République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12748-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Diane Barbier-Mueller, Yvan Zweifel, Beatriz de Candolle, Pierre Nicollier, Jacques Apothéloz, Murat-Julian Alder, Helena Rigotti, Alexis Barbey, Véronique Kämpfen, Cyril Aellen, Charles Selleger, Jacques Béné, Vincent Subilia, Fabienne Monbaron, Francine de Planta, Edouard Cuendet, Raymond Wicky, François Wolfisberg, Patrick Malek-Asghar, Jean Romain, Jean-Pierre Pasquier, Adrien Genecand, Natacha Buffet-Desfayes, Antoine Barde modifiant la loi sur les effets et l'application des lois (LEAL) (A 2 10) (Pour une maîtrise efficiente du processus législatif et de l'effet des lois)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 2 et 3 septembre 2021.
Rapport de majorité de M. Pierre Vanek (EAG)
Rapport de minorité de M. Edouard Cuendet (PLR)

Premier débat

La présidente. Nous continuons avec le PL 12748-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité de M. Pierre Vanek est repris par M. Diego Esteban; le rapport de minorité de M. Edouard Cuendet est repris par M. Murat-Julian Alder. Monsieur Esteban, vous avez la parole.

M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Pour introduire ce projet de loi, une question: pourquoi avons-nous autant de lois aujourd'hui ? Si nos lois résultent toutes d'une majorité parlementaire, éventuellement d'une initiative populaire législative, il s'agit souvent soit de mettre en oeuvre le droit supérieur, soit de concrétiser les compétences constitutionnelles. Pour rappel, ces compétences, dans la constitution genevoise, représentent pas moins de 72 dispositions validées par le peuple. Ce projet de loi propose une réduction de ce volume, il propose une évaluation, qu'elle soit financière ou basée sur des critères d'efficience et d'efficacité, de l'entier du corpus législatif genevois - ce que fait déjà la Cour des comptes. C'est une de ses missions, à un niveau certes moins étendu que ce qui est demandé par ce texte; mais, pour ce faire, le texte propose un mécanisme qui est totalement inadéquat pour un certain nombre de raisons.

D'abord, il confie un travail titanesque à l'administration, qui serait chargée d'évaluer l'équivalent de 840 textes législatifs tous les trois ans. C'est assez certain, il n'y a pas suffisamment de moyens aujourd'hui pour que l'office cantonal de la statistique se charge de faire ce travail, et si on devait suivre le mécanisme instauré par ce projet de loi même, eh bien il faudrait procéder à une évaluation du nombre de postes qui devraient être créés pour le mettre en oeuvre. Pour information, le montant dépensé par année, dans d'autres pays, pour les services chargés de cette évaluation peut osciller entre l'équivalent de 650 000 francs, comme en Allemagne ou en Suède, et 2,2 millions, comme c'est le cas aux Pays-Bas.

Deuxièmement, ce texte oublie des critères d'analyse centraux pour évaluer l'efficience des lois, en particulier les conséquences sociales et économiques, et se focalise sur les seuls coûts induits pour les entreprises.

Enfin, cet objet crée une usine à gaz: le Conseil d'Etat devrait évaluer les conséquences des projets de lois déposés par les députés ou procéder à un examen préalable de ses propres textes dans un délai de trente jours - le même délai que pour les questions écrites urgentes, dont la longueur des réponses est assez variable.

De manière générale, les débats sur l'inflation législative illustrent parfaitement la différence entre la théorie et la pratique, sachant que cette question est régulièrement sur la table à Berne et que le Contrôle fédéral des finances estimait, dans un rapport déposé en 2016, que l'évaluation n'est pas constante et qu'il est impossible, dans certains cas, de quantifier les effets de certains projets de lois. Pour l'ensemble de ces raisons, la commission n'a pas vu dans ce texte une opportunité à même d'améliorer les mécanismes qui existent aujourd'hui et elle vous recommande de refuser l'entrée en matière.

M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a pour objectif de lutter contre la surréglementation, contre l'inflation normative - une inflation normative qui représente, selon le Conseil fédéral, l'équivalent chaque année de 2% du PIB de notre pays, et même 10% selon l'Union suisse des arts et des métiers ! On sait également - cela figure dans l'exposé des motifs du projet de loi de notre collègue Diane Barbier-Mueller - que le nombre de lois et de règlements, à Genève, a augmenté de 23% depuis 1958. C'est énorme ! En l'espace d'un demi-siècle, on a augmenté pratiquement d'un quart le nombre de normes dans notre canton.

Alors il y a évidemment l'aspect lié à la bureaucratie, les aspects liés aux coûts, mais il y a aussi une autre dimension qu'il faut prendre en considération dans cette réflexion. Eugen Huber, l'auteur du code civil suisse, adopté le 10 décembre 1907, avait à coeur de rédiger un code pour l'ensemble de notre pays qui se voulait rassembleur, en prenant des traditions qui étaient parfois différentes selon les cantons, mais il voulait surtout que ce texte soit le plus clair et le plus simple possible pour qu'un maximum de citoyens puisse le comprendre et le respecter. On dit que nul n'est censé ignorer la loi; comment voulez-vous que les citoyens soient conscients de leurs droits et obligations si la loi est trop complexe ? Par ailleurs, Antoine de Saint-Exupéry, quelques années plus tard, a dit que la perfection n'est pas atteinte lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à enlever. C'est dire l'importance d'avoir des textes normatifs aussi clairs et concis que possible !

Je dois vous dire - et je le dis en toute amitié pour notre collègue Diego Esteban - que j'aurais beaucoup aimé croiser le fer sur cette question avec notre ancien collègue Pierre Vanek, auteur du rapport de majorité. Alors peut-être que pour quelques instants, je vais dire ce qu'il aurait dit. (Rires.)

Des voix. Ah !

Une voix. Il faut la voix !

M. Murat-Julian Alder. Notre ancien collègue, Pierre Vanek, ce qu'il aurait dit... (L'orateur imite la voix de M. Pierre Vanek. Rires.) ...c'est que plus il y a de dispositions réglementaires, plus il y a de formulaires ! Plus il y a de formulaires, plus il y a de fonctionnaires ! Plus il y a de fonctionnaires, plus il y a d'impôts ! Plus il y a d'impôts, moins il y a de millionnaires ! Et c'est ça - c'est ça ! - que nous voulons, à Ensemble à Gauche ! (Rires. Applaudissements. Commentaires.) Merci de votre attention.

M. André Pfeffer (UDC). Merci à notre rapporteur de minorité, qui, je l'espère, deviendra majoritaire, pour cette imitation ! (L'orateur rit.) Le titre de ce projet de loi est: «Pour une maîtrise efficiente du processus législatif et de l'effet des lois». Il faut le reconnaître, il serait grandement nécessaire de réaliser cette tâche. Ce projet de loi vise à réduire l'inflation législative et l'explosion de nouvelles lois: il y est question d'une sorte de frein à la réglementation croissante.

Avec un tel objectif, cet outil servirait premièrement à réduire, pour l'économie, les coûts occasionnés par les charges réglementaires et administratives, deuxièmement à augmenter la productivité et la compétitivité de notre économie, et troisièmement - troisièmement - à assurer le maintien, voire la progression, de notre prospérité et de notre bien-être.

L'inflation législative a un impact indéniable sur notre économie. En Suisse, le Conseil fédéral estime ses coûts à 2% du produit intérieur brut. L'USAM (Union suisse des arts et métiers) estime que ces coûts atteindraient même 10% de notre PIB. Des cantons comme Argovie, Zurich, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Soleure et les Grisons possèdent déjà un ou des outils pour freiner l'inflation législative et réglementaire. A l'étranger, il existe également de tels instruments: en Angleterre, entre 2011 et 2015, la diminution des normes aurait permis d'économiser plus de 2,2 milliards ! En Allemagne, depuis 2013, un frein à l'inflation législative aurait permis de réduire d'un quart les coûts liés à la réglementation et à l'administratif.

Malgré les critiques sévères contre ce projet de loi, y compris du Conseil d'Etat, cette problématique mériterait un travail et une analyse approfondis. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ce projet de loi a été balayé beaucoup trop vite et, au vu de l'importance du sujet, je propose de le renvoyer en commission. Pour finir, j'aimerais quand même répondre...

La présidente. Il vous faut conclure.

M. André Pfeffer. ...au rapporteur de majorité: un frein à l'inflation législative n'est pas une usine à gaz, mais c'est un objectif pour éviter que notre législation... (Le micro de l'orateur est coupé.)

La présidente. Je vous remercie. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, je passe donc la parole aux rapporteurs. Monsieur Alder ?

M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Madame la présidente. La minorité remercie le député Pfeffer pour cette demande de renvoi en commission et la soutient pleinement. Je vous invite donc à voter le renvoi du projet de loi et de son rapport à la commission législative.

M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. La majorité s'oppose au renvoi en commission. J'aimerais juste rappeler, parce que le débat a quelque peu dévié pour porter de manière abstraite sur la question de l'inflation législative, que ce n'est pas exactement l'objet du projet de loi: l'adoption de cet objet ne supprimerait aucune loi, en réalité. Il s'agit ici de modifier une loi qui a un article unique pour les faire passer à cinq ! Le seul effet direct de l'adoption de ce projet de loi sur le volume du corpus législatif genevois sera donc de quintupler la taille d'un de ses textes ! Je vous recommande de refuser le renvoi en commission et de poursuivre le débat sur l'entrée en matière.

La présidente. Je vous remercie. J'invite l'assemblée à se prononcer sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12748 à la commission législative est rejeté par 45 non contre 32 oui et 2 abstentions.

La présidente. Nous poursuivons le débat. Monsieur Nidegger, vous n'avez plus de temps de parole. Je cède le micro à M. Patrick Dimier.

M. Patrick Dimier. Merci, Madame la présidente. Je renonce.

La présidente. Je vous remercie. La parole va donc à Mme Laura Mach.

Mme Laura Mach (Ve). Merci, Madame la présidente. A nouveau, je n'ai pas siégé, mais on comprend à la lecture du rapport que ce projet de loi ne semble pas atteindre son but, bien au contraire. D'abord, une audition de la Cour des comptes rappelle que le nombre de postes à créer pour y répondre sera conséquent, ce qui peut se défendre pour autant que les buts d'efficacité et d'efficience soient atteints. Or on apprend que la tâche serait quasi impossible à accomplir, selon une enquête effectuée à l'échelon fédéral. Il semble en effet très difficile d'évaluer l'efficience d'un projet de loi; la décision de bloquer un texte sur cette base serait donc peu fondée.

Ensuite, notre conseillère d'Etat a fait une intervention très claire, soulignant avec humour que ce projet de loi transfère un grand pouvoir à l'exécutif, à tel point que la faculté du Grand Conseil de déposer des projets de lois s'en verrait carrément balayée. Je ne crois pas que cela soit la volonté de cet hémicycle. Ainsi, nous ne soutiendrons pas l'entrée en matière. Merci.

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, dernière venue dans ce groupe parlementaire, j'ai très vite compris pourquoi on m'a attribué la commission législative. (Rires.) D'abord parce qu'elle siège le vendredi soir et que personne ne veut y aller... (Rires.) ...et ensuite, j'ai compris qu'on doit examiner des projets de lois comme celui-ci, avec, je dois dire, des rapports assez rébarbatifs à lire ! Ce rapport indique d'ailleurs que l'intention de ce texte est de réduire le nombre de lois; cette proposition renonce donc à proposer une nouvelle loi, mais complète seulement la loi sur les effets et l'application des lois ! Vous le voyez, c'est assez rude, le vendredi soir.

Le Centre, bien que préoccupé par l'inflation législative - c'est quelque chose qui est important et qui a un coût, c'est vrai, et pas seulement pour les entreprises -, trouve que cette proposition est inappropriée, déjà parce qu'elle n'est pas du tout efficace et ensuite parce qu'elle serait très coûteuse pour l'administration, en plus d'être complètement chronophage, notamment pour le département des finances. Le Centre ne va donc pas entrer en matière sur cette proposition. Merci.

M. Vincent Canonica (LJS). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, qui dit surproduction législative dit complexification bureaucratique. LJS est favorable à la simplification administrative. Toute adaptation législative visant à rendre plus libres les commerçants tout en sanctionnant les abus et les transgressions des lois existantes est l'approche que nous privilégions. Ce projet de loi est intéressant dans son principe, mais sa mise en oeuvre est tout simplement irréalisable. Au lieu d'atteindre son but, on l'a dit, il crée une nouvelle usine à gaz et contrevient au principe de la séparation des pouvoirs.

Une réglementation trop dense constitue en effet un obstacle à la compétitivité et à la liberté du commerce et décourage l'innovation. Il n'est pas nécessaire de comptabiliser la surproduction législative pour agir. La surproduction législative nuit à la productivité des entreprises, mais profite à l'Etat lui-même. Le temps des constats est révolu; il est temps de se retrousser les manches et de corriger la situation. Une loi aussi générale fixant des objectifs à atteindre ne servira pas à grand-chose.

Comme je viens de le dire, il est temps de se mettre à table et d'entrer dans le vif du sujet. Simplifions nos lois; désengorgeons nos lois; supprimons les lois inutiles et redondantes; redonnons vie à nos commerces; permettons à nos entrepreneurs d'exercer leur passion avec moins de bureaucratie, au profit de l'innovation et de la créativité. Pour donner un signal fort en faveur de la simplification administrative, je vous invite à renvoyer ce texte en commission.

La présidente. Merci. Nous sommes saisis d'une nouvelle demande de renvoi en commission. Messieurs les rapporteurs, souhaitez-vous vous exprimer ? (Remarque.) Non. Nous passons donc sans plus attendre au vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12748 à la commission législative est rejeté par 48 non contre 27 oui.

La présidente. Nous continuons le débat. Il n'y a plus de demandes de parole, si ce n'est du rapporteur de majorité, qui a encore deux minutes cinquante-cinq. Vous avez la parole, Monsieur Esteban.

M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Je ne voulais pas laisser ce débat se terminer sans mentionner une petite curiosité de la loi qui est visée par ce texte. Reprenant le rapport de majorité de M. Pierre Vanek, j'avais l'impression que c'est lui qui avait traduit la date d'adoption de la loi au 14 ventôse de l'an XI du calendrier républicain, mais en fait, cette loi a été adoptée sous l'occupation napoléonienne; on comprend donc aisément qu'elle est en vigueur depuis très longtemps. Pour le reste, je vous invite à vous référer au rapport afin de connaître le détail des débats intéressants que nous avons menés en commission sur ce projet de loi, qui malheureusement «Murat» sa cible. (Exclamations. Rires. Commentaires.) La majorité vous invite par conséquent à refuser l'entrée en matière.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Je crois qu'il faut relever que ce projet de loi visait un but louable: supprimer un carcan législatif trop lourd. Supprimer des lois, c'est bel et bien ce qu'il aurait pu conduire à faire, mais avant de les supprimer, il fallait les évaluer. Toutes ! Et il est évident que ça, c'est problématique - et que le département des finances n'est pas en mesure de le faire. Il faudra donc, j'en suis sûre - de concert avec l'auteure de ce projet de loi -, trouver d'autres moyens.

Le premier moyen serait peut-être de ne pas adopter une nouvelle loi sans en supprimer une autre au préalable. C'est très facile: il suffit d'un article de loi pour dire que la loi «X» est supprimée. Mesdames et Messieurs, dès lors que vous ne serez pas privés de cette prérogative - celle de déposer des projets de lois - dont vous êtes l'un des seuls parlements de Suisse à bénéficier, je vous encourage à déposer des projets de lois qui en abrogent d'autres... (Remarque.) ...et je vous souhaite de refuser ce texte. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12748 est rejeté en premier débat par 63 non contre 20 oui.