République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 11 mars 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 5e session - 7e séance -autres séances de la session
No 7
Séance extraordinaire
Vendredi 11 mars 1994,
soir
Présidence :
M. Hervé Burdet,président
La séance est ouverte à 17 h.
Assistent à la séance: MM. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, Olivier Vodoz, Jean-Philippe Maitre, Guy-Olivier Segond, Philippe Joye, Gérard Ramseyer et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat.
1. Exhortation.
Le président donne lecture de l'exhortation.
Le président. J'ouvre cette séance extraordinaire du Grand Conseil convoquée conformément à l'article 10, et dans les formes prévues à l'article 7 et à l'article 8 de notre règlement, à la demande de trente députés.
2. Personnes excusées.
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Florian Barro, Fabienne Blanc-Kühn, Jacques Boesch, Jean-Pierre Gardiol, Isabelle Graf, Janine Hagmann, Michel Halpérin, Claude Lacour, Jean Opériol, Laurent Rebeaud et Claire Torracinta-Pache, députés.
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- que la menace de disparition qui plane sur le journal «La Suisse» se concrétise de jour en jour;
- que ce journal joue un rôle important dans la vie genevoise;
- qu'il est hautement souhaitable de bénéficier d'une presse diversifiée;
- que, d'autre part, la disparition de «La Suisse» impliquerait la suppression de près de 350 emplois;
- que les pouvoirs publics doivent tout entreprendre pour tenter de maintenir en vie des entreprises qui forment le tissu économique de notre canton et sauver les emplois qui en dépendent,
invite le Conseil d'Etat
1) à tout entreprendre pour assurer la survie du journal «La Suisse», en étroite collaboration avec le personnel du journal;
2) à intervenir auprès des grandes banques, et plus particulièrement auprès de la Banque cantonale, pour que celles-ci accordent un appui financier à la nouvelle société qui pourrait être créée par les membres du personnel afin d'assurer la poursuite de la parution du journal, si ce projet s'avère économiquement viable;
3) à rendre rapport, vu l'urgence, dans les 10 jours au Grand Conseil.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Devant la grave crise que traverse notre canton, le maintien de chaque emploi est devenu prioritaire, ce d'autant plus que la création de nouveaux emplois et surtout de nouvelles entreprises constitue une oeuvre de longue haleine.
Le maintien des entreprises existantes est donc primordial, surtout lorsqu'elles jouent, comme dans le cas d'espèce, un rôle économique et social important.
En ce qui concerne plus particulièrement le journal «La Suisse», il s'avère que l'état d'endettement de la société éditrice est tel que son «sauvetage» paraît aujourd'hui extrêmement aléatoire.
Par contre, l'outil de travail est à disposition et le produit (le journal) répond non seulement à une demande réelle, mais encore connaît un chiffre de vente important.
La poursuite de la parution du journal apparaît donc comme un objectif souhaitable sur le plan économique et devrait être économiquement viable, si les frais du journal ne sont pas grevés de la charge financière insupportable résultant des dettes contractées par la société éditrice actuelle.
Le personnel de «La Suisse», qui a été trop longtemps tenu à l'écart des problèmes de gestion du journal, propose aujourd'hui de créer une nouvelle société éditrice, sous forme d'une société coopérative qui se substituerait à SONOR SA (sans en reprendre les dettes) et publierait le journal, le cas échéant, sous un titre modifié.
Les responsables du personnel sont convaincus qu'un tel projet peut être économiquement viable dans la mesure où la nouvelle société éditrice ne doit pas assumer les dettes de SONOR SA, ce qui, sur le plan juridique, ne pose pas de problème, ce d'autant plus que le centre d'impression de Vernier, qui imprime également d'autres journaux, dépend d'une société anonyme aujourd'hui totalement indépendante de SONOR SA.
Il est du reste vraisemblablement déterminant pour la survie de cette seconde entreprise qu'elle puisse continuer à imprimer un important journal.
La reprise de l'édition de «La Suisse» par une nouvelle société implique que celle-ci bénéficie d'un capital de départ sour forme d'un fonds de roulement.
Ce fonds pourrait être accordé par la nouvelle banque cantonale, ce qui correspondrait à la vocation ayant présidé à sa création, ou par d'autres banques.
S'il paraît en effet difficile d'envisager que la Banque cantonale renfloue des sociétés dont l'endettement est devenu intolérable, il est par contre indispensable que la Banque cantonale - surtout dans la situation actuelle que connaît notre canton - apporte son soutien à des entreprises qui ont un avenir et plus particulièrement à des entreprises nouvelles qui partent sur la base d'une situation assainie ou franche de dettes.
Il paraît ainsi essentiel d'apprécier au plus vite le projet du personnel de «La Suisse» et de lui accorder le soutien qu'il mérite, s'il s'avère viable, en utilisant le cas échéant à cette fin le capital-risques de la Banque cantonale à l'économie genevoise.
Au bénéfice des observations qui précèdent, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver le meilleur accueil à la présente proposition de motion.
Débat
Le président. Une lettre sera distribuée en rapport avec cet objet de l'ordre du jour qui émane de la Société des rédacteurs et de la coalition ouvrière du journal «La Suisse». Je prie les huissiers de bien vouloir distribuer cette lettre.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Depuis plusieurs années, le paysage médiatique romand et genevois a considérablement évolué et plusieurs publications ont disparu. Certains quotidiens ont dû revoir leur politique en devenant hebdomadaires ou en unissant leurs efforts avec un autre journal romand.
Genève figure parmi les régions de Suisse ayant le plus grand nombre de quotidiens. La baisse récente des recettes publicitaires ainsi que la nécessité de procéder à d'importants investissements pour s'adapter aux nouvelles techniques d'impression et de transmission des informations ont rendu difficile l'équilibre budgétaire de la presse écrite. A cela s'ajoute une concurrence toujours plus vive entre les groupes de presse, notamment la radio avec le développement des FM, et la télévision qui ont augmenté leur part de recettes sur le marché publicitaire.
Dans cette situation, le journal «La Suisse» a dû revoir sa stratégie en limitant sa pagination, son équipe rédactionnelle et ses dépenses de fonctionnement. Le département de l'économie publique a suivi activement l'évolution de cette situation. Il est resté constamment en relation avec l'ensemble des partenaires concernés et a permis à Sonor SA de recourir au chômage partiel pendant sept mois pour permettre à l'entreprise de se restructurer en limitant les effets néfastes pour le personnel.
Malgré tous ces efforts, Sonor SA n'a pas pu faire face à ses engagements, exposant ainsi d'autres sociétés, en particulier le centre d'impression de Vernier qui imprime le «Journal de Genève», «Construire», «GHI», «Extension», ainsi qu'une vingtaine d'autres publications.
Le propriétaire du journal ainsi que d'autres sociétés se sont efforcés de trouver des moyens financiers pour faire face à leurs charges, mais ils ne sont pas parvenus à réunir les fonds nécessaires. L'entreprise est donc en situation de faillite. Trois commissaires ont été désignés par la justice pour faire le point de la situation et proposer des solutions.
Au terme de leur analyse, ils ont proposé l'assainissement de la situation financière du centre d'impression de Vernier, un abandon partiel des créances hypothécaires de la Banque cantonale, la diminution du «leasing» accordé par Crédit Suisse Holding, ainsi qu'une diminution substantielle du droit de superficie de la Ville de Genève pour les terrains occupés par le centre d'impression à Vernier.
La reprise du titre et du fichier d'adresses par Edipresse se ferait moyennant le versement de 5 millions. L'impression de la «Tribune de Genève» au centre d'impression de Vernier serait garantie pendant dix ans. Aujourd'hui, nous avons obtenu l'accord de la Ville de Genève. Le Conseil administratif ayant délibéré ce matin, il nous a remis au début de l'après-midi une lettre confirmant sa position dans la mesure où cette décision était une contribution déterminante à une solution que nous essayons de trouver.
D'autre part, à la suite d'une séance extraordinaire du comité de banque de la Banque cantonale de Genève, nous avons également obtenu l'accord que nous espérions. Les tractations avec le Crédit Suisse Holding se poursuivront de manière à obtenir le même effort.
Le Conseil d'Etat a veillé à ce que les commissaires puissent approfondir d'autres contacts avec des repreneurs potentiels en Suisse romande ou en Suisse alémanique. Le Conseil d'Etat constate que l'offre d'Edipresse, retenue par les commissaires, est la seule qui se soit concrétisée. La réalisation de l'ensemble des dispositions de cet accord représente un engagement direct ou indirect de l'ordre de 16 à 18 millions de francs de la part du groupe Edipresse en faveur de Sonor SA et de ses employés.
L'offre d'Edipresse permet de sauvegarder près de cent quatre-vingts emplois sur les quatre cent vingt actuels. Cependant, il faut préciser que ces chiffres ont été élaborés dans la perspective de la création d'une publication dominicale de «La Suisse» par une équipe du personnel du journal.
Ce projet n'est pas contesté par le repreneur, M. Lamunière, qui est disposé à soutenir ce projet en facilitant la distribution de cette publication, voire même en mettant à disposition quelques fonds pour son lancement.
Dans ces conditions, le Conseil d'Etat espère que les commissaires pourront obtenir l'accord de M. Nicole sur cette transaction, ou, à défaut, qu'ils prendront les mesures permettant sa réalisation dans les délais impartis. Dans toute cette transaction, nous nous sommes efforcés de trouver une solution durable, réaliste, et qui demande à chacune des parties de contribuer équitablement à la mise en place de la solution.
M. Christian Ferrazino (AdG). Je remercie le président du Grand Conseil et le Bureau d'avoir accepté de convoquer cette séance dans les très brefs délais impartis. En effet, la demande en a été faite mardi dernier vu l'urgence de débattre de la survie du journal «La Suisse».
Nous avons dû déposer la motion que vous avez reçue en annexe à la convocation dans des délais extrêmement brefs également, puisque Mmes Bugnon, Reusse-Decrey, M. Beer et moi-même ne disposions que de quelques heures pour la rédiger.
Vous aurez vu que cette motion est fondée sur trois objectifs. Tout à l'heure, je répondrai aux nouvelles propositions faites par le président du Conseil d'Etat. Au préalable, je désire recentrer le débat, car, dans l'intervention de M. Haegi, un seul élément a été mis en avant, celui de la situation d'Edipresse. Je remarque que l'on fait bien peu de cas de celle de «La Suisse» et des emplois qui s'y rattachent.
Les trois éléments que nous avons pris en compte dans cette motion sont, d'une part, le souci fondamental de garantir la diversité de la presse en essayant de sauver un journal qui joue, qu'on le veuille ou non, un rôle important dans la vie genevoise. A ceci s'ajoute, d'autre part, un enjeu industriel puisque la disparition du journal entraînerait la suppression de nombreux emplois sans parler du phénomène «dominos» qui ne ferait qu'alourdir les chiffres que l'on connaît déjà.
Enfin, il nous semble que les pouvoirs publics devraient soutenir la solution proposée par le personnel du journal «La Suisse», solution dont on a fait peu de cas dans l'intervention que je viens d'entendre et qui nous paraît être, en l'occurrence, la seule réaliste. J'expliquerai pourquoi tout à l'heure. Nous demandons au Conseil d'Etat de tout mettre en oeuvre afin que le projet qui vient d'être adopté par l'assemblée des travailleurs de «La Suisse» puisse se réaliser.
Dans cette affaire, il a fallu que les travailleurs de l'entreprise trouvent eux-mêmes une solution après avoir été longuement mis à l'écart de toutes ces transactions et après avoir été menés en bateau par des promesses qu'on leur faisait miroiter.
Aujourd'hui, ce projet existe et les travailleurs l'ont qualifié de solution de la dernière chance. C'est fait - vous l'avez vu - une société a été créée à la quasi-unanimité de tous les employés du journal, tous secteurs confondus. Ils ont créé une société coopérative qui consiste à se substituer à Sonor SA sans avoir à examiner les modalités selon lesquelles les dettes monumentales de Sonor SA pourraient être comblées.
Le problème n'est donc pas là puisque cette société nouvelle existe indépendamment de toute dette de Sonor SA. Elle essaie de poursuivre la publication du journal sous un nouveau nom. En effet, vous savez que l'assemblée constituante de cette société coopérative a décidé de prendre pour nom, «La Nouvelle Suisse», ce qui permettra, le cas échéant, de ne pas avoir à débourser des fonds pour le rachat du titre dont M. Haegi a fait état tout à l'heure. J'y reviendrai au cours du débat.
Dans la période de morosité économique actuelle, on ne peut que saluer une telle démarche de la part du personnel de «La Suisse», d'autant plus qu'elle a pour objectif - je le répète une fois encore - de sauver de nombreux emplois. Cette situation est exemplaire en ce sens que les travailleurs essaient de prendre en main leur destin pour permettre de sauver l'entreprise qui les occupe.
Ce projet est bloqué et mis en cause, car cette nouvelle société, qui a pris une forme coopérative, ne peut pas obtenir l'accord du centre d'impression de Vernier pour la publication du journal. Pourquoi, Monsieur le président, je ne crois pas que vous l'ayez précisé dans votre intervention ? Car les représentants du centre d'impression déclarent ne pas s'opposer à la publication de «La Nouvelle Suisse», mais pour autant que M. Lamunière d'Edipresse soit d'accord avec cette conception.
En d'autres termes, si M. Lamunière devait refuser - et c'est ce qu'il a fait, vous le savez parfaitement - que «La Nouvelle Suisse» soit publiée au centre d'impression de Vernier, ledit centre d'impression n'accepterait pas de publier le journal. Ainsi, nous nous trouvons dans la situation inadmissible d'un monopole où Edipresse, par le truchement de M. Lamunière, dicte ses lois en refusant, notamment, de prendre un quelconque accord avec la nouvelle société qui vient d'être créée.
Cette situation est particulièrement grave, non seulement sur le plan économique, mais pour le secteur de la presse où, je le répète, la diversité est fondamentale. Je vous demande, Monsieur le président, si vous désirez vraiment une situation de la presse comme dans le canton du Valais, où «Le Nouvelliste» fait la pluie et le beau temps et n'hésite pas à indiquer à ses lecteurs ce qu'ils doivent voter. En effet, lorsqu'on a le monopole de la presse, il n'y a pas lieu de se fixer des limites !
Le centre d'impression de Vernier, Monsieur le président, est entre les mains de certaines banques qui, j'en suis sûr, sont connues du Conseil d'Etat. Il me semble qu'il appartient à l'exécutif cantonal d'intervenir auprès de ses commanditaires pour mettre fin à ce qu'il convient d'appeler un détestable chantage. Il est inadmissible d'accepter, les bras croisés, la situation de monopole qui se développe dans le domaine de la presse à Genève.
Le centre d'impression de Vernier ne doit pas - et c'est mon voeu le plus cher - se soumettre aux ukases de M. Lamunière. Malheureusement, c'est ce qu'il semble faire aujourd'hui. La situation actuelle est l'expression d'un monopole. Dès lors, nous attendons du Conseil d'Etat qu'il mette tout en oeuvre pour permettre d'assurer la poursuite de la parution du journal en intervenant directement, tant auprès de M. Lamunière et d'Edipresse que du centre d'impression de Vernier, afin que la solution réaliste proposée par le personnel de «La Suisse» puisse avoir une chance d'aboutir.
Qui est le plus fort dans cette République ? Edipresse ou le Conseil d'Etat ? (Applaudissements à la tribune du public.)
Monsieur Haegi, va-t-on accepter sans livrer bataille qu'un groupe de presse vaudois vienne faire sa loi à Genève, et ainsi anéantir d'un revers de main les gigantesques efforts déployés par les travailleurs de «La Suisse» ?
A ce sujet, vous nous avez répondu qu'un projet d'Edipresse - idyllique à vous entendre - consistait à racheter pour 5 millions le titre et le fichier du journal «La Suisse». Cette mesure - avez-vous dit - devrait être accueillie chaleureusement puisqu'elle aurait pour conséquence de sauver un certain nombre d'emplois.
Mais, lorsque vous nous présentez ce projet, Monsieur Haegi, votre préoccupation est fixée sur le centre d'impression de Vernier. Il se moque des emplois liés au nouveau journal «La Suisse». La solution d'Edipresse ne maintiendrait que cent quatre-vingts postes sur les quatre cent vingt postes de travail. Par conséquent, il faut dire clairement que votre proposition est dérisoire et représente la mort du journal «La Suisse».
Par contre, vous n'avez même pas mentionné dans votre intervention ce projet auquel de nombreuses personnes travaillent pour le rendre viable et qui mérite d'avoir toute l'attention du Conseil d'Etat pour lui permettre d'être concrétisé.
Avant d'aborder la question du financement du journal, il faut examiner la possibilité matérielle de sortir le journal. Or, aussi longtemps que le centre d'impression de Vernier se refuse à publier le nouveau journal «La Suisse», il ne reste aucune possibilité à cette société de poursuivre son projet.
De deux choses l'une, soit le Conseil d'Etat peut faire revenir M. Lamunière sur sa décision de vouloir à tout prix supprimer un journal qui permettra de sauvegarder trois cent cinquante emplois, soit le Conseil d'Etat est à même de convaincre le centre d'impression de Vernier de réexaminer la proposition formulée par la nouvelle société.
A ce propos, il faut connaître la proposition de la nouvelle société au centre d'impression de Vernier : celle de pouvoir publier en synergie. D'ailleurs, il me semble que précisément c'était un des voeux de l'exécutif genevois qui parlait souvent de synergie lorsqu'il parlait de presse, une volonté de pouvoir publier à Genève, non seulement le «Journal de Genève» et «La Suisse», mais aussi la «Tribune de Genève». Or, la «Société coopérative des Savoises», cette nouvelle société créée par le personnel, a justement formulé cette proposition qui est viable pour tous.
D'abord, pour le centre d'impression de Vernier qui n'aura pas besoin de dégraisser puisqu'il faudra davantage de main-d'oeuvre pour faire un travail plus important, ensuite pour M. Lamunière - comme vous le dites vous-même, Monsieur le président, il n'y a pas besoin de vous le souffler - dans la mesure où les conditions de négociations qu'il pourra obtenir de la part du centre d'impression seront plus favorables, enfin pour le nouveau journal «La Suisse» qui pourra continuer le projet qu'il souhaite réaliser, si on lui en donne les moyens.
Nous attendons de la part du Conseil d'Etat des démarches qui ne doivent pas être celles que vous nous avez indiquées dans votre intervention préliminaire. Nous attendons du Conseil d'Etat, non pas qu'il nous propose aujourd'hui une solution qui soit synonyme de mort de «La Suisse», mais, au contraire, qu'il intervienne pour permettre de sauver ce journal, conformément aux voeux exprimés par les employés dudit journal. (Applaudissements à la tribune.)
Le président. Je rappelle que les manifestations à la tribune sont interdites.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Il serait trop long et inutile que je revienne sur tous les points évoqués par M. Ferrazino. Je ne répéterai pas l'importance de l'enjeu en question pour plusieurs centaines de chômeurs potentiels, ni les implications sur le plan financier, mais avant tout humain.
La Suisse n'est pas «mon» journal, ni particulièrement celui du groupe socialiste. C'est un quotidien qui a une place privilégiée à Genève puisqu'il est rédigé et imprimé dans notre canton. Outre qu'il diffuse comme d'autres journaux des comptes rendus d'actualité, c'est un quotidien qui exprime des opinions. Toute opinion, même si on ne la partage pas, se doit d'être respectée. La diversité d'avis est une richesse de notre société. Qui dit marché difficile et qui dit crise, dit aussi polarisation des idées, d'où l'importance encore plus grande dans un tel contexte du maintien d'une presse diversifiée, libre, responsable et indépendante.
L'appartenance de plusieurs titres, voire même de tous les titres à un même groupe éditeur est néfaste, voire même dangereuse sur le long terme. La liberté de la presse, sa diversité, sont nécessaires à l'exercice de la démocratie. C'est même un outil de cette démocratie. Là réside toute la différence entre une entreprise comme «La Suisse» et une entreprise privée comme, par exemple, celle de M. Balestra. Je ne pense pas que notre Grand Conseil, enfin une partie des députés, aurait proposé une séance extraordinaire pour une entreprise privée telle que la vôtre, Monsieur Balestra. (Sourires. Quolibets de l'assemblée.) M. Balestra est nécessaire à notre démocratie, pas son entreprise ! (Rires.)
La presse est un outil de notre démocratie. Ainsi, des entreprises comme ce journal doivent être soutenues. Notre motion demande aux banques, par l'intermédiaire du Conseil d'Etat, et plus particulièrement à la Banque cantonale, d'aider financièrement le journal «La Suisse» selon les principes qu'elle met en avant et que je me permets de rappeler.
En effet, je me souviens fort bien des discussions qui ont porté sur les buts de cette banque. Le principal est de «contribuer au développement économique du canton et de la région. Un des moyens de contribuer à ce développement consiste à accorder des crédits aux entreprises, aux petits propriétaires, aux travailleurs, aux artisans, à l'agriculture et à la construction de logements». Cela figure dans la loi à l'article 2.
Nous nous trouvons exactement dans ce cas de figure, et ce soir nous entendons faire passer notre message au Conseil d'Etat ainsi qu'aux banques, et, comme je l'ai dit, particulièrement à la Banque cantonale. Le délai supplémentaire accordé jusqu'à vendredi prochain est l'occasion de la dernière chance pour sauver un journal ainsi que la pluralité de la presse et, bien sûr, des emplois.
Enfin, nous tenons à relever la volonté du personnel qui se bat avec acharnement pour trouver une solution par lui-même. Si la solution proposée devait voir le jour, elle ne serait certes pas parfaite - des critiques circulent déjà - et peut-être occasionnerait-elle tout de même des licenciements. Mais à l'impossible nul n'est tenu ! Toutefois, nous nous devons d'apporter notre appui aux membres du personnel qui, plutôt que de baisser les bras et de pleurer sur leur sort, ont décidé de retrousser leurs manches.
Il ne sera pas facile de relever le défi qu'ils ont lancé dans leur décision de mercredi soir. En effet, ce dernier a le mérite du courage. Ce projet est audacieux, mais s'il a une chance, économiquement parlant, de «tenir la route», alors notre Grand Conseil, dans le cadre de la marge de manoeuvre qu'il possède, se doit de soutenir la volonté et l'engagement de ces travailleurs.
Ces derniers mois, on a beaucoup réfléchi sur les avantages et désavantages de situations monocolores, comme par exemple celle de notre gouvernement. Si notre presse devait, elle aussi, risquer de devenir monocolore, alors on aurait un canton guère intéressant si ce n'est pour les daltoniens ! Je ne sais plus qui a dit que la beauté d'un vitrail était due à la force de contrastes de ses couleurs. Or, s'il n'a qu'un ton, il est terne. Par analogie, pour que notre canton conserve les contrastes de la presse, nous vous invitons à voter cette motion et à aider «La Suisse» à poursuivre son chemin sous une nouvelle forme.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Le groupe écologiste soutient sans réserve le contenu très clair de l'intervention de M. Ferrazino et partage son indignation. Notre groupe s'est associé à la demande de réunion d'une séance urgente du Grand Conseil, de même qu'au dépôt de la motion la motivant, pour les raisons qui suivent.
Premièrement, et c'est de loin la raison principale qui a motivé notre décision, la sauvegarde d'emplois dangereusement menacés. Nous sommes bien conscients que «La Suisse» n'est pas la première entreprise devant licencier son personnel, en particulier dans la crise économique pénible que nous traversons.
Il est certain que la plupart du temps, l'Etat ne doit pas et ne peut pas assurer la survie desdites entreprises. Mais, dans la réalité, il le fait puisqu'au moment où les licenciements interviennent, la prise en charge des chômeurs intervient aussi et est en partie à charge de l'Etat.
Deuxièmement, on ne peut pas nier que, même si une ville comme Genève a bien de la peine à faire vivre ses quatre journaux quotidiens, une concentration de la presse n'est pas à souhaiter. Chacun des lecteurs que nous sommes se reconnaît dans une certaine presse et non dans une autre. A ce titre, nous ne souhaitons pas aider le journal «La Suisse» en particulier pour son contenu, mais bien parce qu'il est un des maillons de cette diversité de la presse quotidienne, au même titre que «Le Courrier», la «Tribune» ou le «Journal de Genève».
Toutefois, la liberté de la presse se doit d'être préservée. Il ne faudrait pas non plus qu'une intervention de l'Etat la rende dépendante de ce dernier.
Toutes ces raisons évoquées, il s'agit de voir en quoi «La Suisse» mérite d'être plus aidée qu'une autre entreprise et comment la liberté de la presse n'en sera pas affectée. Pour nous, tout cela réside dans le formidable élan et enthousiasme du personnel à se fonder en coopérative pour sauver son entreprise et ses propres emplois. Sur ce plan, l'attitude des employés de «La Suisse» est remarquable et pourrait faire école. Mais l'élan et l'enthousiasme ne peuvent être mis à profit que si les bases financières sont saines et que la nouvelle société n'a pas à endosser les dettes engendrées par une mauvaise gestion passée.
Voici les raisons qui justifient que notre Grand Conseil intervienne auprès du Conseil d'Etat. Le contenu de la deuxième invite, notamment ses derniers mots, devrait convaincre l'ensemble des députés de ce Grand Conseil qu'il s'agit de donner le coup de pouce permettant à une entreprise présente dans notre canton depuis de nombreuses années de redémarrer dans de meilleures conditions et d'éviter ainsi la suppression de nombreux emplois.
Pour conclure, il serait regrettable qu'un journal qui apparaît aux yeux de beaucoup de lecteurs ni complètement à droite, ni complètement à gauche, ni complètement «écolo» - et de loin s'en faut (Rires.) - ne doive ce fameux «coup de pouce» qu'à une partie de ce parlement. Ce sera peut-être une des rares occasions durant cette législature où nous pourrions voter une motion à l'unanimité. Je vous demande, avant de terminer, que nous puissions lire la lettre adressée au Grand Conseil par les employés de «La Suisse».
Le président. La lettre a été distribuée à l'ensemble des députés.
M. Roger Beer (R). Nous sommes réunis ce soir en session extraordinaire parce que la situation de «La Suisse» est justement extraordinaire, et dramatique aussi. Je remercie M. le président du Conseil d'Etat pour les informations qu'il nous a apportées et je rends hommage à mes préopinants pour la clarté de leurs exposés qui reprennent évidemment l'ensemble de la motion.
Le parti radical a été d'accord, (Rires de toute l'assemblée. L'orateur hésite et sourit.) en tout cas en partie... et du bout des doigts, de signer et de me suivre dans cette motion. Par rapport aux deux invites, vous aurez vu, sur la deuxième page, qu'il est signalé que ce projet devait s'avérer économiquement viable. Cette phrase est la plus importante en regard de l'ensemble de la situation.
Ensuite, par rapport à l'analyse froide, économique que l'on fait de la situation de «La Suisse», il faut rappeler qu'un quotidien, genevois de surcroît et qui reste même l'unique quotidien genevois, est autre chose qu'une savonnette ou une cravate, ou Dieu sait quelle marchandise ! Pour cette raison, un journal fait également partie du paysage médiatique et démocratique d'un canton tel que celui de Genève.
Peu importe ce que l'on pense de «La Suisse», il faut admettre que ce journal est un compagnon de longue date de beaucoup de Genevois. En effet, il devrait fêter son centenaire dans quelques années. Il faut donc se souvenir qu'à l'époque la sortie de «La Suisse» a été créée pour rapprocher Genève de ce pays et pour essayer d'atténuer les effets du «Sonderfall Genf».
La disparition de ce quotidien a été provoquée par des engagements excessifs et, finalement, l'ensemble du personnel a été peu consulté, il ne s'est rendu compte de la réalité de cette disparition que ces derniers jours. Nous avons parlé des chômeurs qui seront peut-être deux cent cinquante ou trois cent quatre-vingts, quelle que soit la solution, qu'elle soit Edipresse ou une autre. Effectivement, le risque est que deux cent cinquante personnes se retrouvent au chômage à partir de la fin de la semaine prochaine puisque l'on a réussi à prolonger le délai d'une semaine.
Cette composante est très importante dans la situation actuelle. Elle l'est d'autant plus qu'un certain nombre de députés, aussi bien de l'Entente que de l'opposition, ont rencontré les délégués des journalistes. Or chacun a été très impressionné par l'engagement des membres du personnel pour le journal qui est leur entreprise. Un potentiel et une volonté existent qui sont malheureusement difficilement négociables dans la procédure de faillite, ou de concordat, comme on l'appelle aujourd'hui.
Cela ne vaut peut-être pas des millions, mais en tout cas c'est un potentiel et une volonté extraordinaires. Ils doivent exister pour faire fonctionner une entreprise; ce ne sont pas les patrons qui me contrediront. Il serait dommage de gaspiller ce savoir-faire. Evidemment, nous n'allons pas non plus demander de débloquer des millions pour éponger des dettes ou relancer un journal comme on pourrait le faire pour d'autres entreprises. A ce sujet, j'aimerais rappeler une histoire qui m'avait frappé à l'époque où j'étais encore au collège.
Cette histoire concerne un conseiller d'Etat, M. Alain Borner, intervenu pour une entreprise que tout le monde lâchait : la SATA. C'était une entreprise d'aviation en faillite totale, à laquelle plus personne ne croyait. M. Borner est un amoureux des avions; il s'est engagé corps et âme dans cette bataille et a créé la CTA. Finalement, le miracle s'est produit, car, quelques années après, la CTA a racheté l'entreprise Balair. Cela est un exemple pour dire que le Conseil d'Etat avait tout de même eu un certain poids dans l'action.
Je vous donne un autre exemple de l'intervention du monde politique qui vous montre que nous ne sommes pas dans une situation aussi extraordinaire qu'on pourrait le croire. Lors de la dernière législature, les employés de la «Tribune de Genève» étaient en grève. Il y a eu beaucoup d'émotion du côté de la direction de la Tribune, mais également du côté du Conseil d'Etat qui, comme vous nous l'avez rappelé, Monsieur le président du Conseil d'Etat, s'était réuni pendant vingt-quatre heures d'affilées.
Un élément de la rédaction de cette motion me paraît encore important à souligner. Comme M. Ferrazino l'a dit, nous l'avons rédigée en quelques heures, et je sais qu'elle n'est pas parfaite. Toutefois, on pourra proposer des amendements sur les invites, histoire de moins lier le Conseil d'Etat, mais en rappelant tout de même quel est l'intérêt des emplois, de la pluralité de la presse et, finalement, de la sauvegarde de «La Suisse».
Nous sommes quelques-uns à avoir discuté de plusieurs solutions. Personnellement, je ne suis pas économiste, car je préfère planter des arbres, discipline où je suis sûrement meilleur. Toutefois, je me demande comment on pourrait trouver de l'argent.
Si les employés de «La Suisse» se retrouvent au chômage, cela coûtera entre 12 et 18 millions à l'Etat ou à l'OFIAMT, et nous nous sommes demandé dans quelle mesure il était possible, dans la situation de l'entreprise «La Suisse», pour ne pas parler de Sonor SA, d'agir en appliquant une loi par anticipation en rappelant que ces différentes personnes qui seront au chômage toucheront quatre cents indemnités.
Il faudrait peut-être faire pression à Berne ou à l'OFIAMT pour que l'ensemble de cette somme puisse être utilisée comme mise de fonds dans la création d'une nouvelle entreprise. Je ne sais pas si c'est possible, mais je crois à l'Association des employés de «La Suisse» qui travaillent dans un climat horriblement difficile pour trouver une solution et sauver leur entreprise.
Il me semble que l'on peut vous demander, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, de donner un coup de main de professionnels parce que dans cette gestion d'entreprise en débâcle on a parlé de manager de crise. Or, vous êtes des professionnels, j'imagine et j'espère que vous pouvez leur donner un coup de main. On ne vous demande pas d'apporter des millions, car nous savons que ce n'est pas possible. Il est possible que cette démarche paraîtra difficile à la Banque cantonale, mais des banques se sont engagées dans cette affaire et il suffit peut-être de faire le point avec elles.
C'est dans cette optique que j'ai cosigné cette motion et que nous nous sommes réunis aujourd'hui pour essayer de vous donner cette impulsion pour faire le mieux possible dans les jours à venir.
M. Gilles Godinat (AdG). J'aimerais revenir sur deux aspects. Actuellement, nous avons deux propositions. L'une émanant d'Edipresse, l'autre de la Coopérative des Savoises. Les conséquences de ces deux propositions sont suffisamment importantes pour le canton pour que le Conseil d'Etat examine dans le détail la faisabilité et les conséquences de ces deux propositions.
En ce qui concerne la première, je désire souligner qu'Edipresse contrôle déjà l'édition des quotidiens romands tels que «24 Heures», la «Tribune de Genève», «Le Matin», «Le Nouveau Quotidien» majoritaire avec Ringier, une participation de plus de 40% pour les Imprimeries Modernes en Valais qui impriment «Le Nouvelliste». Il participe à l'édition de quotidiens jurassiens et a 30% de la distribution de Payot-Naville tenu par Hachette. Ensuite, pour la presse périodique, il a «TV-Top Matin», «Radio-TV 8», «Fémina» et des participations dans «Bilan» et le «Sillon romand». Voilà la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui.
Si la proposition d'Edipresse était acceptée, cette dernière contrôlerait demain 65% de l'édition des quotidiens romands, soit les deux tiers. Cette situation qui tend vers le monopole nous inquiète terriblement. Les petits concurrents d'Edipresse ne sont pas à la hauteur, car la plupart sont des petits journaux locaux, n'en déplaise au «Journal de Genève» qui reste un petit journal malgré sa vision supra-cantonale.
Les problèmes posés sont de deux ordres. D'une part, la situation de monopole et, d'autre part, une intervention de la commission des cartels, car le groupe Edipresse tient à prendre le contrôle de la distribution. Or, c'est grâce à l'intervention de la commission des cartels qu'Edipresse n'a pas pu avoir en main toute la distribution des quotidiens en Suisse romande.
Voici un exemple depuis le rachat et le contrôle de la «Tribune de Genève» par Edipresse : 50% de la partie rédactionnelle du journal «Le Matin» est intégrée. C'est ce que l'on appelle une synergie rédactionnelle qui, concrètement, signifie le licenciement de rédacteurs ainsi qu'un appauvrissement du contenu d'un journal puisqu'on a deux quotidiens qui ont pour 50% le même contenu.
Pour terminer, nous avons le choix entre une solution qui tend vers un monopole - et ceci est concret, ce n'est pas de l'idéologie - détenant les deux tiers de la presse - et pour Genève, c'est inquiétant - avec deux cent cinquante personnes au chômage, ce qui représente un coût social de 1,2 million par mois à la charge de la collectivité et, à l'opposé, nous avons une proposition concrète avec une offre de 8 millions venant de la coopérative pour relancer un journal nouveau avec une dynamique qui donne un espoir concret à l'ensemble des employés de l'entreprise.
Ce soir, nous espérons que la solution de la coopérative sera préférée à la solution d'Edipresse.
M. Bernard Annen (L). Le groupe libéral s'associe aux légitimes préocupations que la population genevoise vit au travers du drame de la disparition probable d'un quotidien aussi ancré dans les moeurs de chaque foyer genevois.
L'agonie du journal «La Suisse» ne laisse personne indifférent, car il fait virtuellement partie de notre patrimoine cantonal. C'est la raison pour laquelle notre groupe a soutenu toute intitiative donnant une chance de survie à ce journal. A cet égard, nous relevons les efforts acharnés du département de l'économie publique, et plus particulièrement de M. Maitre, dont la priorité est et reste le maintien du plus grand nombre possible d'emplois dans ce secteur. Pour nous, il ne s'agit plus de croire à une seule chance de survie dans les structures actuelles de Sonor SA qui est en situation de faillite virtuelle.
C'est donc seulement et uniquement si une situation à base zéro est envisageable qu'un projet, quel qu'il soit, peut être étudié. Pour obtenir cette base zéro bien des obstacles sont à surmonter, notamment une restructuration indispensable et très certainement douloureuse, de manière à maintenir l'outil de production et la recherche de capitaux, non seulement de la part de fondations, mais aussi pour assurer un fonds de roulement suffisant.
Les délégués du personnel que nous avons reçus à deux reprises ont fait la démonstration d'une motivation inébranlable et profondément réaliste. Ils sont totalement conscients du risque d'aboutir à une impasse et demandent à tous ceux et celles qui croient à une chance de rétablissement, si minime soit-elle, un soutien non pas uniquement financier mais aussi d'analyse logistique.
Aujourd'hui, nous sommes démunis de toute information chiffrée permettant l'établissement de plans financiers quelconque dans l'hypothèse d'un projet à base zéro. Quel est le capital de fondation nécessaire ? 5 millions, 10 millions... ? C'est plutôt 18 millions qui semble être le chiffre vraisemblable aujourd'hui.
Dès lors, vous conviendrez qu'aborder la création d'une nouvelle entreprise avec 5 ou 18 millions s'apprécie différemment et peut entraîner les intéressés à renoncer à leur projet en regard de ce seul élément. D'autant plus que le fonds de roulement nécessaire à l'exploitation n'est pas compris dans ces 18 millions.
Dès lors que notre Conseil est interpellé, nous devons clairement dire qu'il est exclu que l'Etat subventionne le journal «La Suisse». En revanche, si le gouvernement peut apporter son concours à une analyse financière et de faisabilité en fonction des nouvelles données de ce jour, et notamment de la détermination des employés de prendre tout ou partie de leur destin en main en créant une nouvelle société, alors nous soutiendrons ce gouvernement.
Il faut être conscients que les décisions futures des commissaires au concordat seront extrêmement délicates et que la pesée des intérêts sera cornélienne. Il ne faudrait pas que les tergiversations du monde politique entraînent une situation irréversible, celle qu'Edipresse refuse de rapatrier la «Tribune de Genève» dans notre canton. En effet, l'un des enjeux déterminants de notre appréciation doit rester le sauvetage d'un maximum d'emplois et notamment les cent quatre-vingts emplois du centre d'impression de Vernier. Sans le rapatriement de la «Tribune de Genève», la survie de ce dernier est en cause ainsi que tous les emplois liés aux autres publications imprimées par cette société et qui ont été citées tout à l'heure.
La marge de manoeuvre est étroite. Nous comptons sur la force de persuasion du Conseil d'Etat pour sauver ce qu'il reste à sauver. C'est dans ce sens que nous vous proposons de soutenir les amendements de nos trois partis de l'Entente qui vont vous être présentés tout à l'heure.
La diversité de la presse est l'un des garants de la démocratie. Si le journal «La Suisse» disparaît, c'est bien une composante importante de l'édifice de cette diversité qui est anéantie, sans compter le drame social que l'ensemble des collaborateurs de Sonor SA risque de vivre prochainement. (Applaudissements libéraux.)
Mme Liliane Charrière Urben (S). Il est bien difficile d'ajouter quelque chose à tout ce qui a été dit ici. Je relève le haut niveau et la très grande qualité des interventions. En particulier, je remercie les quatre motionnaires qui ont vraiment bien décrit la situation et je ne referai pas leur discours, car je ne pourrai le faire que moins bien qu'eux.
Je désire simplement apporter une information. Hier, nous avons appris l'éventualité d'une coopérative qui se créerait avec le personnel de «La Suisse». Parallèlement à cela, hier soir avait lieu l'assemblée des délégués de la CIA qui est la caisse de pension des fonctionnaires de l'instruction publique et de l'administration centrale. A l'issue des travaux de cette assemblée de délégués, une proposition a été faite dont je vous donne lecture :
«L'assemblée des délégués de la CIA, réunie le 10 mars 1994, invite le comité de la CIA à suivre de près la situation du journal «La Suisse» et, le cas échéant, à offrir un soutien financier à la nouvelle société attitrée sous forme de coopérative, telle que proposée par le personnel, si ce projet se révèle économiquement viable.».
(Commentaires sur les bancs de l'Entente.) (Mme Charrière Urben hausse le ton.)
Bien entendu, il n'est pas question, dans la proposition que font les délégués des fonctionnaires, de reprendre les dettes de Sonor SA, mais d'aider des travailleurs à sauver leurs emplois. Ce serait, me semble-t-il, un geste intéressant de la part de la fonction publique, c'est-à-dire de la part de gens qui ont tout de même une situation moins précaire que les gens du privé, d'apporter un soutien au journal en question.
Pour les personnes qui sont surprises par cette proposition dont il reste, bien entendu, à mettre en place la procédure, je signale que ce n'est pas la première fois que la caisse de pension des fonctionnaires aide une entreprise à éviter la faillite. Cela a été fait il y a quelques mois. Je ne peux pas vous donner le nom de l'entreprise, mais ce ne serait pas la première fois que la caisse des pensionnaires de l'Etat ferait un prêt ou offrirait un soutien financier à une entreprise en difficulté. Il y va de la solidarité des fonctionnaires vis-à-vis de travailleurs du secteur privé, et également d'une certaine forme d'égoïsme bien compris qui fait que, si nous sauvons trois cent cinquante postes, ce sera trois cent cinquante indemnités de chômage que la collectivité n'aura pas à assumer. (Applaudissements de la gauche et à la tribune du public.)
M. Bernard Lescaze (R). Je vais vous soumettre les propositions d'amendements faites par l'Entente à la motion qui vous a été présentée.
Au préalable, je désire remercier le Conseil d'Etat d'avoir très clairement restitué le problème. Ah, si les choses étaient aussi simples que notre collègue Godinat l'a signalé tout à l'heure, peut-être pourrions-nous nous décider plus aisément ! Mais, ce soir, en réalité nous n'avons guère le choix.
Aujourd'hui, il s'agit surtout de ne pas intervenir à tort et à travers et de ne pas «péjorer» une situation déjà particulièrement délicate. Vous avez entendu que le Conseil d'Etat a déjà obtenu un sacrifice de la part de la Ville de Genève. Il s'efforce d'obtenir un sacrifice identique et financièrement plus important de la part de la Banque cantonale de Genève. Tout ceci dans le but de sauver le maximum d'emplois possible.
Ce soir, notre rôle le plus important est d'abord de ne pas donner de faux espoirs à quiconque. Il s'agit d'examiner la situation avec le plus grand réalisme possible. Pendant trop longtemps, certains ont été, malgré eux, bercés d'illusions, et cela a probablement contribué au fait que l'on soit dans une impasse.
Tout le monde est d'accord avec les propos tenus sur la nécessaire diversité de la presse, et qu'il faut la sauver. Mais, au-delà du cas du journal qui nous occupe ce soir, nous devons prendre en considération le destin des autres quotidiens genevois qui subsistent à Genève de manière indépendante et qui pourraient à l'avenir, notamment si le centre d'impression de Vernier était menacé, subir à leur tour les conséquences de la crise économique, voire disparaître.
C'est pourquoi, les trois partis, libéral, démocrate-chrétien et radical, vous proposent de modifier les deux premières invites de la motion dans les termes suivants.
Ils invitent le Conseil d'Etat :
1. A tout mettre en oeuvre pour sauvegarder le maximum d'emplois dans les différents secteurs professionnels concernés.
Soit de les sauvegarder aussi bien dans l'outil de production matériel qu'est le centre d'impression de Vernier que dans d'autres domaines. Et,
2. A examiner tout projet tendant au maintien d'une presse diversifiée et, s'il est déclaré écono-miquement viable, à intervenir pour qu'un appui financier bancaire lui soit accordé.
En effet, il n'est pas du ressort du Conseil d'Etat de pouvoir déclarer que tel projet est économiquement viable ou non. Il n'est pas non plus dans les compétences, les pouvoirs et les prérogatives du Conseil d'Etat de demander à tel ou tel établissement bancaire d'apporter son soutien.
C'est pourquoi cette formulation, qui peut paraître générale, est la seule pouvant être efficace en l'état. Je vous rappelle que les décisions finales doivent être prises par les commissaires au sursis concordataire, par eux seuls, et non pas par notre assemblée.
Ce soir, il est important, au-delà du cas d'un journal, de veiller à ce que l'avenir des autres médias soit assuré à Genève. Dans ce cas, le rapatriement de l'impression de la Tribune de Genève est quelque chose de particulièrement important.
Contrairement à ce qui a été avancé à ce jour, et quelle que soit la sympathie naturelle que l'on puisse avoir pour la Coopérative des Savoises, le seul repreneur qui s'est déterminé et qui donne des délais très restreints est Edipresse, que cela nous plaise ou non.
Il s'agit de savoir si l'on préfère sauver cent soixante emplois immédiatement ou si l'on préfère condamner quatre cent emplois très rapidement. En réalité, voilà le véritable et dramatique problème que nous devons affronter. C'est pourquoi je vous demande de soutenir les deux amendements aux invites de la motion.
M. Bénédict Fontanet (PDC). Dans cette affaire, il est extrêmement facile de critiquer l'action menée par le Conseil d'Etat. Nous avons tous été surpris par ce qui s'est passé dans le cadre de «La Suisse». A la fin de l'an dernier et au début de cette année, nous avions tous entendu moult promesses, mais malheureusement les événements se sont précipités avec une acuité terrible ces dernières semaines.
En l'espèce, il ne suffit pas à M. Ferrazino de dire «qu'il n'y a qu'à...», ce serait trop aisé, car, en effet, le dossier est très complexe; je n'aurai pas, quant à moi, la prétention de dire que j'en maîtrise les tenants et les aboutissants tant il est vrai que de nombreuses personnes sont concernées. La justice, les commissaires au sursis, les banques, les co-contractants de M. Nicole et j'en passe.
Tous autant que nous sommes dans cette assemblée, nous sommes attachés au journal «La Suisse» qui fait partie de l'histoire de notre canton. Nous sommes tous attachés aux quatre cent cinquante emplois que représente ce journal, et - j'ose l'espérer - à la pluralité de la presse.
Dans cette affaire, nous avons pu admirer l'exceptionnel effort fait par le personnel de «La Suisse»; ce dernier s'est battu dans des circonstances dramatiques pour réussir à sortir chaque matin un nouveau journal.
Malheureuseusement, comme le disait Lénine, cet auteur qui ne m'est pas particulièrement cher : «Les faits sont têtus.». Certes, on peut rêver, imaginer, mais il n'en reste pas moins que les faits demeurent «têtus» et qu'une solution doit être trouvée dans un très bref délai.
D'après ce que nous avons entendu, il n'y a qu'une solution, car il paraît, à première vue, que celle qui résulte de cette société coopérative créée ou à créer n'est tout simplement pas réaliste, donc pas viable.
Aujourd'hui, il nous faut soutenir et sauver ce qui peut l'être. Si, lors de ce week-end, d'autres solutions envisageables émergeaient, il conviendrait, le cas échéant, que le gouvernement les prenne en considération. Mais, hélas, il faut être réalistes et sauver les emplois que nous sommes certains de pouvoir préserver. Or, pour ce faire, il nous faut soutenir les efforts exceptionnels, quoi qu'en aient dit certains, que le Conseil d'Etat fait dans cette affaire. Par conséquent, je vous invite à voter la motion telle qu'amendée selon les propositions de M. Lescaze, qui sont réalistes et laissent les portes ouvertes, sans pour autant se bercer d'illusions.
M. Jean Spielmann (AdG). Malgré les différents arguments échangés, nous n'avons pas pris position sur la question de fond. Certains ont été développés, et, Monsieur Fontanet, il y a eu peu de... «Y'a qu'à...», si ce n'est le vôtre dans votre phrase : «Y'a qu'à suivre Edipresse.». Effectivement, les problèmes sont importants. Des propositions cohérentes ont été faites, et je ne pense pas que l'on puisse les repousser d'un revers de main.
Il est tenu compte de la force respective des différents journaux et, à ce sujet, dans la proposition de la coopérative, des sacrifices très importants sont consentis, y compris celui de pouvoir imprimer un journal concurrent, en particulier celui d'Edipresse, dans cet établissement. On reconnaît que «La Nouvelle Suisse» serait redimensionnée et ne sortirait qu'après ce journal, ce qui l'empêcherait d'être un concurrent d'Edipresse sur le plan romand. Cela tendrait à la relocalisation.
Toute une série de points très concrets ont été étudiés de manière très précise et responsable. Il est donc un peu facile de dire «...qu'il n'y a qu'à...», Monsieur Fontanet. Eh bien, non ! «...il n'y a pas qu'à...» ! Mais on peut ! Et lorsque l'on peut, il faut avoir de la volonté pour accomplir l'action. Comme il a été dit tout à l'heure, on peut assurer une plus grande pluralité de la presse et tenter de donner une chance à la Société des rédacteurs ainsi qu'au journal «La Suisse», car toute l'alternative que vous nous proposez est : «qu'il n'y a qu'à suivre Edipresse.». Or, on n'accepte pas cela, car ce n'est pas acceptable, et même pour une grande partie d'entre vous.
Pour ma part, je serais intéressé de connaître la position du Conseil d'Etat par rapport aux nouveaux arguments développés au cours du débat. Maintient-il les positions qu'il défendait au départ ? Car, visiblement, il manquait un volet important dans son intervention, celui de l'alternative à une solution de soumission totale à Edipresse.
M. Luc Gilly (AdG). Nous ne pouvons prendre la responsabilité de voir soudain plus de trois cent cinquante chômeurs être mis brutalement dans la rue. Il nous appartient de nous pencher sérieusement sur ce problème et de prendre le temps qu'il faudra pour le résoudre, aujourd'hui même, si possible. Si ce n'est pas le cas, il convient au moins d'admettre que tout doit être entrepris dans les jours qui viennent pour assurer le sauvetage du journal, ainsi que la continuité de sa parution et, de cette manière, assurer un maximum d'emplois. Notre responsabilité est donc de mettre au point dans les plus brefs délais la solution définitive du sauvetage de ce journal.
La solution visant à sauver plus de trois cent cinquante emplois, avec l'aide des employés eux-mêmes, nous paraît offrir les meilleures chances de succès, car des employés motivés seront capables, nous en sommes certains, de prendre en main le sauvetage de leur outil de travail. Et c'est avec eux que nous bâtirons ce projet. La solution d'une société revêtant la forme juridique d'une coopérative telle que suggérée dans la proposition de motion nous paraît la plus judicieuse. Un effort est à faire des deux côtés, celui des salariés et celui de l'Etat. Les premiers auront à souscrire des parts sociales qu'ils ne pourront récupérer tout de suite, mais dans un délai de douze à quatorze mois, et au prorata du montant de leur salaire. L'accord individuel devrait être sollicité et déterminerait ainsi le nombre d'employés prêts à jouer le jeu afin de conserver leur emploi. Nous supposons que le nombre de défections serait minime, le chômage n'intéressant personne. Le premier prélèvement serait effectué ce mois même.
Une telle société peut réunir un capital solide et suffisant pour assurer la pérennité de la nouvelle coopérative. Forts de ce capital initial et de leur confiance dans l'entreprise qu'ils veulent sauver, comme l'investissement qu'ils ont opéré, les employés déploieront - nous n'en doutons pas - les efforts et l'attention nécessaires pour atteindre leur but, l'intérêt commun à chacun pour ne pas se retrouver au chômage, certains pour longtemps, d'autres pour le reste de leur carrière. L'autogestion du personnel donnera certainement des résultats qui ne manqueront pas d'étonner, car chacun saura ce qu'il a à faire.
On articule qu'une dizaine de millions seront nécessaires pour sauver l'entreprise. L'Etat, par sa Banque cantonale, pourrait faire l'avance du montant des parts sociales à un taux d'intérêt préférentiel. L'Etat ne sera ensuite sollicité que pour le financement du solde. Nous pensons que l'Etat fera cet effort - car lui aussi sait bien calculer - s'il ne veut pas vider inutilement les caisses d'assurance-chômage et celles des diverses aides sociales qui seront immanquablement sollicitées. D'une manière ou d'une autre, l'Etat devra renflouer si le sauvetage n'est pas opéré. En cas d'échec, la communauté des contribuables, soit l'Etat, devra finalement approvisionner chaque mois ces diverses caisses pour un total d'au moins 15 millions par an... pendant combien d'années ?
M. Dominique Belli (R). Je me réfère à l'amendement qui vient d'être cité et j'estime qu'il faut le soutenir en ajoutant un commentaire très court. Mon élément de réflexion est lié aux intérêts du canton de Genève et à la liberté de la presse. Il est difficilement imaginable, voire inacceptable et pervers, d'avoir des médias unicolores, dans une seule main, capables d'imposer des lois de marché mais aussi des idées qui pourraient être contraires aux intérêts genevois.
Je désire rappeler tout de même que la liberté de la presse et la pluralité des opinions sont à la démocratie ce que l'eau est au moulin, et j'apprécierais que chacun d'entre nous, au moment du vote, tienne compte de cet élément.
Par conséquent, je vous demande de soutenir, tout comme moi, cette motion telle qu'amendée, au-delà de toute considération chauvine, et cela pour trois motifs. Le premier est le maintien de l'emploi pour trois cent quatre-vingt Genevois. Le second est la liberté de la presse et, enfin, le troisième est la défense des intérêts genevois qui doit être notre première priorité de parlementaires.
M. Bernard Annen (L). Au travers de l'étude de ce dossier, et quelle que soit la solution retenue, une restructuration douloureuse aura lieu qui entraînera l'émergence de cas sociaux difficiles à résoudre. A titre personnel, je prends la responsabilité de demander que notre Conseil montre un signe de soutien tangible au journal et aux employés de «La Suisse». Je propose que nous cédions nos jetons de présence de ce jour pour la constitution d'un éventuel fonds de soutien et de secours pouvant être nécessaire. (Applaudissements de la droite.)
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La situation de Sonor SA et son évolution, en termes de savoir-faire humain et de place jouée comme organe de presse jusqu'à ce jour dans la vie genevoise romande et nationale, sont un gâchis à épisodes.
Par rapport à 1988, date des premières interventions du département de l'économie publique à la suite de difficultés liées à une restructuration des liens contractuels avec l'agence fermière d'annonces, à l'épisode de la réduction d'horaires en 1992 et de ceux, plus récents, en particulier à la fin de l'an dernier et au début de cette année avec l'exercice d'un droit de préemption dans des conditions inhabituelles, la situation actuelle de Sonor SA est celle de non-retour. Il faut recréer quelque chose à partir de ce point.
Face à ce gâchis, l'entêtement de certains méritera un jour des explications. Même si la détérioration d'un marché, et le président de notre Conseil y a fait allusion de manière pertinente, est aussi au coeur de cet effondrement, Sonor SA se trouve dans une situation de faillite très critique, de même que le centre d'impression de ce quotidien, le CITP, avec des répercussions pour d'autres publications; le président de notre Conseil a parlé d'une vingtaine au total.
Cette situation de faillite a conduit le juge, travaillant en toute indépendance sur la base d'un dossier qui lui permettait d'avoir des éléments qu'aucun d'entre nous n'avait, à désigner trois commissaires crédibles, MM. Bernard Ziegler, Grosbéty et Winckelmann.
Ces trois commissaires crédibles ont été désignés dans le cadre d'un jugement à l'intérieur duquel il est fait expressément allusion - même si certains trouvaient ce jugement prématuré - au fait que le rachat de certains actifs de Sonor SA par Edipresse représente probablement la moins mauvaise solution. Ce jugement était-il prématuré ? La suite des opérations nous permettra d'avoir une appréciation plus fondée à cet égard.
Mme Reusse-Decrey a dit, à juste titre, qu'il fallait faire passer un message. Permettez-moi, Madame la députée, de vous dire que, s'agissant du Conseil d'Etat, ce message a été reçu avant même qu'il ait été transmis par le parlement parce que depuis des mois nous travaillons avec cette entreprise dans la perspective d'essayer de sauver ce qui peut être sauvé dans une situation qui s'est avérée chaque jour de plus en plus désespérée. Notre objectif est double : c'est la sauvegarde du plus grand nombre d'emplois possible, mais c'est aussi la meilleure diversité possible de la presse. C'est clair.
Pour parler de l'emploi, Sonor SA est aujourd'hui en situation de mort cérébrale et le CITP est aux soins intensifs. Ces deux entreprises représentent quatre cent cinquante emplois au total.
Ces emplois ne sont pas une abstraction. Ils sont représentatifs de situations pour lesquelles des hommes et des femmes se battent avec un courage remarquable, et c'est précisément pour cela que nous ne négligeons aucune piste. Mais il faut savoir que, quelles que soient les conditions par lesquelles ce transfert peut être opéré aujourd'hui, la survie du CITP passe par le rapatriement de l'impression de la «Tribune de Genève» des presses de Bussigny aux presses de Vernier, cela pour deux raisons dont la première est une question de délai.
Si ce rapatriement n'est pas opéré, toute affaire cessante, quelle que soit la situation qui peut être réalisée pour un nouveau titre, le CITP cessera de produire dans un très bref délai, car il ne peut plus supporter de faire tourner ses rotatives sans être payé. Ensuite, c'est une question de volume d'occupation, compte tenu de la capacité de production de cet instrument surdimensionné. Si la «Tribune» n'est pas rapatriée au CITP, ce dernier, sur la question du volume d'occupation, sera sérieusement mis à mal et risquera la mort.
Le transfert de la «Tribune de Genève» au CITP ne correspond pas à une demande d'Edipresse. En effet, cette dernière n'y tient pas. Nous avons chiffré le coût de cette opération pour Edipresse qui a tout de même un certain intérêt à transférer la «Tribune de Genève» au centre d'impression de Vernier pour la bonne raison que d'imprimer tous les jours la «Tribune de Genève» à Bussigny et de rapatrier à peu près les trois quarts de cette production sur Genève coûte de l'argent, c'est évident.
Toutefois, en termes de capacité d'occupation du centre de Bussigny, le fait que la «Tribune de Genève», qui possède un nombre important de pages durant six jours par semaine, quitte le centre de Bussigny pour être probablement remplacée par «Le Nouveau Quotidien» qui aura, lui, un nombre de pages moins important et durant cinq jours de la semaine seulement, représente une perte pour le centre de Busigny qu'il faudra bien compenser. Cela étant, le transfert de la «Tribune de Genève» est la condition sine qua non de la survie du CITP. Ce transfert n'est pas demandé par Edipresse mais par les commissaires au sursis et il a le plein appui du Conseil d'Etat.
Ce transfert implique aussi l'assainissement du CITP. Actuellement, il est surdimensionné, car il y a «sur-capacité» de l'offre. Pour ce faire, il faut obtenir un effort de la Ville de Genève à qui je voudrais rendre hommage, car elle se bat pour l'emploi. Ce matin encore, nous avons rencontré les conseillers administratifs compétents qui se sont engagés dans cette opération pour réaliser le succès de ce transfert.
Cette opération demande aussi un effort considérable de la part de la Banque cantonale de Genève qui doit écraser des créances qu'elle détient aujourd'hui contre le CITP. La Banque cantonale de Genève en particulier, à la suite des interventions du Conseil d'Etat, nous a apporté ce matin, et cet après-midi également, compte tenu des négociations qui ont eu lieu, la démonstration qu'elle se battait aussi pour l'emploi. En effet, la Banque cantonale sait que si elle ne réduit pas ses créances et ne les abandonne pas à concurrence d'un montant substantiel, le CITP court de gros risques. Dans ce cas, ce sont cent trente ou cent quatre-vingts emplois, suivant les scenarii que l'on prend, qui passent par pertes et profits, si vous me permettez cette expression sinistrement comptable.
Nous avons à résoudre ensemble une équation douloureuse. Le transfert de la «Tribune de Genève» n'est pas seul en cause. La survie du CITP n'est pas le seul enjeu, même si, en termes d'emplois, il est absolument fondamental aux yeux du Conseil d'Etat.
La survie d'un titre est également un enjeu. De ce point de vue, nous voudrions vous dire, au nom du gouvernement, que les commissaires ont examiné plusieurs offres. MM. Bernard Ziegler, Grosbéty et Winckelmann ont été expressément invités à ne négliger aucune piste, quelle qu'elle soit. Plusieurs de ces offres sont genevoises, comme celle de la coopérative citée tout à l'heure.
D'autres permettraient d'utiliser encore le titre de «La Suisse» dans des conditions de périodicité de publication probablement différente, mais cela n'est pas une offre de même nature. Des offres romandes, et même suisses allemandes, ont été explorées, mais elles n'ont pas abouti.
Les commissaires au sursis confirment - j'ai reçu un appel de M. Grosbéty pendant l'intervention de M. Ferrazino, parlant au nom des trois commissaires au sursis - qu'à l'heure qu'il est, l'offre d'Edipresse, que cela plaise ou non, est la seule qui soit concrétisée dans des termes acceptables par eux, eu égard aux conditions qui leur sont imposées par le jugement. Sinon, c'est la mort immédiate de Sonor SA, par révocation du sursis concordataire, et le transfert de la «Tribune de Genève» ne se faisant pas c'est, à très court terme, la mort du CITP.
Nous voulons que le transfert de la «Tribune de Genève» se réalise, c'est capital, et que, moyennant l'assainissement du CITP, il soit possible de disposer des jours et des semaines à venir, car l'offre d'Edipresse permettra de payer le salaire des collaborateurs de Sonor SA durant les jours et les semaines à venir.
Il est important de savoir que nous voulons consacrer le temps nécessaire à approfondir toutes les autres offres de façon à travailler, dans les meilleures conditions possibles, sur le deuxième objectif après avoir tenté d'approcher, tant bien que mal, le premier qui est la sauvegarde de l'emploi; celui de savoir dans quelles conditions nous pouvons maintenir la presse la plus diversifiée et pluraliste possible dans ce canton.
Le gouvernement n'entend pas donner dans la carte du «pathos», si vous me permettez cette expression. La question est de savoir si nous voulons ou non réaliser le transfert de la «Tribune» sur les rotatives du centre de Vernier ? Cette demande vient des commissaires et du gouvernement et non pas d'Edipresse. Dans l'immédiat, nous devons passer par l'offre Edipresse, ce qui n'exclut pas que l'on approfondisse les différentes propositions genevoises dans les jours et les semaines à venir.
S'il vous plaît, ayez ce soir l'ambition de l'emploi, car dans les conditions désastreuses que nous connaissons, notre vrai problème est de savoir si lundi le comité de crise que je vais constituer à l'office cantonal de l'emploi dans le but de traiter les conséquences de cette situation portera sur trois cent, trois cent cinquante ou quatre cent cinquante emplois, repectivement quatre cent cinquante chômeurs. Cette question cruciale dépend de votre débat de ce soir. (Applaudissements de la droite.)
M. Christian Grobet (AdG). Je ne vous cacherai pas que la position adoptée par le Conseil d'Etat nous déçoit profondément, car, il y a trois mois encore, tous les partis représentés dans ce Grand Conseil ont mené campagne pour la sauvegarde de l'emploi à Genève, et vous en particulier, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat.
(M. Grobet s'adressant M. Maitre.) Or nous constatons que votre Conseil a pris parti pour la proposition - je dis bien la proposition et j'y reviendrai tout à l'heure, Monsieur Maitre - d'Edipresse SA, alors qu'il y a la possibilité de sauver une activité économique importante dans notre canton. (Applaudissements à la tribune.)
Il y a un seul point sur lequel je ne suis pas d'accord avec Mme Reusse-Decrey, celui concernant les entreprises à sauver. Bien entendu, il est important de sauver un journal qui assure la diversité de la presse, mais j'estime que toutes les entreprises, y compris celle de M. Balestra, doivent faire l'objet de la préoccupation des autorités si elles se trouvent en danger.
En effet, si nous voulons préserver le tissu économique à Genève, nous devons faire en sorte de sauver toutes les entreprises qui peuvent l'être, car il est toujours plus facile de sauver des emplois que d'en recréer de nouveaux. Or, si demain il faut recréer trois ou quatre cents emplois, je vous souhaite bien du plaisir !
Dans le cas d'espèce, nous nous trouvons face à une entreprise qui, contrairement à beaucoup d'autres, n'est pas dans une situation de mévente de son produit. En général, les difficultés que les entreprises rencontrent sont liées à la mévente de leur production.
Tout à l'heure, vous n'avez pas cité de chiffres. Il s'avère que je les connais depuis peu de temps et il vrai qu'il est très désagréable que, dans cette affaire, l'employeur ait probablement caché les chiffres à beaucoup de gens. Peut-être pas à vous, mais à beaucoup de gens et aux employés en particulier qui, aujourd'hui encore, figurez-vous, n'ont pas pu obtenir la copie du rapport des experts. C'est tout de même très caractéristique de la manière dont on gère les affaires dans notre pays, et je regrette de devoir le dire, du témoignage d'un certain mépris à l'égard des personnes principalement concernées quand on leur refuse de prendre connaissance du rapport des experts.
Je ferme cette parenthèse pour relever qu'aujourd'hui sur la base des résultats de l'exercice 1993, «La Suisse» fait 38 millions de chiffre d'affaires de publicité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a une progression depuis le début de l'année de 1 à 2% des recettes publicitaires budgetées, malgré la difficulté de la situation économique. La vente du journal, abonnements et ventes au numéro, se monte à 16 millions pour l'an dernier. Cela signifie que les recettes du journal se montaient à 54 millions l'an dernier.
Il est tout de même malheureux qu'avec une situation aussi privilégiée, on n'arrive pas à faire vivre une entreprise. Certes, et vous avez raison de le souligner, Monsieur Maitre, des erreurs invraisemblables ont été commises dans la gestion de Sonor SA qui, en tant que telle, ne peut pas être sauvée.
Des erreurs ont été commises par Sonor SA, c'est vrai, mais des erreurs ont aussi été commises par ceux qui ont cru, ou laissé croire, que le sauvetage de l'entreprise était possible par Sonor SA qui est un véritable «panier percé» et dont les dettes sont tellement énormes et montrueuses qu'il n'est pas possible d'envisager une quelconque solution de secours. Seule la poursuite des activités par une société qui n'est pas grevée de dettes permet de sauver une activité économique qui représente - je le répète - un potentiel de 54 millions de francs. Voilà la réalité des chiffres !
Or, que propose Edipresse ? Edipresse pose sur la table 5 millions pour Sonor SA et pour acheter le titre et le fichier des abonnés, et en réalité, pour tuer le journal. Nous nous sommes mis, M. Robert Ducret, moi-même ainsi que d'autres personnes, à disposition du personnel pour tenter de l'aider à trouver une solution. C'est ainsi qu'hier j'ai appris un certain nombre de renseignements, notamment par la direction dudit centre d'impression de Vernier qui a bel et bien été sollicité par Edipresse.
Vous aurez immédiatement compris qu'il y a un intérêt évident pour Edipresse à imprimer la «Tribune de Genève» à Genève. Non seulement pour des raisons de distance ou de transport, mais parce que - et vous ne l'avez pas dit, Monsieur Maitre, mais vous le savez - le problème des quotidiens, c'est qu'ils veulent tous être imprimés entre minuit et trois heures du matin.
Or, cela n'est pas possible, ni à Vernier ni à Bussigny. C'est pour cette raison qu'il est particulièrement intéressant pour Edipresse d'imprimer la «Tribune de Genève» afin de bénéficier d'un créneau horaire beaucoup plus intéressant. Et le prix ? J'aurais voulu l'entendre dire ! J'ai cru entendre un prix, mais peut-être pouvez-vous le confirmer ? Je crois savoir que l'offre d'Edipresse pour imprimer la «Tribune de Genève» à Vernier oscille entre... (Monsieur Grobet interrogeant M. Maitre.) ...vous devez le savoir, puisque vous en avez discuté et vous voulez que la «Tribune de Genève» revienne à Genève. (Applaudissements à la tribune.) Mais quel est le montant qu'Edipresse va payer pour imprimer la «Tribune de Genève» à Vernier ?
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je n'en ai aucune idée !
M. Christian Grobet. Je pose la question, car... (M. Grobet est interrompu par M. Lombard.)
Le président. La parole est à M. Grobet !
M. Christian Grobet. Vous permettez, Monsieur Lombard, ce débat est trop important pour qu'on plaisante. J'ai simplement entendu parler d'un chiffre et je ne sais pas s'il est vrai. C'est pour cela que j'interroge le Conseil d'Etat. Quel est ce chiffre puisque telle est votre proposition ? J'ai entendu dire qu'Edipresse a proposé entre 9 et 11 millions. Est-ce le chiffre qui a été donné ? Alors, quel est le chiffre proposé pour publier la «Tribune de Genève» ? Ce point est extrêmement important parce que, jusqu'à présent, «La Suisse» payait entre 20 et 24 millions, semble-t-il...
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Elle ne paie rien !
M. Christian Grobet. A partir du 1er janvier, elle n'a plus payé. Je dis simplement que l'offre d'Edipresse n'est pas tellement intéressante par rapport à l'offre que pourrait faire le successeur de «La Suisse» si ce journal était imprimé à Vernier. Il pourrait faire une offre plus intéressante parce que «La Suisse» paraît, non pas six jours sur sept, mais sept jours sur sept. Or, par voie de conséquence, le contrat d'impression de «La Suisse» pour Vernier est plus intéressant que le contrat d'Edipresse. Lorsque l'on parle de sauver cent quarante emplois, il faut savoir que ce qui se passe aujourd'hui, c'est que...
Une voix interrompant M. Grobet. ...Et tout ce que tu as bloqué, tu en fais quoi ?
M. Christian Grobet. ...Pardon ! (Un vent de colère souffle sur l'assemblée, quelqu'un siffle...)
Le président. Mais n'est-ce pas bientôt fini ?
M. Christian Grobet. Je vous rassure, cela sera débloqué très prochainement par le Conseil d'Etat qui va résoudre tous les problèmes !
Alors, si vous le permettez, «La Suisse», si elle continue à survivre, offrira un contrat d'impression plus intéressant que celui de «La Tribune de Genève» au centre d'impression de Vernier.
Au centre d'impression de Vernier, on travaille avec des gens contractuellement liés à Sonor SA et qui devaient passer depuis longtemps au centre d'impression de Vernier. Par voie de conséquence, que l'on continue avec «La Suisse» ou que l'on prenne l'offre de la «Tribune de Genève», ces cent quarante emplois - et il ne s'agit pas de cent quatre-vingts emplois - seront maintenus, par la force des choses, de manière identique.
Comme cela a été dit, le centre de Vernier est surdimensionné et le remplacement de «La Suisse» par la «Tribune de Genève» ne résout pas encore ce problème, à moins que les banques ne passent par pertes et profits des sommes importantes vu le surdimensionnement de ce centre.
Il aurait été particulièrement intéressant que l'on publie sur les presses les trois titres : «La Suisse», la «Tribune» et le «Journal de Genève» sur les presses de Vernier. Et c'était possible, car, dans le concept de la Société coopérative, elle acceptait un journal différent imprimé à partir de trois heures du matin, ce qui permettait d'imprimer les trois journaux, comme le souhaitait le Conseil d'Etat en son temps.
Ce qui est particulièrement grave, et je ne sais pas comment qualifier la prise de position de M. Lamunière d'hier soir qui, lorsque la direction du centre d'impression lui a demandé s'il avait une objection à ce que le nouveau journal «La Suisse» soit publié au centre d'impression de Vernier, répond : «Non, je n'ai pas d'objection, mais à ce moment je ne viens pas.». Il ne vient pas, parce qu'il veut la mort d'un concurrent, et je trouve très grave que des ukazes économiques de ce type soient posés.
Si la «Tribune de Genève» ne veut pas venir, je suis persuadé quant à moi, en fonction des recettes qui sont là au niveau de «La Suisse» et en fonction d'un projet de journal qui est redimensionné avec une diminution des charges, que ce journal est viable et peut offrir un contrat d'impression plus intéressant au centre d'impression de Vernier. C'est pour cette raison qu'il me semble essentiel de soutenir ce projet qui permet le maintien, non seulement d'un titre, mais de toute une activité économique.
En conclusion, je dirai que le président de la société CITP, M. Vauclair, accompagné de ses deux directeurs adjoints, MM. Chassot et Manche, ont bien insisté, dans les propos qu'ils ont tenus hier soir, sur le fait qu'à ce jour aucun contrat n'a été signé par Edipresse... (M. Maitre faisant un signe affirmatif de la tête.) Non, il n'y a pas de contrat signé par Edipresse avec le CITP ! Des négociations sont en cours.
Concrètement, nous n'avons aucune garantie de ce qui serait sauvé ou non à terme par Edipresse. Dans cette situation, il n'est pas normal que l'on privilégie la solution d'une société qui n'a pour seul objectif que d'éliminer un concurrent ainsi qu'une partie importante d'un secteur économique à Genève, avec toutes les conséquences que cela implique, et c'est la raison pour laquelle j'estime que nous nous devons de soutenir ce projet.
J'ai été stupéfait et abasourdi lorsque, tout à l'heure, quelqu'un a dit dans cette assemblée que la nouvelle société coopérative aurait besoin de 18 millions. Mais d'où tenez-vous ce chiffre ? Comment pouvez-vous prétendre, Monsieur Fontanet, avec assurance, tout en tenant des propos lénifiants sur le personnel, que son projet n'est pas viable ? Vous avez des documents ? Vous avez quelque chose ? Moi, j'ai connaissance d'un certain nombre de chiffres, car je m'y suis intéressé...
Le président. Monsieur le député, vous avez largement dépassé les dix minutes qui vous sont imparties pour votre intervention.
(M. Christian Grobet, s'adressant à M. Lombard.) Vous qui êtes banquier, venez, avec quelques autres, aider le personnel à faire aboutir son projet. Vous ferez oeuvre utile. (Bravos et applaudissements.)
Le président. Nous sommes en présence de deux amendements que je vous relis. Les deux invites sont modifiées de la manière suivante. La première consiste :
A tout mettre en oeuvre pour sauvegarder le maximum d'emplois dans les différents secteurs professionnels concernés.
La deuxième consiste :
A examiner tout projet tendant au maintien d'une presse diversifiée et, s'il est déclaré économiquement viable, à intervenir pour qu'un appui financier bancaire lui soit accordé.
Monsieur Ferrazino, voulez-vous intervenir ou l'on vote l'amendement ?
M. Christian Ferrazino (AdG). Je demande une suspension de séance pour examiner ces amendements. Ils méritent d'être examinés au vu de la gravité de la situation et de ce qui vient d'être dit. Je pense qu'il serait utile de les préciser, car ils laissent planer quelque ambiguïté quant à leur libellé, surtout après ce que l'on vient d'entendre ou, plus précisément, de ne pas entendre de la part de certains. Afin de mieux cerner cette ambiguïté, nous demandons une suspension de séance de dix minutes.
Le président. La séance est suspendue, elle reprendra à 18 h 50.
(La séance est reprise à 19 h)
M. Bénédict Fontanet (PDC). Nous avons essayé, compte tenu de la gravité de la situation et de l'importance de cette affaire, de trouver un consensus entre nous tous qui nous permettrait de voter ensemble les invites de cette motion.
Nous allons vous proposer les amendements à cette motion, d'entente entre tous les groupes représentés dans ce Grand Conseil.
La proposition d'amendement se base sur le texte de la proposition d'amendement qui vous avait été soumise par nos groupes tout à l'heure; elle serait la suivante :
Le Grand Conseil invite le Conseil d'Etat,
- A tout mettre en oeuvre pour sauvegarder le maximum d'emplois dans les différents secteurs professionnels concernés.
- A examiner tout projet permettant le maintien d'une presse diversifiée, soit notamment celui du personnel de «La Suisse» et, s'il est déclaré économiquement viable, à intervenir pour qu'un appui financier bancaire lui soit accordé.
Nous vous invitons à voter ce texte.
M. Christian Ferrazino (AdG). Je confirme que le texte qui vient d'être lu est effectivement le texte de compromis auquel nous sommes parvenus, bien que nous-mêmes considérions ce texte comme pas très satisfaisant dans son libellé puisqu'il n'est pas très clair. Vous en avez pris connaissance tout à l'heure. Nous l'avons accepté et le soutiendrons pour trouver une unanimité sur cette question. Mais je le dis, et tous les représentants des partis qui viennent d'adopter ce texte l'ont confirmé avec moi : nous demandons au Conseil d'Etat de tout faire pour que le projet de la société coopérative qui a été mis sur pied par le personnel de «La Suisse» puisse aboutir, et c'est dans cet esprit que nous vous demandons d'adopter cet amendement.
Le président. Je relis l'amendement proposé qui comporte deux invites.
La première est la suivante :
- A tout mettre en oeuvre pour sauvegarder le maximum d'emplois dans les différents secteurs professionnels concernés.
La seconde invite est la suivante :
- A examiner tout projet permettant le maintien d'une presse diversifiée, soit notamment celui du personnel de «La Suisse» et, s'il est déclaré économiquement viable, à intervenir pour qu'un appui financier bancaire lui soit accordé.
Mme Christine Sayegh (S). Heureusement, nous sommes arrivés à un accord pendant notre suspension d'audience... (L'assemblée rectifiant.) ...de séance...
Le président. Poursuivez, Maître ! (L'assemblée s'écroule de rire.)
Mme Christine Sayegh. Comme quoi, dans un parlement de milice, on ne peut pas toujours faire la différence entre le professionnel et le député. Je reviens donc à la séance. J'espère que ce lapsus n'était pas trop incompréhensible pour certains. Je désire préciser que pour l'invite ou l'amendement n° 1, cela concerne toutes sortes de propositions et non pas seulement la proposition d'Edipresse.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat vient de prendre connaissance du texte que vous avez arrêté durant cette suspension d'audience... (Rires. M. Claude Haegi s'adressant à Mme Christine Sayegh : Quelle influence, Madame !) ...cette suspension de séance. Il entend vous dire qu'il se réjouit du ton qui a caractérisé cette séance extraordinaire et a montré que chacun d'entre nous, quelles que soient nos sensibilités politiques, était animé de la volonté d'apporter une contribution déterminante afin que nous puissions donner la réponse attendue par ceux qui sont exposés aux difficultés que nous connaissons.
Le Conseil d'Etat accepte cette motion telle que vous l'avez arrêtée et poursuivra ce qu'il a engagé, de manière à défendre l'emploi avec le plus d'efficacité possible et, bien entendu, tout comme vous, il est sensible à l'existence d'une presse diversifiée.
Cela étant, nous ajoutons que les pouvoirs sont bien séparés et que certaines décisions appartiennent aux commissaires et à eux seulement.
Mis aux voix, l'amendement est adopté.
(Applaudissements à la tribune du public.)
Mise aux voix, la motion ainsi amendée est adoptée.
(Vifs applaudissements à la tribune du public.)
Elle est ainsi conçue :
MOTION
invitant le Conseil d'Etat
à tout entreprendre pour assurer la survie du journal «La Suisse», en étroite collaboration avec le personnel du journal et à intervenir auprès des grandes banques, et plus particulièrement auprès de la Banque cantonale, pour que celles-ci accordent un appui financier à la nouvelle société qui pourrait être créée par les membres du personnel afin d'assurer la poursuite de la parution du journal, si ce projet s'avère économiquement viable, et à rendre rapport,
vu l'urgence, dans les 10 jours au Grand Conseil.
LE GRAND CONSEIL.
considérant:
- que la menace de disparition qui plane sur le journal «La Suisse» se concrétise de jour en jour;
- que ce journal joue un rôle important dans la vie genevoise;
- qu'il est hautement souhaitable de bénéficier d'une presse diversifiée;
- que, d'autre part, la disparition de «La Suisse» impliquerait la suppression de près de 350 emplois;
- que les pouvoirs publics doivent tout entreprendre pour tenter de maintenir en vie des entreprises qui forment le tissu économique de notre canton et sauver les emplois qui en dépendent,
invite le Conseil d'Etat
- à tout mettre en oeuvre pour sauvegarder le maximum d'emplois dans les différents secteurs professionnels concernés;
- à examiner tout projet permettant le maintien d'une presse diversifiée, soit notamment celui du personnel de la Suisse et, s'il est déclaré économiquement viable, à intervenir pour qu'un appui financier bancaire lui soit accordé.
La séance est levée à 19 h 10.