République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 février 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 2e session - 6e séance
M 842
Débat
M. Pierre-Alain Champod (S). Je ne reprendrai pas en détail le contenu de cette motion, l'exposé des motifs étant à mon avis suffisamment clair. En revanche, je souhaite faire quelques remarques.
La première concerne la complémentarité entre cette motion et celle que nous avons adressée au Conseil d'Etat en décembre dernier. Celle-ci était issue de la commission des affaires sociales et proposait au Conseil d'Etat d'étudier avec les caisses d'allocations familiales un certain nombre de réformes fondamentales de la loi sur les allocations familiales, notamment de revoir la péréquation entre les caisses, d'étudier la possibilité de moduler les allocations en fonction des revenus des parents et d'introduire les indépendants dans le cercle des bénéficiaires. La motion proposée ce soir est plus modeste que celle adoptée en décembre puisqu'elle ne vise qu'à la compléter.
Deuxième remarque. Il y a déjà un certain temps que nous avons cette motion dans nos tiroirs. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à y avoir pensé puisqu'en commission Mme Maulini-Dreyfus avait fait une proposition semblable. Si nous ne l'avons pas sortie de nos tiroirs plus tôt, c'est que nous craignions qu'il y ait, dans ce parlement, une forte opposition à la notion d'étendre le cercle des bénéficiaires des allocations familiales. Nous pensions que l'opposition concernerait l'idée d'inclure les indépendants parmi les bénéficiaires.
Nous avons constaté, avec le vote de décembre, que cette crainte était non fondée puisque le parlement a accepté la motion incluant les indépendants. Deux raisons à notre avis expliquent ce changement d'attitude. D'une part, la situation précaire dans laquelle se trouvent de nombreux indépendants et, d'autre part, en modulant les allocations en fonction des revenus l'on évite de verser des fortes sommes à des indépendants aisés.
Troisième remarque. Après le vote de décembre, seuls les assistés, les invalides, les retraités et les étudiants seraient exclus du cercle des bénéficiaires des allocations familiales. Notre proposition vise à introduire ces catégories sociales parmi les bénéficiaires. De plus, l'évolution de la société, et en particulier celle du marché de l'emploi, fait qu'un nombre croissant de personnes n'ont plus un emploi stable à plein-temps et qu'il est nécessaire, pour répondre aux besoins financiers de ces personnes, de supprimer le lien entre salaire et allocation familiale. Ce changement important de la philosophie de la loi aura pour conséquence une grande simplification de la législation, car déjà aujourd'hui de nombreuses personnes non salariées touchent des allocations familiales. Je ne mentionnerai que les chômeurs en fin de droit et je pense que tout le monde dans cette salle estime que ce n'est que justice.
Enfin, nous vous recommandons d'adresser cette motion directement au Conseil d'Etat afin qu'il puisse l'étudier avec la motion 836 que nous lui avons adressée en décembre. Cette étude devra se faire en collaboration avec les caisses d'allocations familiales publiques et privées.
Un renvoi en commission ne pourrait que retarder les travaux que le Conseil d'Etat est en train d'entreprendre avec ces milieux. De toute manière, au terme de cette étude le Conseil d'Etat devra nous présenter les conclusions de ce groupe de travail sous forme de projet de loi, et à ce moment-là, le Grand Conseil devra reprendre ses travaux sur ce thème. En conclusion, je vous remercie de faire bon accueil à cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Effectivement, cette motion aurait pu être signée par notre groupe. En fait, nous sommes d'accord sur l'idée «un enfant -- une allocation», mais nous avons une attitude plus réservée quant au principe des allocations familiales modulées selon le revenu.
Le but des allocations familiales est à Genève et en Suisse en général un but d'aide à la famille, un but social. Les allocations familiales ont vu leur champ s'étendre d'année en année. Au début, elles étaient réservées aux salariés seulement, puis aux salariés féminins de maisons, aux agriculteurs indépendants par loi fédérale, à l'apprentissage et aux études, aux frontaliers français et suisses selon convention, à certains indépendants. Les allocations familiales ont été étendues en cas d'arrêt maladie de longue durée ou d'accident longue durée, elles l'ont été aussi aux salariés étrangers dont les enfants sont à l'étranger de même qu'aux personnes bénéficiant des rentes OAPA et AI, aux chômeurs et aux chômeurs en fin de droit.
Finalement, au terme de cette extension, il est temps de se poser résolument la question de l'allocation liée à l'existence de l'enfant et non pas au droit au salaire.
Pour ce qui est de la modulation en fonction du revenu, il faut à ce propos faire quelques remarques et réserves dont nous discuterons en commission. Ce système est peu répandu. Il est connu en Bulgarie et en Tchécoslovaquie. Il faut noter que, dans le système des allocations familiales que nous connaissons, les allocations d'un montant fixe ont déjà un caractère inversement proportionnel au revenu lorsque celui-ci augmente, alors que le prélèvement est fonction du salaire. En faisant intervenir directement l'élément du revenu dans la fixation du montant de l'allocation on induirait à nouveau un régime à notion d'assistance.
Il faudrait prévoir à quelle limite supérieure cette allocation ne serait plus versée et fixer des taux de dégressivité. Chaque limite qu'une législation impose crée des sentiments d'injustice notamment chez ceux étant juste à la limite. D'autre part, il faudrait tenir compte du salaire de l'épouse, du revenu de la fortune, des différents revenus pour les enfants du premier lit et pour ceux du nouveau ménage, des cas de divorce, de veuvage, etc. En tout cas, les problèmes administratifs décaleraient le versement des allocations adaptées à la situation, sans compter le travail de gestion en plus. Il faut que le système d'allocations familiales reste simple.
Sans préjuger de la limite qui serait fixée, il est peu probable que l'introduction d'un système dégressif permette d'augmenter sensiblement les allocations minimales. Enfin, pour terminer, il faut se souvenir que l'autre
contribution de soutien à la famille appartient au domaine fiscal et qu'il faut peut-être parler là de participation en fonction du revenu.
M. Bernard Annen (L). A la lecture de cette motion, nous avons réagi en fonction de l'élargissement et de la remise en question de l'ensemble de la structure d'allocation familiale. Un certain nombre de principes peuvent être remis en question et, à partir de là, tout est permis.
Aujourd'hui, les allocations familiales sont déterminées selon un principe reconnu, et il faudra que notre parlement décide si celui-ci doit être supprimé et si nous devons en introduire un autre. Il est vrai, Madame Maulini, que vous démontrez une certaine réalité. Aujourd'hui, il y a un phénomène de décentralisation du fédéral au cantonal qui comporte un certain nombre de dysfonctionnements que je ne nie absolument pas. Les différents secteurs économiques ayant des conventions collectives qui tiennent compte de leurs caractéristiques fondamentales me paraissent plus importants qu'une fiscalisation, comme vous tentez de nous le dire.
Si nous reprenons la motion par rapport à la réalité de la structure actuelle, nous constatons que les allocations familiales sont aujourd'hui payées en fonction du nombre d'heures de travail et d'une relation directe employeur-employé. Autrement dit, il faudra aussi donner aux autres une allocation familiale. C'est une question de principe. Par rapport à la structure actuelle, les allocations familiales financées essentiellement par les employeurs seront maintenues, et ce que vous demandez en plus le sera par l'Etat sous forme d'un impôt supplémentaire par exemple.
Aujourd'hui, la notion «un enfant -- une allocation» est évidente. Qui, dans ce parlement, pourrait contester cela? Personne. Il faut savoir quelles sont les répercussions que cela aura sur les entreprises. On parle d'allocations familiales, mais vous ne précisez pas dans votre motion si ce sont les entreprises ou l'Etat qui devront payer.
Si vous voulez que les entreprises paient, d'accord, c'est une question politique à définir. En matière d'entreprise, il faut savoir que les charges de chômage vont immanquablement augmenter. De plus, des projets de lois fédéraux sur les allocations familiales sont en cours d'étude et il est certain
que Genève en ressentira les effets. A un moment donné, il faut savoir jusqu'où l'on peut aller. Cela est la vraie question.
En ce qui concerne vos motions, je ne vais pas m'y opposer parce que nous avons décidé de faire une réflexion sur l'ensemble de la loi sur les allocations familiales. Je ne suis pas d'accord qu'elle soit intégrée à la réflexion, qu'elle devienne force de loi et application, car je vous soupçonne de vouloir faire payer les entreprises. Dans la structure concurrentielle d'aujourd'hui, vous devez impérativement vous poser la question de savoir si réellement cela sera bénéfique pour les Genevois ou pas. Nous n'allons pas nous opposer au renvoi en commission en ce sens que cela fera partie de la réflexion, mais ça ne veut en tout cas pas dire que nous allons l'accepter comme cela, sans y réfléchir.
M. Philippe Schaller (PDC). Les intervenants m'ayant précédé ont bien montré que le problème des allocations familiales est très sensible et qu'il n'y a de solutions simples ni dans le financement, ni dans le versement de ces allocations. Nous serons très heureux d'accepter le renvoi de cette motion en commission afin d'en discuter. Il faut aussi être conscient qu'aujourd'hui, le niveau des prestations familiales s'est quelque peu dégradé en fonction de divers indices. Encore faut-il s'entendre sur ces indices. Quel bien, quel service prennent-ils en compte? Comment les estimer? Quels écarts mesurer? Je pense que ceci est un pinaillage de spécialistes, mais les parents de ce canton se rendent bien compte que leurs rejetons leur coûtent bien plus cher.
Je crois que les grands perdants sont bien ceux qui en auraient le plus besoin, ceux ayant perdu leur travail. La motion qui nous est proposée essaie de résoudre ce douloureux problème. Comme l'a dit M. Annen, accepter la notion «un enfant -- une allocation» bouleverse complètement le système actuel qui, il faut l'avouer, est un peu désuet et ne répond plus à la notion même d'une véritable politique familiale et d'une solidarité dans ce domaine.
Nous acceptons que cette motion soit renvoyée à la commission sociale et nous l'associerons à nos réflexions concernant les autres projets de lois et motions sur les allocations familiales.
M. Pierre-Alain Champod (S). Je voudrais juste revenir sur la fin de mon intervention. En effet, pourquoi n'ai-je pas demandé le renvoi en
commission? Nous avons voté en décembre une motion qui a été renvoyée au Conseil d'Etat pour qu'il l'étudie avec la Conférence des caisses familiales. L'idée de la motion qui vous est présentée ce soir est de compléter celle votée au mois de décembre.
Par conséquent, le groupe d'étude mis en place par le Conseil d'Etat pourra étudier à la fois la motion votée en décembre et celle qui nous concerne aujourd'hui, pour qu'ensuite, les conclusions de ce groupe puissent vous êtes présentées sous forme de projet de loi. A ce moment, la commission des affaires sociales pourra reprendre l'étude de ce projet. Si nous renvoyons cette motion à la commission des affaires sociales, cela veut dire que le groupe mis en place par le Conseil d'Etat ne pourra pas intégrer son contenu dans sa réflexion.
Je rappelle aussi que les différences les plus fondamentales avec le système actuel ont été votées en décembre, notamment sur le principe d'ouverture des allocations aux indépendants. Or, par rapport à ce qui vous est proposé ce soir, à savoir de l'ouvrir aux étudiants et aux assistés, le nombre d'étudiants et d'assistantes ayant des enfants est bien moindre que le nombre d'indépendants ayant des enfants. Les problèmes financiers évoqués par M. Annen sont bien réels, mais ils se posent tout autant par rapport aux indépendants que par rapport aux deux catégories induites en plus dans cette motion.
Le problème des allocations modulées en fonction des revenus n'est pas mentionné dans le contenu de la motion qui vous est soumise ce soir, mais dans le contenu de la motion votée en décembre. Pour toutes ces raisons, je vous demande de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat pour qu'il l'étudie avec le paquet que nous avons voté au mois de décembre.
M. Bernard Annen (L). Sur le fond, je partage la conclusion de M. Champod, à savoir le renvoi de cette motion avec le paquet. Je pense que le Conseil d'Etat peut et doit l'intégrer dans l'étude complète.
A cet égard, j'aimerais rappeler que nous avons voté une motion dite «Torracinta» -- que son auteur m'excuse, mais c'est comme cela qu'elle a été nommée. Cette motion a été acceptée par ce parlement. Dès lors, nous devons nous rencontrer en commission technique: département de la prévoyance sociale, caisse cantonale et Conférence des caisses d'allocations familiales. Il est temps aujourd'hui que cette commission à laquelle le gouvernement doit donner l'impulsion le plus rapidement possible pour que nous puissions élaborer un projet de loi démarre ses travaux. Ce projet pourra être contesté ou pas, peu importe, pourvu que l'on commence à travailler.
Monsieur Champod, vous devez absolument accepter le principe selon lequel, au niveau des coûts et par rapport à une plus grande justice d'allocation familiale, le coût global ne soit pas modifiable, et dans ce cas un certain nombre de principes que vous défendez seront réalisés. Je crois qu'il ne faut pas faire de fixation dans un domaine plutôt que dans un autre, le principe que vous devez accepter c'est que le coût global pour la collectivité soit le même. A partir de là des modulations pourraient aller dans votre sens.
Je m'oppose au renvoi au Conseil d'Etat car, par rapport à la notion même du renvoi en commission, cela donne l'impression que le parlement accepte le principe «un enfant -- une allocation». Aujourd'hui, le parlement ne peut pas prendre position puisqu'il ne connaît pas les coûts. S'il les connaissait -- par rapport à la logistique des allocations familiales -- ce ne serait pas le rôle des entreprises de payer puisqu'elles sont définies par des critères qui font qu'il y a une relation employé-employeur.
En conséquence, la caisse cantonale deviendra une caisse supplétive qui financera ce que vous demandez, et celle-ci sera financée par les impôts. Aujourd'hui, je ne vois pas ce parlement accepter le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. En effet, cela sous-entendrait qu'il estime que le parlement lui donne l'aval dans ce domaine.
Mme Françoise Saudan (R). Je peux comprendre l'approche globale que notre collègue Champod voudrait que l'on ait du problème des allocations familiales. Toutefois, je ne peux le suivre dans sa démarche. Je partage les mêmes inquiétudes que M. Annen.
La comparaison avec les indépendants est fausse, Monsieur Champod, puisque dans notre esprit ce sont eux qui financeront les allocations familiales des enfants des indépendants. La seule contrepartie dans votre proposition serait le budget de l'Etat, comme l'a expliqué M. Annen. C'est une décision
politique, et vous savez très bien que, dans les circonstances actuelles, il faudra trouver les moyens de financer ces allocations si nous voulons aller dans la voie que vous proposez. Je vous prie de bien vouloir renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales pour que, sur le principe, nous puissions nous prononcer.
M. Pierre-Alain Champod (S). Je voudrais juste rappeler que le but de la motion n'est pas d'imposer cette solution, mais de l'étudier. Je souhaite également que le groupe mis en place par le Conseil d'Etat puisse se pencher sur la question.
Mme Claire Torracinta-Pache (S). J'aurais éventuellement une proposition d'amendement à formuler pour débloquer la situation. Pourrais-je simplement vous la lire avant de vous l'apporter, pour voir si vous êtes d'accord? Elle dit ceci:
«invite le Conseil d'Etat à intégrer dans sa révision de la loi sur les allocations familiales l'étude des implications financières qui découleraient du principe: «un enfant -- une allocation».
On peut le moduler un peu différemment, mais ce que l'on aimerait c'est qu'on étudie avec les partenaires concernés toutes les implications qu'aurait cette proposition que l'on vous fait aujourd'hui. Il serait dommage de devoir retourner en commission et de reprendre le débat sur les allocations familiales. Cette discussion nous a déjà occupés assez longtemps et nous aimerions profiter de l'étude en cours pour que tout l'aspect de la question soit passé en revue. Cela ne veut pas dire que le Conseil d'Etat nous fera obligatoirement des propositions dans ce sens. De toute façon, s'il les faisait, le parlement trancherait au moment du rapport.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Vous avez voté en décembre une motion 836 donnant un mandat clair au Conseil d'Etat. Sur la base de ce mandat, Monsieur Annen, nous avons eu des contacts et nous avons donné par écrit à la Conférence des caisses d'allocations familiales le détail du mandat qui lui était confié par le Conseil d'Etat et le calendrier qu'elle devait suivre.
Elle rendra un avant-projet de loi au mois de juin. Il sera soumis à une procédure de consultation auprès des partenaires sociaux et sera déposé par le Conseil d'Etat devant le Grand Conseil en septembre ou en octobre de cette année. Ce mandat ne comprend pas le principe «un enfant -- une allocation» qui n'a pas été voté dans le cadre de la motion 836. Ce principe est, de l'avis d'une majorité, un bon principe, mais il aurait évidemment deux conséquences s'il était appliqué: d'une part, il changerait profondément le système actuel des allocations familiales et, d'autre part, il introduirait très probablement une fiscalisation, au moins partielle, du régime des allocations familiales.
L'étude du principe «un enfant -- une allocation» n'est donc pas mentionnée dans le mandat que j'ai donné à la Conférence des caisses d'allocations familiales. Si vous voulez que la conférence étudie l'introduction de ce principe et les modalités de son financement, il vous faut voter la motion telle qu'elle est amendée par Mme Torracinta-Pache.
M. Bernard Annen (L). Je souscris entièrement à l'étude et à la proposition de Mme Torracinta. Il y a une très grande différence, Monsieur le chef du département, entre le fait de vouloir intégrer dans vos propositions le principe «un enfant -- une allocation» par rapport à l'étude proposée par Mme Torracinta. Toutefois, cela ne veut pas dire que ce parlement en accepte le principe sans autre.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Pour que les choses soient bien claires, Monsieur Annen, le mandat donné à la Conférence des caisses d'allocations familiales est d'étudier, sous l'angle de l'opportunité et de la faisabilité, les huit points qui étaient mentionnés dans la motion 836. Si vous voulez rajouter un neuvième point à étudier, sous l'angle de l'opportunité et de la faisabilité, notamment financière, il vous faut voter cette motion.
Mis aux voix, l'amendement de Mme Torracinta-Pache est adopté.
Mise aux voix, la motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue: