République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 février 2024 à 20h30
3e législature - 1re année - 8e session - 53e séance
M 2577-A
Débat
La présidente. L'ordre du jour appelle le traitement de la M 2577-A. (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Nous sommes en catégorie II, trente minutes... (Brouhaha.) Comme d'habitude, j'invite les personnes qui veulent discuter à sortir. Monsieur Blondin, Monsieur Dunand, Madame Fiss...? Est-ce qu'on peut continuer les travaux, s'il vous plaît ? Très bien, la parole va à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous voici de nouveau face à une motion qui propose un label. Cette fois-ci, il s'agit d'une certification visant à reconnaître et à valoriser les entreprises actives en matière d'inclusion. Pour être un peu plus précis, les invites du texte demandent au Conseil d'Etat d'abord, je le répète, de soutenir le principe d'un label permettant de reconnaître et de valoriser les entreprises actives en matière d'inclusion, puis de favoriser la création d'un dispositif cantonal, enfin de s'engager, en tant qu'Etat employeur, à figurer parmi les premières entreprises reconnues.
Comme c'était le cas tout à l'heure, il y a environ une demi-heure, une large majorité des commissaires vous propose...
La présidente. Excusez-moi, Monsieur Pfeffer, pouvez-vous juste tourner le micro vers vous ? On vous entendra mieux.
M. André Pfeffer. Mille excuses !
Une voix. Il faut recommencer. (Rires.)
M. André Pfeffer. Comme c'était le cas de la motion que vous avez eu le bon sens de refuser tout à l'heure, la majorité des commissaires vous propose de rejeter cet objet, pour les raisons suivantes.
Premièrement, le cadre légal existe déjà. Avec la révision de la loi sur l'égalité, les entreprises qui emploient plus de cent travailleurs doivent réaliser une analyse des salaires. Deuxièmement, est-il encore nécessaire de rappeler qu'il y a énormément de labels ? Troisièmement, un tel dispositif présente des avantages uniquement si les objectifs fixés sont évaluables; or ce critère n'est pas respecté dans la motion. Quatrièmement, il faut rappeler la situation actuelle: l'OCIRT exige le respect des conditions de travail, c'est-à-dire les conditions salariales qui découlent des conventions collectives ou des usages, alors que l'égalité hommes-femmes relève de la loi fédérale.
Bref, ce projet de label, comme celui que nous avons traité tout à l'heure, ne remplit pas ces conditions et engendrerait surtout une surcharge de travail administratif. Pour ces raisons, la majorité des commissaires vous recommande de rejeter le texte. Merci de votre attention.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion généralise les objectifs des deux autres qui avaient été déposées respectivement par Le Centre et le parti socialiste (nous avons discuté de la dernière précédemment): elle permet de mettre en oeuvre les intentions de la loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations (LED), mais évite l'ensemble des écueils relevés dans les autres textes. Le rapporteur de majorité s'est concentré sur le concept de label, mais ici, on parle d'un dispositif. Alors vous me direz que je joue sur les mots, mais un dispositif n'est pas forcément une certification.
Je vais encore énumérer certains avantages de cet objet ainsi que les obstacles qu'il évite. Tout d'abord, le texte a été élaboré d'entente avec les syndicats et les associations représentant les entreprises; il ne tombe donc pas de nulle part, il a été conçu avec les acteurs concernés.
Deuxièmement, il s'agit de n'introduire qu'un seul dispositif permettant de reconnaître et de valoriser les entreprises actives en matière d'inclusion, de promotion de la diversité et de prévention des discriminations. Ce critère était important pour les partenaires, notamment les associations représentant les entreprises, à savoir n'avoir qu'un seul label et pas une multiplication de certifications, comme le rapporteur de majorité l'a soutenu. Plus spécifiquement, ce dispositif peut concerner l'égalité hommes-femmes, l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, le racisme, l'antisémitisme ou tout type de discrimination basée sur des caractéristiques physiques ou religieuses, voire des situations de handicap.
La proposition de motion ne demande pas que l'Etat gère le dispositif - c'est l'un des écueils qui a été relevé: il n'y a pas de surcharge administrative, il n'est pas question que l'Etat gère cet outil, mais qu'il mette à disposition quelques ressources permettant de le placer sur de bons rails. En clair, nous ne visons pas une fonctionnarisation du dispositif.
Enfin, le texte permet d'attribuer divers niveaux de certification en fonction de la taille et du type d'entreprise; cela peut aller de simples mails de mise en éveil du personnel jusqu'à des modules de formation ou à des politiques RH plus volontaristes.
Mesdames et Messieurs, la Suisse et le canton de Genève sont loin d'être exemplaires en matière d'égalité et de non-discrimination; un certain nombre de chiffres sont détaillés dans mon rapport de minorité. Comme cela a été souligné tout à l'heure, malgré ce que prétend le rapporteur de majorité et en dépit de la législation existante, nous sommes loin des objectifs s'agissant de l'égalité et de la non-discrimination.
Cet objet table sur l'incitation et la valorisation plutôt que sur la répression. On nous dit toujours que nous privilégions la répression; ici, nous montrons que nous sommes en faveur de l'incitation et de la valorisation. Comme je l'ai signalé dans le cadre de la motion du parti socialiste que nous avons traitée tout à l'heure, un label constitue une bonne chose pour la promotion d'une entreprise. La motion a reçu le soutien de la CGAS, du BPEV ainsi que de Mme la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, qui a indiqué que «le Conseil d'Etat est favorable à cette motion et à cette démarche promotionnelle plus large comprenant différentes thématiques et qui les centralise». Je vous remercie dès lors de lui faire bon accueil.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je ne sais pas si vous avez vu ce film avec Bill Murray sorti en 1993 qui s'intitule «Un jour sans fin» ? C'est l'histoire d'un météorologue qui fait un reportage à Punxsutawney pour le jour de la marmotte et qui, chaque matin, se réveille et revit le même jour. Parfois, j'ai l'impression que c'est exactement ce qui se passe dans ce Grand Conseil: je revis toujours la même histoire avec André Pfeffer dans le rôle principal... (Rires.) ...et d'autres dans des rôles secondaires. Alors autant j'ai adoré ce film, Mesdames et Messieurs, autant je goûte un peu moins le sketch qui a lieu dans ce parlement. Merci. (Applaudissements.)
M. Jacques Béné (PLR). Oui, moi aussi, j'ai eu l'impression d'assister à «Un jour sans fin», mais j'ai trouvé que vous aviez un peu vieilli, Monsieur Wenger, puisque c'est M. Eckert qui vous a remplacé...
La présidente. Merci de vous adresser à la présidence !
M. Jacques Béné. ...mais je réalise maintenant que c'est M. Eckert qui se trouve à la table des rapporteurs, donc il ne s'agit pas tout à fait du même film !
Par contre, on parle bien du même sujet, soit de nouveau des certifications, et comme on l'a déjà souligné tout à l'heure, il n'est pas souhaitable de les multiplier. Il y a par ailleurs des discriminations pour lesquelles il sera impossible d'obtenir un label, car elles sont sanctionnées par des normes pénales, cela a été relevé.
En commission, on a parlé de délation, principe auquel nous sommes totalement opposés sans un cadre vraiment très précis. Ce texte sera donc très difficile à mettre en oeuvre sans que ça génère de dérapages incontrôlés. Les certifications - on l'a déjà signalé tout à l'heure, on aurait d'ailleurs dû traiter ce point avec la précédente motion - se multiplient partout et pour tout avec, en définitive, un risque d'illisibilité et de perte de légitimité.
Ce qu'il faut, Mesdames et Messieurs, c'est appliquer la loi: faisons appliquer la loi, ce sera déjà un énorme pas en avant pour l'inclusion - avec laquelle on est tous d'accord -, pour la diversité et pour la fin des discriminations, que nous appelons aussi de nos voeux. Un nouveau dispositif n'apportera strictement rien. Je vous invite à refuser cette motion.
M. Yves de Matteis (Ve). Depuis que cette proposition de motion a été traitée en commission, un événement d'importance s'est produit, même une première au niveau suisse selon le Conseil d'Etat et les médias: l'acceptation, puis l'entrée en vigueur, le 1er juillet dernier, de la LED et de la LED-Genre. Par le vote de tout à l'heure - le refus de deux projets de lois d'abrogation -, nous venons d'ailleurs de confirmer notre soutien à ces deux lois.
M. Béné dit: «Appliquons la loi.» Si on examine la LED, qui est actuellement en force, que lit-on au chapitre III, article 15, alinéa 3, lettre c ? Je cite: «A cette fin, l'Etat peut notamment encourager des formations du personnel et des labels.» Voilà la législation qui vaut actuellement. Cette ligne inscrite dans la loi générale pourrait donner à penser que la LED vise à encourager le développement d'un label, à tout le moins d'un dispositif, incluant la prévention de l'ensemble des discriminations, ce que demande très précisément le présent texte.
Un Etat ne peut pas délivrer de label, comme le soulignait M. Guinchard à raison, mais s'il sait bien lire, il constatera que dans la LED comme dans cette motion, il s'agit pour l'Etat d'encourager la mise sur pied d'une certification. Je répète: «A cette fin, l'Etat peut notamment encourager des formations du personnel et des labels.» Cela figure dans la LED.
Si vraiment ce parlement est contre le principe de tout label, pourquoi n'y a-t-il eu aucune proposition d'amendement, ni en commission ni en plénière, pour supprimer cette mention dans la LED ? Où étaient les personnes qui se sont exprimées ce soir contre le principe d'une certification ? Pour éviter un magnifique autogoal - car un vote négatif de cette motion serait en contradiction totale avec les termes même de la LED -, je demande le renvoi en commission. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Sur la demande de renvoi en commission, je cède la parole aux rapporteurs et au Conseil d'Etat s'ils la sollicitent. Monsieur Eckert ?
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Oui, merci, Madame la présidente. Je pense qu'on pourrait effectivement définir la façon précise de mettre en place ce dispositif. Une fois de plus, il s'agit d'une motion, on demande au Conseil d'Etat de faire quelque chose. On pourrait apporter quelques précisions, expliquer la différence entre les motions respectivement du parti socialiste et du Centre avec celle-ci - j'ai indiqué qu'elle se distinguait des deux autres textes. Il y a passablement de nuances, plusieurs écueils sont évités dans cet objet. Si vous voulez qu'on élabore tout cela de façon plus circonstanciée, Mesdames et Messieurs, j'accepte très volontiers le renvoi en commission.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Quant à moi, Mesdames et Messieurs, je vous propose de refuser le renvoi en commission. Cette motion date de 2019, elle a été largement traitée, tout comme de très nombreuses motions du même genre, donc je pense que ce n'est vraiment pas utile de la renvoyer en commission. Merci.
La présidente. Merci bien. J'ouvre la procédure de vote sur la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2577 à la commission de l'économie est rejeté par 57 non contre 28 oui.
La présidente. Nous continuons le débat, et la parole échoit à M. Yves Nidegger.
M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, la lecture de la LRGC nous apprend une chose fort oubliée, à savoir qu'une motion invite le Conseil d'Etat à intervenir dans un domaine où il peut agir par l'adoption d'une loi ou d'un arrêté. M. de Matteis vient de rappeler à juste titre qu'il existe déjà la LED. Le Conseil d'Etat a anticipé cette motion qui date de 2019, soit de bien avant l'adoption de la LED - qu'à mon grand dam vous n'avez pas voulu enterrer -, et celle-ci existe par conséquent, déploie ses effets et rend le présent texte totalement inutile.
Si on insiste pour qu'il soit donné suite à cette motion parfaitement vaine, c'est parce qu'aujourd'hui, l'inclusion est un catéchisme aux mains d'une poignée d'idéologues militants, généralement hypersensibles et allergiques à toute contradiction, que l'on voudrait charger par cet objet de déterminer des labels qui serviraient de critères d'adjudication des marchés. En d'autres termes, c'est le retour de l'Union soviétique avec son cortège de catastrophes sociales, économiques et écologiques, le tout imposé par des goulags à des citoyens qui n'en veulent pas. Je vous invite à nous éviter ce cauchemar supplémentaire et à ne pas entrer en matière sur cette motion en ne lui donnant aucune suite.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, nous sommes tous en faveur des labels, mais il en existe déjà de multiples. Dans le domaine éducatif, par exemple, certaines entités sont accréditées par l'Etat, on encourage les institutions éducatives et les entreprises à instaurer une certaine égalité pour avoir une balance entre les femmes et les hommes.
Maintenant, si on crée un label, quel sera le mécanisme de contrôle, comment l'Etat va-t-il surveiller ces institutions ou ces entreprises, vérifier si elles respectent les normes ? Un énorme investissement financier sera nécessaire pour les contrôler.
En ce qui concerne les discriminations, bien évidemment que le groupe LJS souhaite qu'elles disparaissent, mais la loi existe déjà, il suffit de la faire appliquer ! Il y a déjà plusieurs lois contre la discrimination au niveau cantonal ainsi que fédéral.
Si nous voulons créer un nouveau dispositif, ça compliquera les tâches de l'Etat et des départements concernés, celui-ci ne pourra pas se concentrer sur son vrai devoir qui est de faire respecter la loi, ça complexifiera le travail de l'administration publique. Le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière sur ce texte qui compliquera les tâches de l'administration et des entreprises. Je vous remercie de votre attention.
La présidente. Merci. La parole retourne au rapporteur de minorité pour une minute.
M. André Pfeffer. Merci, Madame la présidente...
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Tu n'es pas la minorité !
La présidente. Le rapporteur de minorité est M. Eckert, si jamais.
M. Pierre Eckert. C'est moi la minorité, merci ! (L'orateur rit.)
Une voix. C'est l'habitude !
M. André Pfeffer. J'ai cru que c'était moi.
La présidente. Allez-y, Monsieur Eckert.
M. Pierre Eckert. C'est parti: tout d'abord, on dit qu'il existe la LED, mais comme je l'ai relevé tout à l'heure, la LED fixe un principe, une possibilité, c'est sous une forme potestative. Ici, on demande quelque chose de façon plus précise, ce n'est plus potestatif, on souhaite mettre en place un dispositif. Voilà la première chose.
J'ai entendu tout à l'heure parler d'adjudications; bien entendu, ce dispositif ne concerne pas que des adjudications de services de l'Etat ou de communes, ça peut concerner n'importe quel privé qui fait appel à une entreprise et qui peut être intéressé de savoir que la compagnie de plomberie - ou de ce dont il a besoin - respecte un certain nombre de critères, c'est important.
LJS n'a pas non plus compris que le dispositif ne sera pas géré par l'Etat. Je ne résiste pas à l'envie de vous lire ce qui a été indiqué par un député socialiste en commission: «Il trouve étonnant qu'une partie de la droite, le PLR notamment, ne veuille pas de réglementation contraignante, mais quand quelque chose de non contraignant est proposé, elle n'en veuille pas non plus.» Je vous remercie.
La présidente. Merci. Je rends la parole à M. André Pfeffer pour une minute quarante.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je voulais simplement ajouter que l'avis de M. Wenger est largement partagé: toutes ces propositions pour des labels qui ne sont que des reprises de ce qui existe déjà dans la loi ou des mesures absolument impossibles à évaluer représentent effectivement un long feuilleton sans fin. Encore une fois, Mesdames et Messieurs, la majorité des commissaires vous invite à la sagesse et donc à refuser cette motion. Merci de votre attention.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est favorable à des mesures qui visent à promouvoir l'égalité et encouragent les entreprises à se saisir de cette question. L'expérience a montré que des actions volontaires de la part des sociétés demeurent généralement les plus efficaces pour amener un changement optimal au sein de celles-ci. Sur le principe, le Conseil d'Etat est dès lors en faveur d'un label, mais comme cela a déjà été mentionné, celui-ci ne devrait être ni développé ni porté directement par l'Etat, mais géré par un organisme ou des associations spécialisées en utilisant ce qui existe déjà.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat estime que la certification devrait prendre en compte la diversité des réalités des entreprises pour ne pas péjorer les plus petites, qui disposent souvent de moins de moyens pour entreprendre de telles démarches. Il s'agit également de faire attention à différencier les bonnes pratiques promotionnelles des obligations légales auxquelles nul ne peut se soustraire.
Or c'est précisément le sens des invites de la motion qui fait l'objet de votre examen actuel: il est question d'encourager un label qui s'inscrive dans le cadre de la LED en visant l'inclusion, la promotion, la diversité, la prévention des discriminations au sens large. Dans ce contexte, le Conseil d'Etat pense que cet objet évite le biais qui serait d'avoir un label pour chaque thématique. Cela représente un vrai enjeu et, partant, le Conseil d'Etat vous encourage à adopter cette motion.
La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de voter.
Mise aux voix, la proposition de motion 2577 est rejetée par 61 non contre 28 oui (vote nominal).