République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 avril 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 3e session - 14e séance
PL 6950
Préconsultation
M. Jean-Pierre Gardiol (L). Près de 8% de chômeurs à Genève, combien demain? Personne, parmi nous, n'est en mesure de répondre à cette question lancinante. Il n'existe pas de remède-miracle, car on l'aurait administré depuis longtemps. En revanche, il faut s'attaquer à ce mal en imaginant, puis en appliquant le plus rapidement possible toutes les mesures susceptibles de lutter contre ce fléau et d'en adoucir les conséquences pour les chômeurs.
Avec ce projet de loi, je songe particulièrement aux travailleurs âgés qui, en cas de licenciement économique, ont malheureusement très peu de chance de retrouver un emploi avant leur retraite. Une des solutions qui s'offre, pour éviter cet engrenage, est d'encourager les partenaires sociaux des diverses branches économiques à introduire dans leur branche une retraite anticipée, de façon à retirer du marché du travail les personnes actives qui tombent, dans un premier temps, à la charge de l'Etat puis, dans un deuxième temps, à la charge du canton au travers de l'occupation temporaire des chômeurs.
Qui plus est, ce système permettrait à ces travailleurs de se retirer dignement tout en ayant le temps de se préparer à une retraite définitive. Au moment où il est largement question d'une nouvelle répartition du travail entre les actifs, je pense que les élargissements des possibilités de retraite anticipée libéreront des places de travail qui pourront être occupées par les jeunes, dont une proportion trop importante rencontre maintenant des difficultés pour trouver des emplois.
Enfin, comme vous l'avez compris en prenant connaissance de mon projet, la solution que je propose permettra aussi à l'Etat de maîtriser, voire de réduire ses dépenses au titre de l'occupation temporaire qui devraient atteindre, selon les indications données par le président du département de l'économie publique, environ 50 millions de francs cette année. Quel en sera le montant ces prochaines années?
Je ne prétends pas avoir trouvé l'arme suprême pour lutter contre le chômage, mais je suis persuadé que, sous réserve de quelques garde-fous, l'instrument que je propose est susceptible, d'une part, d'encourager certaines branches économiques à introduire la retraite anticipée et, d'autre part, d'alléger quelque peu l'engagement financier de l'Etat dans la lutte contre le chômage. N'est-ce pas un bon exemple de partenariat entre le secteur public et l'économie privée?
Je vous remercie de bien vouloir renvoyer ce projet de loi pour étude -- et pour que je puisse vous développer les aspects plus techniques -- à la commission de l'économie.
M. Jacques-André Schneider (Ve). Ce projet de loi est intéressant. Je voudrais faire un commentaire général et quelques commentaires techniques.
Il est vrai, Monsieur Gardiol, que la retraite anticipée a été et reste l'un des instruments de lutte contre le chômage. De nombreux pays ont développé ce dispositif. J'aimerais tout de même attirer votre attention sur le fait que l'enthousiasme initial pour ce dispositif a cédé parfois le pas à un certain désenchantement, car on s'est aperçu que la retraite anticipée peut devenir un oreiller de paresse qui consiste tout simplement à éjecter du marché du travail des travailleurs de plus en plus jeunes, je pense à 55, 58 ans, raison pour laquelle des contre-dispositifs ont dû être imaginés pour éviter que la retraite anticipée ne devienne un facteur d'accroissement du chômage, puis de renchérissement des systèmes de retraite.
Ce n'est pas une remarque critique face à votre projet, c'est une remarque un peu générale. J'aimerais maintenant vous faire quelques commentaires techniques à propos desquels il vous appartiendra de réfléchir en commission.
La retraite anticipée, en termes de revenus, n'est pas nécessairement le Pérou. Si on la prend très tôt, par exemple à 60 ans, il faut un gros effort financier des systèmes de retraite et des caisses de pension pour que la rente permette au retraité de vivre. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la loi fédérale sur l'assurance-chômage, la retraite anticipée n'entraîne pas nécessairement la suppression du droit aux prestations, c'est-à-dire que la retraite anticipée peut être cumulée avec les indemnités de chômage jusqu'à concurrence du dernier salaire, lorsque cette retraite anticipée est due à un licenciement économique ou à des réglementations impératives entrant dans le cadre de la prévoyance professionnelle.
Dans le cadre de la loi genevoise sur le chômage, le chômeur peut bénéficier de l'occupation temporaire dès qu'il a épuisé son droit aux indemnités fédérales, mais la loi ne lui interdit pas de toucher, en sus, une retraite anticipée. Or le projet de loi, que je trouve très intéressant, n'aborde que le subventionnement de la retraite anticipée, mais pas celui du droit aux prestations de chômage. Si l'on veut que le subventionnement ait l'effet incitatif que vous souhaitez et que je souhaite aussi, c'est-à-dire qu'il convainque le chômeur âgé à ne pas s'inscrire au chômage, il faudrait que les dispositifs de retraite anticipée mis sur pied par les entreprises ou par les partenaires sociaux soient suffisants pour permettre aux retraités chômeurs de vivre décemment jusqu'à l'âge légal de la retraite.
Je vous invite donc à réfléchir à cet aspect en commission. Un subventionnement qui n'aboutit pas à une véritable incitation serait un subventionnement inutile. Par conséquent, il faudra bien imaginer quelques garde-fous. Je pense, pour ma part, qu'il faudrait, par exemple, exiger que le plan de retraite anticipée pour qui souhaite bénéficier d'une subvention, devrait remplir au moins trois conditions. La première, c'est d'offrir une rente de 70 à 80% du dernier salaire jusqu'à l'âge légal de la retraite AVS. La deuxième est que ce plan de retraite assure la continuité des contributions à l'AVS jusqu'à l'âge de la retraite. La troisième est que ce plan de retraite anticipée ne doit pas entraîner une réduction de la rente ordinaire du deuxième pilier, due en vertu du règlement de la caisse de pension.
Ces quelques remarques, encore une fois, ne doivent pas être interprétées comme une critique. Ce sont des remarques destinées à permettre un approfondissement de vos réflexions et j'espère que ce projet sortira de la commission avec la solution de ces quelques questions techniques.
M. Pierre-Alain Champod (S). Vu l'heure tardive, je serai extrêmement bref pour dire, tout d'abord, que notre groupe ne s'opposera pas au renvoi de ce projet de loi en commission. Deuxièmement, pour rappeler qu'il y a quelques mois, le parti socialiste avait déposé un projet de modification de la loi cantonale sur le chômage qui prévoyait, notamment, que l'Etat prenne en charge une partie des cotisations sociales des entreprises qui engageraient des personnes de plus de 45 ans afin de diminuer leurs charges. Nous avions également proposé que les personnes qui étaient à moins de cinq ans de leur retraite puissent bénéficier de deux occupations temporaires dans trois délais-cadres, afin de leur permettre de passer les cinq dernières années de leur vie active entre des périodes de chômage et des périodes d'occupation temporaire.
Malheureusement, en commission, ces propositions ont été accueillies extrêmement froidement par le groupe auquel appartient M. Gardiol.
J'ose espérer que la proposition qui nous est faite ce soir signifie un changement de position du parti libéral sur ces questions et ce que l'on nomme le traitement social du chômage et, lorsque nous reprendrons nos débats en commission, j'espère qu'il y aura plus d'ouverture sur nos propositions visant, effectivement, à traiter des aspects sociaux du chômage.
Pour terminer, je ferai deux remarques. Il faudra, en commission, examiner les différents problèmes de maintien de revenu évoqués par M. Schneider. Il faudra également que la prise en charge par l'Etat d'une partie des retraites anticipées ne soit pas faite au détriment de l'occupation temporaire, sauf dans les cas où elles les remplaceraient. Il faudra aussi examiner si, pour les finances de l'Etat, le financement proposé par M. Gardiol des retraites anticipées est plus avantageux que le subventionnement par la Confédération des occupations temporaires, telles qu'elles sont prévues dans les AFU entrés en vigueur aujourd'hui.
M. Bernard Annen (L). Je partage assez l'avis de M. Schneider lorsqu'il dit que c'est un projet de loi très intéressant et qu'il peut apporter énormément dans un domaine aussi sensible que celui-ci.
Toutefois, j'aimerais laisser quand même à votre réflexion le rapport transformé en message du Conseil fédéral, lorsqu'il évoque toute la question fondamentale de la dixième révision AVS. Si M. Schneider, qui s'occupe de fonds de prévoyance, est intervenu comme il l'a fait tout à l'heure, c'est qu'il sait de quoi il parle et sait dans quelles implications financières cela peut entraîner un fonds de compensation. A partir de son message, le Conseil fédéral a mandaté un certain nombre d'experts pour étudier la courbe des âges, en fonction d'un certain nombre de scénarios. Ces scénarios n'ont été contestés par personne, ni sur les bancs de la gauche ni sur les bancs de la droite.
Que lisez-vous dans ce rapport, et qui est frappant? Il est écrit que dès les années 2005 à 2035, il faudra deux actifs pour payer la rente d'une seule personne. C'est dire à quel point la charge, uniquement en matière d'AVS, sera lourde et toute notre réflexion doit se faire en ayant ces chiffres en tête. Lorsque nous parlons de ce genre d'étude, il est bien évident que vous pouvez la reporter sur un fonds de prévoyance. Autrement dit, en toute simplification, la rente AVS risque d'être tout simplement doublée et à la charge de deux personnes pour un seul rentier. C'est dire que c'est pratiquement 50% d'une rente qui devront être payés par chaque personne active. Sans vouloir minimiser ce que j'appelle, pour ma part, une bonne idée proposée par notre collègue Gardiol, je crois que nous devons aussi penser aux générations futures et devons éviter de leur léguer des charges qui pourraient être, si nous n'y prenons pas garde, tout simplement insupportables.
Ce projet est renvoyé à la commission de l'économie.