République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 mars 2025 à 20h35
3e législature - 2e année - 11e session - 60e séance
IN 194-B et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons le point fixe qui réunit l'IN 194-B et le PL 13351-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Madame Bobillier, vous avez la parole.
Mme Sophie Bobillier (Ve), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'initiative populaire cantonale 194 et son projet de loi complémentaire proposent d'accorder une immunité relative aux policiers, limitant ainsi la possibilité de poursuites pénales à leur encontre. Selon ces textes, que la majorité de la commission judiciaire vous invite à refuser, la compétence de lever l'immunité reviendrait au Grand Conseil par sa commission législative.
Ces deux objets sont contraires aux principes fondamentaux de l'Etat de droit et du respect du droit à une enquête effective lorsque des infractions ont été commises. En tant que rapportrice de majorité représentant tous les groupes de la commission judiciaire ayant décidé de les rejeter, hormis l'UDC et le MCG, je vous recommande de les refuser ainsi que le principe d'un contreprojet, car ils mettent à mal les fondements démocratiques qui garantissent une justice égale pour tous, y compris pour les forces de l'ordre.
Ils ont été traités à la commission judiciaire lors de plusieurs séances, et nous remercions toutes les personnes qui ont participé aux travaux. La commission a notamment entendu des experts et personnes concernées tels que le professeur et directeur du département de droit pénal Bernhard Sträuli ainsi que les représentants de l'Union du personnel du corps de police (UPCP) et du Syndicat de la police judiciaire (SPJ), eux-mêmes peu enthousiastes par rapport à cet objet. L'audition de Céline Amaudruz, présidente du comité d'initiative, et de Charles Poncet, premier signataire, n'a pas su convaincre.
La proposition de l'UDC crée une procédure d'exception pour le corps de police en soumettant les poursuites pénales à une autorisation du Grand Conseil. Or nul ne devrait être au-dessus des lois. Toute personne soupçonnée d'une infraction doit être jugée selon une procédure indépendante et impartiale, sans intervention politique préalable.
Actuellement, les policiers et policières sont soumis au même cadre légal que l'ensemble des citoyens et citoyennes avec des garanties procédurales suffisantes pour éviter des abus de droit; ils sont toutefois passibles d'infractions propres à leur fonction telles que l'abus d'autorité, par exemple pour usage excessif de la force, l'acceptation d'un avantage ou la corruption.
Il est inconcevable qu'une exception à la poursuite puisse empêcher que justice soit faite si des soupçons suffisants le justifient. Instaurer cette immunité, dont la compétence appartiendrait aux politiques, revient à créer une justice à deux vitesses où certaines infractions pourraient ne jamais être poursuivies si le Grand Conseil ne le souhaitait pas.
L'initiative envoie un mauvais signal: celui d'une police intouchable et au-dessus des lois. Par ailleurs, une telle immunité empêcherait également les agents soupçonnés d'infractions d'être blanchis d'éventuelles accusations si le parlement refusait que leur dossier soit examiné par les autorités pénales: un prévenu ne pourrait alors pas bénéficier d'un acquittement, ce qui laisserait planer un soupçon de culpabilité à son endroit, même avec la présomption d'innocence.
Mesdames et Messieurs, la confiance dans les forces de l'ordre repose sur la transparence et la responsabilité. Si les citoyens et citoyennes constatent une protection excessive du personnel de police face à la justice, cela peut fragiliser la légitimité et le rôle de celui-ci au sein de la société. Ainsi, pour préserver l'Etat de droit de même que l'égalité de tous et toutes devant la justice, la majorité de la commission invite ce plénum à refuser les deux objets. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de minorité. Merci à la rapporteure de majorité pour son introduction. Tout ce que nous avons entendu est très théorique. Quelle est la réalité, Mesdames et Messieurs ? Pourquoi est-il nécessaire de protéger le personnel de la police genevoise ? Déjà, les gens qui nous écoutent se demandent probablement si la police a vraiment besoin d'être protégée et, si oui, contre qui: n'est-elle pas suffisamment forte pour se défendre toute seule ? N'est-elle pas assez bien organisée pour se protéger elle-même ? Les agents sont tout de même armés. C'est un peu difficile à admettre, mais oui, les forces de l'ordre ont besoin d'être mieux soutenues, et pourquoi ? Pour effectuer correctement leur travail et protéger plus efficacement la population.
Ce qu'il faut savoir, c'est que les agents font face, dans l'exercice de leur fonction, à des procédures judiciaires qu'ils jugent tracassières, chicanières: ils parlent de pinaillage pour des broutilles que certains d'entre eux ressentent comme de la persécution. Par exemple, ils peuvent être poursuivis et condamnés pour des infractions à la loi sur la circulation routière. Pourquoi ? Parce qu'ils auront eu le courage de prendre des risques en accélérant dans le but de porter secours à des personnes qui se faisaient agresser. En effet, quelques secondes suffisent soit pour qu'une victime subisse un préjudice énorme ou décède, soit pour qu'un auteur s'enfuie. Evidemment, pour atteindre les lieux d'un crime ou d'un délit, les fonctionnaires de police ne vont pas se déplacer à pied; évidemment, ils vont dépasser les 30 km/h, 40 km/h, 50 km/h. C'est normal, c'est ce qu'on leur demande ! A notre connaissance, ce sont des adultes capables de discernement: ils doivent être traités comme tels et ne pas se faire infantiliser et punir à tout-va.
Rappelons quand même que la criminalité à Genève est immense. En 2023 - ce sont les dernières statistiques -, 64 000 infractions ont été enregistrées, c'est-à-dire 175 infractions par jour, dont 36 000 plaintes pour des infractions contre le patrimoine, soit plus de 100 plaintes quotidiennes pour des cambriolages, vols de voiture, dommages à la propriété, etc. En 2023, il y a également eu 4000 plaintes pour des violences ou des menaces de violences, donc plus de 10 victimes par jour. Le plus grave, c'est que la même année, pas moins de 200 policiers ont eux-mêmes subi de la violence. Tous les deux jours, à Genève, un agent des forces de l'ordre se fait agresser physiquement ou verbalement.
Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez compris que la priorité n'est pas de harceler ou de combattre le corps de police, mais bien de le soutenir et de l'encourager dans sa mission difficile. La répression doit être focalisée sur les criminels et les fauteurs de troubles, pas sur ceux qui font respecter la loi et protègent la population.
Vous parlez de passe-droits, mais les agents ne réclament pas du tout de passe-droits ! Ils sont les premiers à respecter la loi, ils demandent simplement que cesse la répression à leur encontre sachant qu'ils accomplissent consciencieusement leur travail pour défendre les citoyens. Ces persécutions judiciaires vont beaucoup trop loin, voilà pourquoi l'initiative 194 a été déposée.
La situation porte surtout préjudice aux victimes, parce qu'un policier démotivé ne va peut-être pas accélérer autant s'il sait qu'il risque ensuite d'être poursuivi pour infraction à la LCR parce qu'il aura dépassé la limitation de vitesse de 20 km/h et grillé quatre feux. Cela doit cesser. C'est la raison pour laquelle cette initiative et ce projet de loi visent à instaurer un contrôle politique - effectivement - des procédures judiciaires ouvertes à l'encontre des forces de l'ordre afin que celles-ci puissent être remotivées. Pour tous ces motifs, Mesdames et Messieurs, vous êtes invités à voter en faveur de ces deux textes. Merci beaucoup.
Mme Masha Alimi (LJS). Quel est le but de cette initiative et de ce projet de loi ? Les deux textes traitent de la poursuite pénale lorsqu'elle est dirigée contre des fonctionnaires de police et que ces derniers doivent être entendus en qualité de prévenus. En pareil cas, ils bénéficieraient d'une immunité qui ne pourrait être levée que par autorisation préalable du Grand Conseil: elle ferait l'objet d'une décision de la commission législative après que celle-ci aurait entendu notamment la personne concernée et procédé à des auditions.
Ainsi, cette proposition vise à prévoir que l'acte consistant à autoriser la poursuite pénale relève d'une évaluation politique, donc à remplacer l'analyse juridique par une prise de position politique. On aurait affaire à une procédure administrative précédant la procédure pénale et portant uniquement sur l'autorisation ou non de poursuivre, étant précisé que les critères qui présideraient à cette décision de nature administrative seraient les mêmes que ceux de l'autorité judiciaire, mais avec un pouvoir d'examen plus restreint que celui dont disposerait ultérieurement le Ministère public. Il s'agirait d'un passage préalable inutile devant une institution, laquelle se substituerait à l'organe de poursuite pénale.
Créer un tel dispositif en faveur des forces de l'ordre aurait pour conséquence un traitement liminaire basé uniquement sur une analyse émotionnelle et politique de la situation. De plus, le fait que les agents de police bénéficient d'une immunité qui ne pourrait être levée que par une entité politique serait extrêmement décourageant pour un citoyen qui aurait effectivement subi un abus de la part de l'un d'entre eux.
Ce privilège - pour autant que cela en constitue un -, dont l'idée initiale était d'offrir une protection supplémentaire aux policiers, qui seraient exposés plus fréquemment à des dénonciations abusives ou infondées, induirait une inégalité de traitement vis-à-vis des autres fonctionnaires, sans parler de procédures à rallonge. En effet, cette pratique retarderait les travaux de la commission législative, qui ferait alors figure de substitut du Ministère public.
Prévoir un tel mécanisme démontre, de la part de ceux qui ont rédigé l'initiative et le projet de loi, un manque de confiance dans notre système judiciaire. Si un agent fait l'objet d'une demande de levée d'immunité, on part du principe que les faits reprochés sont avérés, ce qui est contraire à la présomption d'innocence. En effet, si les députés décident de lever une immunité, cela laisse supposer que les infractions sont reconnues. La commission législative, chargée des auditions et de la détermination de la culpabilité, ne serait pas objective pour prendre position, les considérations politiques et émotionnelles ne correspondant pas aux exigences des arbitrages de justice.
En conclusion, ce n'est pas au Grand Conseil ou à sa commission législative de se substituer au Pouvoir judiciaire. C'est pourquoi le groupe Libertés et Justice sociale refusera la prise en considération de l'initiative 194, le principe d'un contreprojet de même que le projet de loi 13351. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, je vous prie de bien vouloir mettre vos téléphones portables en mode silencieux quand vous entrez dans la salle du Grand Conseil, c'est une question de respect vis-à-vis des citoyens et citoyennes de ce canton ! La parole va à M. Pasquier.
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR vous invite à rejeter l'initiative 194 «OUI, je protège la police qui me protège !» ainsi que le projet de loi qui l'accompagne. Ces deux objets présentent de nombreux risques pour notre système judiciaire de même que pour la confiance du public envers nos forces de l'ordre.
En effet, ils engendrent une inégalité de traitement flagrante entre les fonctionnaires de police et les autres citoyens. Tous doivent être égaux devant la loi. Un système qui accorde une immunité relative aux policiers pourrait être perçu comme une justice de classe où certains se placent au-dessus des lois, cela pourrait éroder la confiance de la population dans notre système judiciaire et dans le corps de police lui-même.
Les procédures judiciaires, bien qu'elles puissent se révéler stressantes, sont nécessaires pour garantir que les agents respectent les lois qu'ils sont chargés de faire appliquer. Les abus de pouvoir et les violences policières doivent être punis. Or les textes législatifs qui nous sont proposés pourraient dissuader les citoyens de porter plainte par crainte que leurs dénonciations ne soient pas prises en compte.
Confier la tâche de lever l'immunité d'agents à la commission législative de notre parlement est extrêmement hasardeux. La justice doit rester impartiale et fondée sur des faits, non sur des considérations politiques. Attribuer cette compétence au Grand Conseil, c'est risquer de politiser des décisions qui doivent être prises sur des bases juridiques solides.
Par ailleurs, il est essentiel de rappeler que la présomption d'innocence constitue un principe fondamental de notre système judiciaire. Les policiers, comme tous les citoyens, doivent bénéficier de ce droit. L'initiative et le projet de loi compromettraient ce système en instaurant un filtre politique avant même que les faits soient examinés par le Pouvoir judiciaire.
Mesdames et Messieurs, il est opportun de mentionner que la police est là pour faire respecter la loi, non pour se placer au-dessus d'elle. Permettez-moi de vous rappeler l'une des missions générales de nos forces de l'ordre ainsi que définie dans la législation: «En tout temps, le personnel de la police donne l'exemple de l'honneur, de l'impartialité, de la dignité et du respect des personnes et des biens.» Protéger et servir, telle est la devise de notre corps de police.
Nous devons défendre nos forces de l'ordre, bien entendu, mais pas au détriment de la justice et de l'égalité devant la loi. Soutenons nos policiers en leur offrant des ressources adéquates et en veillant à ce qu'ils puissent exercer leurs fonctions dans le respect du droit et de la législation. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à rejeter cette initiative et ce projet de loi. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Une voix. Très bien, Jean-Pierre !
Mme Dilara Bayrak (Ve). Comme cela a très bien été mis en avant, ces deux textes reposent sur la prémisse selon laquelle les fonctionnaires de police sont démotivés, ne peuvent plus effectuer leur travail, sont harcelés au niveau juridique par le Pouvoir judiciaire, voire persécutés. Or que nous propose l'UDC ? Rien de plus, rien de moins qu'une justice de classe, une justice à deux vitesses, une justice qualifiée de plus adéquate pour les policiers, pauvres policiers qui ne peuvent plus accomplir leur mission.
On réclame - et on ne s'en cache même pas ! - un contrôle politique sur les procédures judiciaires. Excusez-moi, Mesdames et Messieurs, mais il me semble que nous vivons encore dans un Etat de droit, je ne sais pas si cette notion parle à l'UDC - vous transmettrez, Monsieur le président. Ce genre de mécanisme n'est tout simplement pas acceptable, on ne peut pas prévoir une immixtion politique dans le cadre juridique; si c'est l'objectif que vous poursuiviez, eh bien il faudrait revoir les principes mêmes de l'Etat de droit.
Il s'agit d'un geste symbolique de la part de l'UDC, qui prétend vouloir protéger la police, police qui s'est elle-même déterminée et a refusé cette démarche qui ne lui amène rien de plus. Les syndicats ont certes formulé des souhaits auprès de nos autorités, mais ceux-ci ne sont pas du tout concrétisés par les deux textes. Les représentants de l'UDC se montrent précisément très infantilisants, puisqu'ils disent à nos forces de l'ordre: «Vous, petits policiers, n'arrivez pas à vous défendre tout seuls, nous vous avons entendus, nous vous proposons un système à part.» Mais il n'y a rien de plus paternaliste, puisque les agents - sachez-le, Mesdames et Messieurs de l'UDC qui voulez les défendre à tout prix - s'engagent par vocation, du moins, c'est ce qu'on aime à penser.
En effet, si les gens s'engagent dans le corps de police, c'est par amour du métier, c'est pour réaliser leur travail de manière adéquate, pas pour se cacher derrière les risques de la profession; il se trouve que les procédures judiciaires en font partie. Cette dimension a d'ailleurs été prise en compte dans la rémunération des agents, qui sont dédommagés pour tous les risques inhérents à la fonction: ils partent à la retraite plus tôt, bénéficient de certaines conditions de travail, justement parce que cette activité est risquée, et les poursuites pénales font partie des aléas.
J'imagine d'ailleurs - même si je n'en sais rien - que le Conseil d'Etat, au même titre que le procureur général, fait l'objet d'une multitude de procédures judiciaires précisément parce que ces personnes, de par leur fonction, sont exposées; elles doivent faire face à des accusations qui peuvent parfois s'avérer injustes et injustifiées - je pense même qu'elles sont injustes et injustifiées la plupart du temps. Mais c'est aussi pour cela que le Pouvoir judiciaire s'engage dans des instructions: à la fin de la procédure, les policiers peuvent être blanchis.
Avec ces deux objets, les procédures que vous estimez déjà trop longues le seront encore plus, parce qu'on ouvrira des voies de recours permettant aux personnes de contester la non-levée de l'immunité des agents, on ira jusqu'au Tribunal fédéral avec toute la longueur de la procédure que cela implique et on reviendra ensuite en bas, puisque le droit international prévoit qu'il est nécessaire d'instruire lorsque les cas sont suffisamment graves.
Personne ne veut de ces textes, pas même les policiers. Mesdames et Messieurs les députés de l'UDC - vous transmettrez, Monsieur le président -, vous nous proposez un dispositif qui crée une opposition entre ceux qui seraient prétendument pour la police et ceux qui seraient contre. Non, Messieurs, nous ne sommes pas contre les flics; non, Messieurs, nous ne sommes pas pour une certaine vision de la justice et non, Messieurs de l'UDC, vous ne défendez pas la police ! (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Le groupe MCG acceptera l'initiative 194 et le projet de loi 13351. En effet, la situation actuelle est très insatisfaisante. Les policiers font de plus en plus l'objet d'un acharnement injustifié à leur encontre; ils exercent une profession difficile, et il n'est pas correct qu'ils subissent des procédures excessives, ce qui est le cas aujourd'hui. Les forces de l'ordre représentent un pilier essentiel de notre société, qui ne doit pas être déstabilisé. Les conditions actuelles, malheureusement, sont inacceptables.
En commission, le groupe MCG s'est interrogé quant au nombre de poursuites engagées contre les policiers à Genève: il y en a effectivement moins ailleurs, par exemple à Zurich. L'égalité devant la loi - j'ai entendu certains préopinants évoquer ce principe -, d'accord, mais il ne faudrait pas que des serviteurs de l'Etat se retrouvent dans une situation où il n'y a plus d'égalité, où les contraintes sont si nombreuses qu'il en résulte une inégalité, c'est-à-dire qu'ils soient davantage enfoncés que le commun des mortels. Cela ne doit pas être toléré.
Le groupe MCG regrette que le principe d'un contreprojet n'ait pas été accepté en commission. Nous aurions pu examiner un texte plus complet qui aurait pu être adapté à l'enjeu, nous aurions pu avancer ainsi de manière efficace pour les policiers et la population; cela n'a pas été le cas, et le MCG le déplore amèrement. Merci de votre attention.
M. Patrick Lussi (UDC), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi une remarque liminaire. Il est piquant de relever que ceux qui s'opposent à cette initiative et à ce projet de loi inversent les rôles, soutenant que la police bénéficiera d'une immunité au détriment des citoyens alors que tout le but de cette proposition est précisément le contraire: il s'agit de défendre la population dans les cas d'interventions où les policiers se retrouvent freinés parce qu'ils savent qu'ils subiront des plaintes - complaisantes - déposées par certains avocats et qu'ils seront poursuivis pendant un certain temps.
Je précise que ces textes consistent à soumettre les enquêtes ou poursuites pénales contre des policiers à une autorisation préalable du Grand Conseil; cela ne signifie pas que l'instruction n'aura pas lieu, c'est simplement un moyen d'encourager les agents à poursuivre leur travail en faveur de la sécurité du public et à agir rapidement en cas de besoin.
Voilà comment nous lutterons contre la démotivation des forces de l'ordre, Mesdames et Messieurs les députés, car l'impact psychologique et professionnel est important. Qu'un fonctionnaire de police se retrouve avec un retrait de permis parce qu'il a grillé un feu rouge en poursuivant un criminel, trouvez-vous cela juste ? Cela s'est produit, il s'agit d'un cas avéré. C'est précisément dans l'objectif d'éviter ces situations que nous avons émis cette idée.
Il convient de garantir des interventions policières rapides et efficaces. La sécurité publique constitue une priorité. L'initiative et le projet de loi visent à lever la peur des conséquences judiciaires, parce qu'il y en a beaucoup. L'argument clé, c'est qu'une police démoralisée menace la sécurité collective. Soyons-en conscients !
Ce qui importe le plus, c'est que le contrôle démocratique soit maintenu. Le rôle du Grand Conseil est de déterminer, pour chaque cas, si une levée de l'immunité par la commission législative serait justifiée ou pas.
Mesdames et Messieurs de la gauche et Madame l'avocate, il s'agit d'un alignement sur des pratiques cantonales et fédérales. Vous semblez affirmer que l'UDC genevoise est la seule section à suggérer un système totalement à gauche, qui n'a rien à voir... Ce n'est pas vrai ! Des cantons comme Zurich, Lucerne et Appenzell Rhodes-Extérieures ont déjà instauré un mécanisme similaire pour protéger leurs forces de l'ordre; à Berne, une initiative fédérale portée par Mme Barbara Steinemann demande également d'étendre l'immunité des policiers à l'échelle nationale.
Nous n'aimons pas à le dire, parce que nous sommes UDC, mais pourquoi pas: oui, il y a un soutien syndical; oui, les syndicats de police estiment que les agents subissent une pression, du moins ceux qui oeuvrent sur le terrain s'estiment lésés et n'osent plus aller trop loin par peur des conséquences. Certes, une sanction est justifiée s'ils commettent une erreur, mais comment ose-t-on - comment osez-vous - juger comme une infraction le fait d'accélérer lorsqu'ils sont en mission ?
Autre chose qu'on oublie: vous enlevez aux employés de police la présomption de bonne foi. Ceux-ci interviennent pour protéger la population et méritent une présomption de légitimité dans le cadre de leurs actions. Ces deux objets ne vont pas plus loin: il s'agit de réduire les procédures chicanières, de filtrer les plaintes non pertinentes pour concentrer les ressources sur les vraies infractions et de prévenir l'inaction policière. Sans protection juridique, les policiers éviteront les situations à risque par crainte de poursuites pénales.
Permettez-moi cette conclusion, Mesdames et Messieurs: l'initiative 194 et le projet de loi 13351 sont nécessaires pour protéger notre corps de police dans un contexte de violence croissante, garantir une sécurité publique efficace en libérant les forces de l'ordre de contraintes juridiques paralysantes et rétablir un équilibre entre les responsabilités policières et les droits des agents.
Mesdames et Messieurs les députés, face à la recrudescence de la délinquance et à la violence incontrôlée de criminels sans foi ni loi qui bafouent la vie humaine et menacent l'intégrité physique des victimes avec une brutalité insensée, il devient urgent de renforcer les moyens d'action au sein des rangs de la police.
Conformément à l'esprit de ces deux textes, il est impératif de permettre aux policiers d'intervenir avec rapidité et détermination lors d'opérations de protection des civils afin de neutraliser les délinquants et d'assurer la sécurité publique. Pour préserver l'intérêt général et garantir la tranquillité de tous, nous appelons à un vote favorable en faveur de l'initiative 194 et du PL 13351. Merci, Monsieur le président.
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs, cette initiative, tout comme le projet de loi qui l'accompagne, a pour ambition - vous l'aurez compris en lisant son titre - de soutenir la police. Les initiants dénoncent un acharnement du Ministère public à l'encontre des policiers, une multiplication des instructions, une poursuite systématique des infractions, même mineures, ainsi que des procédures chicanières et abusives. Bref, vous comprenez comme moi que l'UDC juge la politique criminelle menée par notre procureur général Olivier Jornot beaucoup trop sévère !
D'après les personnes auditionnées, «cette situation pousse les fonctionnaires de police à en faire le moins possible» par crainte de plaintes pénales et de procédures judiciaires durant plusieurs années. Vous constaterez, Mesdames et Messieurs les députés, que pour un texte qui prétend défendre les forces de l'ordre, l'argument est particulièrement déshonorant à l'endroit des agents, lesquels s'engagent par vocation.
Sur le fond, pour mettre fin à ces procédures qualifiées de chicanières, les auteurs proposent de soumettre les policiers à un régime d'immunité et toute poursuite pénale à leur encontre à une évaluation politique préalable pour décider s'il convient de lever ladite immunité. Le cas échéant, ce serait la commission législative qui déciderait si l'immunité d'un employé de police doit être levée ou pas.
D'après les représentants du comité d'initiative que nous avons entendus, «la décision que devrait prendre la commission législative serait purement politique et n'aurait pas pour objet d'établir les faits». Je relève deux problèmes majeurs au sujet de cette affirmation, d'abord un souci d'ordre pratique. A l'aube d'une procédure pénale, deux versions des faits coexistent généralement: celle du mis en cause et celle du plaignant. Dans ce cas, quelle déclaration devrait donc retenir la commission législative, si ce n'est pas à elle d'établir les faits ?
Le deuxième écueil est de nature juridique: malgré le propos des initiants, la décision quasi judiciaire qu'il reviendrait à la commission législative de rendre devrait, en réalité, être motivée à la fois en fait et en droit, de surcroît avec une indication des voies de recours - voies de recours qui n'existent pas pour l'instant et devraient être mises en place. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le professeur Sträuli, que nous avons reçu.
Vous imaginez le travail colossal qui serait confié à la commission législative, puisqu'on nous signale que les plaintes sont fort nombreuses ? Cette commission législative, je le rappelle, est issue de notre parlement de milice, et l'initiative vise à lui attribuer une responsabilité énorme, pour laquelle elle n'est absolument pas outillée.
Enfin, les syndicats de police auditionnés ont exprimé leurs craintes quant à un tel mécanisme qu'ils jugent compliqué; ils redoutent également que cette immunité soit difficilement acceptable pour la population. Le Centre vous invite dès lors à refuser l'initiative 194 ainsi que le projet de loi 13351, qui proposent une justice à deux vitesses intolérable, des procédures très lourdes, voire impraticables, et extrêmement coûteuses.
M. Diego Esteban (S). Mesdames et Messieurs, je ne vous cacherai pas que les débats en commission sur le rôle de la police au sein de notre organisation judiciaire et démocratique ont été intéressants, mais je dois tout de même répondre à une affirmation, celle selon laquelle l'UDC souhaiterait soutenir la police avec cette initiative: on peut soutenir la police de différentes manières, mais il me semble que celle qui aurait été à la portée de l'UDC pendant plus d'une décennie, c'était de voter les budgets alloués aux forces de l'ordre lors de chaque exercice. Or l'UDC est le parti qui se distingue en les refusant systématiquement. Donc pour le soutien, on repassera.
Continuons à parler de soutien. En commission, nous avons procédé à un certain nombre d'auditions de spécialistes - d'une manière ou d'une autre - de la matière, notamment des syndicats de la police que sont l'UPCP et le SPJ, lesquels n'ont pas exprimé de soutien à l'initiative, du moins pas telle qu'elle est formulée et qu'elle a été conservée après amputation de plusieurs dispositions par les tribunaux.
Le coeur de la proposition, c'est la notion d'immunité. Je me réfère à nouveau à l'audition des syndicats de la police: un tel dispositif est-il nécessaire ? Eh bien pas vraiment. Nous avons entendu le rapporteur de minorité affirmer que de nombreux agents estiment être persécutés; les syndicats de police ont tout au plus émis une interrogation quant au nombre d'infractions pour excès de vitesse commises dans le cadre des missions.
Si je devais rappeler une statistique pour l'année 2022, j'indiquerais que 10 000 interventions ont été menées, que 2000 personnes les ont effectuées, que 75 procédures pénales en ont résulté et, au bout du compte, qu'une seule nomination a été refusée. Cela reste peut-être trop aux yeux de certains, mais j'ai malgré tout le sentiment que ces proportions ne témoignent pas d'une situation qui mérite la mise en place d'un mécanisme hautement problématique.
En effet, il faut mentionner qu'à Genève, nous sommes dans une très large mesure - et heureusement, heureusement ! - préservés de l'immunité, en particulier par rapport à ce qui se passe dans d'autres pays. Un tel système ne ferait que protéger les excès. Face à l'usage excessif de la force, vous voulez confier au Grand Conseil la compétence d'ouvrir une procédure ?!
Un certain nombre d'exemples peuvent nous venir à l'esprit, mais ce qui ressort de mon observation, en tout cas de ce qui se passe dans d'autres régions du monde, c'est que lorsqu'on attribue à des parlements une responsabilité s'agissant de procédures judiciaires, le débat a tendance à porter davantage sur l'identité des victimes que sur les actes des personnes poursuivies, ce qui mène bien évidemment à des discussions extrêmement chaotiques. C'est l'une des raisons pour lesquelles il existe une séparation des pouvoirs, précisément afin d'éviter que l'on apprécie sur un plan politique des éléments qui n'ont pas à l'être.
Au final, peu importe comment on le formule, que ce soit à travers l'initiative 194, le projet de loi 13351 ou un contreprojet, le mécanisme visé nuirait à l'accès à la justice. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste estime qu'il faut refuser l'initiative 194 de même que le principe d'un contreprojet. Des milliers de signatures ont certes été récoltées pour soutenir le principe d'une immunité, mais à partir du moment où il y a une objection de fond sur ce dispositif, il n'y a pas lieu de discuter d'un éventuel contreprojet, nous nous écarterions des termes dans lesquels ce débat a été posé.
Enfin, il faut rejeter le projet de loi 13351 qui, c'est assez amusant, au vu des déboires judiciaires de la version initiale de l'initiative, a été déposé par l'UDC elle-même afin de corriger un texte qui, du propre aveu de ce parti, était dysfonctionnel depuis le début. Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons donc à voter trois fois non ! (Applaudissements.)
Mme Sophie Bobillier (Ve), rapporteuse de majorité. Très rapidement, je rappelle que la Suisse est régulièrement appelée par les organismes internationaux à renforcer la responsabilité des forces de l'ordre. La proposition de l'UDC va dans le sens inverse de cette recommandation. Si la police doit être protégée, ce n'est pas au détriment de la séparation des pouvoirs ni de la justice. Réserver un traitement spécial aux représentants d'une profession qui détient le monopole de la force constitue une dérive préoccupante.
Les autres métiers confrontés à des poursuites ne bénéficient pas de régime spécial. En effet, les médecins, les ambulanciers et ambulancières, les enseignants, les fonctionnaires peuvent être poursuivis. Pourquoi la police jouirait-elle d'un traitement privilégié ? Précisons enfin que l'allégation des auteurs et autrices de ces objets selon laquelle il existerait une augmentation des procédures dirigées contre les policiers et policières n'a pas été corroborée par des chiffres concrets. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. Je repasse la parole à M. Falquet.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de minorité. Pour combien de temps, Monsieur le président ?
Le président. Dix secondes: un, deux, trois, quatre, cinq... (Rires.)
M. Marc Falquet. J'y vais ? (Remarque.) Oui, d'accord. Concrètement, Mesdames et Messieurs, les policiers poursuivis injustement pour des broutilles se voient péjorés dans leur activité professionnelle, leur carrière, leurs finances, leur vie de famille, leur vie sociale ! Une politique judiciaire punitive engendre des policiers démotivés, apathiques, déprimés, voire suicidaires. Je vous demande de voter cette initiative et le projet de loi qui lui est associé. Merci beaucoup.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais d'abord souligner le travail de qualité mené au sein de la commission judiciaire et de la police de manière générale et sur ce sujet en particulier. Somme toute, je crois que tant la majorité de la commission, les syndicats de police que le Conseil d'Etat peuvent partager un objectif assez proche de celui des initiants: s'assurer que la police dispose de bonnes conditions pour exercer ses missions régaliennes qui sont essentielles; c'est sur le plan des moyens pour y parvenir que nous divergeons radicalement.
En effet, les auteurs pensent que les policières et policiers seraient mieux protégés avec une immunité, une procédure d'exception, une impunité politique soumise à des considérations qui n'ont rien à voir avec la loi, loi qui constitue pourtant le fondement même de la légitimité de l'action des forces de l'ordre. C'est sur ce point que se situe l'erreur fondamentale de ces objets, que les initiants s'égarent.
Le meilleur moyen de «protéger la police qui nous protège» est de renforcer la confiance que la population lui porte; cette confiance représente son meilleur rempart, son bouclier face aux menaces qui pèsent sur elle, sur nous, sur l'ensemble des citoyennes et citoyens. Et cette confiance, Mesdames et Messieurs, doit être consolidée par la transparence, par la communication, par la déontologie des policières et policiers, et certainement pas par la mise en place d'une procédure d'exception, de privilège qui, au contraire, minera totalement cette relation de confiance essentielle à leur travail.
N'en déplaise à celles et ceux qui défendent ces textes bureaucratiques minant la séparation des pouvoirs et, par là même, l'Etat de droit, je tiens à rappeler et à saluer l'intégrité ainsi que l'honnêteté intellectuelle, en total respect de leur déontologie, des syndicats de policières et policiers, qui ont su voir et privilégier le droit et la justice plutôt que la défense corporative en identifiant clairement les effets pervers des objets proposés.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous invite à rejeter l'initiative, le principe d'un contreprojet de même que le projet de loi qui traite du même sujet. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ouvre la procédure de vote: nous allons d'abord nous prononcer sur la prise en considération de l'initiative 194, puis sur le principe d'un contreprojet; enfin, je mettrai aux voix le projet de loi 13351.
Mise aux voix, l'initiative 194 est refusée par 70 non contre 24 oui (vote nominal).
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est refusé par 72 non contre 24 oui (vote nominal).
Mis aux voix, le projet de loi 13351 est rejeté en premier débat par 71 non contre 24 oui.