République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13393-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Stéphane Florey, Florian Dugerdil, Charles Poncet, Guy Mettan, Michael Andersen, Patrick Lussi, Lionel Dugerdil, Yves Nidegger, Christo Ivanov, André Pfeffer, Julien Ramu, Daniel Noël, Virna Conti modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (LRGC) (B 1 01) (Pour un 3e débat automatique)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 20 et 21 juin 2024.
Rapport de majorité de M. Jean-Pierre Tombola (S)
Rapport de minorité de M. Yves Nidegger (UDC)

Premier débat

Le président. Nous reprenons notre ordre du jour et passons au PL 13393-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Tombola, vous avez la parole.

M. Jean-Pierre Tombola (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi vise à enlever au Conseil d'Etat la possibilité de reporter le troisième débat. La loi portant règlement du Grand Conseil prévoit cette possibilité, mais prévoit également que le Bureau unanime ou une commission unanime peuvent demander ou justement reporter ce troisième débat.

La commission a auditionné M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Mme Céline Zuber-Roy, présidente du Grand Conseil, et M. Laurent Koelliker, sautier. A l'issue de ces auditions, la commission a relevé plusieurs éléments qui confirment que ce report possible du troisième débat est nécessaire. Dans le canton de Genève, les députés ont la possibilité de déposer leurs propres projets de lois. Or s'agissant de projets rédigés par des députés, il peut arriver que certains éléments nécessitent une vérification juridique, notamment quant à l'applicabilité de la loi et à la conformité avec la constitution. Dans ces cas, le report du troisième débat est vraiment nécessaire.

Ce que nous avons remarqué, c'est que les situations où le Conseil d'Etat a reporté le troisième débat démontrent clairement que cela a été fait soit pour des raisons de vérifications juridiques soit parce que le texte en question avait été largement modifié en plénière, rendant nécessaires de nouveaux amendements, ou encore en cas de désaccord afin que des négociations puissent être menées et qu'on trouve ainsi un consensus lors d'une discussion à tête reposée.

Il faut relever qu'un texte dont le troisième débat est reporté est représenté trois semaines plus tard. La commission estime que le report du troisième débat est un gage de sécurité supplémentaire mais aussi une action sage, qui permet en effet de vérifier la légalité ou la conformité ainsi que de mener des négociations nécessaires à la recherche de solutions. L'exemple le plus récent est le report du troisième débat sur le projet de loi sur l'énergie. Ce report a permis à tous les partis, à toutes les tendances de s'asseoir à la table des négociations et de trouver un compromis, qui a même donné satisfaction au groupe qui voulait demander le troisième débat immédiat.

Après les échanges en commission, la majorité considère que le report du troisième débat par le Conseil d'Etat est raisonnable. Le Bureau du Grand Conseil est aussi unanime sur cette position. Mis aux voix, le projet de loi a été refusé...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Jean-Pierre Tombola. ...par 9 non (3 socialistes, 2 Verts, 1 LJS et 3 PLR), 2 oui (2 UDC) et 3 abstentions (1 LC et 2 MCG). Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission a refusé l'entrée en matière sur le PL 13393 et vous recommande de faire de même.

M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de minorité. Il est dans la nature du pouvoir, chez l'être humain et d'ailleurs chez les animaux aussi, que celui qui l'exerce ne soit pas capable de le limiter lui-même. Personne ne considère avoir trop de pouvoir, c'est ainsi. C'est pourquoi Montesquieu, qui avait compris cela il y a fort longtemps, a proposé une solution de séparation des pouvoirs: de ce problème d'avidité incontrôlable de puissance, on peut faire une vertu en ceci que si l'on coupe le pouvoir en trois, alors chacune des instances ainsi créées, voulant avoir le maximum de puissance possible, pourra modérer, contrebalancer - «check and balances», disent les Anglo-Américains - ce pouvoir et, c'est notre système démocratique, éviter ainsi que les abus de pouvoir soient trop fréquents. La LRGC exprime cela avec cette question des débats - j'y reviendrai.

Il se trouve qu'au cours de la législature précédente, le Conseil d'Etat a pris l'habitude de passer en force sans avoir à forcer, parce qu'il avait en face de lui un parlement ductile - on se serait cru aux assemblées internes du PDC ! - et une majorité pratiquement acquise pour tout et n'importe quoi. Puis, lors des nouvelles élections, le Conseil d'Etat n'a pas changé - il y a eu un petit remplacement, mais en gros, on a repris les mêmes -, mais le parlement, lui, a changé. Depuis qu'il y a un rapport de force un peu différent, on a vu apparaître un certain nombre de clashs, parce que le Conseil d'Etat, qui ne peut arrêter son propre pouvoir tout seul, a besoin que quelqu'un le fasse pour lui. C'est dans ce contexte que M. Florey a déposé ce projet de loi.

Contrairement à ce que dit le rapporteur de majorité, la règle, ce n'est pas la possibilité donnée de reporter un débat: c'est au contraire le troisième débat reporté qui est la règle. Lorsqu'un texte est adopté au deuxième débat, il est prévu que l'on convoque un troisième débat lors de la prochaine session. L'exception, à l'inverse, c'est la possibilité d'avoir un troisième débat tout de suite, mais les moeurs, la pratique ont fait que, de manière très générale, le Conseil d'Etat est interpellé par un rituel «Le troisième débat est-il demandé ? Il l'est», avec un doigt qui se lève - la règle est donc devenue que le troisième débat a lieu tout de suite. Le parlement a pris ça un peu pour un droit acquis de par l'expérience, alors même qu'au fond, le règlement ne le prévoit pas.

Le problème est que le Conseil d'Etat a dérogé à la coutume qui s'était installée, pour de mauvaises raisons, et ce dans plusieurs cas; lorsqu'il se trouvait contrarié par une majorité, il a utilisé cette possibilité pour stopper le processus, convoquer les partis et tâcher d'obtenir au final la loi qu'il voulait, en faisant fi au fond des prérogatives du parlement. En exécutant dans un coin sombre ce projet de loi, sur lequel la majorité n'a pas voulu entrer en matière...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Yves Nidegger. Merci, Monsieur le président, de me le signaler. ...le parlement démontre ce qui, à mon avis, est ici problématique, à savoir ce syndrome de Stockholm qui fait que les députés, au lieu de faire bloc face à l'exécutif ainsi que Montesquieu serait fier de nous voir faire, ont une tendance à vouloir somme toute trouver l'approbation parentale de cet exécutif. Au fond, les conseillers d'Etat sont des députés qui ont réussi, et on les regarde un peu tous comme des modèles; les partis gouvernementaux ont eux, en plus, leurs propres raisons de le faire.

On a un parlement qui, lorsqu'il est confronté à une façon de faire déplaisante - et c'en est une - et déplacée, au lieu se battre pour ses droits et de faire marcher la démocratie par ce «check and balances» où chacun joue son rôle et peut arrêter l'autre, a tendance, comme vous l'a dit le rapporteur de majorité, qui reflète parfaitement ce que pense la commission, à considérer que c'est pour notre bien, qu'il faut pouvoir vérifier, nous avons peur de notre ombre, peur de nous-mêmes, ce qui rend notre travail parlementaire de piètre qualité.

Le débat sur la loi sur l'énergie en est un excellent exemple. Et la minorité regrette évidemment que le parlement n'ait pas saisi cette occasion, non pas seulement pour modifier cette pratique en donnant un droit que le débat ait lieu quand il est mûr et empêcher ainsi le Conseil d'Etat de faire irruption là-dedans pour casser la dynamique, mais aussi pour reconsidérer de manière générale les relations entre l'exécutif et le législatif, car ça devrait de toute façon être fait tôt ou tard lors de cette législature, l'exécutif prenant quelques libertés assez désagréables. Je vous remercie de m'avoir écouté et vous demande de renvoyer ce texte en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole au rapporteur de majorité, sur cette demande de renvoi.

M. Jean-Pierre Tombola (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Il faut pouvoir reporter le troisième débat lorsque cela est nécessaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, un projet de loi élaboré par un député ou une députée n'est pas infaillible. Lorsque des doutes juridiques surgissent, il est nécessaire de pouvoir les lever. Quand le texte est modifié en plénière et que suite à cela d'autres amendements doivent être apportés, il est tout à fait nécessaire que ce texte soit discuté à tête reposée. Nous vivons dans un monde où tout va très vite, il est tout à fait sage de pouvoir reporter le troisième débat et discuter pour trouver des compromis. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser le renvoi en commission.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, j'ouvre la procédure de vote sur le renvoi.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13393 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 81 non contre 11 oui.

Le président. Nous continuons notre débat et je passe la parole à M. Julien Nicolet-dit-Félix.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, vous le savez, en politique, la colère est mauvaise conseillère, la frustration est une passion funeste. Ici, c'est bien ce qu'on observe. La Suisse est une démocratie parlementaire, ce qui signifie qu'elle accorde déjà des pouvoirs étendus au législatif dans la balance que suggérait le rapporteur de minorité. Parmi les 26 démocraties parlementaires qui constituent la Suisse, Genève a une démocratie encore plus parlementaire en ce sens qu'elle donne le droit aux députés de rédiger eux-mêmes des projets de lois.

Vous le savez, au-delà de sa passion des parlements, la Suisse a la passion de la milice: nous avons une armée de milice, nous nous enorgueillissons d'avoir des parlements de milice; or, qui dit milice dit amateurs, et qui dit amateurs dit parfois amateurisme. Nous pouvons profiter de saluer l'expertise, l'abnégation, la constance en la matière du premier signataire de ce texte. Il peut arriver effectivement - c'est arrivé à de rares occasions - qu'un projet de loi soit non conforme au droit supérieur ou qu'il soit simplement inapplicable en pratique. Comme le Conseil d'Etat nous l'a expliqué et comme l'observation du passé nous l'a confirmé, c'est bien dans ces cas et uniquement dans de telles occasions que le Conseil d'Etat, non pas demande que le troisième débat soit reporté, mais, comme l'a dit le rapporteur de minorité, ne demande pas que le troisième débat soit tenu immédiatement, comme ça devrait être la règle, mais est devenu l'exception pour des raisons évidemment pratiques.

L'expérience nous a montré que dans l'ensemble des trois occurrences de cette pratique au cours de cette législature, le Conseil d'Etat avait eu raison de ne pas demander un troisième débat immédiat, puisque la démonstration a été faite soit que le projet était non conforme au droit supérieur soit qu'il posait des problèmes d'applicabilité majeurs. Dans les trois cas, le projet a été modifié à la satisfaction de chacune et de chacun, ce qui a permis de gagner du temps et de l'efficacité. C'est bien pour cela qu'il faut refuser ce projet de loi. Nous vous remercions. (Applaudissements.)

M. Jean-Louis Fazio (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, l'UDC confond vitesse et précipitation. En effet, cette volonté de se précipiter pour un troisième débat automatique et continu n'est pas judicieuse. La précipitation est mauvaise conseillère en démocratie, laisser un temps pour la réflexion est plus constructif et respectueux.

Par ailleurs, comme l'a dit le rapporteur de majorité, rarement le Conseil d'Etat s'oppose à un troisième débat immédiat. Pourquoi donc est-il urgent de traiter cette proposition ? Dès lors, le groupe Libertés et Justice sociale soutiendra le rapport de majorité et votera contre la proposition de l'UDC.

Mme Véronique Kämpfen (PLR). Il est vrai que le Conseil d'Etat, en de très rares occasions, a refusé un troisième débat pour des raisons qui nous semblaient politiques, ce qui n'a pas manqué d'irriter fortement notre Grand Conseil. Mais il est faux de prétendre, comme l'a dit le rapporteur de minorité - je le cite - que le Conseil d'Etat a pris l'habitude de passer en force. Dans les faits, les cas qui ont eu pour résultat la rédaction de ce projet de loi sont rares. Le groupe PLR est persuadé qu'il faut éviter de créer des lois en réaction à quelques cas isolés. Voter une loi est un acte majeur et engage de nouvelles responsabilités. Les députés peuvent, ma foi, être faillibles, et nous sommes parfois confrontés à des situations dans lesquelles les projets de lois issus de commission doivent encore être revus, que ce soit pour des questions de fond, de conformité au droit supérieur ou de rédaction légistique. Reporter un troisième débat, ne pas le demander, peut donc constituer un garde-fou salutaire.

Il faut aussi noter que si les projets de lois prennent généralement beaucoup de temps à être adoptés et que les décisions sont donc mûries en commission, il arrive que des projets soient déposés et votés dans l'urgence. Dans ces cas, il est souvent bon que le troisième débat n'ait pas lieu tout de suite. Cela dit, comme l'a rappelé le rapporteur de majorité, le troisième débat peut aussi être demandé par une commission unanime et par le Bureau unanime; le Grand Conseil a donc aujourd'hui déjà la possibilité d'agir.

Vous l'aurez compris, pour le PLR, le statu quo est sage. La possibilité de se donner du temps pour voter un projet de loi est certes agaçante quand on a le sentiment qu'il s'agit de manoeuvres politiques dilatoires - heureusement fort rares, je le répète -, mais c'est aussi et surtout un filet de sécurité. Nous vous recommandons par conséquent de refuser ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Diego Esteban (S). Le groupe socialiste ira dans le même sens que la plupart des interventions prononcées à ce stade. J'amène peut-être deux éléments supplémentaires: une réaction aux propos que M. Nidegger tient ici mais également dans le rapport de minorité, quand il parle d'abattre ce projet de loi - je ne sais plus quelle était l'expression - d'une balle dans la tête, dans un coin sombre. J'annonce les prochaines métaphores: on aura certainement droit à «noyer avec les pieds attachés à une pierre au fond du lac Léman». Ça devient ridicule !

La plupart des projets de lois déposés par l'UDC sont examinés de manière très sérieuse, il n'y a qu'à voir les rapports de commission. Ici, trois séances ont été consacrées à l'examen de ce texte. La raison pour laquelle l'UDC estime que son texte a été liquidé de manière sommaire, c'est simplement qu'elle s'est retrouvée dans la minorité, et seule dans la minorité ! C'est la raison pour laquelle le rapporteur demande maintenant le renvoi en commission. C'est un schéma qu'on voit assez régulièrement et qui illustre l'état d'esprit qui se cache derrière ce projet de loi.

On a déjà cité l'exemple le plus récent de refus de demander le troisième débat, qui au final a permis d'aboutir à un large accord, qui satisfaisait la majorité des partis, c'est-à-dire exactement ce qu'on attend du travail parlementaire. L'UDC ne faisait pas partie de cet accord et, fâchée, elle demande finalement que ce scénario ne puisse plus jamais se reproduire, tout ça dans une vision du passage en force parlementaire que nous refusons de manière catégorique. Prendre un temps supplémentaire, parce que c'est effectivement à cela que sert le troisième débat, améliore la qualité de nos travaux et leur résultat pour la population. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous recommande de refuser l'entrée en matière.

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, je remercie M. Tombola pour son rapport de majorité très complet. On note dans le rapport de minorité que pour M. Nidegger, le fait de ne pas adhérer à sa proposition consiste à faire l'éloge de la lenteur. Or, c'est exactement le contraire: ce que la majorité défend ici, c'est justement de gagner en efficacité dans le travail parlementaire et de garder la qualité contre une proposition qui vise non pas la rapidité, mais la précipitation. C'est d'ailleurs une proposition qui a été faite suite à une réaction, je dirais, d'ego: dans le cas des TPG, le report du troisième débat a effectivement conduit à un accord sur la gratuité auquel l'UDC n'adhérait pas.

Je veux rappeler que dans la grande majorité des cas, le troisième débat est quand même demandé par le Conseil d'Etat et qu'il suit immédiatement le deuxième débat. Qu'est-ce que l'on constate ? Que quand ça marche comme ça, le plus souvent, les positions sont figées et que le troisième débat apporte rarement des éléments nouveaux. C'est logique: les questions ont été largement étudiées en amont et les positions restent inchangées. En revanche, il arrive qu'un amendement déposé lors du deuxième débat soulève une question juridique ou même politique. Ces questions méritent un temps de réflexion, voire un temps de consultation et de discussion entre les partis politiques. Si l'on atteint un consensus plus large, on évite un référendum et on gagne ainsi en efficacité, raison pour laquelle Le Centre refuse cette proposition. Evidemment, nous pensons qu'en politique, la réflexion doit être la règle et la précipitation l'exception, il n'y a donc pas de motif pour changer la loi actuelle. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs les députés, je soumets à votre approbation l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 13393 est rejeté en premier débat par 69 non contre 11 oui et 13 abstentions.