République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 février 2024 à 17h
3e législature - 1re année - 9e session - 57e séance
M 2901-A
Débat
La présidente. L'ordre du jour appelle la M 2901-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Je dois vous avouer que c'est le rapport de majorité le plus court que j'aie connu, puisqu'il n'y a eu aucun débat en commission mais un simple vote. En effet, ce texte devait normalement être une proposition de motion de la commission des droits politiques, mais un député un peu ronchon a finalement décidé de ne pas la signer et s'y est opposé. Sinon, cela aurait été une motion de commission ! Je serai assez bref, car il y a une quasi-unanimité sur le sujet, mais je vais rappeler pourquoi la commission souhaitait déposer cette proposition de motion concernant le vote électronique.
Le canton de Genève a été pionnier en la matière et a beaucoup investi - il faut quand même le répéter - pour mettre en place un système de vote électronique qui, à l'époque, passait les diverses étapes de sécurité demandées par la Confédération. A la suite de cela, le canton de Genève a décidé, d'une façon qui a été qualifiée par notre Grand Conseil de plutôt précipitée, d'abandonner complètement le vote électronique: il ne voulait pas se retrouver dans la situation, décrite à l'époque par le Conseil d'Etat, de prestataire de vote électronique et devoir aller chercher d'autres cantons pour faire face à la concurrence du système développé par la Poste avec une entreprise espagnole, Scytl, à qui elle sous-traitait le développement du dispositif.
En mai 2019, ce Grand Conseil a très largement accepté le PL 12415; cette loi indique que «le système de vote électronique utilisé par le canton doit être, dans sa conception, sa gestion et son exploitation, entièrement contrôlé par des collectivités publiques». De plus, l'article 60 de la LEDP (la loi sur l'exercice des droits politiques) précise que «l'électeur peut voter à distance par la voie électronique», puis que «le matériel de vote envoyé à l'électeur contient les éléments nécessaires pour exercer le vote électronique».
Malgré cela, il faut l'admettre, le Conseil d'Etat de l'époque n'avait pas émis un signal très fort pour relancer les investissements en matière de vote électronique dans le canton de Genève. C'est pourquoi ce Grand Conseil, véritablement mené par la commission des droits politiques, avait également déposé la M 2573, adoptée à l'unanimité, intitulée «pour l'application de la loi 12415 "Pour un système de vote électronique en mains publiques"». Cette motion avait pour but d'amener l'exécutif à appliquer la loi et visait à ce qu'un système de vote électronique soit proposé à la population. En outre, la commission des droits politiques souhaitait avoir un regard sur la suite des travaux en matière de vote électronique...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Romain de Sainte Marie. Merci. ...notamment parce que la Poste (qui est, rappelons-le, une entreprise autonome de droit public détenue intégralement par la Confédération et qui répond donc à l'exigence que le dispositif soit en mains publiques) avait arrêté de sous-traiter le développement d'un système de vote électronique à l'entreprise espagnole Scytl et relancé un développement à l'interne.
Au vu de ces nouvelles avancées, une collaboration avec la Poste et éventuellement d'autres cantons pourrait être tout à fait envisageable, de façon à retrouver un système de vote électronique à Genève. C'est pourquoi la commission, à l'exception d'un député, a souhaité - je paraphrase les invites du texte - que toutes les mesures pour développer une collaboration avec la Poste soient prises, que des échanges intercantonaux soient maintenus, et surtout que le Conseil d'Etat rende tous les six mois un rapport à la commission des droits politiques sur l'état de l'avancement des travaux en matière de vote électronique, de sorte que ce projet ne retombe pas et que le vote électronique puisse être réintégré au plus vite auprès des Genevoises et des Genevois.
Malgré la quasi-unanimité des votes, j'ai été un peu long, j'en suis désolé, mais je voulais rappeler l'enjeu du vote électronique dans le canton de Genève !
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je remercie le rapporteur pour sa longue présentation: il a expliqué en long et en large les tenants et aboutissants de ce texte. Oui, il y a quelques années, Genève faisait office de pionnier en matière de vote électronique, plus précisément pour ce qui est de son étude et de son déploiement, jusqu'à ce que ces projets soient brusquement arrêtés. Le Mouvement Citoyens Genevois, dont les commissaires aux droits politiques figurent parmi les signataires de cette motion (le mouton noir n'est donc pas chez nous), maintient sa position et encourage le Conseil d'Etat à favoriser la reprise des développements afin que les citoyennes et citoyens genevois aient accès au plus vite au vote électronique. Ce moyen de vote permettra notamment aux électeurs éloignés - ceux qui, en raison de leur lieu de domicile, ne reçoivent leur matériel de vote par voie postale que trop tard, parfois même après la tenue des votations et élections - de reprendre contact avec leurs droits civiques. Mesdames et Messieurs les députés, le MCG vous encourage à soutenir cette motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Mme Joëlle Fiss (PLR). Chers collègues, comme l'a dit le rapporteur, ce texte a été accueilli par une très large majorité de la commission des droits politiques. L'idée est de pousser le Conseil d'Etat à poursuivre les travaux pour mettre à disposition des électeurs un système de vote électronique géré de façon publique. On peut se demander pourquoi il faut une gestion publique du vote électronique. En 2019 déjà, mon estimée collègue Diane Barbier-Mueller avait parlé de ce sujet en expliquant que, malheureusement, il y avait un manque de fiabilité dans la gestion privée des systèmes. Voilà pourquoi une gestion par les collectivités publiques est nécessaire; c'est nettement préférable.
Ainsi que l'a dit M. Romain de Sainte Marie, le développement par la Poste, entreprise autonome de droit public et entièrement détenue par les autorités, répond parfaitement aux exigences de la Confédération. La mise au point serait intégralement réalisée par la Poste et non sous-traitée à une entreprise privée, comme cela a été le cas dans le passé.
On le sait, les bulletins de vote arrivent souvent trop tard dans la boîte aux lettres des Genevois, notamment des Suisses qui vivent à l'étranger et dont le vote est une manière très concrète d'exprimer l'essence même de leur «suissitude». Je crois que pour un Suisse, il n'y a rien de plus important pour se réaffirmer que de voter. En outre, on sait aussi que le vote électronique est la meilleure façon d'encourager une participation citoyenne. Enfin, il est évident que c'est écologiquement le meilleur moyen pour l'avenir: ça éviterait énormément de gaspillage.
En réalité, c'est très paradoxal: aujourd'hui, les citoyens expérimentent ChatGPT, on s'intéresse à l'application de l'intelligence artificielle, mais on n'a toujours pas suffisamment avancé sur ce dossier. On implore donc vraiment le Conseil d'Etat d'agir et d'initier un dialogue avec les autres cantons et la Confédération dès que possible. Merci.
M. Yves Nidegger (UDC). Je suppose, à la lecture du rapport, que le député ronchon devait être de couleur verte. C'est bien ça ? (Remarque.) C'est lui qui a empêché le dépôt d'une véritable motion de commission et qui a cassé la belle unanimité sur ce texte. Eh bien, il y a des jours où je me sens un peu Vert. Cette fièvre du vote électronique chez les Genevois, je l'ai vécue depuis Berne: le canton a plusieurs lobbyistes surpayés qui nous expliquaient ce que nous devions faire et qui passaient pas mal de temps à indiquer aux autres cantons qu'ils devaient aider Genève, qui investissait beaucoup (c'est le terme du rapporteur mais, dans la bouche d'un socialiste, traduisez cela par «perdait beaucoup d'argent»), à développer un système - système qui a rencontré des problèmes et qui a finalement dû être abandonné.
A l'époque, on était dans la phase où on perdait déjà de l'argent, où des problèmes techniques se posaient et où on espérait simplement qu'avec l'aide et le soutien financier des autres cantons, futurs acheteurs de notre merveilleux produit genevois, on allait pouvoir conduire les choses jusqu'au bout, ce qui s'est avéré un échec complet et un mauvais calcul. Le grand concurrent, le grand méchant loup, c'était la Poste; le Conseil d'Etat genevois nous avait demandé de la considérer avec au minimum une hargne importante, notamment au motif que la Poste... Alors c'est brusquement devenu un acteur public, mais dans la phraséologie de l'époque, le produit de la Poste, société anonyme de droit privé, certes avec des actionnaires publics, offrait des qualités nettement moindres par rapport à un dispositif qui aurait été entièrement dans les mains d'un canton, c'est-à-dire d'un Etat, en d'autres termes intégralement en mains publiques.
Bref, il s'est passé beaucoup de choses depuis lors, mais ce qu'on sait de façon sûre, c'est que le système de vote électronique reste, à tort ou à raison, perçu comme pas très fiable. Je l'ai testé une fois; avec le système genevois, vous prenez plus de temps à voter en ligne qu'à remplir le petit bulletin et à le mettre à la poste. Je doute donc que l'on parvienne à convaincre beaucoup d'abstentionnistes de fournir un effort supérieur à celui qu'ils devraient faire avec le papier, si déjà le bulletin papier, ils ne veulent pas le remplir.
En outre, il y a aujourd'hui une cyber-guerre entre des groupes d'Etats; elle met en jeu certains pays que vous connaissez bien et qui sont devenus très doués en la matière. Au fond, même si le système était sûr, même si le financement était acquis, tant que la population n'aura pas la certitude tangible... (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...que son vote est respecté, il sera trop tôt pour le faire.
En définitive, cette motion demande que l'on cravache le Conseil d'Etat suffisamment fort et souvent pour que la fièvre ne retombe pas et qu'il continue à oeuvrer - on n'y comprend pas grand-chose - afin de soutenir la Poste...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Yves Nidegger. ...et d'acquérir le produit que réalisera cette entreprise. Mais on ne sait pas quelle sera sa nature ! Ce texte n'a ni queue ni tête, chers collègues, et je vous invite donc à le rejeter.
M. Jean-Louis Fazio (LJS). Le groupe Libertés et Justice sociale soutiendra cette motion, qui demande que l'on acquière un système électronique public. Dans ce dossier, trop de retards sont constatés, trop de méfiance inconsidérée est apparue. A présent, il s'agit d'exiger du Conseil d'Etat qu'il mette le turbo pour qu'il poursuive sa collaboration avec d'autres cantons en vue de la mise en place d'un système de vote électronique au service de l'électorat qui soit en mains publiques. Sinon, des dérives seraient inévitables ! Je vous invite donc à soutenir ce texte. Merci.
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Je constate, au fil de ce débat, qu'on retrouve dans certains groupes le député ronchon auquel faisait allusion le rapporteur tout à l'heure. Je remercie du reste le rapporteur, car si son rapport est extrêmement court (il ne comprend effectivement que quelques lignes), il a bien brossé tout l'historique des travaux de la commission des droits politiques, qui se sont étalés sur plus de deux ans, me semble-t-il. Cette commission est allée jusqu'à auditionner une représentante de la Chancellerie fédérale, elle a entendu pas mal de spécialistes sur le sujet et elle a morigéné à plusieurs reprises le Conseil d'Etat, dans son ancienne composition, en lui demandant de remettre l'ouvrage sur le métier.
Je ne partage pas tout à fait la méfiance exprimée par le représentant de l'UDC tout à l'heure. Les tests de fiabilité menés ont démontré à l'époque que le système prôné par la Poste n'était pas totalement fiable, mais le projet genevois s'en sortait beaucoup mieux. En tous les cas, si l'on veut avoir un système parfait, imparable, sans aucune faille, l'unique moyen est de recourir au local de vote, qui n'est utilisé à l'heure actuelle que par 5% à 10% de la population. On ne va pas revenir à ce système !
D'autre part, on constate que plusieurs pays européens gardent cette méfiance et hésitent à introduire le vote électronique. Un seul pays à ma connaissance, l'Estonie, a consacré le vote électronique comme système institutionnel, et cela n'a pas l'air de poser trop de problèmes. Mais, évidemment, on vote certainement moins en Estonie que chez nous.
Cela étant, je crois qu'il faut effectuer une pesée des intérêts en présence lorsqu'on examine un tel projet. La part des avantages du vote électronique est beaucoup plus importante que celle des inconvénients, avec l'accessibilité du vote électronique - on l'a dit, mais je tiens à le répéter - aux personnes en situation de handicap, à celles qui ont des problèmes de mobilité et de déplacement ainsi qu'aux Suisses de l'étranger, qui généralement reçoivent leur bulletin de vote la semaine après la votation. Je vous rappelle à cet égard que les Suisses ne peuvent aller voter ni dans les ambassades ni dans les consulats, comme cela se fait dans d'autres pays. Pour toutes ces raisons, notre groupe acceptera cette motion à l'unanimité. Je vous remercie.
M. Yves de Matteis (Ve). Il est vrai qu'un rapport d'une demi-page ne peut pas tellement se faire l'écho des nombreux débats qui ont eu lieu dans notre commission, mais le rapporteur a été très complet; il a montré que nous avions passablement travaillé sur cet objet, on l'a rappelé, avec la tenue d'auditions. Nous avons même rendu visite au service des votations. A ce propos, j'aimerais remercier tant la chancellerie que le service des votations qui nous ont permis d'avoir une vision d'ensemble pour avancer sur ce dossier.
On l'a déjà dit, le vote électronique serait vraiment une plus-value, voire presque l'unique possibilité de voter pour certains citoyens (notamment les personnes à mobilité réduite lorsqu'elles ne peuvent pas demander à un tiers d'apporter leur bulletin de vote à la poste) et surtout pour les Suisses et Suissesses de l'étranger. Même si ceux-ci reçoivent leur bulletin de vote avant la votation, ce qui peut se produire, leur bulletin, une fois renvoyé, arrive bien après la votation; c'est quand même un peu frustrant. Même quand on vit à l'étranger, on a envie de s'exprimer lors des votations qui se déroulent dans notre propre pays.
Il y a eu, c'est vrai, un député que je ne qualifierais pas de ronchon, mais qui s'est montré quelque peu rétif à ce système. D'autres personnes, en nombre relativement restreint, avaient des doutes sur la sécurité, on l'a mentionné, et craignaient qu'on ne fasse du «tout électronique». On a un peu tendance à faire du «tout électronique» et certains, en tout cas dans mon groupe, y seraient un brin réticents, ce qui peut expliquer quelques positionnements négatifs ou, du moins, dubitatifs à l'égard de cette solution. En ce qui me concerne, j'ai voté en faveur de cette proposition et vous engage à faire de même. Merci, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. La parole revient à M. Cyril Mizrahi pour une minute quarante.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Madame la présidente. Je vais essayer d'être bref. Mesdames et Messieurs les députés, mon collègue Guinchard a déjà répondu en grande partie à notre collègue Nidegger sur les questions de sécurité. Aucun système n'est fiable à 100%; ce qui importe, c'est évidemment la garantie de la vérifiabilité. Je voudrais ajouter que la présentation qu'a faite M. Nidegger du Conseil d'Etat est complètement erronée. Ce dernier était prêt à abandonner le système du vote électronique genevois (ce qu'il a d'ailleurs fait), il était prêt à le confier à la Poste, avant même que celle-ci n'en reprenne la gestion, quand elle sous-traitait encore cette prestation à une entreprise privée. La majorité de notre Grand Conseil ne le voulait pas, c'est la raison pour laquelle le projet socialiste, dont j'étais l'auteur, a été accepté.
Aujourd'hui, une solution existe et elle est en mains publiques, puisque la Poste a repris ce système. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Cette motion propose donc de reprendre ce dispositif, qui prévoit non pas que toute la population vote électroniquement, mais que 30% peuvent le faire. C'est ce qui est stipulé au niveau fédéral. Il s'agit d'un enjeu pour les Suisses de l'étranger, mais également pour les personnes aveugles et malvoyantes. Certaines d'entre elles ont toujours pu voter de manière autonome...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Cyril Mizrahi. Je vais conclure, Madame la présidente. ...jusqu'à ce qu'un beau jour, on leur dise que ce n'était plus possible et qu'elles devaient recourir à un tiers pour pouvoir exercer leurs droits politiques. C'est cela... (Le micro de l'orateur est coupé. Celui-ci continue à s'exprimer hors micro.)
La présidente. Vous avez terminé. La parole revient à M. Alder pour quarante-huit secondes.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, le député Yves de Matteis a raison: c'est un progrès pour les personnes à mobilité réduite. Le député Jean-Marc Guinchard, lui aussi, a raison: c'est un progrès pour les Suisses de l'étranger qui ont le droit de vote dans le canton de Genève et qui, malheureusement, reçoivent souvent leur matériel trop tard. Pourquoi faut-il un système public ? (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Non seulement pour garantir une sécurité accrue, un meilleur contrôle, mais également parce qu'on sait qu'un système qui ne serait pas entre les mains de l'Etat serait voué à l'échec devant le peuple. On l'a bien vu avec le vote sur l'identité numérique il y a quelques années. Quant au reste, je crois qu'on doit rendre hommage à l'auteur de cet objet...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Murat-Julian Alder. ...le député Pierre Vanek, qui apprécierait certainement beaucoup... (L'orateur imite la voix et la gestuelle de M. Pierre Vanek.) ...la célérité avec laquelle a travaillé la commission et surtout...
La présidente. Je vous remercie. Vous n'avez plus de temps de parole.
M. Murat-Julian Alder. ...la brièveté ainsi que la qualité du rapport de M. Romain de Sainte Marie. Arrêtez de ronchonner et votez oui aujourd'hui ! (Le micro de l'orateur est coupé. Rires. Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Nous allons procéder au vote sur cette proposition de motion.
Mise aux voix, la motion 2901 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 86 oui contre 6 non et 2 abstentions (vote nominal).