République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 juin 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 3e session - 16e séance
PL 13415-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le traitement des urgences avec le PL 13415-A, classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de Mme Sophie Bobillier, à qui revient la parole.
Mme Sophie Bobillier (Ve), rapporteuse. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, ce projet de loi émanant du Conseil d'Etat vise à modifier la loi sur l'organisation judiciaire, comme celui dont nous avons eu l'occasion de discuter juste avant la pause, mais cette fois-ci afin de renforcer le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE). Il porte sur le nombre de juges titulaires, les faisant passer de neuf à onze; ce sont donc deux postes supplémentaires qui sont demandés par le Conseil d'Etat afin que le tribunal puisse remplir sa mission. Le texte a été brièvement étudié à la commission judiciaire lors de deux séances après que les représentants de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire nous ont présenté les besoins du TPAE, lequel fait face à une augmentation très importante des dossiers à traiter, spécifiquement des situations d'adultes fragilisés.
Lors de nos travaux, certains membres de la commission, dont les représentantes des Verts, ont regretté que le programme RePAir, qui est mentionné dans l'exposé des motifs et qui a été évoqué également par la commission de gestion, n'ait pas été présenté plus en détail. Ce dispositif vise à éviter que l'unique alternative pour les personnes devant être protégées soit le recrutement de curateurs officiels ou privés de même qu'à améliorer le modèle de protection de l'adulte en s'inspirant d'autres cantons; il mobilise les juridictions et nécessite une hausse du nombre de magistrats et de collaborateurs. Certains commissaires auraient souhaité entendre le département s'exprimer de manière plus approfondie sur le sujet.
Cela étant, vu que le temps presse et que les besoins accrus du TPAE sont largement avérés - je rappelle que le tribunal fait face à une augmentation substantielle des situations à gérer, notamment post-covid: il y a près de 64% de signalements en plus sur une même période et un doublement des décisions rendues -, la commission, dans une très large majorité, a accepté d'octroyer ces deux postes supplémentaires. C'est la raison pour laquelle je vous propose, Mesdames et Messieurs, d'adopter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, comme la rapporteure a très bien expliqué la situation et que l'argumentation a déjà été présentée lors du précédent débat sur l'adaptation de la dotation des juridictions pénales - projet de loi que nous avons voté -, le groupe PLR vous invite à valider l'ajout de ces deux postes, c'est-à-dire le fait de passer de neuf à onze juges au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant, et vous recommande également d'accepter la clause d'urgence. J'ai terminé, Monsieur le président, merci.
Mme Masha Alimi (LJS). Au risque de me répéter, je vais dire que nous avons un problème avec ce projet de loi au niveau de la forme, pas du fond. De quoi est-il question ? Je rappelle ce qu'a indiqué ma préopinante: il s'agit de passer de neuf à onze juges, c'est-à-dire d'une augmentation de 20%, tout de même. Que nous demande-t-on ? De valider des postes déjà approuvés par la commission des finances et notre parlement dans le cadre de la votation du budget sous prétexte que c'est urgent, que les recrutements ont déjà démarré et qu'ils devraient être bouclés au 30 juin.
On évoque aussi dans ce projet de loi - plus précisément dans l'exposé des motifs - le programme RePAir qui aiderait le TPAE dans le traitement de ses dossiers, mais sans que nous, commissaires, ayons pu en apprendre davantage. On nous indique qu'aucun poste n'a été sollicité depuis 2019, mais à aucun moment le nombre croissant de dossiers qui aurait pu justifier une hausse de postes ne nous a été communiqué !
Cette manière de procéder n'est pas respectueuse du travail parlementaire. Chez LJS, c'est un sentiment de frustration qui domine. Néanmoins, nous souhaitons donner un signal positif et constructif, donc nous allons voter en faveur de ce projet de loi; mais nous serons particulièrement attentifs, lors des prochains budgets, aux demandes de postes supplémentaires émanant du Pouvoir judiciaire. Merci beaucoup.
M. Yves Nidegger (UDC). Lors du précédent débat, qui portait sur le renforcement de la filière pénale, les Verts étaient dans la minorité, estimant qu'ils n'étaient pas suffisamment renseignés sur les besoins des juridictions et l'utilisation qui serait faite des postes supplémentaires. Les rôles sont ici inversés, puisque l'UDC, qui faisait partie de la majorité précédemment, souligne cette fois, s'agissant du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant, que s'il n'est pas contesté que celui-ci soit submergé, le Grand Conseil est également inondé de plaintes de citoyens qui contestent le bien-fondé d'un certain nombre de décisions prises par les tribunaux et, de manière plus générale, des mesures de protection décidées soit par le SPMi, soit par d'autres services.
C'est au point qu'une sous-commission a été instaurée, qui est en plein travail en ce moment. Il paraît dès lors peu judicieux de récompenser une instance qui génère autant de grogne, autant de contestation, autant de souffrances - quant à déterminer si celles-ci sont dues au mauvais travail de ce tribunal ou à d'autres choses, c'est évidemment ouvert. A ce stade, lorsque notre parlement est saisi d'autant de critiques et de plaintes de la population - assez générales, assez nombreuses -, il ne me semble pas que la réponse politique la plus adéquate soit d'en rajouter une couche en soutenant que tout va bien, qu'il faut simplement poursuivre plus largement ce que l'on fait déjà.
Ce Grand Conseil ne peut pas être schizophrène: soit il écoute ce qu'on lui indique et sursoit à la simple réponse de dotation supplémentaire, soit il n'écoute pas ce qu'on lui indique et risque d'apparaître quelque peu autiste aux yeux de la population. C'est la raison pour laquelle l'UDC ne soutiendra pas cette augmentation de postes les yeux fermés, comme cela semble être le cas des autres partis.
Mme Dilara Bayrak (Ve). Lors du débat précédent, nous avons indiqué pourquoi l'audition du procureur général avait engendré plus de questions qu'autre chose sur la dotation en postes de procureurs. Aujourd'hui, s'agissant du TPAE, nous avons aussi des interrogations, nous regrettons par exemple que le programme RePAir, qui est cité dans l'exposé des motifs, n'ait pas été présenté à la commission judiciaire et de la police.
Nous en avons parlé: le dispositif a été présenté à la commission des finances pour les mêmes motifs de votation de budget et d'exposition des buts politiques poursuivis par les magistrats pour essayer de reprendre en main le modèle de protection de l'adulte et de l'enfant. Cependant, les besoins avérés du TPAE et l'absence de questionnements suite aux auditions qui ont eu lieu à la commission judiciaire et de la police ont fait que nous avons finalement soutenu ce projet de loi et voté l'urgence.
Là où j'ai un peu de peine à comprendre le raisonnement de notre collègue Yves Nidegger, c'est que selon lui, des postes supplémentaires constitueraient une récompense pour le tribunal en question. Mais absolument pas ! A aucun moment les juges ne perçoivent cette augmentation comme une récompense d'avoir bien travaillé, comme si on les applaudissait et qu'ils méritaient deux ou trois collègues de plus pour réussir à abattre la charge de travail qui les touche aujourd'hui. Non, ce n'est absolument pas ça.
La situation au TPAE, comme vous avez pu le constater et le résumer, Monsieur Nidegger - vous transmettrez, Monsieur le président -, est extrêmement préoccupante, notamment en raison de la multiplication des cas qui occupent ces entités. Cela ne signifie pas que nous arrêtons le travail de fond et de réflexion sur les réformes nécessaires dans ce domaine et relatives à ce sujet. Vous l'avez mentionné, Monsieur le député, il y a une sous-commission de la commission de contrôle de gestion qui accomplit le travail, mais cela ne veut pas dire que nous devons punir les magistrats d'avoir dysfonctionné, ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça !
Ce vote, je le rappelle, est urgent, et contrairement au projet de loi précédent, il n'y a pas eu de questions qui auraient nécessité des auditions supplémentaires, si ce n'est pour la présentation du programme RePAir qui nous manque, mais qui, je l'espère, aura lieu ces prochaines semaines. Sur ce, nous voterons ce texte comme nous en avons voté l'urgence et vous invitons à faire de même.
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Je rappelle que le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant ne prend pas d'initiatives lui-même, mais agit sur la base de dénonciations qui émanent en général des services sociaux ou d'autres instances. Citons quelques chiffres: concernant les adultes, entre 2015 et 2023, on relève une hausse des signalements de 64% et un doublement des décisions rendues; s'agissant des mineurs, le nombre de signalements a augmenté de 44% et les décisions de 63%. Mesdames et Messieurs, vous voyez que les besoins en ressources humaines supplémentaires sont avérés et incontestables. C'est la raison pour laquelle Le Centre soutient ce projet de loi.
Cela étant, il est sûr que doter le Pouvoir judiciaire de davantage de moyens ne doit pas occulter le fait qu'il existe, de manière générale, des dysfonctionnements liés au modèle genevois de protection de l'adulte et de l'enfant. Comme la rapporteuse, nous attendons avec grand intérêt le programme RePAir dans lequel nous plaçons beaucoup d'espoir pour améliorer le dispositif actuel; nous trouvons positif que le Pouvoir judiciaire travaille conjointement avec le département de la cohésion sociale, estimant effectivement qu'une collaboration entre ces deux instances est nécessaire pour déterminer le meilleur système.
Je signale enfin que de notre côté, au Centre, nous avons déposé la proposition de motion 3022 pour donner davantage de moyens aux enfants placés, permettre une meilleure gestion, améliorer le droit de visite des parents et les conditions dans lesquelles il s'organise. Je vous remercie de soutenir cette proposition.
M. Diego Esteban (S). Merci à Mme Chaker Mangeat d'avoir mentionné les chiffres de l'exposé des motifs qui se trouvent aux pages 2 et 3 du projet de loi; il y en a davantage que ceux qui ont été évoqués à l'instant et ils sont assez édifiants. Voilà qui établit à coup sûr le besoin de renforcer l'effectif du TPAE.
Maintenant, Mesdames et Messieurs, par rapport aux remarques formulées tout à l'heure par M. Nidegger, vous chercherez en vain dans le rapport de la commission l'évocation de dysfonctionnements au TPAE qui seraient en lien avec ce projet de loi, y compris de la bouche des commissaires UDC, donc je suis quelque peu surpris qu'on invoque cet argument au stade des débats en plénière.
Ensuite, il faut nous expliquer le lien entre ces potentiels dysfonctionnements et la capacité de travail du TPAE. Lorsque le procureur général - ou plutôt le président de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire - a été questionné quant aux besoins exacts en ce qui concerne le traitement des dossiers au sein du TPAE, il a répondu qu'il s'agit d'affaires urgentes, que l'augmentation des signalements se traduit par une hausse immédiate de l'activité et qu'il n'est pas possible d'accumuler un stock de dossiers en attente: on ne peut pas expliquer à quelqu'un qu'il aura un curateur dans six mois.
Voilà les raisons qui conduisent le groupe socialiste à soutenir ce projet de loi. J'en profite pour marquer ma désapprobation quant au fait d'employer péjorativement le terme «autiste» dans le cadre de nos débats parlementaires, c'est très désagréable à entendre. (Applaudissements.)
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je remercie tous les groupes soutenant ce projet de loi qui, comme le précédent, celui que nous avons traité juste avant la pause, constitue simplement la mise en oeuvre de décisions déjà prises par votre parlement lors du vote du budget.
J'aimerais juste rappeler ceci à celles et ceux qui se sont exprimés en dénonçant ce mode de fonctionnement, notamment aux membres qui se sont exclamés: «Cette manière de procéder ne va pas !», comme j'ai pu l'indiquer hier à l'occasion de la politique publique J: ne reprochez pas aux institutions qui respectent la loi de dysfonctionner. Vous êtes députés, changez les lois ! Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. J'ouvre la procédure de vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13415 est adopté en premier débat par 77 oui contre 8 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 1 (souligné).
Le président. Nous nous prononçons à présent sur l'article 2 souligné «Clause d'urgence». Je rappelle que selon l'article 142 de la LRGC, pour être adoptée, la clause d'urgence doit être votée par le Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres.
Mis aux voix, l'art. 2 (souligné) est adopté par 82 oui contre 9 non (majorité des deux tiers atteinte).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 13415 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 78 oui contre 9 non (vote nominal).