République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 28 avril 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 6e session - 12e séance
PL 6821-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
La commission du logement du canton, sous la présidence de M. Jacques-André Schneider, a étudié ce projet de loi au cours des séances du 3 mai et du 6 septembre 1993, ainsi que de manière informelle les 29 novembre 1993, 24 janvier et 7 février 1994 sous la présidence de Mme Geneviève Mottet-Durand.
Assistaient également aux travaux: M. Claude Haegi, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, ainsi que M. Pierre Ischi, directeur général du logement.
1. Généralités
Le présent projet de loi a pour objet d'institutionnaliser la concertation en matière de logement par la création d'une commission consultative. Elle serait chargée, entre autres, d'émettre des avis et de formuler des propositions à l'intention du Conseil d'Etat.
2. Historique
Dans l'exposé des motifs, Mme Torracinta-Pache et M. David Lachat, cosignataires de ce projet de loi, se plaisent à rappeler l'existence bien réelle de la concertation en matière de logement. A l'initiative des partis, notamment le parti socialiste, les sujets d'actualité ont été débattus lors de rencontres informelles en vue de trouver des points de convergence.
Le Conseil d'Etat, par le biais de la délégation du logement, a eu maintes fois l'occasion de consulter les milieux intéressés et de faire progresser la concertation chaque fois qu'il a été nécessaire de le faire.
D'autre part, la commission cantonale de recherche sur le logement et le Conseil de l'habitat ont fonctionné pendant de nombreuses années et semblent aujourd'hui plongées en léthargie, ce qui visiblement peinait les auteurs du projet de loi.
3. Travaux de la commission
D'entrée de cause, M. Lachat, avec la mesure qu'on lui connaît, a plaidé modérément pour son projet de loi, en soulignant que, malgré la quasi-disparition de la commission cantonale de recherche sur le logement et du Conseil de l'habitat, le DIAR, et particulièrement son chef de département, n'a jamais été en reste en matière de concertation. Toutefois, à ses yeux, le mécanisme légal de la commission consultative serait la partie contractuelle manquante pour atteindre le nec plus ultra de la concertation.
Le département a souhaité préciser que l'actuelle délégation du logement reçoit, selon le besoin, la demande, le problème posé, à son initiative ou à la leur, le ou les partenaires nécessaires, qu'ils soient communes, promoteurs, constructeurs, coopératives, représentants de locataires, etc.
De cette attitude constructive est ressorti un groupe de concertation triangulaire: Etat, Chambre genevoise immobilière (CGI) et Rassemblement pour une politique sociale du logement (RPSL), qui s'est réuni pour débattre, par exemple, des nouveaux taux d'effort, des aides fédérales et cantonales cumulées. Cette manière de pratiquer démontre, à l'envi, que rien d'important pour le logement ne se fait sans la concertation, dans les limites, bien entendu, de la sphère d'action de l'Etat.
C'est au bénéfice de ces explications que la commission a refusé l'entrée en matière par 5 non, 5 oui et une abstention, donnant la préférence à la souplesse de la pratique en vigueur.
Au tournant de la législature, de par le renouvellement de la commission, la majorité de la commission a jugé utile, après ce vote négatif, de refaire une concertation au sujet de la concertation. Le chef du département a rappelé, à l'endroit des nouveaux députés, les éléments qui ont constitué la concertation logement durant ces quatre dernières années. Il a fait notamment mention du «droit d'initiative» des participants pour agender ces séances et pour faire porter certains objets à l'ordre du jour.
Certains commissaires, adeptes de la concertation, continuent à douter de la bonne foi de cette pratique et persistent à défendre l'institutionnalisation de la concertation en matière de logement.
4. Conclusion
La majorité de la commission maintient son opposition à l'entrée en matière de ce projet de loi, mais pas à la concertation, qu'elle recommande de maintenir et de développer, dans son esprit et dans sa forme actuels, entre les différents partenaires concernés.
Nous vous recommandons donc, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre les recommandations de la majorité de la commission et de refuser l'entrée en matière.
RAPPORT DE LA MINORITÉ
Sous la présidence de M. Jacques-André Schneider, président, la commission du logement a examiné le projet instituant une commission consultative sur le logement dans ses séances des 3 mai et 6 septembre 1993. A l'issue de cette dernière séance, l'entrée en matière a été refusée par 5 oui, 5 non, et une abstention.
Certains députés de l'Alternative s'étant demandé ce qu'il était advenu du projet de loi 6821, la commission du logement, au début de l'actuelle législature et étant donné l'arrivée en son sein de nouveaux députés, a décidé de refaire le point et c'est ainsi que ce projet de loi a été à nouveau évoqué, au début de l'actuelle législature, lors des séances, sous la présidence de Mme Geneviève Mottet-Durand, présidente, des 29 novembre 1993, 24 janvier 1994 et 7 février 1994. Ces nouvelles discussions n'ont pas abouti à un vote formel.
De l'unanimité...
Chaque membre de la commission s'est plu à relever la nécessité et les mérites de la concertation pour la résolution des problèmes du logement à Genève. Tout le monde s'accorde également pour vouloir la concertation la plus efficace possible, susceptible de faire avancer les dossiers de manière pragmatique.
... aux divergences
La majorité de la commission est d'avis que la concertation actuelle suffit, articulée d'une part autour de la délégation du logement du Conseil d'Etat, et d'autre part sur la base de contacts directs entre les partenaires sociaux.
Il a été rappelé dans cette optique que la délégation du logement est à l'écoute de celles et ceux qui l'interpellent et qu'elle est en contact avec la Chambre genevoise immobilière et le Rassemblement pour une politique sociale du logement. Les journées cantonales du logement - il y en a eu trois à ce jour - organisées par le département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, s'inscrivent dans cette idée de la concertation.
Sans nier les vertus de la concertation directe entre partenaires sociaux, la minorité de la commission estime les formes actuelles de concertation comme largement insuffisantes, pour les raisons suivantes:
1. La concertation entre partenaires sociaux n'associe pas à son processus les pouvoirs publics. Le projet de loi 6821 a au contraire pour but de «favoriser la concertation entre les milieux intéressés et les pouvoirs publics», soit une concertation tripartite.
2. S'il est exact que la délégation du logement est à l'écoute de celles et ceux qui s'adressent à elle, elle ne se sent en revanche pas obligée d'informer les milieux intéressés sur les sujets importants, alors que le projet de loi 6821 prévoit que la commission «doit être consultée par le Conseil d'Etat au sujet de toute proposition importante». A titre d'exemple, on rappellera que, sans même informer les partenaires sociaux, le Conseil d'Etat a décidé que la pénurie de studios et d'appartements de 2 pièces n'existait plus à Genève, ouvrant par là la voie aux congés-ventes, et cela sur la base d'une statistique qui avait été interprétée deux mois plus tôt comme signifiant que la pénurie persistait à Genève dans toutes les catégories d'appartements. Cette affaire est révélatrice du manque de concertation, ou plus exactement d'une concertation dépendant du seul bon vouloir du Conseil d'Etat. Seule l'institutionnalisation de la concertation permet de s'assurer de son efficacité.
De la réduction des contradictions au sein de la commission
La majorité de la commission oppose comme deux politiques contraires la concertation non institutionnelle existant actuellement et la concertation institutionnalisée proposée par le projet de loi. Au lieu d'opposer ces points de vue, la minorité de la commission considère les deux types de concertations comme complémentaires, car elles ne sont en aucun cas exclusives l'une de l'autre. Bien au contraire, la concertation entre partenaires sociaux sortira renforcée de l'information qu'ils recevront par le biais de la concertation institutionnelle, et les affrontements entre les milieux intéressés d'une part et l'Etat d'autre part pourront dans la majorité des cas être évités ou à tout le moins réduits.
La commission proposée par le projet de loi 6821 ne doit pas être comprise comme un organe supplémentaire, bureaucratique et inutile, mais connue comme un cadre meilleur renforçant la concertation existant actuellement. L'importance de la concertation ne permet pas qu'elle soit laissée à la seule appréciation discrétionnaire des uns ou des autres, notamment s'agissant de la circulation de l'information, car pour qu'il y ait concertation, il faut qu'il y ait préalablement information.
Au moment où tout le monde s'accorde à reconnaître que le dialogue entre les partenaires sociaux et avec les pouvoirs publics doit être renforcé, on peut s'étonner du refus de définir les conditions permettant précisément de concrétiser et de garantir un tel dialogue.
Il est ainsi apparu à la minorité de la commission qu'il était contradictoire d'être pour une idée - le développement de la concertation - et contre sa concrétisation la plus élémentaire - la constitution d'une commission consultative.
On rappellera enfin que le modèle proposé est calqué sur celui de la commission consultative sur les questions énergétiques qui n'a, à ce jour, pas fait l'objet de critiques majeures.
En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité de la commission (5 oui, 5 non et une abstention) vous prie d'accepter d'entrer en matière sur le projet de loi instituant une commission consultative sur le logement.
PROJET DE LOI
instituant une commission consultative sur le logement
(I 5, 1,8)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
Institution
Il est institué une commission consultative sur le logement, rattachée au département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales.
Art. 2
Compétences
La commission a pour but de favoriser la concertation entre les milieux intéressés et les pouvoirs publics. Elle est chargée d'émettre des avis ou de formuler des propositions à l'intention du Conseil d'Etat sur les questions relatives à la politique cantonale du logement. Elle doit être consultée par le Conseil d'Etat au sujet de toutes propositions importantes en cette matière.
Art. 3
Composition
a)
b)
c)
d)
e)
f)
La commission se compose:
. .
du directeur de la direction générale du logement;
d'un représentant du département des travaux publics et de l'énergie;
de 2 représentants des exécutifs communaux, proposés par l'Association des communes genevoises;
de 4 représentants des organisations représentatives des milieux immobiliers;
de 4 représentants du Rassemblement pour une politique sociale du logement.
Art. 4
Nomination
et durée du
mandat
1 Les membres de la commission sont nommés par le Conseil d'Etat, sur proposition des départements, associations et organisations intéressées.
2 La durée de leur fonction correspond à la législature du Grand Conseil.
3 Dans le cas de démission ou de vacance, il est procédé à leur remplacement conformément à la procédure prévue à l'alinéa 1.
Art. 5
Présidence
et secrétariat
1 La commission est présidée par le conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales.
2 Elle désigne un vice-président, choisi parmi ses membres.
3 Le service de la direction générale du logement assure le secrétariat de la commission.
Art. 6
Fonctionne-
ment
La commission se réunit aussi souvent que cela est nécessaire, mais au minimum 4 fois par an, sur convocation de son président.
Art. 7
Idemnité
Les membres de la commission reçoivent un jeton de présence fixé par le Conseil d'Etat.
Art. 8
Secret de
fonction
Les membres de la commission ainsi que toute personne appelée à participer aux travaux de celle-ci sont tenus au secret, conformément à l'article 3 de la loi concernant les membres des commissions officielles, du 24 septembre 1965.
Premier débat
M. Laurent Moutinot (S), rapporteur. En relisant mon rapport, j'ai constaté avoir omis un argument qui pourrait permettre à certains de changer d'opinion.
Le 18 décembre 1993, l'article 10 a) (nouveau) est entré en vigueur sur la politique du logement. Il est prévu à la lettre h) que la République doit instaurer, je cite : «Une politique active de concertation en cas de conflit en matière de logement.».
Par conséquent, il s'agit d'un mandat constitutionnel, prévu, il est vrai, pour le cas de conflit. Mais, dans la mesure où mieux vaut prévenir que guérir, ce serait faire preuve de respect de la volonté du souverain que d'entrer en matière sur le projet de loi qui vous est soumis.
La deuxième raison est que les quelque vingt-cinq projets en matière de logement annoncés par la Tribune, si j'ai bien compris ce qu'elle en disait, qui n'ont, à ce jour, été soumis à personne, me paraissent rendre l'information absolument nécessaire et, par conséquent, la concertation.
On fait un faux débat en voulant opposer la concertation spontanée qui, de toute évidence, est une bonne chose, et la concertation institutionnelle qui offre l'avantage que les règles du jeu sont connues et permet surtout de faire circuler les informations nécessaires à la concertation spontanée.
Loin d'opposer ces deux types de concertation, il faut les considérer toutes deux comme nécessaires, et c'est la raison pour laquelle je vous invite à suivre le rapport de minorité.
Mme Claire Torracinta-Pache (S). En tant que coauteur de ce projet de loi, permettez-moi de rappeler quelques éléments qui ont précédé son dépôt.
En janvier 1989, j'ai proposé, au nom du groupe socialiste, la motion 545 concernant la concertation en matière de logement. Elle invitait le Conseil d'Etat à lui présenter un bilan de l'activité du conseil de l'habitat et de la commission cantonale de recherche sur le logement et, en deuxième invite, à étudier la possibilité de les remplacer par un groupe de représentants des milieux concernés : autorités, promoteurs, utilisateurs, bien décidés à mener une véritable politique en matière de logement.
Cette motion a été acceptée à l'unanimité de notre parlement - cela mérite d'être souligné - et a donc été renvoyée au Conseil d'Etat. Notre inquiétude au sujet de l'activité de ces deux instances avait sa raison d'être. Vous savez que, pour l'une d'entre elle, elle ne s'était réunie que deux fois depuis sa création, qui datait de six ou sept ans en arrière, et on n'avait aucune information sur le travail de ces deux structures.
Trois ans après, le Conseil d'Etat a répondu à la motion par un rapport totalement inconsistant, une vingtaine de lignes ignorant totalement la première invite. Je suis navrée, Monsieur Haegi, je répète ce que j'ai dit à l'époque, à savoir que ce rapport était indigne du conseiller d'Etat concerné ou du fonctionnaire qui l'avait rédigé. Le débat s'est très vite enflammé ce fameux soir, comme c'était souvent le cas à l'époque lorsque nous parlions de logement. Il est vrai que la faiblesse du rapport pouvait être considérée comme une provocation.
A cette occasion, M. Lachat qui, entre-temps, était devenu député, a annoncé que nous allions déposer un projet de loi sur la création d'une commission consultative sur le logement, projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Ce projet a été renvoyé en préconsultation sans opposition et sans aucune discussion à la commission du logement.
Que constate-t-on aujourd'hui ? Malheureusement, en matière de concertation, justement, nous n'avons pas réussi à nous concerter suffisamment et à nous mettre d'accord. Nous voici en face de deux rapports aux conclusions totalement opposées. Je le regrette d'autant plus que je ne comprends pas très bien les conclusions du rapport de majorité. Comment peut-on être favorables à la concertation tout en refusant de l'inscrire dans la loi ?
Notre projet de loi a encore sa raison d'être. S'il est évident - et nous le reconnaissons bien volontiers - que de sensibles améliorations ont été apportées dans la concertation sur le logement par la volonté du chef du département, par celle des représentants des milieux concernés comme par celle des différents partis politiques, rien n'est tout de même jamais définitif. En effet, les personnes peuvent changer, les situations également, et il nous semble qu'une structure légale nous éviterait de retomber dans l'affrontement constant que nous avons connu sur ces bancs pendant des années.
Comme l'a expliqué M. Moutinot dans son rapport, notre projet de loi va plus loin puisqu'il prévoit une commission tripartite devant être consultée sur toute proposition en matière de logement. La disparition de la pénurie en matière de petits logements, deux-pièces ou studios, décrétée par le Conseil d'Etat, a suscité des remous et des réactions très vives dans les milieux des locataires. Ces réactions auraient pu être évitées si le sujet avait été traité par la commission que nous réclamons.
Voilà pourquoi nous maintenons notre projet de loi. Nous vous recommandons d'accepter les conclusions du rapport de minorité, même si certains estiment qu'il y a détente sur le marché du logement, car le sujet reste extrêmement sensible. Il y a encore beaucoup à faire et les affrontements en la matière seraient totalement contre-productifs.
M. Florian Barro, rapporteur. Pour répondre aux préoccupations de Mme Claire Torracinta-Pache sur les conclusions de la majorité de la commission et pour orienter un peu le sens de cette phrase, elle découle simplement du fait que lors de l'entrée en matière dans ce débat, M. Lachat a rappelé qu'il n'était pas absolument «accroché» à ce projet de loi mais qu'il entendait bien, en le présentant à la commission du logement, en faire un projet pour que subsiste et se développe une concertation, telle qu'elle a été vécue jusqu'ici.
Les conclusions de la commissions vinrent après les propos de M. Haegi qui a confirmé qu'il s'agissait de développer ce type de concertation chaque fois que cela a été nécessaire. Il nous a assuré que ce mode de faire était pour lui le plus souple et le meilleur et qu'il s'inscrivait parfaitement dans l'esprit de M. Lachat, en tout cas au moment où il nous l'a présenté. La conclusion est de dire que l'on peut très bien continuer en l'état, et il n'y a pas besoin de créer des structures lourdes, surtout si l'on n'a rien à se dire.
D'autre part, et pour conclure, j'ajouterai que dans l'exposé des motifs qui était avec ce projet de loi une référence était faite à la commission consultative sur l'énergie - je ne connais pas le nom exact - et l'exposé des motifs précisait que cette commission se réunissait à satisfaction, ou fonctionnait à satisfaction. Toutefois, cette commission est quelque peu similaire au conseil de l'habitat, comme vous l'avez relevé, en ce sens qu'elle ne s'est pas réunie assez souvent pour avoir suffisamment de points de discordance.
M. René Koechlin (L). Comme à leur habitude, les milieux de gauche, et avec eux les auteurs de ce projet de loi, sont convaincus ou simplement s'imaginent que l'on résout un problème en créant une commission, un peu comme les Papous qui, à la vue d'un aéroplane, s'imaginèrent pouvoir voler en singeant un avion au moyen de morceaux d'étoffe étalés sur le sol en forme de croix. (Sourires, quolibets.)
Institutionnaliser la concertation relève du même genre d'illusion. Elle ne peut se satisfaire des oripeaux d'une commission, car la concertation n'existe qu'en fonction de la motivation des intéressés. Toute concertation véritable n'a lieu que lorsque les personnes concernées y font appel parce qu'ils la souhaitent et la jugent nécessaire. A défaut, elle est une fiction comme la commission que ce projet de loi voudrait instaurer.
Dürrenmatt, dans «Hercule et les écuries d'Augias», a dit : «Quand un gouvernement ne sait comment résoudre un problème, il nomme une commission qui nomme une autre commission qui nomme une sous-commission qui nomme un groupe de travail, de sorte que rien ne se produit et le problème est noyé.».
M. Jean-Pierre Lyon. Ça fait cinquante ans que vous faites ça !
M. René Koechlin. Pour le moment, c'est vous qui proposez de noyer les problèmes en nommant une commission, Monsieur, ce n'est pas nous !
M. Jean-Pierre Lyon. Ça dure depuis la guerre...
M. Jean-Pierre Koechlin. Enjoignons plutôt, Monsieur, les partenaires socio-économiques à se concerter. Cela, nous pouvons le faire. Reprenons entre nous, comme nous l'avons fait précédemment... Vous n'étiez pas là, Monsieur, alors taisez-vous ! (Rires.) Reprenons la concertation politique comme nous la pratiquions précédemment à propos du logement. Cela avait lieu dans les locaux du parti socialiste, un de vos proches partis, Monsieur !
Si vous avez des critiques à formuler au Conseil d'Etat, vous pouvez les exprimer sous forme d'interpellation, de motion, de résolution ou même de projet de loi. Mais ne vous donnez pas bonne conscience en évacuant le problème dans une commission qui ronronnera comme tant de ces commissions extraparlementaires. C'est la raison pour laquelle notre groupe vous invite à suivre, naturellement, le rapport de majorité et à rejeter ce projet de loi.
M. Jean Opériol (PDC). Je serai probablement moins lyrique que mon ami Koechlin, mais néanmoins, j'abonderai dans son sens en rappelant certaines vérités qui sont des faits, et comme les faits sont têtus ils sont incontestables. J'inviterai simplement ce Grand Conseil à rejeter ce projet de loi que, d'ailleurs, M. Lachat a proposé sans conviction.
Je rappelle qu'il existe à Genève une concertation dite officielle, et une autre, officieuse. La concertation officielle émane de la délégation du logement qui, à chaque occasion jugée utile, convoque les partenaires au logement, à savoir, le Rassemblement et la Chambre genevoise immobilière, pour les amener à se concerter autour d'une table.
Je rappellerai, et M. Ferrazino ne me contredira probablement pas, que les exemples sont nombreux qui montrent que la concertation, dès l'instant qu'elle est prise en main par les partenaires responsables, fonctionne. Nous disposons, par exemple, de baux commerciaux, de baux d'appartements qui sont tous conçus sur une base paritaire. Ils ont été conçus par les partenaires autour d'une table, en toute quiétude et en toute harmonie. Nous avons aussi d'autres contrats - je n'entrerai pas dans le détail. Une convention de chauffage a été mise sur pied à force de discussions sur une base concertée et paritaire. En un mot, les exemples ne sont pas si peu nombreux que nous ne puissions nous y référer.
A mon avis, c'est ne pas reconnaître les efforts qui ont été faits à ce jour par des agents à la concertation, ceux qui se sont occupés de faire progresser la situation du logement. Et enfin, c'est remettre en cause, d'une certaine manière, une paix du logement qui existe aujourd'hui.
Cette concertation, telle qu'elle nous est proposée par ce projet de loi, n'est rien d'autre qu'un alourdissement du carcan législatif qui paralyse le logement, et c'est la raison pour laquelle nous devons aujourd'hui rejeter cet alourdissement.
M. Laurent Moutinot (S), rapporteur. Je désire juste, Monsieur Opériol, que vous ne confondiez pas la modération de David Lachat avec sa prétendue mollesse. Je l'ai interpellé avant ce débat. Il reste parfaitement convaincu de la valeur de son projet de loi, tout comme sa partenaire dans ce projet de loi, Claire Torracinta-Pache, qui n'a pas non plus changé d'avis à ce propos.
M. Jean-Pierre Gardiol (L). Je soutiens le rapport de majorité et tiens juste à compléter une ou deux choses, développées par MM. Opériol et Koechlin, et je peux confirmer qu'il n'y a pas besoin de légiférer pour que la concertation fonctionne.
La preuve en est que, pas plus tard que la semaine dernière, une réunion du groupe de concertation auquel j'ai participé a eu lieu. Elle s'est déroulée dans une bonne atmosphère, les problèmes abordés étaient intéressants et traités de manière constructive. Malheureusement, le consensus n'a pas pu être trouvé sur tous les problèmes, mais la concertation s'est déroulée d'une manière totalement démocratique.
En fonction de mes expériences, je vous invite à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, car la «légiférite», chère aux avocats, M. Moutinot nous l'a démontré au début de son intervention, ne vient pas arranger la concertation. C'est une question d'hommes et de femmes et non pas de lois.
Une voix. Ben ça c'est causé !
M. Christian Ferrazino (AdG). Je répondrai à M. Gardiol sur la «légiférite» qui serait chère aux avocats. J'avais cru comprendre qu'elle était plutôt chère au parti libéral qui a annoncé, pas plus tard qu'il y a une semaine, le dépôt d'une vingtaine de projets de lois. Je ne sais pas comment vous appelez cela, Monsieur Gardiol ?
Plutôt que d'annoncer, par une conférence de presse, les projets de lois que vous n'avez pas encore faits mais que vous pensez déposer prochainement, vous pourriez, beaucoup plus utilement dans le cadre d'une commission de concertation, en parler avec vos partenaires, et c'est précisément le but d'une concertation telle que David Lachat souhaitait l'instaurer : réunir les partenaires sociaux pour discuter avant les grands débats en plénière du Grand Conseil et ainsi parler des problèmes qui se posent en rapport avec un certain nombre de ces projets de lois.
Il est vrai que nous nous sommes réunis voici quelques jours, et nous n'étions guère étonnés d'avoir reçu cette convocation une semaine avant la séance plénière qui devait traiter des sujets de la concertation; disons que le contraire nous aurait plutôt surpris, à savoir de ne pas l'avoir reçue ou de la recevoir après cette séance.
Mais admettons que ce soit un heureux hasard, car on ne s'était pas vu depuis quelque six mois. Eh bien, Monsieur Gardiol, nous y avons assisté ensemble, et mon ami Lachat y était aussi. Vous aurez certainement entendu ce qu'il vous a dit, et qu'il a eu l'occasion de rappeler à tous les participants, y compris à vous, Monsieur le président Haegi, qu'il s'étonnait de voir comment les choses avaient évolué depuis qu'il avait quitté ce Grand Conseil, car, à ce jour, il n'avait jamais vu de séances de ce type.
C'est vous dire que la situation, telle qu'elle se révèle aujourd'hui, rend d'autant plus nécessaire l'instauration d'une vraie concertation, car celle à laquelle vous faites allusion, Monsieur Opériol, existe et heureusement que les partenaires sociaux peuvent se rencontrer et mettre sur pied des baux paritaires, des conventions de chauffage, car si on n'arrivait pas le faire, ce serait assez inquiétant.
Mais la concertation proposée par ce projet de loi n'est pas mise en concurrence avec celle qui existe aujourd'hui. C'est un complément de la concertation que nous pratiquons quotidiennement et qui est d'autant plus nécessaire, Laurent Moutinot en a rappelé quelques exemples tout à l'heure, que le Conseil d'Etat, semble-t-il, modifie un certain nombre de règlements, prend des décisions dont nous prenons connaissance par la presse, par les médias sans consultation préalable. Forcément, des réactions émergent et un certain nombre de recours se font jour. Actuellement, les procédures se multiplient et cela va continuer.
Vous pouvez souhaiter que les choses évoluent de cette façon, mais il ne faut pas laisser croire que vous êtes pour la concertation tout en étant contre l'élément qui pourrait permettre de l'instaurer et de la concrétiser.
Voilà donc une des idées de ce projet déposé par David Lachat. C'est celle de rappeler que la concertation présuppose l'information, car, pour discuter, il faut encore savoir ce que sont les projets que le Conseil d'Etat est en train de mettre sur pied. Nous avons connu quelques exemples montrant que cette concertation est totalement inexistante.
Je rappelle que la concertation ne s'adresse pas seulement à M. Haegi, président du DIAR...
M. Clause Haegi, président du Conseil d'Etat. DIER !
M. Christian Ferrazino. Oui, vous êtes dans la nuance des consonnes, Monsieur le président.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Des voyelles !
M. Christian Ferrazino. M. Maitre est toujours très attentif aux choses importantes. Je vous remercie, Monsieur Maitre. (Eclats de rires et bravos.) Ce projet de loi intègre également dans cette concertation le département de M. Joye. Et Dieu sait si ce département fait parler de lui en ce moment ! Non seulement on en parle au sujet des zones agricoles, mais surtout en ce qui concerne les autorisations délivrées de façon totalement incompréhensible pour des projets de construction...
Une voix. Cela crée des emplois !
M. Christian Ferrazino. Oui, cela crée des emplois. On connaît votre rengaine. Tout à l'heure, j'aurai l'occasion de revenir sur cette question, puisque certains sujets de notre ordre du jour sont proches de cette dernière.
Mais sur ce point, je voudrais signaler que l'article 3 de ce projet de loi, pour ceux qui l'auront lu, prévoit d'intégrer également deux représentants des travaux publics et de l'énergie. La concertation, si elle doit exister, doit l'être de façon générale dans l'ensemble des départements concernés. Cela implique que des représentants des pouvoirs publics, du département de M. Haegi - vous voyez, Monsieur le président, que j'évite le problème des voyelles - et des représentants du département de M. Joye, soient présents avec les partenaires sociaux.
Le président. Est-il possible de passer la parole au Conseil d'Etat ?
M. Jean-Pierre Gardiol (L). Sans méchanceté de ma part, M. Ferrazino tient à peu près toujours le même discours. (Rires.) Lorsque vous estimez que les gens ont mal voté, c'est parce qu'ils n'ont soi-disant pas compris. C'est la même chose avec la concertation. Lorsque nous ne sommes pas d'accord avec vous, vous estimez qu'il n'y a pas de concertation. Plus le temps passe, Monsieur Ferrazino, et plus vous me laissez songeur sur votre conception de la concertation et de la démocratie.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Lorsque le conseil d'habitat existait et la commission cantonale de recherche sur le logement aussi, il n'y avait pas de réunion et pas de concertation. D'ailleurs, Mme Torracinta-Pache l'a elle-même relevé tout à l'heure.
C'est dire qu'il ne suffit pas - comme le relevaient d'ailleurs plusieurs d'entre vous - d'avoir des bases législatives pour que des réunions aient lieu et que la concertation soit pratiquée dans de bonnes conditions.
Ce soir, en vous invitant à suivre le rapporteur de majorité, je ne vous invite pas à renoncer à la concertation, mais je prends devant vous l'engagement que j'avais pris voici quatre ans. Nous nous sommes engagés dans cette voie. Jamais, et cela a été reconnu par tous, nous ne nous sommes autant vus, même si on peut regretter de ne pas avoir traité certains sujets, qu'au cours de ces dernières années.
Ce soir, je précise à ceux qui l'ignoreraient que le Conseil d'Etat a maintenu la délégation du logement formée de trois conseillers d'Etat qui sont disponibles pour recevoir ceux qui voudraient interpeller le Conseil d'Etat sur tout problème concernant le logement, qu'il s'agisse d'associations, de communes ou simplement de groupements d'habitants de notre canton.
Le groupe de concertation n'a en effet aucune base légale, mais il s'est réuni régulièrement au cours de la législature précédente. Il a permis de faire l'unanimité sur la loi générale concernant le logement et poursuit son activité. Je vous rappelle, Monsieur Ferrazino, qu'il se réunit à la demande de n'importe lequel des trois partenaires, puisqu'il est triangulaire, soit le Rassemblement, la Chambre genevoise immobilière, et mon département pour la partie sociale du logement. A la fin de chaque séance - vous le savez bien - je vous demande s'il y a un sujet dont vous désireriez que l'on traite dans le groupe de concertation. Pour le surplus, vous pouvez m'interpeller lorsque vous désirez que le groupe de concertation se réunisse.
Cela ne nous prive pas de la possibilité d'avoir des contacts directs selon la nature des sujets - j'en ai avec le Rassemblement pour une politique sociale du logement, avec la Chambre genevoise immobilière et avec les métiers de la construction. Nous avons aussi institué des journées cantonales du logement durant lesquelles nous étudions des cas précis, de manière plus technique d'ailleurs, hors - dirais-je - des pressions politiques. Ces journées ont eu un réel succès.
C'est pourquoi vous n'avez aucune raison, si vous entendez soutenir une politique active en matière de concertation, de suivre cette proposition. D'ailleurs, en suivant le rapport de majorité, je me demande si, quelque part, vous ne vous inspirez pas des doutes qui ont même saisi le député Lachat, car en effet, il avait décidé de surseoir à ce projet, peu convaincu qu'il était à un moment donné de la nécessité absolue de ce projet. Il l'a clairement dit. Mais il est vrai que, s'il était parmi nous aujourd'hui, il interviendrait en faveur de la création de ce qui a été proposé par Mme Torracinta-Pache.
Mais ces doutes expriment bien les sentiments qu'on peut avoir lorsque l'on propose d'institutionnaliser un groupe qui fonctionne en tenant compte des besoins réels et s'y adapte. C'est la raison pour laquelle, en votant le rapport de majorité, vous voterez pour la poursuite d'une politique de concertation. Ainsi, ceux qui pourraient être battus si le vote allait dans ce sens n'ont rien à craindre, la concertation se poursuivra.
Le président. Le projet est mis aux voix.
(M. Lyon conteste le résultat.)
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
L'adjoint du sautier compte les suffrages.
Ce projet est rejeté par 47 voix contre 40.