République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 octobre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 10e session - 39e séance
PL 7115-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
La commission, sous la présidence de M. Hervé Burdet, a examiné le rapport annuel de gestion et le compte rendu financier, exercice 1993, des Services industriels de Genève, en présence de M. Philippe Joye, conseiller d'Etat chargé du département des travaux publics et de l'énergie, et de M. Roger Beck, adjoint au directeur de l'office cantonal de l'énergie.
Elle a entendu M. Louis Ducor, président, accompagné du secrétaire général et des directeurs des Services industriels de Genève.
La commission a relevé dans les documents qui lui ont été remis et les informations qui lui ont été apportés en séance les points essentiels suivants:
- les ventes d'eau, de gaz et d'électricité ont été inférieures aux estimations prises en compte pour l'établissement du budget d'exploitation et, par conséquent, les charges liées aux achats de gaz et d'électricité ont aussi été inférieures;
- le résultat net de l'exercice, en 7'316'927,30 F a été proche de celui budgétisé, grâce au dividende perçu sur la part du capital-actions de la Société des forces motrices de Chancy-Pougny détenu par les SIG, dividende dont il n'avait pas été tenu compte dans les prévisions;
- les attributions aux fonds d'investissement et de renouvellement, la dotation des provisions, se sont élevées à 74'900'000 F;
- les investissements ont atteint une nouvelle fois un montant important en 191'781'000 F, mais sont cependant inférieurs de 45 millions de francs aux prévisions;
- au terme de l'exercice, le rapport fonds propres/fonds étrangers s'est détérioré et a passé de 35,4/64,6% en 1992 à 33,9/66,1% en 1993, l'objectif de stabiliser le ratio à 40/60% n'est donc pas atteint et la direction de l'entreprise vise à maintenir le niveau actuel et à l'améliorer dans les meilleurs délais;
- deux emprunts ont été contractés en 1993, au montant total de 160 millions de francs, portant l'endettement à long terme à 770 millions de francs en fin d'exercice;
- les tarifs de vente de l'eau et de l'électricité ont augmenté de 6% en moyenne le 1er janvier 1993; quant au gaz, il continue à accorder des remises;
- la redevance mensuelle fixe supprimée et sa contre-valeur reportée sur le prix de vente de l'électricité (application d'une étape de la restructuration du tarif de vente de ce fluide) répond à la demande du Conseil d'Etat, fondée sur ses objectifs de politique énergétique;
- la mise en oeuvre de la méthode d'appréciation des performances, prévue pour le 1er janvier 1994, conformément à l'accord conclu avec les associations représentant le personnel, a fait l'objet d'un important travail d'information et de formation; le montant des traitements a été inférieur aux prévisions;
- les activités liées à l'application de la politique énergétique ont été poursuivies et développées, notamment dans le domaine de l'analyse des consommations, des conseils aux consommateurs d'eau, de gaz et d'électricité;
- les projets de réforme engagés en vue d'améliorer les performances des SIG, de dynamiser leurs actions, d'offrir d'avantage de services de conseils aux clients de l'entreprise, décrits succinctement aux pages 4 et 5 du rapport de gestion ont été poursuivis, avec l'objectif de les mettre en oeuvre pour les principaux d'entre eux en 1994 et 1995;
- le problème de la coordination reste une préoccupation importante pour les SIG; il en va de même pour l'environnement auquel ils attribuent un intérêt constant;
- l'expérience de la pile à combustible est, à cet égard, très satisfaisante grâce à son excellent rendement.
Conclusions
Mesdames et Messieurs les députés, au vu des documents et explications fournis, la commission vous invite, moins 6 abstentions (3 adg, 2 soc, 1 écol) à voter ce projet de loi.
RAPPORT DE LA MINORITÉ
La commission de l'énergie et des Services industriels s'est réunie le 10 juin 1994 pour examiner les comptes 93 des SIG. A l'heure où ces lignes sont écrites, le projet de loi ne porte pas encore de numéro, il n'a pas été encore soumis au Grand Conseil, mais notre commission en a discuté par anticipation, comme le règlement le permet. A l'issue de cette séance, les 8 députés de l'entente votaient ces comptes, alors que les 6 députés de gauche et écolos s'abstenaient. Ce rapport de minorité essaiera de vous expliquer brièvement pourquoi.
1. IntroductionLes SIG changent de look et se lancent vers le DSM(demand side management)
De tous les échanges verbaux, parfois acerbes, d'autres fois amènes, que nous avons eus en commission, j'ai été particulièrement frappé par celui-ci, qui illustre bien le virage que sont en train de prendre les SIG:
M. .
- «Il est un peu décevant que les SIG n'aient pas montré dans ces comptes une attitude résolument favorable aux économies d'énergie.»
Réponse de M. Ducor, président des SIG:
- «Nous avons commencé cette année à rendre visite à nos plus gros clients, qui, alertés par la récente hausse de leurs primes de puissance, nous ont contactés. Sur nos 3000 plus importants consommateurs, 750 ont pris contact pour que nous les aidions à diminuer leurs pointes de puissance. Nous avons embauché un ingénieur physicien et des chômeurs, nous les avons formés, et ils ont été voir ces plus gros clients, pour les aider à diminuer leurs pointes. Nous n'avons pas encore de résultats positifs, en terme de kW ou MWh économisés, mais nous espérons pouvoir vous en présenter l'année prochaine. C'est un nouveau service des SIG, le service marché-clients.»
Commentaire du rapporteur de la minorité:
En d'autres termes, les SIG se lancent dans le DSM (demand side management), intervention chez le client pour l'aider à diminuer ses consommations. Du coup, les SIG ne se voient plus uniquement comme des fournisseurs, mais déjà un peu comme des prestataires de service. Exactement ce que demandait la Coordination-Energie depuis des années.
C'est la raison principale de notre abstention sur ces comptes. Après plusieurs années d'insistance de notre part, les SIG commencent enfin à comprendre que l'avenir est aux économies. Si l'année prochaine leurs efforts sont couronnés de succès réels, nous pourrions même approuver les comptes!
Il vaut la peine de s'intéresser un peu ici à ces nouvelles techniques de gestion, qui nous viennent des USA, le DSM et son corollaire, le LCP (least cost planning). Nous reviendrons plus bas sur la séance de la commission.
2. Demand Side Management et Least Cost Planning.Qu'est-ce que c'est?
Le mieux selon nous pour introduire ces nouvelles méthodes de gestion, est de donner la parole à M. Fritz Spring, sous-directeur des FMB (= Forces Motrices Bernoises). Il a écrit une très bonne introduction dans les cahiers de l'électricité:
«L'exemple américain:
»Le mouvement a commencé aux Etats-Unis. Empêchés de construire de nouvelles centrales à leur guise par une accumulation de réglementations dissuasives dès le milieu des années 70, les électriciens ont été amenés peu à peu à agir sur la demande afin de limiter les pointes de consommation.
»Des compagnies exerçant leur activité sur la Côte pacifique ou en Nouvelle-Angleterre notamment ont commencé à encourager financièrement leur clientèle à se doter d'équipements économes en énergie. Elles s'octroyaient ainsi la possibilité de réduire leurs propres investissements dans la production.
»Des résultats perceptibles ont d'ores et déjà été obtenus. C'est du moins ce qui ressort d'une étude réalisée par le laboratoire national d'Oak Ridge auprès de 439 compagnies qui fournissent plus de 80% de l'électricité consommée dans le pays. Il apparaît qu'entre 1989 et 1991, la branche a doublé ses investissements en matière de gestion de la demande. Ils ont totalisé 1,8 milliards de dollars, soit 1% du chiffre d'affaires, pendant la seule année 1991.
»On estime aujourd'hui que ces mesures de DSM ont permis de réduire la pointe de la demande de 26'700 MW, ce qui correspond à 5% de la puissance installée du pays. Les économies se situeraient autour de 23 GWh, soit 1% de la consommation nationale.
»Significatifs pour les uns, négligeables pour les autres, ces résultats sont susceptibles d'améliorations dans la mesure où l'effort de maîtrise des consommations est encore très inégalement réparti. La moitié des investissements dans le domaine du DSM sont le fait de seulement 13 compagnies.
»Les auteurs de l'étude d'Oak Ridge sont confiants. Ils estiment qu'en 2001, la part du chiffre d'affaires des électriciens consacrée aux programmes DSM atteindra en moyenne 1,2% et que les économies atteindront 2,7% au lieu de 0,9% aujourd'hui.
(...)
»Les possibilités d'améliorer l'efficacité énergétique sont plus nombreuses et plus faciles à réaliser du côté de la demande (utilisation) que de l'offre (production et transport). Le DSM devra permettre aux usagers d'épuiser tous les potentiels d'économies existants. Il repose sur 2 piliers:
- L'utilisation rationnelle de l'électricité, parfois définie en terme de «négawatts». Il s'agit de favoriser les économies d'utilisation directe du courant par l'usage de lampes et d'appareils à faible consommation.
- L'utilisation rationnelle de l'énergie globale à l'aide de l'électricité, en récupérant par exemple les rejets de chaleur de procédés thermiques fossiles. On parle à ce propos d'«écowatts».
(...)
»En intervenant activement dans le domaine de l'utilisation rationnelle des ressources, l'entreprise électrique assume sa responsabilité à l'égard de l'environnement et des génération futures. Un tel engagement ne saurait toutefois reposer sur cette seule préoccupation morale. Il suppose également une gratification matérielle.
(...)
»Pour l'entreprise, un engagement accru dans ce domaine constitue un prolongement de la chaîne de valeur ajoutée. Celle-ci ne va plus seulement de la production au compteur. Elle inclut désormais l'ensemble des processus qui se situent entre le compteur et la consommation finale d'énergie. La compagnie peut élargir son champ d'activité grâce à une offre de services énergétiques spécifiques.
»Il faut savoir que toute mesure d'utilisation rationnelle de l'électricité peut entraîner dans un premier temps une diminution des ventes de courant. En contrepartie, elle permet d'améliorer à long terme la compétitivité de l'entreprise par l'acquisition d'une meilleure connaissance de la demande et des possibilités de l'influencer, par une diminution des coûts d'investissement dans la production, par l'accroissement des débouchés dans le domaine des économies et par l'amélioration générale de l'image de la branche.»
Voilà pour le DSM. Quant au LCP, M. Fritz Spring le définit beaucoup plus brièvement (nous verrons plus bas pourquoi) ainsi:
«L'utilisation optimale de l'énergie suppose que l'offre et la demande se complètent réciproquement. Aussi les a-t-on réunies sous l'égide de la planification intégrée des ressources (PIR) ou planification selon le moindre coût (LCP). L'objectif est de fournir l'énergie désirée moyennant une moindre consommation d'énergie primaire et un impact minimal sur l'environnement. Cette volonté d'intégration est l'objet d'un vaste débat politique. (...)»
M. Fritz Spring se montre ainsi résolument favorable à la PIR, mais il ne rentre pas dans les détails, contrairement à ce qu'il a fait précédemment pour le DSM. La raison en est que la puissante UCS (= Union des centrales suisses d'électricité) est contre le LCP, qu'elle considère comme une mesure «étatique» et «bureaucratique». (Electricité-information de décembre 93)
Il vaut la peine de donner quelques précisions à ce sujet. Le LCP est pratiqué par au moins 35 Etats des USA (d'autres envisageant son introduction). Il n'existe toutefois pas un concept généralisé de LCP, mais plusieurs modèles se distinguent par un interventionnisme plus ou moins grand de l'autorité de surveillance.
Dans ce contexte de nombreux outils ont été développés.
Prenons l'exemple du logiciel ELFIN, (= Electricity Financing) que nous avons proposé à notre nouveau ministre du DTPE, M. Philippe Joye, dans l'espoir qu'il parvienne à convaincre M. Ducor de l'utiliser. Ce logiciel, développé par des informaticiens et des économistes de l'Environnemental Defense Fund, en Californie, permet de gérer à long terme un réseau électrique. Il permet de faire des comparaisons de prix entre la construction d'une nouvelle centrale et de nouvelles lignes à haute tension d'une part, et les économies chez le consommateur de l'autre. L'emploi de ce logiciel avait démontré qu'il était moins cher d'économiser l'électricité chez les consommateurs que de continuer à exploiter une centrale nucléaire déjà ancienne, à Sacramento. Une votation populaire a par la suite entériné la fermeture de cette centrale. Deux choses déplaisent à l'UCS dans ce genre de propositions:
1. Dans sa comparaison des prix, le logiciel ELFIN peut intégrer des externalités pour le calcul du prix de revient des nouveaux kWh produits. Par exemple aux USA, si une compagnie hésite à construire une nouvelle centrale au charbon, l'autorité peut ajouter quelques cents/kWh au prix de revient purement économique, pour tenir compte de la pollution générée, calculée en tonnes de SO2 dans l'atmosphère. Si le kWh «pur» revient à 4 cents, l'autorité peut décider que le «vrai» prix, macro-économique, qui tient compte des impacts sur l'environnement de cette centrale, se situera autour de 10 cents/kWh, rendant ainsi compétitif un programme d'économies d'énergie, qui lui rapporte des «négawatts» à 7 cents/kWh seulement. Cette intrusion d'une autorité politique dans le marché ne plaît pas à l'UCS; elle est pourtant indispensable, le marché seul ne peut tenir compte de l'état de la planète: seule une conjonction intelligente de l'Etat et du Marché est à même de sauver la planète.
2. Le logiciel ELFIN permet aussi de calculer la hausse des tarifs nécessaire à compenser des investissements dans le DSM. Prenons un exemple: imaginons que les SIG décident d'offrir une ampoule économique à chaque ménage genevois, avec un tract explicatif sur leur nouvelle politique, sur les économies d'énergie, sur les économies que pourront réaliser leurs clients grâce à cette ampoule, etc... L'investissement leur coûterait 2,5 millions. Pourquoi le feraient-ils? Personne n'accepterait de perdre 2,5 millions juste pour améliorer son image de marque dans le public. Il faut donc être en mesure de calculer la petite hausse des tarifs nécessaire, pour que les SIG ne perdent pas d'argent, pour que les clients en gagnent à la longue (grâce aux kWh économisés), et que tout le monde y trouve son profit (y compris l'environnement, puisque moins de déchets radioactifs auront été produits!). Le logiciel ELFIN permet précisément ce genre de calculs, mais là encore l'UCS n'est pas d'accord, cette subvention des économies lui paraît une grave atteinte à l'économie de marché.
Sur ces sujet importants, il va bien falloir que les SIG se prononcent. Pensent-ils comme l'UCS, ou comme M. Fritz Spring, des FMB? Vont-ils se procurer ce logiciel ELFIN, l'adapter à la situation genevoise, («calage» du modèle), l'utiliser? C'est de ça que nous voudrions qu'ils parlent dans leurs comptes rendus, et non pas seulement de leurs comptes stricto sensu.
3. Les investissements dans le nucléaire français
(Cattenom, Fessenheim, et puis aussi le fameux contrat de 300 MW,
ramené à 200 l'année dernière)
Commençons ce chapitre par un court rappel, à l'attention des députés qui n'ont pas suivi les épisodes précédents:
Le 25 septembre 1990, c'est-à-dire le lendemain de l'acceptation par le peuple suisse de l'initiative sur le moratoire nucléaire, M. Ducor votait «oui», au conseil d'administration d'EOS, à un contrat d'importation de 300 MW du parc français, dont chacun sait qu'il est à 70% nucléaire. Ce contrat a été ramené depuis à 200 MW, EOS a ainsi économisé 400 millions, dans un moment où de toutes façons ce courant est inutile, vu que nos besoins sont à la baisse.
Mais M. Ducor avait des doutes sur la constitutionnalité de son vote. En effet, en décembre 86 l'initiative constitutionnelle anti-nucléaire genevoise était acceptée par le peuple, (elle est devenue depuis l'article 160C de la Constitution) et elle stipule dans son article 5: «Les autorités cantonales et communales s'opposent par tous les moyens politiques et juridiques à leur disposition à l'installation de centrales nucléaires (...) dans le canton et au voisinage de celui-ci.» On peut difficilement arguer qu'investir plusieurs centaines de millions dans le parc français soit une façon de s'opposer à l'installation de centrales nucléaires dans le canton et au voisinage de celui-ci. M. Ducor a pourtant pris la précaution de s'armer d'un avis de droit, délivré par Me Manfrini, qui considère qu'il n'est pas à priori anti-constitutionnel de voter oui à un tel contrat, vu que l'article 158 de la constitution impose aux SIG le devoir d'approvisionner la population. Si le besoin s'en fait sentir de manière impérative, les SIG peuvent donc signer un tel contrat, considérant que l'article 158 prime sur le 160C. Voilà ce que disait l'avis de droit de Me Manfrini. Or, dans un moment où notre consommation fléchit, et où les ressources alternatives (notamment le potentiel énorme d'économies possibles) existent en abondance, nul doute que le besoin de ces investissements puisse être remis en question. C'est ce qu'a fait la Coordination-Energie, en s'adressant à un autre expert en droit constitutionnel, le professeur Andreas Auer, qui lui est formel: le vote de M. Ducor est anti-constitutionnel dès lors que d'autres ressources existent, et que le besoin n'est pas impératif. L'avis de droit conclut qu'il appartient au Conseil d'Etat de le sanctionner. Nous comprenons bien que le cas est délicat, mais rien ne nous empêche de crier haut et fort notre désapprobation, la vérité finira bien par percer un jour, d'une façon ou d'une autre.
En plus cet investissement de plusieurs centaines de millions n'est pas transparent. De nombreux échanges aigres-doux ont eu lieu en commission sur cette affaire. Nulle part dans les comptes des SIG on ne trouve mention de ces investissements. M. Ducor nous a fait parvenir des papiers d'EOS à ce sujet, qui n'en parlent pas non plus de manière explicite. A la lecture des documents fournis, il est impossible de savoir quelles sommes ont été englouties dans cet investissement inutile, par les SIG ou par EOS. (Un PV de la séance du conseil d'administration d'EOS, qui nous est parvenu, parle de plus d'un milliard).
4. Les nouveaux tarifs des SIG
Selon M. Ducor, les SIG auraient décidé de renoncer, pour 1994, à une grande partie de l'augmentation prévue pour les primes de puissance. Sous la pression de certains gros consommateurs, auxquels cette augmentation posait des problèmes. Mais en renonçant à cette hausse prévue, de nombreux gros consommateurs qui auraient pu la supporter en ont été débarrassés du même coup! De grandes administrations publiques ou privées, des banques, des organisations internationales qui auraient pu supporter la hausse et même qui auraient été encouragées par cette hausse à investir dans les économies d'énergie, n'y pensent plus aujourd'hui que la hausse est reportée. Tout ça pour ne pas mettre en péril quelques industries auxquelles cette hausse posait effectivement problème. Il aurait été plus simple d'aider ces industries à se reconvertir au gaz (par exemple pour les besoins thermiques des fonderies) et d'appliquer au besoin un tarif «à la carte» à certaines en attendant. Et de profiter à plein de la dynamique enclenchée par cette hausse. M. Ducor répondit que des tarifs «à la tête du client» ne sont pas sains en bonne gestion, pour compléter son propos peu après en disant que de toutes façons il faudra bien y venir pour certains clients.
Encore un mot à ce sujet. Lorsque nous disions ci-dessus: «Il eût été plus simple d'aider ces industries à se reconvertir au gaz pour leurs besoins thermiques», c'est justement ça le DSM, c'est justement ça que nous réclamons depuis des années, qui se pratique aux USA et peut-être bientôt ici, dès que les SIG auront adopté une attitude résolument progressiste!
5. Bref retour sur le chauffage électrique à «La Boverie» à Satigny
Certains députés se souviendront peut-être de l'occupation d'une rangée de villas neuves, encore inhabitées, et toutes chauffées à l'électricité, en pleine illégalité. Cette occupation a été le fait de la Coordination-Energie, elle a eu lieu au début de l'année dernière. S'en suivit une querelle d'experts juridiques pour savoir qui avait raison, nous qui prétendions que ces chauffages électriques étaient illégaux, ou M. Ducor qui s'appuyait sur le fait qu'une première autorisation avait été demandée avant l'entrée en vigueur de la loi actuelle. Pour finir, il semble bien que nous n'avions pas tout à fait tort, puisque les SIG n'ont pas délivré l'autorisation de mise en service, que la BPS (promotrice) a interjeté recours contre cette décision, tout en se mettant quand même en règle avec la nouvelle loi, ce qui va coûter à quelqu'un 750'000 F de frais supplémentaires de conversion des chauffages, plus 25'000 F pour la construction d'une sous-station, désormais inutile, à Satigny. (Merci à Elisabeth d'avoir osé poser la question en commission!)
6. Conclusion
De petits progrès, encore timides, sont intervenus cette année. Il n'y a encore rien dans les comptes sur des mesures d'économie d'énergie. Mais on commence à en parler dans les séances. 750 gros clients se sont adressés aux SIG pour demander des études. Si 100 de ces gros clients prennent effectivement des mesures suite à ces études, le pari sera gagné, nous commencerons la spirale descendante, les SIG pourront augmenter leurs tarifs au prorata des économies réalisées, sous la surveillance bienveillante de Philippe Joye, et tout le monde sera content.
Ce n'est pas le cas pour l'instant, c'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, les partis membres de la Coordination-Energie ne pourront pas voter ces comptes cette année encore.
Premier débat
M. Pierre Ducrest (L), rapporteur ad interim. J'aimerais simplement remercier la direction des Services industriels pour la clarté des comptes présentés, ainsi que pour la rigueur des réponses données aux questions posées. Je suis sûr que le rapporteur de minorité agréera également ces réponses.
M. Jean-Claude Genecand (PDC). L'examen des comptes des SI de l'année 1993 n'a pas porté sur les chiffres, mais, comme à l'accoutumée, les débats se sont cristallisés sur un problème de fond, celui de l'économie d'énergie potentielle que peuvent réaliser les SI.
Je suis déçu, car j'ai l'impression de répéter chaque année les mêmes choses et de prêcher dans le désert. A notre demande de développer une stratégie d'économies, les réponses sont invariablement les mêmes. Je cite M. Ducor : «...trois mille plus gros consommateurs ont eu le privilège de voir leur consommation expertisée. C'est une opération très importante qui est en cours sur le concept d'information. En effet, il fallait commencer par faire connaître les SI. Une réflexion est à faire sur l'avenir financier de cette entreprise. Si les diminutions continuent à se manifester, il faudra prévoir une augmentation des tarifs.». Le directeur est coincé entre une perspective d'économie de la consommation d'énergie et la nécessité de rentabiliser une entreprise contrainte de vendre davantage de fluide énergétique pour s'en sortir.
Si la direction est incapable de faire des choix clairs et réalistes, qu'elle le dise, mais qu'elle ne navigue pas à vue entre les différentes tendances en laissant entendre qu'elle va mettre en place une stratégie sans s'en donner les moyens et en tenant un discours abscons.
Les entreprises américaines mènent de telles expériences avec succès. Elles mettent en place une stratégie qui permet aux consommateurs de faire des économies sans pourtant porter préjudice aux intérêts de ces entreprises.
Pourquoi une telle politique n'est-elle pas réalisable à Genève ? Pardonnez-moi mon langage un peu carré, Monsieur le chef du département, mais j'en ai assez qu'on nous fasse prendre des vessies pour des lanternes. J'ai encore en mémoire la réponse que m'a faite M. Ducor l'an dernier concernant un gros consommateur qui avait vu sa facture augmenter d'une façon démesurée. Il avait fait «un foin pas possible» pour ne pas subir une pareille augmentation.
Durant plusieurs semaines, les SI ont mis un staff à disposition, composé d'un physicien et d'ingénieurs techniciens pour étudier les économies potentielles. Le résultat représente 30% d'économies. La réflexion de M. Ducor consiste à dire que les SI n'ont pas les moyens d'investir pour des milliers de clients, gros et petits consommateurs.
Vous aurez remarqué que la réponse de cette année est évasive. On parle de trois mille gros consommateurs qui ont eu le privilège de voir leur consommation expertisée, mais on ne dit pas si c'est la facture ou l'entreprise qui a été expertisée, et tout laisse à penser que les SI n'ont pas eu le temps de procéder à ces expertises dans les entreprises, même si sept cent cinquante d'entre elles ont manifesté ce désir.
Monsieur le président du département, je vous demande de me dire à quel moment on se donnera les moyens d'un assainissement efficace ? Dans mon esprit, il n'est pas question de démanteler les SI, mais en ayant une autre approche, on peut à la fois développer une stratégie d'économie de l'énergie et maintenir la santé de l'entreprise, d'autant plus que celle-ci jouit d'un monopole.
Je vous adresse la simple question suivante : quel consommateur n'accepterait-il pas de voir sa consommation diminuer et payer conjointement la facture de l'expertise ? Même si les tarifs doivent légèrement augmenter, à terme, il est gagnant.
En conclusion, je souhaite sincèrement que, l'année prochaine, je puisse intervenir pour féliciter les SI des progrès accomplis. Bien sûr, notre groupe votera les comptes.
M. Pierre Vanek (AdG). Nous souscrivons au rapport de minorité dont beaucoup d'éléments ont déjà été présentés. Notre collègue Genecand vient de mettre le doigt sur un certain nombre de lacunes en matière de politique énergétique. Toutefois, nous n'engagerons pas un grand débat sur cette question ce soir.
Il est clair que le noeud de l'affaire concerne la question du nucléaire. On évolue sur ce point. Hier soir, un rapport sur Creys-Malville, provenant du département du président du Conseil d'Etat, nous a été remis. On y apprenait que l'énergie nucléaire était un problème de société, que cette production d'énergie avait été développée alors qu'elle n'était pas totalement maîtrisée et que les problèmes liés à ce fait perdureraient bien au-delà de la fermeture des derniers réacteurs nucléaires. C'est une bonne raison pour les arrêter le plus vite possible et ne pas léguer l'héritage des déchets nucléaires aux générations futures.
Une autre raison apparaît comme évidente aux yeux de chacun d'entre nous dans cette enceinte. En effet, il s'agit d'un mandat constitutionnel, populaire, que nous avons reçu des électeurs à plusieurs reprises.
Certaines questions ont trouvé des réponses. Elles sont soulignées dans le rapport. Toutefois, un certain nombre de problèmes continuent à se manifester. Notre collègue Genecand en a évoqué quelques-uns. On pourrait en citer d'autres, comme, notamment, celui de cette vaste campagne de publicité, de «relookage» concernant les SI, qui, par ailleurs, ne font pas état d'une grande volonté d'économies.
A l'évidence, l'argent investi dans une opération de relation publique devrait servir un discours qui incite les usagers à économiser de l'énergie, notamment de l'énergie électrique en relation avec les problèmes liés au nucléaire évoqués ci-dessus, alors qu'en fait on a eu un «exercice à blanc», soit un slogan indiquant que les SI en font un peu plus qu'il n'en faut. En l'occurrence, ils en font un peu moins.
Je ne reviendrai pas sur la question des investissements dans le nucléaire français où les réponses sont peu claires et où on ne sait pas exactement dans quelles eaux on navigue. On pourrait parler des acrobaties qui ont eu lieu autour du problème des primes de puissance et, bien sûr, c'est là le «gros pépin» de l'absence, pour l'heure, d'une conception cantonale claire de l'énergie comportant des objectifs et indiquant un renoncement au nucléaire, en tout cas pour Genève.
Le chef du département des travaux publics et de l'énergie a demandé un certain nombre de rapports à la commission de l'énergie que nous attendons avec impatience. D'autres éléments doivent venir se greffer à ces informations, donc, ce soir, il n'est pas nécessaire d'engager de grands débats à ce sujet. Nous nous sommes arrêtés à la croisée des chemins depuis longtemps, et il serait temps de prendre le bon. Donc, eu égard à l'état de ce dossier, je ne peux que vous recommander de suivre les conclusions du rapporteur de minorité consistant à vous abstenir pour cette année, et j'espère qu'il sera possible de voter ce budget des SI dans l'enthousiasme l'année prochaine. Mais, pour l'heure, je propose que les députés s'en tiennent à cette conclusion du rapport de minorité.
M. Chaïm Nissim (Ve), rapporteur. En deux mots pour mon ami Genecand, les SI investiront dans les économies d'énergie et auront une véritable stratégie des économies d'énergie le jour où ces investissements deviendront rentables.
Pour qu'ils le soient, ce n'est malheureusement pas encore le cas aujourd'hui, il faut développer une stratégie comme aux Etats-Unis, qui utilise des théories comme Least Cost Planning et le Demand Side Management. En plus, il faut une autorité politique qui pourrait être M. Joye, qui, en l'occurrence, est ouvert à ce genre de nouvelles théories fixant les augmentations des tarifs des Services industriels devant intervenir en compensation des investissements fournis dans les économies d'énergie.
J'ai essayé de présenter cette stratégie dans mon rapport. J'espère que, lentement, les choses vont venir. Cela fonctionne aux Etats-Unis, mais, en Suisse, ce n'est pas tout à fait la même chose. Toutefois, il faut tout de même saluer une timide évolution du côté des SI. D'autre part, notre chef du département est ouvert à nos thèses, ce qui n'était pas le cas auparavant. Il faut travailler là-dessus, espérer, prier, pousser, (Rires.) et peut-être que l'on y arrivera !
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Permettez-moi de vous remercier de vos deux présentations, Messieurs les représentants des rapports de minorité et de majorité.
Je dirai à M. Genecand que, lorsqu'il prétend que les SI sont une entreprise coincée, il est totalement en dehors de la réalité. Je connais peu d'entreprises, à part les TPG, sous la direction de M. Stucki et la présidence de M. Ziegler, et maintenant du nouveau président, qui ont fait autant pour progresser.
En ce qui concerne les économies d'énergie, Monsieur le député, vous avez reçu, mais vous semblez ne pas l'avoir vu, ce livre sur les économies d'énergie concernant le bilan énergétique des trois cents bâtiments cadastrés de l'Etat. C'est un travail très important pour lequel nous avons collaboré avec la Ville de Genève qui avait déjà fait un travail du même genre, extrêmement intéressant, dans lequel nous avons introduit de nombreuses composantes supplémentaires. Je vous recommande d'en prendre connaissance. Vous avez enfin sous les yeux ce que tout le monde souhaitait depuis plusieurs années.
Je vous ai répété plusieurs fois que nous sommes au coeur du DSM (Demand Side Management) et du LCP (Least Cost Planning). Vous savez que deux recherches fondamentales sont à bout touchant, l'une nous sera rendue le 11 novembre et l'autre le 25 novembre. Nous aurons les résultats de Logilab, qui est la société s'occupant de faire le premier rapport pour l'université de Genève, et de la «CERA» Cambridge Energy Research Associates, qui est une société dépendant du Massachusetts Institute of Technology, qui nous répondront sur des questions aussi fondamentales que celles concernant les économies d'énergie et, également, ceci intéressera particulièrement le député Vanek, sur la manière de pouvoir, en vingt ans, ramener à zéro la consommation nucléaire sur le territoire genevois. Vous verrez que les conclusions sont extrêmement intéressantes. Elles sont variées, des schémas très différenciés sont possibles qui incluent tous comme préliminaire de savoir, d'abord, comment on peut économiser l'énergie avant de parler de changer de méthode de production d'énergie et de passer au fuel ou à d'autres systèmes.
Il faut savoir que ces rapports ont soulevé de très grands problèmes aux SI et à l'Etat de Genève. Il s'agit de l'étroite collaboration existant entre les SI et EOS de par les participations des SI au sein d'EOS. Les parts des SI se montent à 27% de l'actionnariat et à 40% de la consommation d'électricité.
Ces participations font que, si nous renonçons à la consommation d'énergie nucléaire ou électrique blanche pour passer à de l'énergie fossile sur le territoire genevois en construisant, par exemple, cinq centrales de cinquante et un megawatts sur le territoire genevois, cela entraînera des manques à gagner extrêmement importants pour EOS qui est notre société soeur ou mère, comme vous le voulez. Cela a incité le président Ducor a dire que, dès que nous aurons fini cette analyse sur le plan genevois, nous devrons passer sur le plan romand pour continuer cette étude et voir quid de toutes ces conclusions au plan genevois, qui intéressent diablement EOS.
En ce qui concerne les factures diminuées, vous avez raison, Monsieur Genecand, c'est le seul moyen d'intéresser réellement les gens à des économies d'énergie, ce que l'on appelle des «négawatts» c'est de leur restituer de l'argent. Cela s'est fait selon deux modèles dont j'ai déjà parlé : le modèle américain, qui ne plaque pas très bien et qui est du côté du producteur, et le modèle allemand situé du côté de la rétribution du consommateur.
Au sujet de votre remarque, Monsieur Vanek, sur les relations publiques développées aux SI, je vous dirai que les logos jouent un double rôle. D'une part, une identification à l'intérieur de l'entreprise - interrogez les employés des SI à ce propos, vous serez intéressé par leurs réponses - d'autre part, un «look» différent à l'extérieur.
Du point de vue de la conception cantonale de l'énergie, Monsieur Vanek, nous avons, comme je vous l'ai dit, retardé la sortie de la conception rénovée. Nous sommes conscients que nous devons la refaire, mais nous devons attendre d'avoir ces deux études et, surtout, d'en avoir tiré les conclusions parce que ces études auront probablement des prémisses et des schémas variables qu'ils faudra analyser. Nous soumettrons tout cela à la commission de l'énergie dès que nous aurons les résultats.
Pour ce qui est des stratégies des économies d'énergie, Monsieur Nissim, je vous remercie pour ces extraits parus dans les cahiers de l'électricité sur les Forces motrices bernoises. Nous sommes tout à fait dans la même ligne que lui. Nous pensons favoriser les économies d'utilisation en termes de «négawatts» et favoriser les économies et l'utilisation rationnelle de l'énergie globale en termes de «écowatts».
En ce qui concerne la documentation que vous m'avez remise, je puis vous dire officiellement que j'ai regardé avec attention la vidéo de Cleveland que vous m'avez montrée et j'y ai trouvé des pistes dont je vous parlerai. Je vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, d'adopter ce rapport.
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
LOI
approuvant le rapport annuel de gestion, le compte de profits et perteset le bilan des Services industriels de Genève pour l'année 1993
LE GRAND CONSEIL,
vu l'article 160, alinéa 1, lettre b, de la constitution genevoise, du 24 mai 1847;
vu l'article 37, lettre b, de la loi sur l'organisation des Services industriels de Genève, du 5 octobre 1973,
Décrète ce qui suit:
Article 1
Gestion
Le rapport annuel de gestion des Services industriels de Genève pour l'exercice 1993 est approuvé.
Art. 2
Comptes deprofits et perteset bilan
Le compte de profits et pertes et le bilan pour l'année 1993 sont approuvés conformément aux résultats suivants:
a) recettes 604'272'549,07
b) dépenses d'exploitation 596'955'621,76
c) bénéfice 7'316'927,31
d) actif du bilan 1'635'650'115,43
e) passif du bilan 1'635'750'115,43 *
* Y compris le bénéfice visé à la lettre c.
Art. 3
Répartition du bénéfice
Le bénéfice de 7'316'927,31 F de l'exercice 1993 est attribué en totalité au fonds de constructions nouvelles, conformément à l'article 28, alinéa 2, de la loi sur l'organisation des Services industriels de Genève, du 5 octobre 1973.