne puisse exprimer un jugement global par un seul vote.

Partant, il apparaît que l'initiative ne respecte pas l'unité de la matière, car le fait que les mêmes moyens puissent être utilisés pour les réaliser ne suffit pas à créer un lien suffisant entre deux politiques différentes. Pour ce motif, l'initiative est, à tout le moins, partiellement irrecevable. En cas de non réalisation d'une ou plusieurs des conditions de recevabilité, conformément à l'article 66 de la Constitution cantonale genevoise, il appartient au Grand Conseil de choisir la sanction adéquate, soit la scission de l'initiative, la nullité partielle ou totale de l'initiative. En effet, le Tribunal fédéral a jugé que la sanction de l'irrecevabilité doit rester proportionnée à la gravité de la violation des règles légales et, qu'en conséquence, une annulation totale d'une initiative peut être une sanction excessive. L'annulation partielle d'une initiative n'est cependant pas possible si, considérée dans son ensemble, elle viole le droit fédéral.

Dans le domaine plus spécifique de la violation du principe de l'unité de la matière par une initiative populaire, le non respect de ce principe permet à l'autorité compétente de déclarer l'irrecevabilité de cette initiative. La doctrine et la jurisprudence ont néanmoins admis des exceptions à ce principe en autorisant l'autorité compétente à organiser une votation populaire séparée pour chacune des propositions indépendantes présentées par l'initiative litigieuse. Tel est notamment le cas lorsque l'on peut objectivement supposer que le non respect du principe de l'unité de la matière n'a pas eu d'influence sur la récolte des signatures lors du lancement de l'initiative. La doctrine a cependant également admis une telle exception au principe de l'irrecevabilité de l'initiative, lorsque le droit cantonal préconise lui-même explicitement la solution de la scission de l'initiative. Dans cette hypothèse il n'est pas nécessaire de s'interroger sur l'influence éventuelle qu'a pu exercer la violation du principe de l'unité de la matière au stade de la récolte des signatures.

En l'espèce, le nouvel article 66 de la Constitution cantonale genevoise prévoit expressément l'obligation pour le Grand Conseil de scinder l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière, pour autant que ses différentes parties soient en elles-mêmes valides. Il découle de ce qui précède que le Grand Conseil devra soumettre à une votation populaire séparée, d'une part la proposition des initiants de prendre des mesures garantissant la diversité de la presse, d'autre part celle préconisant des mesures en matière de maintien ou de création d'emplois dans le canton.

2. Unité de la forme

Le principe de l'unité de la forme (article 66, alinéa 1, de la constitution) exige que les initiants choisissent soit l'initiative non formulée, soit l'initiative formulée, mais pas un mélange des deux formes, faute de quoi le traitement de l'initiative serait difficile, voire impossible, compte tenu des dispositions légales applicables.

S'agissant en l'espèce d'une initiative «non formulée» et rédigée comme telle, au sens de l'article 65 de la constitution, l'unité de la forme est respectée.

3. Unité du genre

L'unité du genre ou l'unité normative (article 66, alinéa 1, de la constitution) exige que l'initiative soit du niveau d'une norme législative ou de celui d'une norme constitutionnelle, sans mélange des deux.

S'agissant d'une initiative conçue en termes généraux dite non formulée, il appartiendra au Grand Conseil d'en concrétiser, le cas échéant, la teneur par une ou des lois ou par une norme constitutionnelle.

III. Recevabilité matérielle

1. Conformité au droit supérieur

Le respect de ce principe suppose qu'une initiative cantonale doit avoir un contenu compatible avec le droit supérieur. Dès lors que l'on a affaire en l'occurrence à une initiative non formulée de type législatif, l'initiative doit respecter la constitution cantonale ainsi que l'ordre juridique fédéral (force dérogatoire du droit fédéral), voire intercantonal ou international.

En principe, il ne suffit pas que l'objectif poursuivi par l'initiative soit conforme au droit supérieur, mais il faut encore que les moyens proposés pour atteindre cet objectif ne soient pas contraires à ce droit. S'agissant d'une initiative rédigée en termes généraux, il faut prendre en considération la latitude d'appréciation dont dispose le législateur lors de la concrétisation ultérieure du texte. Il appartient alors au législateur de choisir parmi les solutions possibles pour atteindre les objectifs fixés par les initiants celles qui sont conformes au droit fédéral. Cette possibilité existe notamment parce que les initiants ont indiqué, comme en l'espèce, que la concrétisation doit avoir lieu dans «les limites du droit fédéral».

En outre, l'initiative doit être interprétée de manière conforme à la Constitution fédérale. L'initiative ne peut être déclarée contraire au droit supérieur que si elle ne se prête pas à une telle interprétation.

En l'espèce, il faut distinguer le problème du respect de l'article 55 de la Constitution fédérale relatif à la liberté de la presse, celui de la conformité de l'initiative à l'article 31 de la Constitution fédérale qui garantit la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi que la question de la conformité du texte à la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne.

Comme relevé plus haut, l'initiative a pour premier objet l'intervention de l'autorité cantonale en vue de garantir la diversité de la presse.

Le droit fédéral, par le biais de l'article 55 de la Constitution fédérale, garantit la liberté de la fabrication des journaux sans ingérence de l'Etat. La norme constitutionnelle fédérale ne confère pas, a contrario, un droit à une intervention de la collectivité publique pour le maintien d'une presse diverse, si celle-ci s'avère compromise par l'évolution technique et économique. Ainsi que cela ressort des travaux des Chambres fédérales sur ce thème, le soutien à la presse visant à en assurer une diversité n'est juridiquement possible, dès l'instant où l'on dépasse le strict cadre des mesures d'aide économique, que si le constituant fédéral adopte une nouvelle norme constitutionnelle. Or, en l'état du droit constitutionnel suisse, une telle norme spécifique n'existe pas.

Ces contraintes s'imposent non seulement à la Confédération mais également aux cantons.

Compte tenu des limites relevées ci-dessus, découlant du droit fédéral, le but visé en l'occurrence par les initiants ne peut que prendre la forme de mesures d'aide. Le caractère d'intérêt public de ces aides en regard de l'article 55 de la Constitution fédérale ne saurait être nié dans son principe.

S'il y a lieu d'admettre que l'institution de secours financiers à la presse n'est pas interdit par le droit fédéral, il reste que les modalités de mise en oeuvre de tels secours sont elles-mêmes assujetties à des contraintes constitutionnelles. S'agissant d'une subvention qui vise à garantir la diversité de la presse, il faut constater que l'objectif d'intérêt public poursuivi peut porter en germe des effets de discrimination consistant à avantager certains organes de presse par rapport à d'autres et ce pour en assurer la survie. Or, l'un des principaux problèmes liés à l'aide à la presse, lorsqu'elle prend la forme de subventionnements, consiste précisément dans le respect de la garantie constitutionnelle de l'égalité de traitement.

Il y a lieu de relever par ailleurs que l'égalité de traitement est complétée par le postulat de la stricte neutralité que doit respecter l'Etat lorsqu'il subventionne les organes de presse.

En l'espèce, il faut constater que les initiants ont pris la précaution de préciser que les mesures à prendre par l'autorité dans le but de garantir la diversité de la presse et le maintien des journaux existants doivent être organisées «conformément au droit fédéral». Par ailleurs, le terme «notamment» figurant à la fin du premier paragraphe de l'initiative indique indiscutablement que les formes d'aide qui sont principalement décrites aux lettres a et b ne constituent que des exemples, donc sans caractère exhaustif. Il appartiendra, le cas échéant, au Grand Conseil de définir les conditions dans lesquelles les aides cantonales seraient accordées.

Le deuxième objet de l'initiative concerne le soutien aux entreprises afin de maintenir ou de créer des emplois. La légitimité de ce deuxième objet doit être analysée en regard de l'article 31 de la Constitution fédérale qui garantit la liberté du commerce et de l'industrie. A ce titre, les cantons se voient interdire d'adopter des mesures de politique économique qui interfèrent dans la libre concurrence pour assurer ou favoriser certaines branches de l'activité lucrative ou certaines formes d'exploitation qui tendent à diriger l'activité économique selon un plan.

En revanche, la doctrine et la jurisprudence admettent que les cantons développent une intervention de politique sociale ou de promotion économique.

Il s'ensuit que c'est avant tout au niveau de la concrétisation éventuelle de l'initiative par le biais de la loi et de la définition des conditions mises à l'octroi des subventions, cantonales que se pose la problématique constitutionnelle. En revanche, il n'apparaît pas que le soutien à l'emploi postulé par l'initiative heurte, dans son principe, le droit fédéral.

Reste en outre à examiner le rôle de la Banque cantonale de Genève eu égard à la garantie constitutionnelle de la liberté du commerce et de l'industrie.

La Banque cantonale de Genève a été créée par l'article 177 de la Constitution cantonale sous la forme d'une société anonyme de droit public. En tant que telle, elle constitue une corporation de droit public.

La Confédération et les cantons ne sont pas titulaires de la liberté du commerce et de l'industrie. En revanche, s'agissant des collectivités créées par ces entités, la question s'avère plus délicate et le Conseil d'Etat entend, pour sa part, laisser cette question ouverte.

On se bornera à rappeler que, selon le Tribunal fédéral, les collectivités publiques ne jouissent pas de la liberté du commerce et de l'industrie, à moins qu'elles n'apparaissent comme des personnes de droit privé exerçant une activité lucrative comme n'importe quel particulier.

Selon l'article 177, alinéa 2, de la Constitution cantonale, «la Banque cantonale de Genève a pour but principal de contribuer au développement économique du canton et de la région».

Ce but impose à la Banque cantonale de Genève d'intervenir, dans les limites de la législation fédérale sur les banques, dans des situations où un opérateur privé n'agirait pas nécessairement. La surveillance exercée par l'Etat et la participation prépondérante des autorités cantonales et communales au sein de la Banque cantonale de Genève garantissent le respect de cet objectif.

En tout état, l'autonomie de la Banque cantonale de Genève s'exerce dans les limites de la loi qui la crée.

Quant à la conformité de l'initiative à la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne, elle se pose par rapport aux lettres a et b de l'initiative, lesquelles imposent une intervention de la Banque cantonale de Genève en vue d'octroyer des crédits, garantis ou non par le canton, aux entreprises visées par le texte de celle-ci. L'obligation prévue par l'initiative tendant à la participation de la Banque cantonale de Genève à la politique de l'Etat en faveur de la diversité de la presse, d'une part, et du soutien à l'emploi, d'autre part, doit rester dans les limites du droit fédéral.

La Banque cantonale de Genève entre dans le champ d'application de la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne. De plus, avec l'entrée en vigueur de la modification de la loi sur la Banque cantonale de Genève adoptée le 18 novembre 1994, la banque sera soumise à l'ensemble des dispositions de la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne.

Il s'ensuit que les mesures prévues aux lettres a et b de l'initiative ne pourraient être mises en oeuvre par le Grand Conseil qu'en conformité avec la loi fédérale susvisée, notamment en ce qui concerne les règles régissant les fonds propres et la répartition des risques. En d'autres termes, le Grand Conseil ne pourrait imposer une obligation générale à la Banque cantonale de Genève ne respectant pas des exigences de la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne. La législation de concrétisation de l'initiative devrait par ailleurs conserver la liberté d'appréciation des organes de la banque quant aux risques liés à l'octroi d'un financement et aux limites de disponibilités de l'établissement.

En conclusion, si l'initiative ne heurte pas le droit supérieur, des difficultés ne manqueront pas de se poser ultérieurement dans l'hypothèse où le Grand Conseil serait conduit à aménager le régime d'application de ce texte complexe.

2. Exécutabilité

Ce principe veut qu'en cas d'acceptation par le peuple, l'initiative puisse être réalisée, c'est-à-dire traduite concrètement dans les faits et dans un délai raisonnable.

L'exécution de l'initiative doit être assurée par l'adoption d'un cadre législatif déterminant les conditions dans lesquelles les mesures prévues par celle-ci doivent être réalisées. D'une part, ce cadre constitue la base légale des actes administratifs qui devraient être adoptés par les autorités cantonales, d'autre part ce cadre déterminera dans quelle mesure la Banque cantonale de Genève devrait intervenir conformément à la lettre a du texte de l'initiative.

Ainsi, dans la mesure où ces conditions sont clairement et complètement prises en compte dans les textes légaux éventuels destinés à concrétiser l'initiative, cette dernière ne devrait pas poser de problèmes majeurs d'exécutabilité.

B. La prise en considération de l'initiative

En préambule, il convient de souligner que, contrairement à ce que le titre et une grande partie du texte de l'initiative pourraient laisser supposer, les demandes présentées ne se limitent pas à un journal ou même au secteur de la presse, mais s'étendent à toute l'économie.

1. Sauvegarde des activités économiques existantes et soutien aux nouvelles entreprises

1.1 Sauvegarde des activités existantes

Dans le cadre de sa politique économique visant à maintenir à Genève une économie diversifiée, le Conseil d'Etat met tout en oeuvre pour venir en aide aux entreprises déjà établies dans le canton.

Ce soutien à l'économie locale représente en fait l'un des deux axes principaux des actions liées à la promotion économique.

En collaboration avec les chefs d'entreprises concernés, les partenaires sociaux, les établissements financiers et tout autre partenaire ou interlocuteur concerné, le département de l'économie publique a pu créer des conditions favorables pour la poursuite de nombreuses activités déployées dans notre canton et momentanément en difficultés, voire même menacées de disparition. La confidentialité indispensable pour mener à bien de telles opérations ne permet pas de les porter à la connaissance du grand public. Les chefs d'entreprises, cadres et collaborateurs des sociétés concernées ont pu cependant apprécier leur effet positif.

L'aide aux entreprises locales passe aussi par des mesures très concrètes parmi lesquelles on peut citer les «initiations au travail» pour faciliter les reconversions et le perfectionnement précisément en personnel, l'aide à la recherche de partenaires financiers, les allégements fiscaux permettant de soutenir des restructurations indispensables ou le développement de projets innovateurs etc. En ce sens, il est donc déjà répondu à la troisième invite des initiants.

Un tel soutien ne saurait toutefois être pris en considération que si les chances de succès paraissent raisonnables. Les expériences menées à bien dans nombre de pays ont largement prouvé que le maintien en vie de secteurs d'activités ou d'entreprises n'offrant plus de potentiel de développement, non seulement est vain mais conduit à un véritable gaspillage de deniers publics qui peuvent être mieux utilisés pour des investissements dans des domaines «porteurs».

Reculer artificiellement la fin d'un projet voué à l'échec de par l'évolution économique générale ne fait aussi qu'aggraver la situation des personnes associées à cette aventure, dans la mesure où l'on retarde notamment l'adaptation des connaissances et compétences de ces dernières et que l'on réduit ainsi les chances de leur permettre de retrouver plus rapidement un emploi dans un domaine d'avenir.

1.2 Soutien aux nouvelles entreprises

L'aide apportée aux nouvelles entreprises pour les attirer à Genève et leur permettre de s'établir dans les meilleures conditions représente le deuxième axe de la promotion économique. Il s'agit ici d'une action importante car si le maintien d'emplois existants demeure une priorité pour le gouvernement, la création de nouveaux postes de travail s'avère indispensable pour compenser, dans toute la mesure du possible, les réductions d'effectifs dues aux gains de productivité.

Depuis maintenant plus de deux ans, une véritable campagne de promotion économique a été mise en place, axée sur une aide personnalisée offerte aux nouveaux venus. Avec près de 80 implantations nouvelles ou développements très marquants d'entreprises existantes, engendrant la création de près de 1 000 emplois nouveaux, Genève se trouve placé en tête des cantons suisses. Ces résultats nous encouragent à poursuivre les efforts déployés jusqu'à ce jour.

2. Rôle de la Banque cantonale de Genève (BCG)

2.1 Mission et positionnement de la BCG

La stratégie générale de la BCG est de se positionner comme une banque universelle de proximité, disposant d'un réseau d'agences dense et capable d'assurer un ensemble de services bancaires à des tarifs compétitifs, avec diligence, qualité et efficacité.

Dans ce contexte la BCG doit faire face à la concurrence de l'ensemble des autres établissements financiers de la place genevoise, grandes banques et banquiers privés notamment.

Si, statutairement, la banque «a pour but principal de contribuer au développement économique du canton et de sa région», sa gestion doit cependant impérativement être effectuée «selon les principes éprouvés de l'économie et de l'éthique bancaires».

C'est précisément au nom de ces principes que la BCG se doit de traiter les affaires qui offrent non seulement des garanties de saine gestion mais, de surcroît, celles qui ont de bonnes chances soit d'aboutir, soit de se développer dans des conditions optimales.

Pas plus que tout autre établissement financier qui veut assurer sa pérennité, la BCG ne peut assister des entreprises en perdition, et c'est là que se situe la limite du soutien qu'elle peut accorder à l'économie de Genève et de sa région.

2.2 Conséquences pour la BCG de l'application des mesures contenues dans l'initiative

La disparition du journal «La Suisse» a provoqué au sein de notre population une émotion qui a largement masqué le sauvetage du centre d'impression de Vernier et des nombreux emplois qui lui sont directement ou indirectement liés.

Il est nécessaire dans ce contexte de souligner qu'un nombre important de clients de la BCG, qui ont tenu à s'adresser à elle à cette occasion, ont clairement affirmé qu'un soutien de la banque aux tentatives de sauvetage d'un journal endetté à l'excès serait perçu comme une évidente mauvaise utilisation des fonds confiés.

Les récents déboires de divers établissements bancaires régionaux ont montré que chaque nouvel événement de ce type entraînait des transferts massifs de fonds d'épargne vers les grands établissements bancaires. On peut dès lors considérer que si la BCG était dans l'obligation de soutenir des projets ou entreprises sans réelles chances d'aboutir, et perçus comme tels par ses clients, elle courrait le risque de perdre un nombre significatif de déposants. En plus d'obérer sensiblement ses capacités de soutien des projets prometteurs pour l'économie de notre canton et de sa région, ceci aurait un effet déplorable sur l'image de la banque dans le public.

On a souvent critiqué les liens jugés trop étroits qui existaient entre les banques cantonales et la classe politique. Il va de soi que l'acceptation de l'initiative en question pousserait inévitablement la BCG à nouveau dans un tel travers et ceci ne manquerait pas d'entraîner une importante perte de crédibilité de cet établissement auprès de sa clientèle de gestion privée, qui interpréterait de manière négative le fait que les autorités politiques détiennent un pouvoir d'action direct au sein de la banque, en intervenant directement sur la stratégie fondamentale en matière d'octroi de facilités de crédit. On doit à cet égard rappeler qu'il a été jugé que les déconvenues de certaines banques cantonales suisses auraient justement été précipitées en raison d'interventions a caractère politique.

En fait, si la banque apparaissait comme étant dans l'obligation, qui plus est dans un contexte économique difficile, d'apporter son soutien à des entreprises vouées à l'échec, cela ne manquerait pas de provoquer un affaiblissement de son aptitude à affronter la concurrence. En effet, on peut aisément prévoir la «réaction en chaîne» suivante:

 la capacité de l'entreprise à dégager des résultats bénéficiaires serait pénalisée;

 la capacité de la banque à investir serait donc mise en danger;

 la diminution des marges qui s'ensuivrait obérerait sérieusement sa capacité concurrentielle;

 enfin, un inévitable abaissement du «rating» de la BCG entamerait sa réputation et la confiance dont elle bénéficie sur les marchés financiers, la contraignant à emprunter à des taux trop élevés.

2.3 Garantie de l'Etat

La garantie que l'Etat de Genève accorde à sa banque cantonale est partielle. Elle se limite effectivement aux dépôts d'épargne et de prévoyance. Elle s'applique concrètement aux livrets, carnets de dépôt ou comptes jusqu'à concurrence d'un montant de 500 000 F par déposant ou 3 000 000 F par institution de prévoyance ou de libre passage.

Au 30 juin 1994, les montants couverts par cette garantie s'élevaient a 3,2 milliards de francs (dépôts d'épargne) et 696 millions de francs (livrets et carnets de dépôt), soit un total de 3,9 milliards de francs.

Un vaste débat se déroule actuellement en Suisse autour des banques cantonales et l'un des sujets principaux est précisément l'opportunité, non pas d'augmenter une telle garantie, mais bien de la supprimer. La notion de garantie, surtout si elle dépassait les engagements précités, serait sans aucun doute ressentie comme une forme d'étatisation et un élément propre à fausser le jeu d'une libre et saine concurrence.

3. Conclusion

Telles sont les réflexions dont le Conseil d'Etat tenait à vous faire part en préambule à la discussion sur l'initiative populaire dite «La Suisse».

Elles amènent le Conseil d'Etat à proposer au Grand Conseil de déclarer l'initiative partiellement irrecevable, à tout le moins.

Si, par impossible, l'initiative devait toutefois être déclarée recevable, le Conseil d'Etat propose au Grand Conseil de la rejeter.

Débat

M. Jean Spielmann (AdG). Nous sommes en présence d'un tour de préconsultation concernant prioritairement la recevabilité de l'initiative et, dans ce cadre, le Conseil d'Etat a traité de sa prise en considération globale. Mais il appartient à ce Grand Conseil de renvoyer ce débat en commission dans le cadre d'un tour de préconsultation pour examiner la recevabilité, dans un premier temps, en présentant ensuite un rapport au Grand Conseil qui se prononcera sur ce sujet.

Le Conseil d'Etat, dans son rapport, a émis un certain nombre de doutes sur la recevabilité en précisant un certain nombre de données, et il importe de faire quelques commentaires avant que cette initiative soit examinée par la commission législative. La recevabilité formelle et la conformité par rapport au droit supérieur représentent un problème que nous avons saisi immédiatement en présentant les deux axes de cette initiative :

- Celui du maintien d'une presse diversifiée, de la nécessaire lutte contre un monopole ou la création d'un monopole dans le domaine important de la presse. Ce problème doit être traité seul, et il est bien évident qu'il doit faire l'objet d'une démarche légale et législative spécifique.

- Ce deuxième problème est tout aussi important et porte sur le maintien de l'emploi et de l'aide aux entreprises et à la création d'emplois, notamment lorsque des secteurs importants de l'économie sont en jeu.

Notre constitution est ainsi faite, et le droit fédéral le précise d'ailleurs : «Pour que l'unité de la matière soit respectée ou pour que la non-recevabilité de l'initiative soit prononcée, il faut que la constitution cantonale prévoie expressément la possibilité de scinder l'initiative en deux.». Nous avons exprimé ce souhait dans les débats sur l'initiative, puisque le Grand Conseil peut prendre cette décision en vertu de l'article 66 de la constitution. Il faut donc procéder à des votes distincts sur les deux volets de cette initiative. Le problème de la recevabilité ne se pose donc pas sur ce plan.

Les problèmes liés à l'exécution ou «l'exécutabilité», comme il est dit dans le rapport du Conseil d'Etat, doivent faire l'objet d'une étude de fond sur ce qui a motivé le lancement de cette initiative. Sans revenir dans le détail sur l'ensemble du débat concernant «La Suisse», et puisque nous sommes en train d'examiner la recevabilité de cette initiative, permettez-moi tout de même d'intervenir brièvement sur le fond.

En effet, le Conseil d'Etat a exprimé une série d'appréciations dans son rapport. Il faut répéter, encore et encore, que le problème de la disparition de «La Suisse» est venu de la situation de monopole dans le secteur de la presse à Genève. Les pouvoirs publics ont eu leur part de responsabilité en ne maintenant pas une presse diversifiée, quelle que soit la qualité ou l'orientation de chaque journal.

Lors de la faillite de «La Suisse» nous étions confrontés à un certain nombre de problèmes. Des propositions concrètes ont été formulées, notamment lors de la création de la coopérative. Mais la pression du gouvernement a été forte pour éliminer le plus rapidement possible ce journal. Le choix d'un soi-disant expert neutre en est la preuve ! Il devait apprécier la situation, mais, en réalité, il avait déjà rendu son verdict avant même d'avoir étudié le problème. J'en veux pour preuve ses prises de position exprimées dans un éditorial, avant même d'avoir examiné le dossier et entendu les parties ! Je mets donc tout à fait en doute sa neutralité, eu égard à sa dépendance vis-à-vis de l'entreprise qui devait reprendre le monopole de la presse à Genève. Le choix de cet expert est donc pour le moins curieux, ce qui me fait dire que le Conseil d'Etat - comme je l'ai déjà dit - avait déjà pris sa décision.

Le Centre de presse de Vernier a posé aussi beaucoup de problèmes. Beaucoup de choses ont été dites, mais il convient de répéter et de rappeler que ce centre a été acquis pour un franc symbolique. Le groupe acquéreur a eu le culot de prétendre que l'opération lui avait coûté 36 millions en capitalisant les frais de transfert de l'impression de la «Tribune de Genève», alors qu'en fait ces frais étaient de toute façon nécessaires en raison de la situation de monopole créée par ce groupe et en raison de l'impossibilité technique et matérielle de sortir l'ensemble des journaux le matin et de procéder à leur diffusion sur place. Pour moi, il y a eu malhonnêteté !

Le problème de la Banque cantonale a été largement évoqué dans le rapport du Conseil d'Etat. Le souci des épargnants donne matière à discussion. La Banque cantonale a perdu une vingtaine de millions dans cette affaire, alors que, si elle avait accepté les propositions de la coopérative, elle aurait déjà récupéré 10 millions. Le bilan de cette affaire n'est donc pas positif. Les épargnants et les déposants ont été quelque peu oubliés en acceptant ainsi des pertes de 600 à 800 millions dans des opérations purement spéculatives. Je pense à Sécheron, notamment.

Il faut donc donner la possibilité à la population de corriger l'attitude du Conseil d'Etat en se prononçant clairement pour que la collectivité publique se donne les moyens d'intervenir pour la liberté de la presse, pour l'emploi, pas seulement dans le domaine de la presse mais dans tous les secteurs, comme cela a été dit dans le rapport du Conseil d'Etat. Personne n'a dit qu'il fallait aller au secours de canards boiteux ou d'entreprises moribondes. Dans le cas particulier - et vous le savez - ce n'était pas le cas. Les portefeuilles des publicistes, des journaux, les abonnements potentiels, tout était là pour prouver que ce produit était viable. On l'a tué délibérément, parce qu'on a voulu renforcer un monopole de presse ! Le nivellement dans ce secteur se fait malheureusement par le bas dans notre République, s'agissant de la qualité des journaux. C'est une des responsabilités du Conseil d'Etat. Il convient donc de donner la parole au peuple pour qu'il se prononce sur ce sujet. (Applaudissements.)

M. Pierre-Alain Champod (S). Je tiens à faire quelques remarques au sujet de cette initiative. Je n'aborderai que superficiellement les problèmes juridiques évoqués par le Conseil d'Etat. Mes remarques porteront davantage sur le contenu de cette initiative.

Comme l'a dit M. Spielmann, elle est née de l'émotion suscitée dans la population par la mort du journal «La Suisse». La disparition de ce journal posait deux problèmes politiques majeurs : d'une part, la sauvegarde des emplois, à la fois ceux du journal «La Suisse» et ceux du Centre d'impression de Vernier et, d'autre part, le problème de la concentration de la presse dans les mains d'un groupe puissant.

J'ai eu le désagréable sentiment que, durant toute cette affaire, le Conseil d'Etat n'avait peu ou pas pris en compte le problème de la concentration de la presse romande au sein du groupe Edipresse. Je dis bien la concentration et non la diversité dans la mesure où la Suisse n'était pas fondamentalement différente dans sa ligne rédactionnelle de la «Tribune de Genève». «La Suisse» n'était pas non plus un journal d'opinion comme le sont, soit le «Journal de Genève» soit «Le Courrier». Mais elle faisait partie intégrante de la vie genevoise et, comme beaucoup, je la lisais en buvant mon café le matin. Ce n'était pas un grand journal, comme on peut le dire du «Monde diplomatique», mais à côté du «Matin», qui l'a remplacée dans la plupart des établissements publics, «La Suisse» était un excellent journal.

Cette initiative veut éviter que d'autres journaux disparaissent et, d'une manière plus générale, que des erreurs de gestion ne conduisent à la disparition d'entreprises produisant des produits appréciés par le public et dont la fabrication pourrait être rentable s'ils étaient produits par une entreprise saine. Rappelons-nous que cette initiative n'est pas formulée, ce qui signifie qu'elle fixe des objectifs en matière de politique économique, mais que notre parlement dispose d'une marge de manoeuvre pour concrétiser ces objectifs, comme l'a d'ailleurs rappelé M. Spielmann.

Cette initiative pose aussi le problème du rôle de la Banque cantonale en matière de politique économique et en matière de lutte contre le chômage. Nous avons aujourd'hui seize mille chômeurs, ce qui est inacceptable. L'Etat ne peut se contenter de compter les chômeurs, il doit avoir une politique économique active et volontariste pour suppléer aux carences d'une économie livrée aux seules lois du marché. Cette initiative s'inscrit dans le contexte d'une lutte active de la part de l'Etat contre le chômage. De plus, cette initiative est complétée par une autre initiative qui a été déposées quelques mois plus tard sur le même thème. Le succès remporté auprès de la population par ces deux initiatives montre que la population genevoise attend des autorités de ce canton des mesures actives dans le domaine économique.

Compte tenu de ces remarques, le groupe socialiste vous invite à renvoyer cette initiative à la commission de l'économie pour en étudier le fond et à la commission judiciaire pour en étudier les aspects juridiques de recevabilité.

La présidente. Pour les aspects juridiques, il faudra la renvoyer à la commission législative, Monsieur Pierre-Alain Champod !

M. Chaïm Nissim (Ve). La première fois que je suis venu dans ce Grand Conseil, il y a environ dix ans, nous avions discuté assez longuement d'une autre initiative qui posait, elle aussi, de gros problèmes juridiques, je veux parler de l'IN 4 au sujet de l'Alhambra. Je me souviens que nous, nous n'étions pas d'accord avec cette initiative qui proposait un parking de six cents places en lieu et place de l'Alhambra, mais nous avons tout de même, par respect des droits populaires, accepté de siéger dans une commission qui cherchait à sauver ce qui pouvait l'être. Nous avons la même attitude face à cette initiative avec laquelle nous ne sommes pas d'accord. Ainsi, par respect pour les dix ou douze mille personnes concernées, nous voulons tenter de sauver tout ce qui peut l'être.

C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de renvoyer cette initiative dans les deux commissions adéquates.

La présidente. C'est prévu par la constitution, j'allais vous le dire, Monsieur Nissim ! N'ayez donc aucun souci à ce sujet !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je constate tout d'abord que M. Spielmann ne conteste pas le fait que l'initiative 104 porte sur deux axes distincts. Il admet donc que cette initiative soit scindée au niveau du vote populaire.

S'exprimant sur le fond, M. Spielmann a rappelé les jours sombres et les semaines douloureuses pendant lesquels le sort de «La Suisse» s'est joué. Bien entendu, et on ne m'en voudra pas, le Conseil d'Etat ne peut pas accepter les critiques relatives à l'expert, critiques qu'il conteste en l'état.

Je passe évidemment sur les détails de l'intervention de M. Spielmann, mais nous contestons les affirmations relatives au sort que ce journal aurait connu si la coopérative avait été suivie dans ses avis. A titre personnel, je regrette également le peu de cas des efforts tout à fait conséquents déployés par le Conseil d'Etat à cette époque pour régler ce conflit avec détermination, lucidité et réalisme.

Cela étant, nous devons considérer ce que ce dossier est devenu. Et il serait à ce sujet intéressant d'entendre M. le ministre chargé de l'économie publique nous dire ce qu'il est advenu de «La Suisse», de son imprimerie et de ses journalistes. Je propose, s'il est d'accord, que la parole lui soit donnée.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Le débat relatif à «La Suisse» et à ses conséquences a été engagé à plusieurs reprises dans ce parlement. Il a même parfois été houleux. A l'occasion de l'examen de la recevabilité de l'initiative dite «La Suisse» il est utile de faire le point.

Votre Grand Conseil sait un certain nombre de choses, mais des éléments nouveaux peuvent être maintenant portés à sa connaissance. Le Grand Conseil sait qu'en exerçant un droit de préemption, en janvier 1994, dans des conditions rocambolesques, M. Nicole a pris une très grande responsabilité vis-à-vis de l'emploi, vis-à-vis d'un plan social qui pouvait à l'époque être mis en place. Il l'a fait au bénéfice d'appuis allégués à l'époque au sujet desquels le gouvernement avait des doutes les plus sérieux. Par la suite, ces appuis se sont avérés tellement douteux que les personnes qui les incarnaient se sont retrouvées, pour un bref instant en tout cas, derrière les barreaux !

Ce que votre Grand Conseil ne sait probablement pas - et nous sommes à cet égard au coeur de l'initiative et de ce qu'elle propose - c'est que ces appuis ont fait le tour de banques genevoises, jusque et y compris auprès de la Banque cantonale. On nous a demandé, à l'époque, de recommander à la bienveillance de la Banque cantonale les propositions de ces honorables financiers ! Nous nous sommes refusés à porter une appréciation sur le fond parce que nous avions quelques hypothèses à vérifier et quelques pressentiments de blanchissage d'argent, qui se sont avérés exacts. La suite, vous la connaissez.

Ce que vous ne savez pas non plus, c'est que la Banque cantonale, dans le cadre d'un examen purement professionnel, a été amenée à dire de la manière la plus catégorique qu'elle ne «touchait» pas aux financements dont se prévalait M. Nicole à l'époque. En effet, elle avait de bonnes raisons de penser ce qui a été confirmé par la suite. Nous sommes, au travers de cet exemple, au coeur de ce que propose l'initiative. En effet, en réalité on nous suggère aujourd'hui, alors que la Banque cantonale a fait son travail en professionnel, de lui demander d'effectuer un autre travail, ce qui n'est tout simplement pas sérieux.

Je crois pouvoir dire que ce n'est pas sans raison que l'initiative, lancée à un moment stratégique, a été critiquée par un certain nombre de syndicats, et non des moindres ! Il suffit de se souvenir des propos assez vifs de Jean-Pierre Thorel, à l'époque à la tête de la CGAS.

M. Jean-Pierre Lyon. C'est pas une référence !

Une voix. Chacun ses références !

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Tout à fait, chacun ses références !

Je vous donne maintenant quelques indications sur l'évolution de ce dossier. Le problème était le suivant. Dans le cadre du débat dit de «La Suisse», un certain nombre de personnes ont souhaité porter l'accent sur les questions liées à la diversité de la presse. Ce débat n'a pas laissé le gouvernement insensible, je vous le confirme. Ce n'est pas de gaieté de coeur que Genève a assisté au naufrage d'un titre qui faisait partie de son paysage médiatique. Le problème, qui s'est posé à un moment donné, était de savoir si pour tenter malgré tout, et pour un délai incertain, de sauver un titre qui s'avérait, hélas, perdu, il fallait risquer davantage d'emplois encore. A partir du constat de la débâcle inévitable de «La Suisse», la question essentielle était de sauver les emplois du Centre d'impression de Vernier.

On a souvent entendu, dans ce Grand Conseil et à juste titre, des avis selon lesquels il fallait porter une attention toute particulière au secteur industriel. Dans le cadre d'une politique «archi-volontariste» et particulièrement dure, nous avons cherché à réunir les conditions de l'assainissement du CITP de façon que ce centre d'impression moderne et performant puisse vivre. Cela passait, vous le savez bien, par la réalisation d'une condition sine qua non : je veux parler du transfert de l'impression de la «Tribune de Genève» au CITP. Ce transfert ne pouvait être réalisé que pour autant que le centre soit assaini, ce qui a été le cas, grâce à l'intervention du Conseil d'Etat et, aujourd'hui, quel en est le résultat en termes d'emplois...

Des voix. Aahhh !

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Le Centre d'impression de Vernier représentait cent trente emplois. Il était «surdimensionné» du point de vue de sa capacité de son volume d'affaires. Lorsqu'il a été assaini et que le transfert de la «Tribune» a été réalisé, le Centre d'impression de Vernier comportait encore cent dix-neuf emplois. Aujourd'hui, ce centre d'impression a non seulement maintenu ses emplois mais il a progressé ! Je suis en mesure de vous dire que, compte tenu de quatre engagements qui seront concrétisés dans les semaines qui viennent, le Centre d'impression de Vernier compte cent cinquante-deux emplois. Nous sommes donc passés de cent dix-neuf à cent cinquante-deux. Alors, non seulement nous avons contribué à le sauver, à sauver un pan significatif du secteur des arts graphiques dont la situation est difficile, mais nous avons créé les conditions pour réamorcer une augmentation d'emplois nouveaux dans ce centre.

Par ailleurs, nous avons veillé à ce que celles et ceux qui étaient victimes du naufrage de «La Suisse» et qui travaillaient au groupe Sonor et non pas au Centre d'impression de Vernier puissent, dans toute la mesure du possible, retrouver un emploi. Aujourd'hui, nous constatons qu'un certain nombre de journalistes ont retrouvé des emplois. Le groupe Edipresse, sur la base des chiffres qui m'ont été donnés pour les différents titres qui sont les siens, entre les journalistes et les emplois liés au secteur «prépresse», a pu réengager vingt-huit personnes. Le «Journal de Genève» a réengagé trois personnes sur la base de contrats forfaitaires fixes et six personnes sur la base de contrats forfaitaires à temps partiel. Il y a également eu un engagement ou plusieurs au «Courrier de Genève». Nous avons repris des personnes dans l'administration, à l'aéroport, etc. Sincèrement, nous avons travaillé d'arrache-pied sur le front de l'emploi !

Le Conseil d'Etat, dans cette sinistre affaire, a dit que la seule chose qui le mobilisait était l'emploi. Il a tenu parole et les chiffres sont là pour le prouver. Pour le surplus, nous discuterons du fond de cette initiative en commission.

M. Christian Grobet (AdG). Nous avons entendu avec intérêt les propos de M. Jean-Philippe Maitre au sujet des sources de financement sollicitées par M. Nicole. Je partage votre opinion dans ce sens que l'initiative de M. Nicole était néfaste d'un point de vue éthique, mais cela ne vous autorise pas à faire un amalgame entre les erreurs de gestion commises par ce mauvais chef d'industrie et les buts poursuivis par l'initiative que vous vous êtes permis de qualifier comme «n'étant pas sérieuse». L'initiative n'a rien à voir avec les projets complètement mégalomanes et fous d'un capitaine d'industrie à Genève qui a conduit - ce qui est tragique - son entreprise au désastre.

Cela démontre aussi que le fonctionnement de notre économie exclut, finalement, la possibilité pour les travailleurs - c'est-à-dire les principaux concernés - de participer à la gestion de cette entreprise et d'être informés de ce qui s'y passe. En effet, la direction de Sonor a caché la réalité des chiffres au personnel, elle n'a pas voulu l'associer. C'est l'un des vices rédhibitoires de notre système capitaliste qui fait qu'une seule personne peut créer des naufrages importants portant sur des dizaines de millions.

Or, l'initiative - je tiens à le souligner une nouvelle fois, et vous ne l'avez pas relevé, Monsieur Maitre - vise à donner l'appui de la Banque cantonale à des entreprises nouvelles ou assainies. Il n'est pas question de sauver des canards boiteux, ni surtout de payer les dettes de ceux qui ont creusé leur propre tombe. Dans le cas d'espèce de «La Suisse», le projet de la Société coopérative voulait précisément repartir sur des bases complètement nouvelles, et la nouvelle n'aurait pas repris les dettes.

Vous me rétorquerez que le problème des créanciers existe bel et bien. Mais, finalement, il n'appartient pas aux travailleurs de l'entreprise qui voulaient repartir avec un nouveau projet de devoir payer les créanciers. Ces dettes sont le fait de M. Nicole et de ceux qui lui ont peut-être prêté de l'argent trop légèrement ! Le rapport du Conseil d'Etat fait part, précisément, du fait que ce n'est pas aux banques cantonales à payer les dettes des entreprises; nous sommes parfaitement d'accord, mais, une fois de plus, ce n'est pas le but de l'initiative. Je trouve particulièrement fâcheux l'amalgame qui a été fait tout à l'heure entre les erreurs de gestion catastrophiques de M. Nicole et le but poursuivi par l'initiative, dont le but - même s'il est un peu utopique dans cette société bassement matérialiste - est de soutenir des entreprises de type coopérative.

Il y a cinquante ans, ces sociétés coopératives étaient les pionniers dans le genre. Je le rappelle, elles constituent l'un des fleurons de la société suisse, et certaines ont parfaitement réussi en démarrant très modestement. Nous, nous y croyons encore, et nous pensons qu'il faut essayer de créer quelque chose de nouveau. Il ne suffit pas, Monsieur Maitre, de dire que le Conseil d'Etat n'a pas été insensible - j'ose encore l'espérer - à la disparition d'un titre. Moi, je suis convaincu que «La Suisse» aurait pu être sauvée. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, j'ai été convaincu de cela par le faux expert que vous avez désigné !

En effet, il a indiqué qu'il était convaincu que le journal «La Suisse» avait un marché à Genève avec un produit plus modeste. Mais vous n'avez pas parlé de la parution du dimanche. Pour ceux qui ont vécu les choses de l'intérieur, c'était invivable. Je n'ai pas voulu m'exprimer à ce sujet volontairement. Cette «Suisse» du dimanche était une baudruche que l'on a brandie, comme l'édition du dimanche qui a coulé ce journal. L'expert, M. Baillod, pour ne pas le citer, a donné un certain nombre de recommandations et la Société coopérative a précisément conçu un projet qui répondait à ses recommandations. Je suis persuadé que ce projet était jouable, mais il fallait que la Banque cantonale prête 10 millions !

Vous n'avez pas répondu tout à l'heure, mais en fait la Banque cantonale a bien perdu 18 millions avec le centre d'impression, sauf erreur de ma part. Il serait intéressant de le savoir. Lorsqu'on parle de sauver des emplois, on peut s'en féliciter, mais il faut aussi savoir que la fin de «La Suisse» a fait le jeu d'une société monopolistique : Edipresse qui a pu mettre la main sur un centre d'impression de prestige, comme vous l'avez souligné, pour une bouchée de pain. Vous me permettrez de dire que - même si des emplois ont été sauvés - la façon dont Edipresse a mis la main sur ce centre de production est moralement détestable ! Cette société a en outre refusé que les deux journaux la «Tribune» et «La Suisse» soient imprimés dans ce centre de presse «surdimensionné», ce qui était le seul moyen de le sauver. Vous savez, Monsieur Maitre, que c'était le souhait du Conseil d'Etat, il y a quelques années, mais c'était impossible avec M. Nicole, ce qui est bien dommage. Edipresse ne l'a pas voulu pour mettre la main à vil prix sur ce centre d'impression, ce qui n'est pas admissible !

Si M. Baillod a donné la clef de la solution pour sauver «La Suisse» il l'a aussi coulée, car sa seule préoccupation - je peux l'attester, puisqu'il m'a téléphoné un soir, à 11 h 30 - était de savoir - après l'ukase de la SICOM de refuser l'impression de «La Suisse» au centre de Vernier - si «La Suisse» serait imprimée chez son concurrent à Neuchâtel. Il s'est demandé quelle était l'imprimerie qui pouvait effectivement offrir un prix d'impression en dessous de 4 millions, ce qui est probablement le prix juste, alors qu'à Vernier la SICOM demandait une douzaine de millions pour le même travail. Ce prix totalement faux était édicté, évidemment, par des charges financières complètement délirantes. M. Baillod n'avait qu'une seule crainte, c'est que «La Suisse» vienne s'imprimer sur la presse centrale de Neuchâtel de son concurrent. C'est la raison pour laquelle - je ne crains pas de le dire - M. Baillod, alors même que le projet de la Société coopérative répondait strictement à ses recommandations, a finalement coulé ce projet avec un rapport sur lequel il y a beaucoup à dire et sur lequel des choses seront peut-être écrites un jour.

La présidente. Monsieur Spielmann, vous avez la parole ! Il n'est pas là ? Eh bien, mais allez le chercher ! (Contestation générale et rires.)

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. M. Grobet se méprend sur les propos du Conseil d'Etat. Il n'est pas question de faire un amalgame ni de ressasser le passé, ni de parler de l'expert, mais de parler de la Banque cantonale, car elle est au coeur de votre initiative.

J'observe simplement que, dans cette affaire, la Banque cantonale - comme elle le fait d'ailleurs dans de nombreux autres dossiers - a effectivement et concrètement porté appui à une entreprise assainie et viable : le CITP. Elle a joué là un rôle important qu'il faut relever.

La Banque cantonale, sur la base de sa propre analyse professionnelle, a estimé ne pas pouvoir apporter un appui à «La Suisse», car cette dernière n'était pas assainie et par conséquent pas viable. Vous demandez, en somme, au gouvernement de substituer notre propre appréciation à celle des professionnels de la Banque cantonale, dont nous sommes actionnaires, et de donner des ordres : c'est tout à fait erroné !

Nous avons intérêt à ce que la rentabilité de la BCG soit bonne. Vous mesurez - si je comprends bien - la menace que vous feriez peser sur celle-ci, puisque vous demandez des garanties, ce qui montre bien que vous cherchez à augmenter les risques qu'elle devrait prendre elle-même. C'est pourquoi, dans ce contexte, je dis que cet objectif n'est pas sérieux.

Nous en débattrons de manière plus approfondie en commission.

M. Christian Grobet (AdG). (L'orateur est accueilli par des quolibets et des manifestations de lassitude.) Je sais que pour vous la sauvegarde de l'emploi est un slogan électoral... (Chahut.) ...mais lorsqu'il faut en discuter concrètement, cela vous gêne !

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, M. Grobet a le droit de prendre la parole trois fois. Je vous en prie !

M. Christian Grobet. Nous ferons le bilan de la situation de l'emploi à Genève et nous verrons combien d'emplois ont été sauvés ! Je ferme cette parenthèse pour le moment.

Monsieur Maitre, ce n'est pas notre initiative, c'est celle des syndicats ! Tout à l'heure, vous avez cité un syndicaliste qui a critiqué cette initiative, mais vous omettez de dire que celle-ci a été lancée par l'Union des syndicats du canton de Genève. Certes, notre formation lui a apporté son appui...

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La CGAS !

M. Christian Grobet. Ecoutez, la CGAS est une formation syndicale un peu plus large, car elle comporte deux syndicats de plus, mais l'Union des syndicats du canton de Genève, vous le savez, est le groupement qui a lancé cette initiative. Celle-ci a du reste reçu l'appui d'autres partis, et pas seulement du nôtre !

A aucun moment cette initiative ne dit que le gouvernement doit donner des ordres à la Banque cantonale, et vous avez parfaitement raison de dire que c'est à cette dernière d'apprécier elle-même la situation. Il est inexact de prétendre que «La Suisse» n'avait pas été assainie, comme vous l'avez dit tout à l'heure, puisque la nouvelle société, précisément, ne devait pas reprendre les dettes de M. Nicole, et qu'elle repartait sur une base totalement nouvelle. Si la Banque cantonale vous a donné cet argument - ce qui m'étonnerait - sachez qu'il est erroné.

Mais, Monsieur Maitre, si le Conseil d'Etat ne peut pas donner des ordres à la Banque cantonale, vous savez aussi bien que moi, pour avoir des contacts permanents avec le directoire de cette banque, que cette dernière a pour le moins l'oreille du Conseil d'Etat. Lorsqu'il s'est agi, précisément, d'intervenir pour le CITP, je suis convaincu que vous avez pris les contacts nécessaires avec la banque et que vous l'avez encouragée à aller dans ce sens, comme vous l'avez dissuadée de soutenir le projet de la Société coopérative ! Je dispose de quelques renseignements au sein de la Banque cantonale, et je sais très bien quels sont les contacts qui ont été pris entre le Conseil d'Etat et la direction de la banque, tant au sujet du projet de la Société coopérative qu'au sujet du CITP !

IN 104

Cette initiative est renvoyée à la commission de l'économie.

IN 104-A

Ce rapport est renvoyé à la commission législative.

 

La séance est levée à 23 h.