République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2024 à 17h
3e législature - 1re année - 10e session - 62e séance
PL 13373-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
La présidente. Nous pouvons enfin passer à notre ordre du jour et au traitement de trois projets de lois liés: le PL 13373-A, le PL 13374-A et le PL 13398. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. M. Yves Nidegger remplace M. Charles Poncet. Je cède le micro à M. Diego Esteban.
M. Diego Esteban (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. La commission législative a refusé d'entrer en matière sur les deux premiers projets de lois, à savoir le PL 13373 et le PL 13374, qui sont identiques et qui, comme vous l'aurez compris, proposent de supprimer l'article 109, alinéa 5, de la constitution, une disposition plus ancienne que le Sonderbund, mais qui serait subitement devenue inacceptable !
L'argumentation avancée par les auteurs des deux projets de lois mentionnés se base sur la séparation des pouvoirs. La vision de ce principe défendue par ces auteurs est particulièrement hermétique. Ce qui est problématique avec cette argumentation, c'est qu'elle n'est pas étayée par les faits. Pour les groupes auteurs de ces projets de lois, la séparation des pouvoirs devrait uniquement empêcher le Conseil d'Etat d'empiéter sur les compétences du Grand Conseil, mais pas vice versa, ce qui pose déjà un premier problème.
Le deuxième, c'est qu'une séparation des pouvoirs strictement hermétique impliquerait un certain nombre de modifications dans notre manière de fonctionner. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat a la possibilité de déposer des projets de lois. Est-ce que demain, c'est cette compétence qui sera attaquée ? Alors pas forcément, parce que vous l'aurez peut-être aussi compris, ces projets de lois ne procèdent pas d'une réflexion globale sur le cadre des institutions genevoises, mais d'une actualité: c'est un cas d'application de cet article 109, alinéa 5, de la constitution qui a déplu aux auteurs de ces textes, qui ont préféré jeter le bébé avec l'eau du bain via ces deux objets.
Si la majorité de la commission estime d'un côté qu'il n'était pas nécessaire de modifier la constitution par rapport aux plaintes que les groupes auteurs de ces deux projets de lois pouvaient avoir sur le recours à cette disposition dans ce cas particulier, elle considère aussi qu'il y a toute une réflexion à mener sur le modèle de fonctionnement parlementaire. Vouloir supprimer toutes les étapes qui permettent de prendre un peu plus de temps sur certaines propositions de modifications législatives - ce que proposent le projet de loi sur le troisième débat en cours d'examen à la commission des droits politiques ou ces textes sur l'article 109, alinéa 5 -, c'est finalement défendre la vision du passage en force, selon laquelle il y aurait en tout temps une urgence à modifier la loi du jour au lendemain. Cela traduit une certaine précipitation que la majorité de la commission ne voulait pas concrétiser dans notre loi fondamentale.
Mais vous l'aurez aussi vu, il y a un troisième projet de loi lié aux deux premiers. Celui-là n'est pas une réponse aux deux premiers, comme on peut le lire dans les critiques du rapport de minorité, mais un complément, dans la mesure où, tant à la commission des droits politiques qu'à la commission judiciaire et de la police et à la commission législative...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Diego Esteban. ...un certain nombre de travaux ont été réalisés dans l'idée de clarifier le droit de référendum, pour qu'on ne le demande qu'au moment où un projet de loi est définitif. Ici, il y avait effectivement un certain flou sur l'utilisation de l'article 109, alinéa 5, que ce dernier projet de loi pourrait sans doute clarifier.
Sur la base de l'entier de ces raisonnements et réflexions, la majorité de la commission législative vous recommande de refuser d'entrer en matière sur les projets de lois UDC et MCG, qui modifient la constitution, et d'accepter le dernier. Je vous remercie.
M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de minorité ad interim. Jeter le bébé avec l'eau du bain, ce bébé étant plus vieux que le Sonderbund, j'ai un peu de mal à visualiser la scène que nous propose le rapporteur de majorité. Si cette loi est plus vieille que le Sonderbund, c'est que cette loi, cher collègue, est française. Les Genevois sont un peu des Français ratés, ai-je coutume de dire: nous sommes sans doute le canton dans lequel les traces de l'invasion et de l'occupation françaises à l'époque napoléonienne sont les plus grandes, en ceci que pas mal de nos institutions - ce n'est pas la seule - ont une espèce d'imprégnation française dont nous n'arrivons pas à nous défaire, par amour des vieilles choses.
La question de fond, ce ne sont pas les mots «promulgation» et «publication». En droit fédéral, vous n'avez pas cette distinction, le délai commence quand même à courir, et ce n'est pas du tout là que se trouve la question de base. Cette dernière est celle de savoir quelle réponse notre système donne à un cas unique et particulier, qui est celui où l'exécutif est en désaccord frontal avec le parlement. Qu'est-ce qu'on fait dans ce cas ? Il n'est pas en désaccord parce que la loi est moche, parce qu'elle a été bâclée, parce qu'on a peur qu'elle soit anticonstitutionnelle, il l'est sur la base d'un désaccord politique. Ce sont des choses qui peuvent arriver, et tous les systèmes du monde prévoient un mécanisme permettant de sortir de cette impasse ou d'arbitrer cela.
Il se trouve que les Genevois - Genferei oblige - ont fait ce que les Suisses ne font pas, ce que la Confédération ne fait pas non plus: en droit fédéral, lorsque les Chambres ont adopté une loi, il ne viendrait pas à l'idée de l'exécutif de faire autre chose que de la publier dans la Feuille fédérale, et le délai de référendum commence à courir, évidemment. Ici, on a cette réminiscence française qui fait que le Conseil d'Etat a le droit de dire: «Stop, on arrête, on va rediscuter, on veut autre chose.»
Ce qui a été prévu et sur quoi vous êtes invités à voter, c'est un sparadrap législatif que nous avons élaboré parce que nous considérons qu'on devrait peut-être encadrer cette pratique. Evidemment, ça arrive très rarement, mais ce n'est pas parce que ce phénomène est rare... Il est en effet peu fréquent que le Conseil d'Etat s'oppose de manière frontale au parlement puisque les forces au sein du gouvernement sont généralement à peu près les mêmes que celles présentes dans le parlement lui-même.
Pourquoi est-ce français ? Parce qu'il y a un article 10 dans la constitution française, qui prévoit que lorsque le parlement adopte une loi, le président - on le retrouve aussi maintenant à Genève - a quinze jours pour la promulguer, mais qu'il peut demander un nouveau débat, sur la loi en entier ou sur une partie, donc certains articles, un débat que le parlement n'a pas le droit de refuser. Il exprime ainsi son veto - si on le compare au système américain - dans un régime où le président a aussi la faculté de dissoudre l'Assemblée, c'est-à-dire qu'il dit: «Les gars, je ne suis pas d'accord avec votre loi, et si vous insistez, je vous dissous.» Dans ce rapport de force, effectivement, ça se règle parce qu'il a ce pouvoir. En Suisse, et par conséquent à Genève...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Yves Nidegger. ...puisqu'on est en Suisse, ce n'est pas le président mais le peuple qui peut refuser une loi, et ça s'appelle le référendum.
Comme mon temps de parole s'épuise, je ne vous ferai pas la comparaison de Me Poncet sur le droit allemand et le droit italien. Je rappellerai qu'aux Etats-Unis, il y a un droit de veto, mais là on assume franchement que c'est un refus de l'exécutif de se plier au pouvoir législatif. Et puis, ça ouvre une crise politique qui tient plus ou moins longtemps, généralement jusqu'aux prochaines élections. Au Royaume-Uni, on doit avoir le «Royal assent», l'accord royal, pour qu'une loi du parlement entre en vigueur. En d'autres termes, notre président du Conseil d'Etat souhaiterait conserver un pouvoir législatif plus haut que celui du roi d'Angleterre - grand bien lui en fasse !
Nous considérons que cette règle est une Genferei et surtout que les travaux de la commission en sont une. Il s'agit donc de renvoyer ces textes en commission pour une réflexion un peu plus sérieuse que celle qui a été menée. Cette dernière n'était pas une réflexion, c'était une frilosité: «Oh, c'est une vieille loi, on n'y touche pas !» Le sparadrap proposé n'est qu'une espèce d'alibi pour dire: «Oui, il y a eu un esclandre ici. L'honneur du parlement est en jeu, il faut qu'on fasse quelque chose !» Ce qu'on fait, c'est qu'on met une rustine sur un pneu crevé. Encore une fois, c'est une situation rare, mais on a besoin d'un mécanisme dans ces cas-là, et pas d'un mécanisme français ! Je terminerai en citant à nouveau Montesquieu, qui disait que les lois sont si particulières aux peuples qu'il n'arrive que très rarement qu'une loi d'un peuple convienne à un autre. C'est le cas ici, ne soyons pas français, soyons suisses !
La présidente. Je vous remercie. (Brouhaha.) Je vous prie de m'excuser, je n'avais pas rappelé la règle, mais comme ça fait bientôt une année que je préside, je pensais que vous l'aviez acquise, Mesdames et Messieurs les députés; ce n'est visiblement pas le cas: j'invite les personnes qui veulent discuter à le faire à l'extérieur. Je n'ai aucun doute que vos discussions sont très intéressantes ! Madame Bayrak, vous avez la parole.
Une voix. Il y a eu une demande de renvoi en commission.
La présidente. Ah, pardon, Monsieur le rapporteur, vous avez la parole pour vous exprimer sur cette demande.
M. Diego Esteban (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Ça fait déjà plusieurs fois que j'ai le plaisir de partager la table des rapporteurs avec M. Nidegger; c'est vrai que généralement, quand il est dans la minorité, il demande le renvoi en commission parce que le travail a été mal fait, un peu par hasard ! (Remarque.) Non, je pense qu'on a vraiment fait un travail complet. On peut le constater en lisant le rapport de commission: les auditions ont été faites, la réflexion est claire et ces projets de lois sont extrêmement concis.
Je ne pense pas que les travaux aboutiraient à un autre résultat si on refaisait un passage en commission. Je rappelle qu'il y a quand même maintenant un certain nombre de critiques sur les auditions inutiles et le temps ainsi que les ressources qu'elles demandent au Grand Conseil, critiques qui viennent généralement du groupe UDC. Je pense donc qu'il s'agit d'être conséquent et de terminer le travail sur ces textes aujourd'hui.
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 13373 et 13374 ainsi que du projet de loi 13398 à la commission législative est rejeté par 68 non contre 23 oui.
La présidente. Madame Bayrak, vous avez la parole.
Mme Dilara Bayrak (Ve). Merci, Madame la présidente. Vous transmettrez à M. Nidegger qu'on n'a pas compris les arguments qu'il invoque dans le cadre de ce débat. Ne laissez pas votre haine des Français embrumer votre vision, Monsieur Nidegger ou Monsieur Poncet. On a un héritage à Genève qui est celui de la culture française. Si ce reliquat est présent dans le cadre de cette loi, ça n'a jamais posé problème jusqu'alors. S'il y a une pratique à clarifier - le rapporteur de majorité l'a très bien fait -, c'est celle de la promulgation des lois. La commission s'est saisie de ces projets de lois justement pour clarifier cette pratique peu claire: est-ce qu'on doit promulguer avant ou après le délai référendaire, etc., etc.
Cela étant, la réponse apportée satisfait pleinement le groupe des Vertes et des Verts. Contrairement à d'autres cantons, nous avons à Genève un pouvoir qui fait que nous pouvons rédiger des projets de lois et directement les imposer, avec bien sûr le troisième débat demandé par le Conseil d'Etat. L'article 109, alinéa 5, n'a pas d'équivalence dans les autres cantons, précisément parce qu'ils n'ont pas la possibilité de rédiger à foison des textes comme nous le faisons.
Je ne sais pas - vous transmettrez, Madame la présidente, à M. Nidegger - si de son temps à Genève les députés étaient un peu plus réfléchis dans la façon de voter les projets de lois. En tout cas, depuis que je suis là, je vois qu'on vote de manière précipitée certains projets clairement pas aboutis, qui posent des problèmes dans l'application du droit, qu'il s'agisse de la conformité au droit supérieur ou même de la façon dont nous devons mettre en oeuvre ces textes. Il est donc clairement plutôt sain que le Conseil d'Etat puisse mettre un stop à notre immaturité - et bien entendu je m'inclus dans ce constat, par politesse bien sûr, mais je ne le prends absolument pas personnellement et vous prierais d'en faire de même.
Nous refuserons les deux premiers projets de lois et accepterons le dernier. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, en réponse aux propos du rapporteur de minorité, j'ai envie de vous dire: «Restons genevois et restons fiers de l'être.» La première Genferei qu'il y a dans notre constitution, c'est justement la capacité qu'a chaque député de rédiger de A à Z un projet de loi complet, de le déposer et de susciter ensuite un processus parlementaire. Dans aucun autre canton il n'y a cette possibilité pour chaque député pris individuellement. Nous pouvons en être fiers.
Maintenant, le mécanisme prévu par l'article 109, alinéa 5, qui n'a été déclenché qu'à cinq reprises depuis le début du XXIe siècle, est un mécanisme préventif, le Conseil d'Etat sait le mettre en application avec parcimonie et précaution dans des cas extrêmement rares où des projets de lois posent de sérieux problèmes de conformité au droit supérieur. Alors vous me direz, on sait tous à quel point les groupes qui ont déposé ces deux premiers projets de lois accordent de l'importance au droit supérieur, surtout lorsqu'il s'agit du droit international, mais, Mesdames et Messieurs, nous commettons une grave erreur si, chaque fois que le Conseil d'Etat fait usage d'une faculté prévue par la constitution ou par la législation cantonale et que cela ne nous plaît pas, nous déposons immédiatement un projet de loi pour le priver de cette faculté.
Mesdames et Messieurs, ce n'est pas sérieux. Ce qui est sérieux en revanche, c'est le rapport de majorité et sa qualité - le groupe PLR en remercie le député Diego Esteban. Le travail effectué par la commission législative est un travail de qualité, c'est un travail de fond puisqu'il a saisi l'occasion de ces deux projets de lois pour préciser les contours de la LRGC en la matière et les règles applicables dans ce genre de situation. Il n'y a absolument aucune raison de se priver de ce mécanisme prévu à l'article 109, alinéa 5, de notre constitution cantonale.
Quand aux comparaisons faites avec d'autres régimes à l'étranger, elles n'ont absolument pas lieu d'être, la République et canton de Genève n'est pas la République française; on n'est absolument pas dans un cas de figure comparable au fameux 49.3, tant décrié, on est simplement en présence d'un mécanisme préventif, qui, en moyenne, a été utilisé une fois tous les quatre ans par le Conseil d'Etat au cours de ces vingt-cinq dernières années. Il n'y a absolument aucune raison de s'en priver, ce serait mettre gravement en péril le fonctionnement de nos institutions, que nous avons l'honneur de servir. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
M. Amar Madani (MCG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce projet de loi tel que sorti de la commission mérite une réévaluation attentive. Tout d'abord, je souhaite souligner l'importance de la problématique posée par ces deux projets de lois qui visent l'abolition de l'article 109, alinéa 5, de la constitution genevoise. Pour rappel, cette disposition permet au Conseil d'Etat de retirer, de différer de six mois la promulgation d'une loi votée par le Grand Conseil afin de présenter le texte au parlement avec les observations du pouvoir exécutif. Je déplore la décision de la majorité de la commission de ne pas entrer en matière sur cette question.
Il est regrettable que cette problématique d'importance cruciale n'ait pas reçu l'attention qu'elle mérite au sein de la commission. Je tiens à rappeler le contexte dans lequel ces deux projets de lois ont été déposés, marqué par une polémique et une controverse significatives. Cette disposition de l'article 109, alinéa 5, est unique en Suisse, car la Constitution fédérale ne connaît pas cette pratique et se contente de prévoir la publication des lois votées par les deux Chambres, selon la loi sur les publications officielles du 18 juin 2004. Ce principe trouve ses sources dans le droit français - le rapporteur de minorité l'a évoqué -, précisément dans la constitution de 1958, perdant de vue les différences entre le système semi-présidentiel français et notre système genevois, où les désaccords législatifs sont traditionnellement résolus par le biais du référendum.
Il est encourageant de constater que la majorité a reconnu les lacunes du texte actuel. Cependant, je reste convaincu que la proposition avancée est loin de constituer la réponse appropriée à cette problématique. Elle risque même d'affaiblir considérablement le rôle du pouvoir législatif face à l'exécutif, voire de compromettre les principes fondamentaux de notre système démocratique, et ce faisant de miner la confiance du peuple dans nos institutions démocratiques. Au vu de ces considérations, nous vous invitons vivement, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer ces deux projets de lois en commission pour un examen plus approfondi en prenant le temps nécessaire pour étudier toute proposition afin de parvenir à une solution plus équilibrée. Je vous remercie de votre attention.
La présidente. Merci. Nous sommes saisis d'une nouvelle demande de renvoi en commission. Je la soumets à votre approbation.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 13373 et 13374 ainsi que du projet de loi 13398 à la commission législative est rejeté par 66 non contre 24 oui.
La présidente. Nous continuons le débat, et la parole est à Mme Alia Chaker Mangeat. (La présidente prononce le nom de la députée comme le terme anglais «shaker».)
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). C'est Chaker Mangeat !
La présidente. Excusez-moi !
Mme Alia Chaker Mangeat. Mais «shaker», je veux bien, on prendra l'apéro tout à l'heure si vous voulez ! (Rires.) Le rapporteur de minorité et son remplaçant exagèrent un peu la portée et l'usage de cet article 109, alinéa 5, parce qu'en réalité, il n'en a été fait usage que six fois en vingt ans.
De plus, dire que c'est un droit de veto, c'est très mal le nommer, car en réalité c'est uniquement la prévention de dispositions que le Grand Conseil pourrait adopter et sur lesquelles le Conseil d'Etat aimerait formuler des observations, notamment parce qu'elles seraient contraires au droit supérieur. Cela permet au Conseil d'Etat de revenir dans les six mois avec des observations. A ce moment-là, le Grand Conseil reste libre de refuser les observations du Conseil d'Etat. Il n'y a donc aucun problème quant à une compétence du Grand Conseil qui serait bafouée.
Sur un projet de loi, le Conseil d'Etat ne peut faire cet exercice qu'une seule fois. On a un peu éclairci la mise en oeuvre de cet article 109, alinéa 5, justement pour éviter les mesures dilatoires qui pourraient avoir lieu. Je crois qu'on arrive à une solution équilibrée, qui préserve tout à fait les droits démocratiques, et le dernier mot appartient toujours au Grand Conseil et au peuple, bien sûr, en cas de référendum. Il n'y a donc aucun problème. Je vous invite à refuser les deux premiers projets et à accepter le troisième avec la modification législative. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Je vais passer la parole aux rapporteurs. Le rapporteur de minorité ne souhaite pas s'exprimer. (Remarque.) Ah si ! Je lui passe donc la parole pour une minute quinze.
M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de minorité ad interim. Excusez-moi, Madame la présidente, je m'étais assoupi. Le débat montre que les partis gouvernementaux sont gouvernementaux et que les partis non gouvernementaux sont un peu plus pugnaces, ce qui correspond à ce que d'ordinaire on attend d'un parlement; mais de là à ce que Mme Bayrak et M. Alder - vous transmettrez, Madame la présidente - en appellent à la mise sous tutelle bienveillante d'un Conseil d'Etat qui saura nous interdire... Enfin, nous allons nous interdire volontairement de casino afin que ce que nous ferons soit bienveillamment protégé parce que nous pourrions faire des bêtises ! Tout cela n'est vraiment pas le rôle d'un parlement responsable.
Cela a été dit, très rarement cet article a été utilisé, et jamais - citez-moi un seul cas ! - parce que la loi était contraire au droit fédéral ou parce qu'elle contenait un problème, toujours et uniquement parce qu'il y avait un désaccord politique. Nous resterons sur notre position: refuser les deux premiers textes et accepter le troisième serait une Genferei renforcée par une rustine.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de majorité pour deux minutes vingt.
M. Diego Esteban (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Je tenais à faire référence à un précédent cas d'utilisation de l'article 109, alinéa 5, de la constitution, sur le convoyage des détenus, il y a un peu plus de cinq ans. Je m'en souviens parce qu'à l'époque, c'était la gauche qui était dans le camp des mécontents. Il y avait effectivement un refus de promulguer, un nouveau texte avait été soumis au Grand Conseil après avoir été examiné en commission. Finalement, la nouvelle proposition ne contribuait pas davantage aux travaux par rapport aux débats qui avaient déjà eu lieu. C'est simple, dans ce cas, la même majorité a confirmé sa précédente décision. Par conséquent, la loi initialement votée a été confirmée, est devenue définitive et est entrée en vigueur.
Au final, le seul dommage qu'il y a eu, c'était un délai d'attente supplémentaire de six mois, mais pour la plupart des lois que nous votons, ce n'est pas la mer à boire: il n'y a jamais - ou en tout cas rarement - un degré d'urgence tel qu'on ne peut pas se permettre d'attendre six mois supplémentaires; et quand bien même, il existe la clause d'urgence.
Le fait de supprimer cette disposition constitutionnelle n'est jamais entré dans la discussion pour la gauche de l'époque. Ç'aurait été complètement disproportionné, bien entendu. Donc au-delà de la distinction que M. Nidegger souhaite faire entre les partis gouvernementaux et les autres, il y a quand même un problème de proportionnalité dans la solution proposée au vu des problématiques réelles.
Ensuite, juste pour la postérité - cela figure dans le rapport -, l'origine de cette disposition remonte à la constitution de 1842, soit bien après le départ des troupes napoléoniennes, mais effectivement avant le Sonderbund. Je ne saurais aller dans le sens de M. Nidegger, pour qui tout ce qui vient avant le Sonderbund est forcément français, parce que dans ce cas, il nous a manqué un élément important lors des débats que nous venons d'avoir sur l'intégration du «Cé qu'è lainô» dans la constitution ! Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je pense que vos débats et surtout les travaux que vous avez eus en commission illustrent assez bien les questions posées en son temps par Montesquieu dans «L'Esprit des lois» concernant la nécessaire séparation des pouvoirs ainsi que l'équilibre entre ces pouvoirs - c'est sur cette question que Montesquieu est peut-être le plus intéressant.
On pourrait croire que dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, la démocratie suisse, où le parlement - les parlements, cantonaux et fédéraux - a un rôle fort, plus fort qu'en France, par exemple, qui est plutôt un régime présidentiel, il y a une espèce de hiérarchie entre les pouvoirs et que le premier pouvoir, le parlement, l'emporte toujours sur le deuxième, le gouvernement, qui lui-même l'emporte toujours sur le troisième, les juges. Il n'en est pas ainsi.
Il n'en est pas ainsi dans «L'Esprit des lois» ni dans notre constitution. Il arrive que les juges cassent des lois votées par le Grand Conseil parce qu'elles sont non conformes soit à la constitution cantonale soit à d'autres dispositions. Il arrive que le Conseil d'Etat ne puisse pas appliquer une loi votée par le Grand Conseil parce qu'elle n'est pas générale et abstraite ou parce qu'elle interviendrait de manière trop précise sur une situation particulière, ce qui est le rôle du gouvernement et non celui du parlement. Il arrive que les juges cassent des décisions du gouvernement, de l'administration parce que les lois ont été mal interprétées dans des cas concrets et que, par conséquent, l'administré ne s'y retrouve pas et fait appel au troisième pouvoir pour contredire le deuxième.
Vous voyez dans tous ces exemples qu'il y a une articulation, un subtil équilibre entre tous les pouvoirs et que la vision développée par la minorité, qui consisterait à dire: «Nous sommes le premier pouvoir et donc nous avons un droit tyrannique d'imposition immédiate de ce que nous décidons, le soir même, sur un coup de tête, à l'ensemble de l'Etat», est contraire à «L'Esprit des lois», est contraire à la séparation des pouvoirs, est contraire à l'équilibre entre eux.
Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat dispose de cette possibilité de l'article 109, alinéa 5 - plusieurs députés l'ont très bien rappelé - comme contre-équilibre, ou contre-pouvoir, au droit d'initiative parlementaire, qui a été évoqué, à savoir le fait que des députés puissent déposer des projets de lois, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des parlements suisses. C'est bien uniquement au sujet des projets de lois issus de députés que cet article constitutionnel peut être opposé. On voit bien que le constituant a voulu, là encore, trouver une espèce d'équilibre. Le Conseil d'Etat dispose également de la possibilité de refuser le troisième débat. D'ailleurs, c'est intéressant: si on se réfère à votre loi portant règlement du Grand Conseil, en fait, le troisième débat est automatiquement mis à l'ordre du jour d'une séance ultérieure; il peut avoir lieu immédiatement sur demande du Conseil d'Etat.
Vous conviendrez toutes et tous ici que le Conseil d'Etat, même s'il est en désaccord avec la loi, et sauf s'il y a une problématique particulière, demande toujours le troisième débat, pour respecter les travaux parlementaires. Sur ce point, le Conseil d'Etat s'inscrit en faux contre les propos de la minorité: l'usage de ces deux outils - refuser le troisième débat, respectivement invoquer l'article 109, alinéa 5, de la constitution - ne se fait pas sur la base de purs motifs de désaccord politique, sans quoi, Mesdames et Messieurs les députés, je peux vous dire que lors de toutes les sessions il se présenterait des situations où le Conseil d'Etat refuserait ne serait-ce que le troisième débat. Non, ce n'est pas la discipline que nous nous sommes imposée au niveau du gouvernement.
Pour refuser le troisième débat et qui plus est pour invoquer l'article 109, alinéa 5, nous devons - et nous en avons convenu entre nous - constater des problématiques soit de non-conformité au droit supérieur, soit de non-applicabilité par l'administration de la loi telle qu'elle est votée, soit encore des problèmes matériels qui pourraient surgir dans l'appréciation de l'application de la loi. Ou encore, on peut refuser sur la base du fait qu'on ne connaît pas l'effet de la loi, tout simplement parce qu'on n'a pas pu l'étudier en commission; c'est le cas d'espèce qui a justifié le refus de la loi sur l'énergie, on s'en souvient.
Mesdames et Messieurs, finalement, cet article 109, alinéa 5, qu'est-ce qu'il donne comme possibilité au Conseil d'Etat ? Celle de demander un quatrième débat. C'est tout ! C'est un quatrième débat qui a lieu six mois plus tard. Comme cela a été rappelé, c'est bien votre parlement qui a le dernier mot, et c'est en cela que nous sommes très différents de la République française; il n'y a pas, et c'est bien heureux, de possibilité pour le gouvernement de faire passer une mesure législative en force, nous ne pouvons que vous proposer de temporiser et de rediscuter à froid, au plus tard six mois après, pour finalement refaire un débat, qui devient pour ainsi dire le quatrième débat.
M. Esteban l'a dit, dans le cadre du convoyage des détenus, le Conseil d'Etat est revenu peu ou prou avec la même position et le parlement a eu la même réaction; dans le fond, il y a eu une cohérence. J'espère que tout à l'heure nous démontrerons que dans ce cas-ci, nous avons pu faire valoir l'intelligence collective et revenir avec des propositions de compromis. C'est là qu'on voit le sens final de cet article 109, alinéa 5, à savoir laisser une dernière fois la chance au dialogue, au consensus, qui sont des valeurs éminemment suisses. Je vous remercie de suivre le rapport de majorité.
La présidente. Je vous remercie. Nous allons procéder au vote, en commençant par le PL 13373-A.
Mis aux voix, le projet de loi 13373 est rejeté en premier débat par 70 non contre 25 oui.
La présidente. Je soumets ensuite à votre approbation le PL 13374-A.
Mis aux voix, le projet de loi 13374 est rejeté en premier débat par 70 non contre 25 oui.
La présidente. Nous passons au vote sur le PL 13398.
Mis aux voix, le projet de loi 13398 est adopté en premier débat par 83 oui contre 11 non et 2 abstentions.
Le projet de loi 13398 est adopté article par article en deuxième débat.
La présidente. Le troisième débat est-il demandé ? (Remarque de M. Antonio Hodgers. Rires.) Il l'est, je lance donc la procédure de vote.
Mise aux voix, la loi 13398 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 84 oui contre 12 non (vote nominal).