République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 novembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 1re session - 40e séance
M 820-A
La commission de l'énergie et des Services industriels a, sous la présidence de Mme Calmy-Rey, procédé à l'étude du projet de motion n° 820 au cours de ses séances des 22 janvier, 5 et 26 mars, et 7 mai 1993.
Ce faisant, elle a bénéficié de la présence de M. Jean-Philippe Maitre, président du département de l'économie publique, et de M. Jean-Pascal Genoud, délégué à l'énergie.
La commission a procédé à l'audition de M. Louis Ducor, directeur des Services industriels, et à celle de la Coordination énergétique représentée par MM. G. Krebs et A. Velasco.
1. Introduction
Partant de l'idée que le rôle de l'Etat dans la protection de l'environnement et les économies d'énergie qu'elle implique, ne consiste pas uniquement à promulguer des réglementations, mais aussi à aider les particuliers à mettre en oeuvre des solutions innovantes, par exemple en contribuant, d'une façon ou d'une autre, au financement excédentaire que ces solutions impliquent, les motionnaires ont souhaité inviter le Conseil d'Etat à étudier la mise en place d'un fonds ayant la structure d'une fondation de droit public jouant le rôle de banque de l'énergie. Ils ont envisagé de faire gérer cet organisme par une banque cantonale et de l'alimenter par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des Services industriels, ainsi que par le remboursement et le rendement de l'argent prêté ou toutes autres sources de financement. Selon eux, ce fonds devrait servir à financer toute une panoplie de mesures d'économie d'énergie et d'encouragement au développement des énergies renouvelables.
Cette idée a rencontré un certain intérêt auprès de membres de la commission, qui s'est manifesté par une discussion riche qui, après quelques aménagements des invites, a permis de trouver l'unanimité pour renvoyer la proposition de motion amendée au Conseil d'Etat.
2. Auditions
Entendu le 5 mars, M. Louis Ducor, directeur des Services industriels, a exposé que tout prélèvement sur les recettes des Services industriels (et non pas leur chiffre d'affaires) est exclu sans augmentation de ces recettes, et par conséquent des tarifs.
Sans relèvement, une ponction de 0,6 % diminuerait la capacité d'autofinancement des Services industriels de l'ordre de 3 à 4 millions de francs par an, or 150 millions d'investissements ont déjà dû être reportés de 3 ans.
Par ailleurs, les Services industriels font des efforts importants en matière de recherche et de promotion des économies d'énergie et des sources d'énergies renouvelables. Ainsi le projet CADIOM devrait-il permettre de récupérer près de 13'000 tonnes d'équivalent pétrole de l'usine des Cheneviers.
Ainsi des recherches sont menées sur les piles à combustibles, les nouveaux plans des énergies de réseaux (gaz, électricité), de nouveaux systèmes de mesure, une campagne de recherche géosismique, la procédure pour faire homologuer des véhicules fonctionnant au gaz, l'élaboration d'un concept énergétique exemplaire pour le bâtiment du Lignon, la politique d'encouragement aux centrales chaleur-force, etc.
Ces recherches sont menées dans le cadre actuel du budget et une ponction nouvelle leur porterait atteinte.
Actuellement, la loi sur l'organisation des Services industriels octroie une réduction de 20 % aux communes sur leur propre consommation. De plus, les communes reçoivent une redevance de 7 % et l'Etat de 1 % sur le service de l'électricité facturé sur leur territoire. Ces rabais font d'ailleurs l'objet de plusieurs critiques et une réflexion est en cours avec le département de l'économie publique qui vise à affecter une partie de la plus-value résultant du nouveau tarif à un fonds de politique énergétique qui serait géré par les communes. Ce projet a reçu un accueil favorable de l'Association des communes. Il s'agit dans une certaine mesure d'une réponse anticipée à la motion.
M. Ducor mentionne par ailleurs le fait que les dispositions votées pour le soutien des auto-producteurs d'électricité ont conduit, dans certains cas, à des rentes de situations aberrantes.
M. Maitre suggère que, lors de l'examen du budget de 1994, la commission fasse le point sur la base d'un rapport de M. Ducor et propose des mesures correctives.
Les représentants de la coordination énergétique, MM. Krebs et Velasco, entendus le 26 mars, ont expliqué dans quel esprit la motion n° 820 avait été déposée (voir l'introduction du présent rapport). Ils sont conscients du fait que le département de l'économie publique et les Services industriels exercent un rôle de promotion des mesures d'économie d'énergie, mais ils estiment que les entreprises privées qui manquent de crédits pour des mesures d'économie auraient un contact plus facile avec un organisme privé.
Aux commissaires qui objectent que l'organisme qu'ils envisagent ne parviendrait probablement pas à se financer, ils rétorquent que le rôle en matière d'énergie l'emporte sur l'aspect financier.
3. Documents produits
Au cours des travaux de la commission, il a été fait allusion aux expériences réalisées dans ce domaine à Lausanne et à Zurich.
Les documents produits n'ayant pas fait l'objet de discussion par les commissaires, il n'y sera pas fait allusion. On annexera toutefois pour information le règlement du fonds communal pour les économies d'électricité adopté par le Conseil communal de Lausanne le 16 juin 1992.
4. Travaux en commission
Les motionnaires ont précisé que leur démarche s'inscrit dans la volonté de stabiliser la consommation d'énergie d'ici l'an 2000 et le souci de contrôler sa constante augmentation.
L'une de leurs idées est, en affectant un pourcentage du chiffre d'affaires des Services industriels à ce fonds, de contrecarrer ce qu'ils considèrent comme un effet pervers de la redevance versée aux communes par les Services industriels.
M. Maitre a fait état d'une étude et de réflexions en cours dans son département en vue de la mise en commun des ressources disponibles pour financer des projets allant dans le sens de la maîtrise de la consommation d'énergie et de la valorisation des énergies indigènes, ainsi le projet CADIOM.
Il a mentionné à ce sujet la collaboration entre les Services industriels et le département des travaux publics pour trouver une solution au transport de la chaleur de l'usine d'incinération des Cheneviers vers Onex, projet qui représente un investissement prévisible de 50 à 60 millions de francs.
Plusieurs commissaires ont relevé que le projet de motion reposait sur des exemples peu concluants.
Ils ont aussi observé, ce qu'a confirmé M. Maitre, que, quelle que soit la forme économique ou juridique utilisée, si l'Etat fournit un financement à un taux meilleur que celui du marché, il fournit en fait une subvention qui couvre la différence. Cela est vrai aussi s'il s'agit de financer des projets dont la rentabilité insuffisante compromet le remboursement des montants prêtés. Pareilles subventions ne doivent pas échapper au contrôle budgétaire.
Dans cette perspective, le financement par un prélèvement sur ce que les motionnaires ont appelé le chiffre d'affaires des Services industriels apparaît comme une charge supplémentaire pour les citoyens et un impôt déguisé.
Au cours des discussions, il apparut que la plupart des commissaires n'étaient pas favorables à la création d'une institution nouvelle ad hoc, qu'elle soit ou non à l'intérieur d'une banque existante, mais que l'idée de faciliter le financement de solutions nouvelles propres à économiser l'énergie ou à promouvoir les énergies renouvelables, ne pouvait pas être rejetée.
Au vu des explications données par M. Maitre au sujet des études en cours dans son département, les commissaires sont convenus que, dans, un premier temps, une bonne solution pour atteindre le but désiré consistait à inviter le département de l'économie publique à poursuivre ses études et à les orienter en tenant compte des idées dégagées par la motion en en tenant informé le Grand Conseil.
Sur quoi, l'accord s'est fait entre les commissaires et le président du département de l'économie publique sur un amendement aux invites dans le sens suivant:
Pour le titre:
PROPOSITION DE MOTION
sur la création d'un fonds pour les économies d'énergieet pour les projets valorisant les énergies renouvelables
Pour les invites:
invite le Conseil d'Etat
à étudier la mise en place d'un fonds favorisant le financement des projets s'inscrivant dans les objectifs politiques, énergétiques, de la Constitution, et alimenté par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des Services industriels ou toute autre source de financement.
En conséquence, la commission de l'énergie et des Services industriels, à l'unanimité, vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer la motion n° 820 amendée comme ci-dessus au Conseil d'Etat.
Annexe: règlement du Fonds communal pour les économies d'électricité adopté par le Conseil communal de Lausanne le 16 juin 1992.
PROPOSITION DE MOTION
sur la création d'un fonds pour les économies d'énergieet pour les projets valorisant les énergies renouvelables
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
le programme national énergie 2000, dont la réalisation incombe en partie aux cantons;
la nécessité, affirmée dans ce programme, de nous affranchir pour autant que faire se peut de la consommation d'énergies non renouvelables et/ou polluantes;
qu'aucune politique ne peut être menée sans moyens financiers;
que les instruments économiques sont préférables aux règlements;
l'importance de démontrer qu'écologie et relance économique sont compatibles,
invite le Conseil d'Etat
à étudier la mise en place d'un fonds favorisant le financement des projets s'inscrivant dans les objectifs politiques, énergétiques, de la Constitution, et alimenté par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des Services industriels ou toute autre source de financement.
ANNEXE
Débat
M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais vous rappeler quelques-unes des idées qui étaient les nôtres au moment où l'on avait déposé cette motion il y a une année. L'idée de fond, c'est de dire que chaque million investi dans les économies d'énergie crée un emploi de qualité à long terme et crée aussi 2,5 millions de kilowattheures chaque année. Les actions menées à Genève, notamment dans l'expérience AURELA, et à Lucerne ont permis d'atteindre un coût du kilowattheure se situant entre 6 et 20 centimes - certaines expériences étant mieux pensées et plus rentables que d'autres. Vous savez que l'on peut aujourd'hui acheter des kilowattheures provenant du nucléaire français pour environ 7 centimes selon l'heure et la saison. C'est vous dire que les kilowattheures économisés par les expériences suisses ne sont pas loin du seuil de rentabilité par rapport aux kilowattheures nucléaires.
Nous avons donc déposé cette motion demandant que l'on crée un fonds pour faire des investissements dans ce genre d'économies d'énergie. Nous avons été relativement bien accueillis en commission par les commissaires et le conseiller d'Etat qui étaient ouverts à nos idées et nous avons pu travailler ensemble plus ou moins bien. Toujours est-il qu'il y a quand même trois petites choses qui nous manquaient, non pas dans l'invite avec laquelle nous sommes d'accord, mais dans le rapport de M. Du Pasquier. Malheureusement, M. Du Pasquier n'a pas été réélu. C'est donc M. Annen qui a pris sa place, ce n'est pas trop grave. (Rires.) M. Annen a bien suivi toutes nos discussions. Comme je vous le disais, il y a trois choses qui nous manquent, et je voudrais bien qu'elles soient dites ici et, si possible, qu'elles soient inscrites dans le rapport.
La première, c'est que nous avons beaucoup insisté en commission pour que ce fonds soit privé et non pas géré par l'Etat. Il nous semblait qu'un directeur privé était mieux à même pour travailler par le fait qu'il était décentralisé et autonome pour choisir des bons projets; il n'était pas soumis à la lourdeur d'un appareil d'Etat pour éventuellement le bloquer dans certains de ses projets.
Le deuxième point qui nous semblait important était la question du recyclage de l'argent. Ce n'est pas du recyclage d'argent sale dont il s'agit, c'est du recyclage d'argent; ce qui veut dire qu'au fur et à mesure qu'une entreprise fait des économies d'énergie, elle peut rembourser ce fonds et l'argent ainsi remboursé peut ensuite servir à financer d'autres projets.
Un troisième point nous semblait assez important. On a plusieurs fois parlé, à propos de ce fonds, du projet CADIOM. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas ce projet, sachez que c'est un projet ambitieux qui, s'il est accepté un jour, va prendre une dizaine d'années de travaux, va coûter entre 50 et 70 millions et va servir à récupérer la chaleur des Cheneviers pour chauffer notamment Le Lignon et Onex.
Une voix. Et Aire-la-Ville !
M. Chaïm Nissim. Et Aire-la-Ville ? C'est vrai ? Non, je ne crois pas. Nous ne sommes pas contre cette idée de CADIOM, mais une idée qui coûte 50 millions et qui prend dix ans n'est pas, à notre avis, un projet prioritaire. Nous aimerions mieux développer pour commencer des idées plus petites, coûtant moins cher et plus vite réalisables. Nous savons par exemple qu'il y a des possibilités au Lignon de construire un couplage chaleur-force. Ce serait fait en six mois, ça coûterait beaucoup moins cher et ça serait plutôt à ce genre de projet que nous pensions pour ce fonds, mais enfin, on verra.
M. Claude Blanc (PDC). Le groupe démocrate-chrétien a été intrigué par une phrase du rapport et la formulation de la première invite. La phrase du rapport est celle qui se situe à la page 4, avant-dernier paragraphe :
«Dans cette perspective, le financement par un prélèvement sur ce que les motionnaires ont appelé le chiffre d'affaires des Services industriels apparaît comme une charge supplémentaire pour les citoyens et un impôt déguisé.»
On retrouve cette même idée, sans parler de l'impôt déguisé naturellement, dans la première invite où l'on dit que l'on pourrait alimenter ce fonds par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des Services industriels. Il y a là un problème politique de fond qui se pose.
La politique énergétique de notre canton est régie par l'article 160 C de la constitution adopté par le peuple il y a quelques années. Il est bien clair que la gestion politique de tous les objets concernant le Grand Conseil doit se faire avec l'aide des ressources de l'Etat et que les moyens que nous mettrons à disposition doivent faire l'objet soit d'une loi, soit d'une inscription dans le budget, mais de toute manière ne doivent pas échapper au contrôle populaire, c'est-à-dire que nous ne pouvons pas, par une simple hausse des tarifs de l'électricité, financer un objectif politique inscrit dans la constitution et, éventuellement, décidé par le Grand Conseil. Nous nous opposerons donc à ce que l'on introduise, par cette motion, la notion d'impôt déguisé qui ne nous paraît pas acceptable.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). J'aimerais revenir sur le travail qui a eu lieu en commission. Nous avions insisté sur trois axes que M. Nissim vient de souligner. Premièrement, nous voulions que ce fonds fonctionne comme une sorte de banque, deuxièmement - et cela nous paraissait important - qu'il y ait un roulement de l'argent, c'est-à-dire pas seulement des subventions mais aussi des prêts avec des intérêts plus ou moins élevés selon l'intérêt du projet. Ce roulement de l'argent qui réalimente le fonds nous semble très important. Troisièmement, nous avions aussi souligné que nous ne voulions pas que ce fonds serve uniquement à financer le projet CADIOM, qui va coûter extrêmement cher, mais qu'il puisse soutenir très rapidement des petits projets, comme l'a dit M. Nissim.
Nous avons largement exprimé ces soucis en commission. Pour faire avancer la discussion, pour permettre de voter de manière unanime, ce qui est suffisamment rare pour être souligné au sein de la commission de l'énergie, nous avons accepté une nouvelle invite qui, pour nous, était synonyme de recul. Dans ce souci de consensus, nous l'avons acceptée. Je suis surprise d'ailleurs aujourd'hui que M. Blanc revienne sur le texte de cette invite. Moi-même, je ne la remets pas du tout en question. Par contre, nous sommes - je viens de l'annoncer à M. Annen - déçus du contenu du rapport. Nous avions demandé que nos soucis soient bien évoqués dans le rapport. Or, rien n'y fait allusion. M. Du Pasquier a omis ou a mal repris nos propos et nous souhaiterions que ce rapport puisse être repoussé à la prochaine séance, complété par un commissaire libéral qui reprendrait le travail de M. Du Pasquier.
Il arrive souvent que l'on se mette d'accord sur telle ou telle chose et que l'on tienne à ce que cela figure dans le rapport. Il reste ensuite un élément de travail. Nous demandons donc que ce rapport puisse revenir lors de la prochaine séance, une fois complété. Quant à la question de M. Blanc, ce n'est pas un retour en commission proprement dit que nous voulons, mais juste que ce texte soit complété par M. Du Pasquier ou par l'auteur du parti libéral.
La proposition de renvoi de cette motion à la commission de l'énergie et des Services industriels est adoptée.