République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 novembre 2023 à 18h
3e législature - 1re année - 6e session - 39e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 18h, sous la présidence de Mme Céline Zuber-Roy, présidente.
Assiste à la séance: Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat.
Exhortation
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Thierry Apothéloz, Anne Hiltpold, Carole-Anne Kast, Pierre Maudet et Delphine Bachmann, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Diane Barbier-Mueller, Jacques Béné, Florian Dugerdil, Angèle-Marie Habiyakare, Charles Poncet, Julien Ramu, Léna Strasser, Vincent Subilia et François Wolfisberg, députés.
Députés suppléants présents: Mme et MM. Darius Azarpey, Céline Bartolomucci, Thomas Bruchez, Rémy Burri, Patrick Lussi, Philippe Meyer et Daniel Noël.
Annonces et dépôts
Néant.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de trois députés. Je prie le sautier de les faire entrer et l'assistance de bien vouloir rester debout. (MM. Christian Flury, Sami Gashi et Amar Madani entrent dans la salle du Grand Conseil et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Monsieur Christian Flury, Monsieur Sami Gashi et Monsieur Amar Madani, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de député au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
M. Christian Flury, M. Sami Gashi et M. Amar Madani.
La présidente. Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée. Dès maintenant, vous pouvez siéger. (Applaudissements.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de deux députés suppléants. Je prie le sautier de les faire entrer et l'assistance de bien vouloir rester debout. (M. Christian Steiner et Mme Gabrielle Le Goff entrent dans la salle du Grand Conseil et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Monsieur Christian Steiner et Madame Gabrielle Le Goff, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de député suppléant au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
M. Christian Steiner et Mme Gabrielle Le Goff.
La présidente. Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée. Vous pouvez maintenant vous retirer ou siéger, selon les besoins de votre groupe. (Applaudissements.)
La présidente. Est tirée au sort: Mme Ana Roch (MCG). (Exclamations. Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Premier débat
La présidente. Nous continuons avec le traitement de notre ordre du jour et le PL 12709-A, classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Vous le savez, l'un des principes cardinaux en matière fiscale est le respect de la capacité contributive et, pour ce qui concerne les entreprises, puisque c'est de cela qu'on va parler, c'est le respect de l'application du bénéfice total, c'est-à-dire le fait qu'une entreprise paie le juste taux d'impôt sur le bénéfice qu'elle doit, non pas sur une seule année mais sur l'entier de sa durée de vie. Or, vous le savez, les entreprises peuvent faire des pertes certaines années et ne pas payer d'impôts, évidemment, ces années-là - elles paieront des impôts les années suivantes si elles font des bénéfices -, mais pris sur l'entier de leur vie, elles paieront donc un impôt d'un montant total plus élevé que celui qu'elles devraient en application de cette idée du bénéfice total.
En Suisse comme ailleurs - aux niveaux suisse et mondial donc -, on a mis en place un système dit de report des pertes en avant, qui porte en anglais le doux nom de «loss carryforward», qui permet à une entreprise de déduire du bénéfice net d'un exercice les pertes des sept exercices précédant ladite période fiscale, à condition évidemment qu'elles n'aient pas pu être prises en considération précédemment. Ce principe est ancré dans la LIFD (la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct) à son article 67 et dans la LHID (la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes) à son article 25, alinéa 3. On constate donc que le système suisse de la fiscalité des entreprises, à ce jour, tient compte du respect de la capacité contributive dans une assez large mesure, mais de manière imparfaite puisque l'on considère seulement une durée limitée à sept ans dans le futur. Or une entreprise qui ferait des pertes pendant huit années et un bénéfice seulement au bout de la neuvième, par hypothèse, ne pourrait plus faire valoir la perte du premier exercice déficitaire et, par conséquent, paierait alors sur l'ensemble de sa vie plus d'impôts qu'elle aurait dû payer en réalité.
Ici, l'idée, c'est d'inscrire un autre système dans la loi, celui du report des pertes en avant... (Remarque.) ...en arrière, pardon. (Rire.) C'est juste ! (L'orateur rit.) C'est le mécanisme inverse: on considère ainsi une entreprise qui a fait un bénéfice une certaine année, mais voit sa situation se détériorer l'année suivante. Le but, c'est de faire jouer le report des pertes en arrière, ou en anglais «loss carryback», qui s'applique dans d'autres pays comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Le présent projet de loi a donc simplement pour objectif d'ancrer dans la loi fiscale cantonale le principe de report des pertes en arrière - j'espère que je n'ai pas encore perdu tout le monde ! - histoire de mieux respecter, comme je le disais, la capacité contributive des entreprises non pas sur une année, mais sur leur durée de vie. Il ne s'agit pas de baisser ou d'augmenter les impôts, ce n'est pas le principe: l'idée est vraiment de mettre en oeuvre un principe qui sera cher à mes deux - principaux, en tout cas - adversaires du jour, à savoir celui de la justice fiscale ! Que toute entreprise paie l'impôt juste, non pas sur une année mais sur l'intégralité de sa durée de vie.
Certes, ce texte a été rédigé lors de la crise du covid: on s'est alors trouvé dans une situation un peu particulière qui a effectivement amené des entreprises fortement bénéficiaires en 2019...
La présidente. Vous parlez sur le temps de votre groupe.
M. Yvan Zweifel. ...à devoir faire face à la crise que l'on connaît et à se demander, au printemps 2020: mais est-ce que c'est bien le moment de payer mes impôts ? Est-ce que cet argent que je devrais décaisser ne serait pas utile à l'intérieur de mon entreprise pour que celle-ci reste pérenne, c'est-à-dire que je garde mes employés, que je garde mon outil de production, plutôt que de décaisser des liquidités et de me retrouver dans une situation potentiellement catastrophique ? Loin de moi l'idée que ce projet de loi aurait été une solution extraordinaire en comparaison de ce qui a pu être fait dans le cadre du covid; les aides qui ont été attribuées étaient certainement meilleures. Ce projet de loi a vraiment vocation à rajouter une flèche dans le carquois des possibilités de l'Etat et de l'administration pour aider les entreprises en cas de crise, en sachant que l'aide complète, soit le remboursement des impôts précédemment payés, n'aurait lieu que dans des situations exceptionnelles qui seraient clairement définies par le Conseil d'Etat.
Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, pour amener une pierre supplémentaire à l'édifice de la justice fiscale, et non pour baisser ou augmenter les impôts, mais pour permettre aux entreprises qui se retrouveraient dans une situation particulière de faire valoir les pertes d'une année en arrière, nous vous proposons d'adopter ce projet de loi dont le mécanisme existe dans au moins un autre canton. De fait, si ce système de report de pertes en arrière, contrairement à l'autre, n'est pas inscrit dans la législation fédérale, celle-ci ne l'interdit pas non plus expressément - c'est ce que nous ont rappelé les experts -, de sorte qu'un canton, Thurgovie en l'occurrence, l'applique déjà. Une fois de plus, Mesdames et Messieurs, pour aider nos entreprises, celles qui sont en difficulté en période de crise, je vous invite à voter ce projet de loi.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs, il est piquant que M. Zweifel, qui rappelait la lourdeur législative, rajoute là un projet de loi que personne n'a demandé, ni les entreprises ni le Conseil d'Etat, et dont les travaux ont démontré qu'il est inapplicable, non conforme au droit fédéral et qu'il serait, principalement, source de difficultés pour l'administration. J'essaierai de lister rapidement les oppositions qui ont surgi tout au long de l'examen de cet objet.
La première, je l'ai dit, c'est l'incompatibilité avec le droit fédéral. L'ouvrage de référence de M. Oberson rappelle que cette possibilité du «carryback» n'est pas prévue en droit suisse et qu'on ne serait donc pas en accord avec le droit fédéral. Ça complexifierait le système fiscal; deux systèmes coexisteraient, dont un qui s'appliquerait tant au niveau de l'IFD que de l'ICC, avec un report de pertes sur sept exercices. Cela présente un risque de cumul avec le système de crédit d'impôt, ce qui aurait pour conséquence de rallonger cette période de report à dix ans au total. Cela serait compliqué, tant pour l'administration, qui nous l'a confirmé, que pour les contribuables eux-mêmes. Il serait nécessaire de dégager des moyens en ressources humaines et informatiques pour une hypothétique mise en oeuvre, et puis cela ferait naître un risque de double avantage: un contribuable pourrait obtenir un remboursement de ce crédit d'impôt et appliquer en même temps, comme il le fait aujourd'hui, le «carryforward». Ce système ne favoriserait pas les entreprises les plus fragiles. On a d'ailleurs vu que la réponse du Conseil d'Etat a été efficace, a été bonne, dans la crise du covid alors que ce projet de loi ne constituait pas une flèche de plus dans le carquois de l'exécutif: il n'a simplement pas été nécessaire dans le carquois de l'exécutif durant la crise du covid !
Il y a un certain nombre de problèmes d'interprétation. L'article 19A, alinéa 3, lettre b, posera des problèmes d'interprétation, car il y est indiqué que ce texte s'appliquera «en cas de récession économique majeure impactant l'activité économique de la personne morale ou son secteur d'activité». C'est là trop largement dit et source de mauvaises interprétations. Il y a par ailleurs un problème de mise en oeuvre sur le plan intercantonal, certaines entreprises étant actives dans plusieurs cantons, et puis également au niveau international, avec la mise en oeuvre du projet BEPS: là aussi, un tel projet de loi rendrait extrêmement problématique le calcul des impôts. La plupart des pays européens ont renoncé au «carryback», et, «last but not least», l'impact sur les recettes fiscales serait évidemment négatif, bien que non estimé par le premier signataire. Cela alourdirait par ailleurs fortement les procédures et les mécanismes de contrôle, en contradiction là encore avec ce que nous rappelait M. Zweifel - vous transmettrez, Madame la présidente...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Sylvain Thévoz. ...dans le cadre d'un autre projet de loi. On va créer une usine à gaz coûteuse - c'est une expression que l'on utilise parfois à tort, mais qui en tout cas labellise très correctement cette situation-ci -, où l'administration fiscale se retrouvera face à des difficultés inextricables. Les entreprises n'ont pas émis de demandes en la matière, ou en tout cas nous ne les avons pas entendues. En conclusion, nous vous invitons fortement à rejeter cet objet qui en commission a vraiment été soutenu du bout des lèvres: je crois que quatre députés sont sortis au moment de le voter. La conseillère d'Etat, Mme Fontanet, le rappellera peut-être, elle était opposée à ce projet de loi ou en tout cas elle n'en voyait pas la nécessité. Nous vous invitons donc à suivre les minorités et à ne pas nous embarquer dans une aventure législative pour le moins hasardeuse. Merci pour votre attention.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de ne pas trop répéter ce qui vient d'être dit. Tout d'abord, nous sommes pleinement conscients du fait - et nous le soutenons - qu'une entreprise doit payer sur son bénéfice total, comme l'a dit le rapporteur de majorité, mais nous soutenons plutôt le principe qui consiste à reporter les pertes en avant et non en arrière; je vais vous expliquer pourquoi. J'ai d'ailleurs lu récemment, mais je ne me souviens plus très bien où, que ce report sur sept ans pourrait être étendu à dix ans au niveau fédéral - les possibilités sont donc plus larges.
On parle du principe de «loss carryforward», qui est explicitement prévu par la législation fédérale et doit aussi être appliqué au niveau cantonal. Il est relativement simple à appliquer - c'est ce que je soutiens - et est prévisible, contrairement au «loss carryback» qui consiste à réviser une taxation de la période fiscale précédente, qui doit par conséquent être modifiée, ce qui est relativement difficile du point de vue des recettes fiscales et de leur prédictibilité.
On l'a déjà dit, la conformité au cadre fédéral, notamment à la LHID, a longuement été discutée en commission. Le «loss carryback» n'y est pas mentionné et il n'est donc pas explicitement interdit, je le reconnais, mais la doctrine générale dit que, je cite: «[...] le droit suisse ne connaît pas le système de la compensation rétroactive (carry back) des pertes. Autrement dit, il n'est pas possible de compenser des pertes avec des bénéfices antérieurs. Ce système, admis par certains Etats, n'a pas été retenu par le législateur, car celui-ci suppose notamment la révision de décisions de taxation en force.» C'est ce que j'ai dit tout à l'heure.
La difficulté qui a déjà été énoncée par le rapporteur de première minorité, c'est évidemment la variété des impôts qu'une entreprise est appelée à régler. Avec ce projet de loi, le «loss carryback» serait permis pour l'impôt cantonal genevois, alors que cela ne serait pas possible pour l'impôt fédéral ou pour l'impôt dû dans d'autres cantons par les sociétés actives, par hypothèse, dans plusieurs cantons. Cela va donc clairement complexifier le système fiscal pour le contribuable et pour l'administration, et je cite là le département des finances.
J'aimerais encore mettre en avant le fait que dans une conjoncture difficile, de crise majeure - la crise sanitaire -, les soutiens étatiques ciblés ont démontré leur efficacité durant les années 2020, 2021 et 2022; la commission de l'économie, dont je fais partie, en est aussi consciente. Nous avons accordé passablement de soutiens ciblés à l'économie et je pense que cet arrangement... ce projet de loi n'est pas nécessaire. Ce qui nous a en outre été confirmé par le Conseil d'Etat - par la conseillère d'Etat -, c'est qu'il est bien entendu toujours possible, en cas de difficultés ponctuelles, de trouver un arrangement avec l'administration fiscale...
La présidente. Sur le temps de votre groupe.
M. Pierre Eckert. ...qui permet à l'entreprise contribuable de différer ses paiements si elle n'est pas en mesure de faire face à ses obligations fiscales.
Je dirai encore que s'il y a de bons résultats sur une année «n», mais de moins bons résultats sur une année «n+1», l'année successive - parce que c'est évidemment l'idée de ce projet de loi -, eh bien l'entreprise, à notre sens, devrait conserver, provisionner d'une façon ou d'une autre les bénéfices, les bons résultats d'une année, plutôt que de dépenser l'entier de ces recettes sous forme de bonus ou de dividendes, et donc conserver la faculté de payer ses impôts l'année suivante.
On nous a pas mal parlé de carquois et de flèches: le PL 12709 nous est présenté comme une nouvelle flèche ajoutée à l'arc de la fiscalité; je vous rétorque, moi, qu'il est hasardeux de viser une cible avec deux flèches bandées sur le même arc, d'autant plus que l'une des deux - celle qui nous est proposée ici - est tordue ! Nous vous invitons ainsi à rejeter ce projet de loi.
M. Sébastien Desfayes (LC). Chers collègues, Yvan Zweifel l'a dit, c'est aujourd'hui le «Black Friday»; en cette période de soldes, Le Centre va appliquer un de ses principes cardinaux, celui de l'égalité de traitement, et donc procéder aussi à la liquidation de ce texte ! Oui, on en a fait assez, ces dernières années, en matière de fiscalité des entreprises: on a adopté la RFFA qui, pour la plupart des entreprises du canton, a quand même abouti à une baisse massive des impôts, on a également supprimé récemment la taxe professionnelle qui pénalisait beaucoup de sociétés du canton. De sorte que l'on doit aujourd'hui reconnaître que les conditions-cadres, en matière fiscale, sont adaptées au développement économique de Genève !
Je crois que, s'agissant de la justice fiscale, on doit veiller à ne pas trop en faire pour les entreprises. Et ici, outre les complexités qui ont été évoquées, le cumul du «carryback» et du «carryforward» pourrait donner lieu à certains abus. Même dans les milieux les plus libéraux que l'on peut trouver à Genève, on n'appelle pas ce texte de ses voeux; on ne le demande tout simplement pas, soit parce qu'il ne sert à rien, soit parce qu'il profiterait à quelques gros contribuables, ce qui ne répondrait pas à la notion de justice fiscale.
Oui, un effort doit être fait en matière de fiscalité, mais il doit maintenant porter sur les personnes physiques ! C'est le tour des personnes physiques, par le biais d'une diminution de l'impôt sur le revenu et d'une diminution de l'imposition de l'outil de travail. Alors ne multiplions pas les projets, parce que, à force de faire des cadeaux aux entreprises, on n'aura plus assez de recettes fiscales pour enfin corriger le tir à l'égard des personnes physiques. Dans ces conditions, il est évident que Le Centre refusera ce texte. Merci.
M. Michael Andersen (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cela a été rappelé à de nombreuses reprises, un principe cardinal dans le domaine de la fiscalité est celui de la capacité contributive. Le rapporteur de majorité l'a d'ailleurs rappelé, le respect de la capacité contributive d'une personne morale doit s'appliquer sur l'ensemble de sa durée de vie et non par silos qui se cantonneraient à une simple réflexion sur l'année courante en question. Un mécanisme existe aujourd'hui, on l'a rappelé: le «loss carryforward», soit la possibilité de compenser des pertes réalisées par une entreprise pendant une durée de sept ans, pour autant que la société soit bénéficiaire sur l'une des sept années suivantes. Ce principe va donc bel et bien dans le sens de la capacité contributive; espérons qu'un jour la durée soit allongée, comme c'est notamment le cas aux Etats-Unis, je crois - on peut le lire dans le rapport -, où le report des pertes est illimité: cela refléterait enfin la juste capacité contributive, car celle-ci, je l'ai dit précédemment, doit être envisagée sur l'ensemble de la vie d'une entreprise.
A travers le présent projet de loi, on instaure un mécanisme inverse permettant d'utiliser une perte de l'année courante afin de compenser un bénéfice passé, de l'année précédente - autrement dit un «loss carryback». Ce mécanisme de compensation aura lieu cette fois-ci par le biais d'une créance fiscale. Néanmoins, après de très nombreuses relectures, c'est vrai que je ne suis pas certain que ce texte améliore réellement la capacité contributive des entreprises et c'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement. En effet, en parcourant le présent projet de loi, vous pouvez constater qu'il prévoit que la créance fiscale soit valable sur cinq ans. Cela voudrait dire qu'une société a réalisé une perte et que, grâce au bénéfice de l'année précédente, une créance fiscale a été créée qu'elle pourra faire valoir les cinq années suivantes sur un impôt dont elle serait redevable. Or le mécanisme de «loss carryforward» permet déjà de faire ça, étant donné que la perte peut être reportée sur les sept années suivantes.
C'est la raison pour laquelle je propose d'augmenter de cinq ans à dix ans la possibilité de faire valoir la créance fiscale, afin de pouvoir réellement améliorer la capacité contributive sur la durée de vie d'une entreprise. C'est uniquement si l'on augmente cette durée au-delà de celle en vigueur pour le mécanisme de «loss carryforward» - elle est... (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...de sept ans, je le répète - que ce projet de loi aura un réel impact sur la capacité contributive.
Dire que ce texte n'est pas conforme à la loi fédérale, c'est faux ! Une absence dans la loi fédérale ne veut pas dire qu'il est non conforme, et d'ailleurs un canton, qui n'est autre que Thurgovie, connaît un tel système...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Michael Andersen. ...système qui n'a par ailleurs jamais été contesté. Quant à la complexité, ce n'est pas une raison pour s'opposer à un tel projet de loi. Le système était bien plus complexe avant la RFFA...
La présidente. Merci.
M. Michael Andersen. ...lorsque les statuts particuliers étaient en vigueur. Donc je vous invite... (Le micro de l'orateur est coupé.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Grégoire Carasso pour deux minutes six.
M. Grégoire Carasso (S). Merci, Madame la présidente, ce sera largement suffisant. On sent que ce projet est mal ficelé et pas juste sur le fond, Madame la présidente, chers collègues, aussi dans le timbre et les propos exceptionnellement fébriles - ils sont d'habitude plutôt flamboyants - de notre collègue Zweifel. (Commentaires. Rires.) Serait-ce parce que ce système - un peu foireux, on l'a compris - cherche à éponger aussi bien un bénéfice sur des pertes passées qu'une perte sur des bénéfices qui appartiennent aussi au passé ? C'est un peu fumeux, et il y a des principes fondamentaux qui rendent ce silence qualifié - j'insiste - au niveau du droit fédéral assez logique. Pourquoi ? Parce que dans les fondamentaux, il y a le principe de la prévisibilité de l'impôt; l'idée de pouvoir effacer un bénéfice passé avec une perte nouvelle, de l'exercice comptable suivant, eh bien ce n'est pas très commun ! Et puis, il y a ce principe pourtant cher à certaines professions bien représentées ici de l'étanchéité des exercices comptables.
Eh bien cette mesure foule aux pieds ces deux règles assez fondamentales et hormis le phare européen et mondial qu'est le canton de Thurgovie, qui ne doit pas se trouver souvent confronté à une application simultanée de la compensation des pertes en avant et en arrière... Bref, si c'est le nouveau phare de nos collègues libéraux-radicaux et de l'Union démocratique du centre, soit ! La seule raison pour laquelle aucun pays d'Europe n'applique simultanément les deux mécanismes, c'est que c'est absurde. Ça contrevient à tous les principes fiscaux et économiques existants. Certains pays appliquent l'un - le même que nous -, certains appliquent l'autre, mais aucun pays de l'OCDE n'applique les deux, Thurgovie mise à part - avec tout notre respect envers nos amis thurgoviennes et thurgoviens. Vous l'aurez compris, le parti socialiste refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Julien Nicolet-dit-Félix pour une minute trente-cinq.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je dois dire que j'ai été assez étonné par les mots plutôt durs des rangs de la droite au sujet des objets précédents, qui suggéraient que des députés qui ne sont plus là avaient proposé des solutions soit obsolètes, soit absurdes, soit exagérément compliquées à des problèmes réels, avec même certaines pressions pour retirer ces projets de lois. Je n'aurai évidemment pas l'indélicatesse de proposer à notre collègue Zweifel de retirer son projet de loi, mais enfin, les débats l'ont montré en commission et ils le montrent ici, il y a un problème de fond, sans doute, mais il y a surtout un problème de forme !
La solution présentée ici est extraordinairement complexe. Elle suppose des développements informatiques absolument gigantesques pour traiter le problème - qui mérite d'être traité: certaines entreprises peuvent effectivement connaître des difficultés conjoncturelles. Mais, le rapporteur de majorité l'a admis à l'instant, les dispositifs existants sont beaucoup plus légers, beaucoup plus agiles et beaucoup plus souples, tout en étant surtout beaucoup moins coûteux en ressources humaines, en fonctionnaires de l'administration fiscale, pour leur fonctionnement. Une entreprise qui connaît des difficultés passagères peut actuellement demander un report de ses paiements; l'administration fiscale entre en matière dans la mesure où les pièces sont convaincantes et il n'est pas nécessaire de proposer une usine à gaz législative de cette sorte pour régler le problème. C'est évidemment pour cela que nous vous invitons à refuser ce projet de loi.
M. Stefan Balaban (LJS). Je dois avouer que, pour moi qui évolue dans le domaine fiduciaire, la lecture de ce type de projet de loi présente quand même un fort intérêt - je dois vous l'avouer. Mais il s'agit de prendre en considération d'autres éléments factuels et historiques, comme les différentes réformes qui ont été faites en faveur des entreprises; si ce projet de loi aurait été le bienvenu durant le covid - il aurait alors répondu à une problématique de «cash flow» -, aujourd'hui, le covid est passé et ce besoin de «cash flow» supplémentaire ne prend plus une place prépondérante pour les entreprises. Et puis LJS ne voudrait pas que le DF, à cause de ce texte, soit surchargé et demande des fonctionnaires supplémentaires pour aider ceux en place. Pour ces raisons, nous allons refuser ce projet de loi. Mais je tiens tout de même à saluer M. Zweifel à titre personnel, moi qui évolue dans le domaine fiduciaire, pour cet objet. (Rires.) Merci.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de majorité pour une minute vingt-trois.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je reprends un peu de vigueur... (Exclamations. Rires.) ...parce que j'ai compris que mon projet visionnaire... enfin, la flèche qu'il constitue est incomprise, alors que certains ici s'arrogent le droit d'imaginer que des entreprises ne la demanderaient pas. Je travaille justement moi aussi dans le domaine fiduciaire, vous le savez, et je peux vous dire qu'il y a un certain nombre d'entreprises qui la demandent. Je ne suis pas sûr que ceux qui disent que personne ne la demande se sont vraiment intéressés à la question.
En parlant de flèche, M. Eckert explique que le projet de loi serait une flèche tordue; je reconnais là un argument assez habituel de la gauche, qui consiste à blâmer la flèche plutôt que le tireur lorsqu'on ne sait pas viser. (Commentaires.) Bah, ce n'est pas grave ! Quant à moi, je trouverai d'autres flèches plus tard ! Et je voudrais quand même répondre à M. Carasso - vous transmettrez, Madame la présidente -, qui explique que ce projet serait «foireux»: il l'est à tel point, Mesdames et Messieurs, que la disposition qu'il préconise existe aux Etats-Unis d'Amérique, en Grande-Bretagne et même en France, l'enfer fiscal par excellence ! Ces trois pays - dont deux, il me semble, sont en Europe, mais M. Carasso m'expliquera peut-être plus tard que j'ai des problèmes de géographie - appliquent non seulement le report en arrière mais également le report en avant et, M. Andersen l'a indiqué à juste titre, les Etats-Unis de manière illimitée ! Par conséquent, dire que ce projet est foireux parce que les trois grandes puissances que j'ai citées appliquent la même mesure, ça me semble être un argument foireux. Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à voter cet excellent projet de loi !
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. C'est tellement rare que je tiens à souligner que je reprends les remarques faites par M. Thévoz. (Rires.) Ce qui est atrocement rare !
Des voix. Oh !
Mme Nathalie Fontanet. Je pense que c'est unique dans mon histoire de conseillère d'Etat.
Une voix. C'est Noël avant l'heure !
Mme Nathalie Fontanet. C'est Noël avant l'heure ! Ça ne va pas durer, ne vous inquiétez pas, parce que je les reprends uniquement pour ce projet de loi. Le Conseil d'Etat a effectivement estimé que ce texte pose un problème de compatibilité avec le droit supérieur. Et puis je vais aussi reprendre - et c'est moins rare - les propos du député du Centre, M. Desfayes: le Conseil d'Etat partage son avis et souhaite maintenant se concentrer sur une baisse de l'imposition des personnes physiques, parce qu'elle est nécessaire. Nous nous y étions engagés dans le cadre de la campagne électorale et je crois que c'est là que nous devons concentrer nos efforts. Et je sais que le rapporteur de majorité - devenu de minorité - se reconnaîtra dans cette volonté de baisser l'imposition des personnes physiques. (Remarque.) Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ce projet de loi. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12709 est rejeté en premier débat par 50 non contre 40 oui.
Premier débat
La présidente. Nous continuons avec les PL 12718-A et 12719-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. Christo Ivanov, rapporteur de majorité sur les deux projets de lois.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous traitons ici deux projets fiscaux extrêmement importants. Le PL 12718 demande la suspension du bouclier fiscal et le PL 12719 vise la suspension de l'imposition d'après la dépense.
Je parlerai d'abord du PL 12718. Il faut rappeler qu'à Genève, le taux d'imposition sur la fortune - 1% - est le plus élevé de Suisse, cela a été dit plusieurs fois aujourd'hui. Le bouclier fiscal permet d'éviter les effets néfastes de ce taux élevé. C'est un instrument correcteur visant à ce que personne ne se retrouve face à un impôt confiscatoire. Ce terme, «confiscatoire», est retenu par le Tribunal fédéral, selon qui l'imposition ne doit pas l'être. En vertu de la législation fédérale, tous les cantons sont tenus de prélever un impôt sur la fortune, mais ils peuvent décider du taux appliqué. A Genève, le bouclier fiscal permet de corriger un impôt sur la fortune trop élevé, mais seulement dans le cas où les impôts cantonaux et communaux sur le revenu et la fortune dépassent 60% du revenu net imposable. Il faut aussi tenir compte de l'IFD, dont le taux maximal s'élève à 11,5%. Cela veut dire que celui qui bénéficie du bouclier fiscal paie déjà entre 60% et 71,5% d'impôts par rapport au revenu net imposable. Ce taux est déjà très important.
Si on suspend le bouclier fiscal, les contribuables fortunés qui peuvent en bénéficier risquent de quitter le canton - nous en avons déjà parlé cet après-midi. Il faut relever que les recettes de l'impôt sur la fortune proviennent pour la plupart de ces contribuables. Les commissaires ont pu voir lors de leurs travaux la pyramide fiscale inversée qui existe à Genève, comme cela a été dit tout à l'heure par le député Desfayes. C'est ainsi une minorité de contribuables qui versent une majorité de l'impôt. Si ces contribuables quittent le canton, la perte de recettes fiscales causée par leur départ ne pourra être rattrapée. La suspension éventuelle du bouclier fiscal conduirait sans aucun doute à une diminution du nombre de contribuables suite aux départs de certains. Ceux-là ne manqueraient pas non plus de déposer des recours pour se prévaloir de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'aspect confiscatoire de l'impôt. Vous l'aurez compris, il convient de refuser le PL 12718.
Madame la présidente, est-ce que j'enchaîne sur le deuxième projet de loi ? (La présidente acquiesce.) Alors en ce qui concerne le PL 12719, ce texte vise à supprimer l'imposition d'après la dépense. En préambule de son audition par la commission, Mme Fontanet a présenté l'évolution de cette imposition...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Christo Ivanov. En 2001, le droit genevois prévoyait que la dépense ne devait en principe pas être inférieure à 300 000 francs. En 2012, un seuil minimal de 400 000 francs a été fixé pour l'IFD. En 2014, le Grand Conseil a refusé l'IN 149 «Pas de cadeaux aux millionnaires» visant la suppression des forfaits fiscaux et a adopté un contreprojet qui mettait en oeuvre la disposition fédérale sur l'imposition d'après la dépense avec un seuil de dépense minimale de 600 000 francs. Le 30 novembre 2014, le peuple a refusé tant l'initiative que ce contreprojet. On en est donc resté à 300 000 francs de dépense. En 2015, le Grand Conseil a adopté la loi 11683 pour qu'au niveau de l'impôt cantonal et communal le seuil de la dépense minimal soit de 400 000 francs. En 2015, un référendum a été lancé contre la loi. Le 1er janvier 2016, cette loi est entrée en vigueur. Compte tenu du référendum, le Conseil d'Etat avait adopté un règlement provisoire, dans l'attente du résultat du référendum. Le 5 juin 2016, cette loi a été acceptée en votation populaire et son entrée en vigueur a donc été confirmée.
Vous voyez qu'il s'agit d'un long serpent de mer. Depuis cette date, c'est le nouveau droit qui s'applique, aussi bien pour l'impôt fédéral direct que pour l'impôt cantonal et communal pour les personnes physiques imposées d'après la dépense au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit. L'impact de cette révision des forfaits fiscaux à Genève avait été estimé à 18,4 millions de francs pour les recettes cantonales.
Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous demande de bien vouloir refuser l'entrée en matière sur le PL 12719.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à la rapporteure de première minorité sur le PL 12718-A, Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, que serait un traitement des projets de lois qui concernent le département des finances sans un débat sur le bouclier fiscal ? Je vous le demande ! En l'occurrence, le dépôt de ce projet de loi s'inscrit dans un contexte particulier, celui de la crise du covid. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'un débat précédent, cette crise a considérablement aggravé la situation de précarité d'un grand nombre de personnes dans notre canton, creusant au passage très fortement les inégalités. Ces conséquences pas forcément très visibles sont toutefois bien présentes et extrêmement durables.
Aux yeux de la minorité, si nous nous félicitons des solutions apportées par les autorités pour résoudre la problématique sanitaire liée au covid, mais aussi pour surmonter les problèmes économiques créés par cette pandémie à travers la délivrance d'un nombre important d'aides et de prestations - à l'intention en particulier des entreprises et des petits commerces, qui étaient très fortement impactés par les mesures de semi-confinement -, les réponses qui ont été apportées à la crise sociale qui a commencé dans le cadre de la pandémie et qui perdure aujourd'hui ont été largement insuffisantes, à notre sens, pour faire face aux enjeux de précarisation et de creusement des inégalités que je viens de mentionner.
Une nouvelle fois, ce sont des crises qui se succèdent, qui surtout s'accumulent dans leurs effets et qui renforcent, aggravent, accentuent les phénomènes de précarisation et de creusement des inégalités. Les personnes qui ont été fragilisées par la crise du covid sont aujourd'hui celles qui sont une nouvelle fois touchées de plein fouet par l'inflation et l'augmentation des primes, des loyers et des coûts de l'énergie, ce qui conduit notre canton à vivre une véritable situation d'urgence sociale, face à laquelle nous ne pouvons pas simplement détourner le regard et faire la sourde oreille. C'est dans ce contexte que nous appelons à voter ce projet de loi: il s'agit de délier les cordons de la bourse de l'Etat afin de soutenir cette population en souffrance et de dégager les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre de ces prestations qui doivent lui apporter le soutien de l'Etat.
Ce projet de loi propose de suspendre de manière temporaire - et j'insiste sur le caractère temporaire - le bouclier fiscal, qui n'est ni plus ni moins qu'une niche fiscale ayant pour vocation de protéger les très hautes fortunes. Pour le parti socialiste, plutôt que de protéger les très hautes fortunes, il convient de protéger les plus vulnérables à travers un renforcement des prestations et des aides financières, ce qui permet de renforcer également les mécanismes de solidarité. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de seconde minorité sur le PL 12718-A, M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, on est sorti de cette situation du covid - enfin, pas totalement - mais il faut quand même replacer ce débat sur le bouclier fiscal dans l'actualité. Les débats budgétaires, et même le dernier que nous avons eu, montrent en permanence la difficulté de pouvoir fournir à la population les prestations qu'elle attend tout en traitant la fonction publique de façon respectueuse, par exemple en matière d'indexation des salaires. Il est donc justifié de trouver quelques autres sources de revenus. Mais le bouclier fiscal génère en lui-même divers autres problèmes que je vais essayer d'énumérer ici.
Le bouclier fiscal a justement été introduit pour essayer d'éviter cet impôt prétendument confiscatoire, mais il faut bien relever que depuis qu'il a été mis en place, le dispositif a engendré des mécanismes d'optimisation fiscale, notamment par la multiplication de l'utilisation de titres dont le rendement ne s'ajoute pas au revenu, comme chacun le sait: les plus-values ne s'ajoutent pas au revenu, ce qui abaisse le revenu imposable et augmente les effets du bouclier fiscal. La réduction de charges due au bouclier fiscal se montait à 76,2 millions de francs en 2011 puis à 172,4 millions de francs en 2018. Je ne me suis pas amusé à chercher les chiffres des années précédentes, mais je tiens à dire à M. Zweifel, que vous saluerez de ma part, Madame la présidente, que cela représente quand même un facteur multiplicatif de 2,26. Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires du bouclier fiscal est passé de 1729 à 6643, soit une multiplication par un facteur 3,84. Il est clair que l'utilisation du bouclier fiscal a largement dérivé de son objectif initial et que les mécanismes d'optimisation que je viens de mentionner ont été abondamment activés. La situation a encore empiré du fait que le Tribunal fédéral a étendu le déploiement du bouclier fiscal en 2017, le rendant ainsi accessible à un plus grand nombre de contribuables, avec la possibilité de faire des déductions supplémentaires.
Il est donc clair qu'on peut remettre en question ce principe de bouclier fiscal. On pourrait l'adapter. Il y a passablement de contribuables qui possèdent de grandes fortunes, voire de très grandes fortunes, qui déclarent des revenus faibles, voire nuls, ce qui ne se justifie pas du tout à notre sens. Une suspension du bouclier fiscal pendant trois ans donnerait le temps de la réflexion et permettrait d'aménager ce dispositif pour préserver notamment d'autres personnes qui pourraient être touchées, par exemple des retraités possédant un bien immobilier ou les indépendants.
Encore quelques éléments pour montrer que les grandes fortunes ne manquent pas de moyens liquides, comme on cherche à nous le faire croire: le segment du luxe se porte très bien, comme le constate SPG One, société de courtage spécialisée dans l'immobilier de prestige et affiliée à Christie's. De plus, comme cela a déjà été mentionné cet après-midi, selon le rapport d'Oxfam, 1% des plus riches sont responsables de 16% des émissions mondiales, liées à leur consommation. Les grandes fortunes consomment beaucoup et ont par conséquent des liquidités à faire valoir.
On mettra bien entendu ces faits en relation avec la précarité croissante d'une partie de la population genevoise. On voit donc une fois de plus que la fumeuse théorie du ruissellement ne fonctionne pas et qu'une redistribution de la part de l'Etat est plus que jamais nécessaire.
La présente minorité, représentant les Vertes et les Verts, soutiendra en conséquence le projet de loi 12718 avec l'amendement que j'ai déposé, qui consiste à reporter la validité de la disposition sur les années 2024, 2025 et 2026. Je vous remercie.
La présidente. Merci. La parole est au rapporteur de minorité sur le PL 12719-A, M. Thomas Wenger.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames les députées, Messieurs les députés, Madame la présidente, je demanderai une suspension de séance pour qu'on ait le temps d'aller à la buvette se prendre un verre de champagne - ou de Baccarat pour avoir le soutien d'AgriGenève -, car nous devons fêter quelque chose: nous avons l'homme le plus riche de Suisse qui vit aujourd'hui sur le territoire genevois. L'homme le plus riche de Suisse, comme nous le dit le magazine Bilan, est copropriétaire de Chanel, il a une fortune estimée entre 41 et 42 milliards.
Une voix. Seulement ?
M. Thomas Wenger. Sauf que le problème, c'est qu'il est français, donc au lieu de payer ses impôts comme toutes les Genevoises et les Genevois, il est au forfait fiscal. Le magazine «Bilan» nous apprend que les trois cents plus riches de Suisse cette année ont une fortune cumulée de 795 milliards. Et puis nous avons un autre rapport que j'aime bien citer dans ces débats fiscaux, c'est celui de Henley & Partners, un consultant anglo-saxon, qui nous dit que le canton de Genève abrite 345 fortunes de plus de 100 millions de francs et 16 milliardaires.
Alors tout ça, c'est très bien pour le canton de Genève. Et comme l'a dit mon collègue Vert tout à l'heure, nous les accueillons les bras ouverts, bien entendu ! Par contre, nous leur demandons de s'acquitter des impôts qu'ils devraient payer équitablement avec les Genevoises et les Genevois. Or, ils ne paient pas équitablement, et la question qu'on doit se poser, c'est combien ces forfaitaires fiscaux paient d'impôts aujourd'hui sur la base de leur dépense.
On avait une petite indication, un exemple qui nous avait été donné par Bloomberg: un ancien gros contribuable que vous connaissez peut-être, qui habitait dans le canton de Vaud, en dessus de Morges, et qui vendait des meubles en pièces détachées - je ne sais pas si ça vous dit quelque chose - dont le montage vous rend complètement fou... (Rires.) ...avait une fortune estimée à l'époque à 47 milliards de francs, et puis on a appris, par des indiscrétions, qu'il payait des impôts de quelques centaines de milliers de francs. Pour 47 milliards de fortune estimée !
Pendant ce temps-là, vous, vous avez ouvert la lettre qui vous annonce que vous aurez une augmentation de loyer l'année prochaine, que vous avez encore cinq jours pour changer de caisse maladie pour vous prendre une hausse des primes de 6% au lieu de 10%, et puis les SIG vous ont augmenté votre électricité et vous n'avez du coup plus assez d'argent pour vous acheter une belle armoire pour votre enfant - vous courez donc dans ce magasin qui fait des meubles démontables; vous y allez bien sûr en bus, parce que votre voiture est en panne mais vous n'avez plus le temps ni l'argent pour aller au garage. Vous mettez le carton dans lequel se trouve votre armoire dans le bus, vous changez à Bel-Air - je ne vous explique pas -, ensuite, vous vous engueulez pendant six heures avec votre femme pour savoir pourquoi il manque encore une vis pour finir de monter cette fameuse armoire. Eh bien pendant ce temps-là, votre forfaitaire fiscal, lui, il paie quelques centaines de milliers de francs sur ses 47 milliards de fortune !
Je terminerai, Madame la présidente, en vous disant que bien entendu, pour les socialistes, les possesseurs de ces immenses fortunes - et de nouveau, ils sont les bienvenus à Genève - doivent être taxés équitablement, d'une part par égalité de traitement avec tous les autres contribuables genevoises et genevois et d'autre part, bien entendu, pour contribuer davantage, vu les moyens importants dont ils disposent, au financement des services publics, des prestations à la population. Nous l'avons dit toute la journée, les besoins de la population sont grandissants suite à la crise du covid, qui était une crise sanitaire, économique, sociale et dont les effets sont encore aujourd'hui malheureusement trop criants. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (LC). L'heure avance et la gauche radote. (Rires.) Les rapports de minorité qu'on a entendus étaient quasiment calqués sur le PL 12656-A, que nous avons traité il y a deux heures et demie à peu près. Je vais donc vraiment essayer d'être très bref, parce que je n'ai pas envie de me répéter.
Il y a quand même une petite variante ici, c'est qu'on arrive à prendre la gauche en flagrant délit d'hypocrisie: c'était cette même gauche qui était venue en commission, la bouche en coeur, nous dire que c'était simplement pour le covid, pendant deux ans, entre 2021 et 2023, et qu'ensuite, bien entendu, ces mesures s'éteindraient. On est aujourd'hui à la fin de l'année 2023 et ils ont envie que ces mesures soient instaurées pour 2024 et 2025, quand bien même les effets du covid, enfin, le covid lui-même a disparu. Donc vraiment, l'hypocrisie de la gauche qui nous dit: «Mesure fiscale provisoire, deux ans, pas plus»... C'est un peu le même coup que celui de 1914, le fameux impôt fédéral direct, qui existe toujours aujourd'hui. Voilà pour cette brève parenthèse.
Si on a un budget de plus de 10 milliards, c'est parce qu'on a des contribuables qui paient des impôts, et de riches contribuables. Si on s'attaque à ces gens-là, comment fera-t-on face aux charges de l'Etat ? Simplement, c'est la classe moyenne qui passera à la caisse. En s'attaquant aux plus riches, indirectement, on s'attaque à la classe moyenne, parce que si ces gens-là, ces rares contribuables, devaient quitter le canton, on aurait à affronter une crise économique terrible.
Face à la gloutonnerie - on va dire - de la gauche, j'aimerais ajouter un dernier point sur le forfait fiscal. Souvent, la gauche vient nous parler de la volonté populaire. Par exemple, par rapport au PAV, combien de fois on nous a sorti: «On a voté il y a sept ans là-dessus, vous ne pouvez pas revenir avec vos projets de lois.» Je vous rappelle que nous avons voté en 2014 sur le forfait fiscal au niveau fédéral et que la population genevoise s'est exprimée à hauteur de 70% à peu près - 68,2% pour être plus précis - pour le maintien du forfait fiscal. La population, contrairement à la gauche, n'est pas dupe, elle connaît les effets bénéfiques: le ruissellement de la fortune, qui profite à l'ensemble du canton. Les musées, les orchestres, le monde sportif, le monde culturel savent les effets bénéfiques du forfait fiscal.
Alors j'espère qu'on n'aura pas encore à traiter trop de textes de ce type à la commission fiscale. J'espère vraiment que c'était de la poussière de comète, mais j'ai l'impression que pour flatter une toute petite partie de son électorat, la gauche surenchérit en la matière. Pour Le Centre, c'est très simple: la liquidation pure et simple de ces deux projets de lois. C'est la fin des soldes ! Merci beaucoup.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Le covid étant passé, tout comme les années auxquelles il est initialement fait référence dans ces projets de lois, ceux-ci n'ont plus lieu d'être. Cela dit, et puisqu'ils n'ont pas été retirés par leurs auteurs - ce qui aurait sans doute été la manière la plus élégante de procéder, au lieu de déposer un amendement sur les années de référence, ce qui en dit long sur la prétendue volonté du parti socialiste de venir temporairement en aide pendant le covid -, permettez-moi de m'exprimer brièvement sur le fond.
A Genève, le taux d'imposition sur la fortune - on l'aura, je pense, compris cet après-midi - est le plus élevé de Suisse. Le bouclier fiscal permet d'éviter les effets néfastes de ce taux extrêmement élevé. En effet, cumulé à l'impôt fédéral direct, ce taux élevé de l'impôt sur la fortune fait que les bénéficiaires du bouclier paient jusqu'à 71,5% d'impôts. Genève est donc déjà à l'extrême limite de ce qui peut être fait en la matière. Au lieu de vouloir supprimer le bouclier fiscal, on serait bien avisé de dire merci aux contribuables qui paient ces impôts, dont les recettes reviennent à la collectivité. Ces personnes ont très largement contribué à financer les dépenses extraordinaires que l'Etat a dû consentir pendant la crise covid pour venir en aide à celles et ceux qui en avaient le plus besoin.
Cet après-midi, la gauche a essayé de nous dépeindre Genève comme un enfer de précarité. Pourtant, certaines personnes aux revenus plutôt modestes et avec charges de famille, qui habitent, par exemple, le canton de Vaud, font le choix de venir - ou de revenir, bien souvent - s'établir à Genève pour justement profiter d'un impôt clément, voire pour ne pas payer d'impôts. En effet, dans notre canton, 36% des contribuables ne paient pas d'impôts sur le revenu et l'immense majorité n'en paie pas sur la fortune. Si le canton peut compenser ce manque de recettes fiscales et offrir les prestations nécessaires à l'ensemble des contribuables, c'est bien grâce au fait que d'autres contribuables mieux nantis paient beaucoup, vraiment beaucoup d'impôts.
Concernant l'imposition d'après la dépense, qui fait l'objet du PL 12719, je rappelle que les forfaits sont établis sur plusieurs années. Les suspendre abruptement reviendrait à casser la bonne foi de l'administré envers l'administration. Modifier le système des forfaits fiscaux ne peut décemment se faire sans mesures transitoires, complètement absentes de ce projet de loi. Il n'est donc pas applicable en l'état.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR vous propose de refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)
La présidente. Merci. La parole est à M. Romain de Sainte Marie pour deux minutes trente-cinq.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, j'entends dire tout au long de la journée que c'est aujourd'hui le «Black Friday» à propos des projets de lois en matière de justice fiscale. Par contre, c'est vrai que grâce à la droite, c'est toute l'année le «Black Friday» pour les contribuables les plus riches de ce canton, puisque toute l'année, ce sont de véritables cadeaux fiscaux qui leur sont octroyés. Ils le leur sont par deux moyens: par le bouclier fiscal et par les forfaits fiscaux. Ces deux moyens sont des outils d'attractivité fiscale.
En effet, à la base, les forfaits fiscaux ont été créés prétendument pour de riches contribuables à la retraite et n'exerçant plus d'activité lucrative. Vous avez compris via les très bons exemples donnés par M. Wenger que la notion de contribuable à la retraite n'ayant plus d'activité lucrative est assez discutable quand on voit tous les patrons d'entreprises au bénéfice de forfaits fiscaux dans notre canton.
L'autre outil, le bouclier fiscal, avait été octroyé prétendument pour pouvoir aider de petites fortunes qui seraient dans une situation difficile, et on voit que le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter. Là encore, on constate qu'il s'agit d'un outil d'attractivité fiscale, et malheureusement ce Grand Conseil, surtout cette majorité de droite, s'est toujours basé sur la fiscalité pour attirer les grandes fortunes. C'est un raisonnement faux: les grandes fortunes viennent notamment du fait de la fiscalité, mais aussi du fait des infrastructures. A force de scier la branche sur laquelle nous sommes, c'est-à-dire de scier les dépenses publiques en diminuant les rentrées fiscales, petit à petit, nous détériorions ces infrastructures. Petit à petit, nous renverrons en effet ces personnes qui sont venues dans le canton de Genève pour les infrastructures et pas seulement pour une fiscalité attractive.
Pourtant, on le constate depuis des années, depuis des décennies, la droite menace par la peur, comme on a pu l'entendre tout à l'heure, en disant: «Attention, ces contribuables vont partir. Attention, les pauvres aujourd'hui ne paient pas d'impôts. Regardez ce que ces riches contribuables peuvent apporter.» (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Déjà, ces contribuables qui ne paient pas d'impôts aimeraient en payer: ils ne peuvent pas parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Aujourd'hui, les contribuables les plus fortunés devraient payer davantage. Pourquoi ?
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Romain de Sainte Marie. Parce que c'est un principe de justice fiscale - Zurich l'a montré lors d'une votation populaire et les finances zurichoises se portent toujours extrêmement bien s'agissant des recettes fiscales. Pour ces raisons, nous vous invitons à accepter les amendements et à voter ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
M. Jacques Jeannerat (LJS). La gauche a raison sur le fond: il faut prendre l'argent là où il est, donc auprès des riches. Simplement, elle se trompe sur la méthode. Il ne faut pas prendre plus d'argent chez les riches, mais plus d'argent auprès de plus de riches. Il faut bien, Monsieur de Sainte Marie, avoir un outil attractif pour que les gens viennent payer des impôts à Genève. Le mouvement LJS s'opposera à ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
La présidente. Je vous remercie. La parole n'est plus demandée dans la salle. Monsieur Eckert, il vous reste deux minutes dix-sept.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. Cela a été relevé, on a passé une partie de cet après-midi à dire que les effets sociaux de la crise du covid n'ont pas vraiment disparu. Cette précarité qui existe depuis un certain temps existait probablement déjà avant cette crise. Malgré les délais de traitement de ce Conseil, nous n'avons pas voulu retirer ces projets de lois parce que nous estimons qu'ils sont toujours actuels.
J'ai essayé de mettre en avant les problèmes du bouclier fiscal, qui a été largement dévoyé. Pour ma part, je veux bien qu'on adapte une fois le mécanisme du bouclier fiscal; pour l'instant, nous soutenons ce projet d'une suppression temporaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous proposons de revenir sur cette suppression à un moment donné.
J'aimerais encore revenir sur certaines affirmations qu'on a entendues tout au long de l'après-midi. Sur le fait que les grandes fortunes sont les bienfaiteurs de Genève pour le soutien culturel ou autre: pour moi, c'est un soutien qui existe - on ne va pas le nier -, mais c'est un peu le fait du prince quand même et je préférerais que ces personnes paient leur juste part d'impôt et que les projets élaborés avec cet impôt soient décidés de façon démocratique à travers les instances cantonales et communales plutôt que par le fait du prince.
La présidente. Je vous remercie. Je salue à la tribune nos anciens collègues députés M. Ivan Slatkine, M. Daniel Zaugg et Mme Elisabeth Chatelain. (Applaudissements.) Monsieur Wenger, vous n'avez plus de temps de parole. Il reste à M. Christo Ivanov une minute vingt - qui sera peut-être un peu arrondie, étant donné que vous aviez trois contradicteurs.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente, pour votre mansuétude à mon égard. En effet, cela a été dit par mes préopinants, ces périodes fiscales sont écoulées - les deux projets de lois parlent des impôts pour la période 2020, 2021 et 2022. Par conséquent, le seul amendement déposé par la gauche - qu'il conviendra d'ailleurs de refuser - est celui visant le déplacement des périodes fiscales. Je me permets de rappeler par ailleurs qu'aucune mesure transitoire n'est prévue dans ces deux projets de lois. Grâce au bouclier fiscal, le taux de prélèvement n'est que de 60% pour les contribuables, auquel s'ajoutent 11,5% pour l'IFD, ce qui représente quand même un impôt confiscatoire puisqu'on arrive à un taux assez hallucinant de 71,5%.
J'aimerais relever enfin - et cela a été dit par Mme la conseillère d'Etat au sujet d'autres projets de lois que nous avons traités cet après-midi - que les gros contribuables, comme les entrepreneurs, dont je fais d'ailleurs partie, ont besoin de visibilité, de transparence et de sécurité. Il faut arrêter de faire peur. Je sais bien qu'aujourd'hui, c'est «vendredi noir», mais il ne faut quand même pas exagérer. Aujourd'hui, de gros contribuables quittent notre canton et sont remplacés par d'autres, c'est vrai, mais ces derniers ont moins de fortune et moins de moyens financiers. In fine, ce sont également de grands philanthropes, qui donnent énormément d'argent dans les domaines du social, de la culture et du sport. Par conséquent, il convient de refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est curieux, ces débats qui reviennent, j'ai envie de dire, année après année et où l'on ressent quand même, avec cette désignation précise des personnes fortunées, une forme de détestation, une forme d'envie, une forme de stigmatisation. Mesdames et Messieurs, ces personnes sont fortunées, peu importe ! Et tant mieux pour elles, et surtout tant mieux pour nous ! Et tant mieux pour celles et ceux qui le sont moins. Certains se plaignaient que nous n'avons de bouclier fiscal ou d'imposition d'après la dépense que pour attirer certains contribuables fortunés dans notre canton, mais heureusement, parce que les autres y sont attirés tout court et ils viennent dans notre canton: celles et ceux qui ne sont pas fortunés, celles et ceux qui ont des besoins sociaux et que nous sommes en mesure d'aider parce que nous bénéficions de ces contribuables fortunés qui, dans notre canton, sont déjà imposés plus lourdement qu'ailleurs.
Puis, Mesdames et Messieurs, je rappelle ce qu'est le bouclier fiscal. Certains parlent d'un «cadeau fiscal», mais le bouclier fiscal permet d'éviter une imposition confiscatoire. (L'oratrice insiste sur ce dernier mot.) C'est une définition qui a été validée et adoptée par la jurisprudence: ainsi, lorsqu'on a une imposition qui se situe entre 60% et 71,5% du revenu net imposable, on bénéficie du bouclier fiscal parce qu'au-dessus, Mesdames et Messieurs, c'est considéré comme confiscatoire. Alors réjouissons-nous d'avoir ce système ! Si ce n'était pas le cas, avec notre taux d'impôt sur la fortune si élevé, nous n'aurions plus de gros contribuables dans notre canton. Plutôt que de chaque fois les pointer du doigt, les mettre au pilori - à nouveau, j'ai déjà eu l'occasion de le dire au nom du Conseil d'Etat -, nous pouvons remercier ces contribuables qui nous permettent d'assurer les dépenses. Nous remercions d'ailleurs tous les contribuables qui paient leurs impôts. Il est évident que c'est une obligation, un devoir et que nous les remercions, mais c'est évidemment grâce à celles et ceux qui en paient beaucoup, beaucoup plus que d'autres que nous arrivons à avoir le train de vie que l'Etat a actuellement et à financer les prestations publiques. Le Conseil d'Etat vous recommande donc de refuser ces deux projets de lois.
Une voix. Bravo. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12718 est rejeté en premier débat par 56 non contre 32 oui.
Mis aux voix, le projet de loi 12719 est rejeté en premier débat par 55 non contre 33 oui.
Premier débat
La présidente. Nous continuons avec le PL 12748-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité de M. Pierre Vanek est repris par M. Diego Esteban; le rapport de minorité de M. Edouard Cuendet est repris par M. Murat-Julian Alder. Monsieur Esteban, vous avez la parole.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Pour introduire ce projet de loi, une question: pourquoi avons-nous autant de lois aujourd'hui ? Si nos lois résultent toutes d'une majorité parlementaire, éventuellement d'une initiative populaire législative, il s'agit souvent soit de mettre en oeuvre le droit supérieur, soit de concrétiser les compétences constitutionnelles. Pour rappel, ces compétences, dans la constitution genevoise, représentent pas moins de 72 dispositions validées par le peuple. Ce projet de loi propose une réduction de ce volume, il propose une évaluation, qu'elle soit financière ou basée sur des critères d'efficience et d'efficacité, de l'entier du corpus législatif genevois - ce que fait déjà la Cour des comptes. C'est une de ses missions, à un niveau certes moins étendu que ce qui est demandé par ce texte; mais, pour ce faire, le texte propose un mécanisme qui est totalement inadéquat pour un certain nombre de raisons.
D'abord, il confie un travail titanesque à l'administration, qui serait chargée d'évaluer l'équivalent de 840 textes législatifs tous les trois ans. C'est assez certain, il n'y a pas suffisamment de moyens aujourd'hui pour que l'office cantonal de la statistique se charge de faire ce travail, et si on devait suivre le mécanisme instauré par ce projet de loi même, eh bien il faudrait procéder à une évaluation du nombre de postes qui devraient être créés pour le mettre en oeuvre. Pour information, le montant dépensé par année, dans d'autres pays, pour les services chargés de cette évaluation peut osciller entre l'équivalent de 650 000 francs, comme en Allemagne ou en Suède, et 2,2 millions, comme c'est le cas aux Pays-Bas.
Deuxièmement, ce texte oublie des critères d'analyse centraux pour évaluer l'efficience des lois, en particulier les conséquences sociales et économiques, et se focalise sur les seuls coûts induits pour les entreprises.
Enfin, cet objet crée une usine à gaz: le Conseil d'Etat devrait évaluer les conséquences des projets de lois déposés par les députés ou procéder à un examen préalable de ses propres textes dans un délai de trente jours - le même délai que pour les questions écrites urgentes, dont la longueur des réponses est assez variable.
De manière générale, les débats sur l'inflation législative illustrent parfaitement la différence entre la théorie et la pratique, sachant que cette question est régulièrement sur la table à Berne et que le Contrôle fédéral des finances estimait, dans un rapport déposé en 2016, que l'évaluation n'est pas constante et qu'il est impossible, dans certains cas, de quantifier les effets de certains projets de lois. Pour l'ensemble de ces raisons, la commission n'a pas vu dans ce texte une opportunité à même d'améliorer les mécanismes qui existent aujourd'hui et elle vous recommande de refuser l'entrée en matière.
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a pour objectif de lutter contre la surréglementation, contre l'inflation normative - une inflation normative qui représente, selon le Conseil fédéral, l'équivalent chaque année de 2% du PIB de notre pays, et même 10% selon l'Union suisse des arts et des métiers ! On sait également - cela figure dans l'exposé des motifs du projet de loi de notre collègue Diane Barbier-Mueller - que le nombre de lois et de règlements, à Genève, a augmenté de 23% depuis 1958. C'est énorme ! En l'espace d'un demi-siècle, on a augmenté pratiquement d'un quart le nombre de normes dans notre canton.
Alors il y a évidemment l'aspect lié à la bureaucratie, les aspects liés aux coûts, mais il y a aussi une autre dimension qu'il faut prendre en considération dans cette réflexion. Eugen Huber, l'auteur du code civil suisse, adopté le 10 décembre 1907, avait à coeur de rédiger un code pour l'ensemble de notre pays qui se voulait rassembleur, en prenant des traditions qui étaient parfois différentes selon les cantons, mais il voulait surtout que ce texte soit le plus clair et le plus simple possible pour qu'un maximum de citoyens puisse le comprendre et le respecter. On dit que nul n'est censé ignorer la loi; comment voulez-vous que les citoyens soient conscients de leurs droits et obligations si la loi est trop complexe ? Par ailleurs, Antoine de Saint-Exupéry, quelques années plus tard, a dit que la perfection n'est pas atteinte lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à enlever. C'est dire l'importance d'avoir des textes normatifs aussi clairs et concis que possible !
Je dois vous dire - et je le dis en toute amitié pour notre collègue Diego Esteban - que j'aurais beaucoup aimé croiser le fer sur cette question avec notre ancien collègue Pierre Vanek, auteur du rapport de majorité. Alors peut-être que pour quelques instants, je vais dire ce qu'il aurait dit. (Rires.)
Des voix. Ah !
Une voix. Il faut la voix !
M. Murat-Julian Alder. Notre ancien collègue, Pierre Vanek, ce qu'il aurait dit... (L'orateur imite la voix et la gestuelle de M. Pierre Vanek. Rires.) ...c'est que plus il y a de dispositions réglementaires, plus il y a de formulaires ! Plus il y a de formulaires, plus il y a de fonctionnaires ! Plus il y a de fonctionnaires, plus il y a d'impôts ! Plus il y a d'impôts, moins il y a de millionnaires ! Et c'est ça - c'est ça ! - que nous voulons, à Ensemble à Gauche ! (Rires. Applaudissements. Commentaires.) Merci de votre attention.
M. André Pfeffer (UDC). Merci à notre rapporteur de minorité, qui, je l'espère, deviendra majoritaire, pour cette imitation ! (L'orateur rit.) Le titre de ce projet de loi est: «Pour une maîtrise efficiente du processus législatif et de l'effet des lois». Il faut le reconnaître, il serait grandement nécessaire de réaliser cette tâche. Ce projet de loi vise à réduire l'inflation législative et l'explosion de nouvelles lois: il y est question d'une sorte de frein à la réglementation croissante.
Avec un tel objectif, cet outil servirait premièrement à réduire, pour l'économie, les coûts occasionnés par les charges réglementaires et administratives, deuxièmement à augmenter la productivité et la compétitivité de notre économie, et troisièmement - troisièmement - à assurer le maintien, voire la progression, de notre prospérité et de notre bien-être.
L'inflation législative a un impact indéniable sur notre économie. En Suisse, le Conseil fédéral estime ses coûts à 2% du produit intérieur brut. L'USAM (Union suisse des arts et métiers) estime que ces coûts atteindraient même 10% de notre PIB. Des cantons comme Argovie, Zurich, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Soleure et les Grisons possèdent déjà un ou des outils pour freiner l'inflation législative et réglementaire. A l'étranger, il existe également de tels instruments: en Angleterre, entre 2011 et 2015, la diminution des normes aurait permis d'économiser plus de 2,2 milliards ! En Allemagne, depuis 2013, un frein à l'inflation législative aurait permis de réduire d'un quart les coûts liés à la réglementation et à l'administratif.
Malgré les critiques sévères contre ce projet de loi, y compris du Conseil d'Etat, cette problématique mériterait un travail et une analyse approfondis. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ce projet de loi a été balayé beaucoup trop vite et, au vu de l'importance du sujet, je propose de le renvoyer en commission. Pour finir, j'aimerais quand même répondre...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. André Pfeffer. ...au rapporteur de majorité: un frein à l'inflation législative n'est pas une usine à gaz, mais c'est un objectif pour éviter que notre législation... (Le micro de l'orateur est coupé.)
La présidente. Je vous remercie. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, je passe donc la parole aux rapporteurs. Monsieur Alder ?
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Madame la présidente. La minorité remercie le député Pfeffer pour cette demande de renvoi en commission et la soutient pleinement. Je vous invite donc à voter le renvoi du projet de loi et de son rapport à la commission législative.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. La majorité s'oppose au renvoi en commission. J'aimerais juste rappeler, parce que le débat a quelque peu dévié pour porter de manière abstraite sur la question de l'inflation législative, que ce n'est pas exactement l'objet du projet de loi: l'adoption de cet objet ne supprimerait aucune loi, en réalité. Il s'agit ici de modifier une loi qui a un article unique pour les faire passer à cinq ! Le seul effet direct de l'adoption de ce projet de loi sur le volume du corpus législatif genevois sera donc de quintupler la taille d'un de ses textes ! Je vous recommande de refuser le renvoi en commission et de poursuivre le débat sur l'entrée en matière.
La présidente. Je vous remercie. J'invite l'assemblée à se prononcer sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12748 à la commission législative est rejeté par 45 non contre 32 oui et 2 abstentions.
La présidente. Nous poursuivons le débat. Monsieur Nidegger, vous n'avez plus de temps de parole. Je cède le micro à M. Patrick Dimier.
M. Patrick Dimier. Merci, Madame la présidente. Je renonce.
La présidente. Je vous remercie. La parole va donc à Mme Laura Mach.
Mme Laura Mach (Ve). Merci, Madame la présidente. A nouveau, je n'ai pas siégé, mais on comprend à la lecture du rapport que ce projet de loi ne semble pas atteindre son but, bien au contraire. D'abord, une audition de la Cour des comptes rappelle que le nombre de postes à créer pour y répondre sera conséquent, ce qui peut se défendre pour autant que les buts d'efficacité et d'efficience soient atteints. Or on apprend que la tâche serait quasi impossible à accomplir, selon une enquête effectuée à l'échelon fédéral. Il semble en effet très difficile d'évaluer l'efficience d'un projet de loi; la décision de bloquer un texte sur cette base serait donc peu fondée.
Ensuite, notre conseillère d'Etat a fait une intervention très claire, soulignant avec humour que ce projet de loi transfère un grand pouvoir à l'exécutif, à tel point que la faculté du Grand Conseil de déposer des projets de lois s'en verrait carrément balayée. Je ne crois pas que cela soit la volonté de cet hémicycle. Ainsi, nous ne soutiendrons pas l'entrée en matière. Merci.
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, dernière venue dans ce groupe parlementaire, j'ai très vite compris pourquoi on m'a attribué la commission législative. (Rires.) D'abord parce qu'elle siège le vendredi soir et que personne ne veut y aller... (Rires.) ...et ensuite, j'ai compris qu'on doit examiner des projets de lois comme celui-ci, avec, je dois dire, des rapports assez rébarbatifs à lire ! Ce rapport indique d'ailleurs que l'intention de ce texte est de réduire le nombre de lois; cette proposition renonce donc à proposer une nouvelle loi, mais complète seulement la loi sur les effets et l'application des lois ! Vous le voyez, c'est assez rude, le vendredi soir.
Le Centre, bien que préoccupé par l'inflation législative - c'est quelque chose qui est important et qui a un coût, c'est vrai, et pas seulement pour les entreprises -, trouve que cette proposition est inappropriée, déjà parce qu'elle n'est pas du tout efficace et ensuite parce qu'elle serait très coûteuse pour l'administration, en plus d'être complètement chronophage, notamment pour le département des finances. Le Centre ne va donc pas entrer en matière sur cette proposition. Merci.
M. Vincent Canonica (LJS). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, qui dit surproduction législative dit complexification bureaucratique. LJS est favorable à la simplification administrative. Toute adaptation législative visant à rendre plus libres les commerçants tout en sanctionnant les abus et les transgressions des lois existantes est l'approche que nous privilégions. Ce projet de loi est intéressant dans son principe, mais sa mise en oeuvre est tout simplement irréalisable. Au lieu d'atteindre son but, on l'a dit, il crée une nouvelle usine à gaz et contrevient au principe de la séparation des pouvoirs.
Une réglementation trop dense constitue en effet un obstacle à la compétitivité et à la liberté du commerce et décourage l'innovation. Il n'est pas nécessaire de comptabiliser la surproduction législative pour agir. La surproduction législative nuit à la productivité des entreprises, mais profite à l'Etat lui-même. Le temps des constats est révolu; il est temps de se retrousser les manches et de corriger la situation. Une loi aussi générale fixant des objectifs à atteindre ne servira pas à grand-chose.
Comme je viens de le dire, il est temps de se mettre à table et d'entrer dans le vif du sujet. Simplifions nos lois; désengorgeons nos lois; supprimons les lois inutiles et redondantes; redonnons vie à nos commerces; permettons à nos entrepreneurs d'exercer leur passion avec moins de bureaucratie, au profit de l'innovation et de la créativité. Pour donner un signal fort en faveur de la simplification administrative, je vous invite à renvoyer ce texte en commission.
La présidente. Merci. Nous sommes saisis d'une nouvelle demande de renvoi en commission. Messieurs les rapporteurs, souhaitez-vous vous exprimer ? (Remarque.) Non. Nous passons donc sans plus attendre au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12748 à la commission législative est rejeté par 48 non contre 27 oui.
La présidente. Nous continuons le débat. Il n'y a plus de demandes de parole, si ce n'est du rapporteur de majorité, qui a encore deux minutes cinquante-cinq. Vous avez la parole, Monsieur Esteban.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Je ne voulais pas laisser ce débat se terminer sans mentionner une petite curiosité de la loi qui est visée par ce texte. Reprenant le rapport de majorité de M. Pierre Vanek, j'avais l'impression que c'est lui qui avait traduit la date d'adoption de la loi au 14 ventôse de l'an XI du calendrier républicain, mais en fait, cette loi a été adoptée sous l'occupation napoléonienne; on comprend donc aisément qu'elle est en vigueur depuis très longtemps. Pour le reste, je vous invite à vous référer au rapport afin de connaître le détail des débats intéressants que nous avons menés en commission sur ce projet de loi, qui malheureusement «Murat» sa cible. (Exclamations. Rires. Commentaires.) La majorité vous invite par conséquent à refuser l'entrée en matière.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Je crois qu'il faut relever que ce projet de loi visait un but louable: supprimer un carcan législatif trop lourd. Supprimer des lois, c'est bel et bien ce qu'il aurait pu conduire à faire, mais avant de les supprimer, il fallait les évaluer. Toutes ! Et il est évident que ça, c'est problématique - et que le département des finances n'est pas en mesure de le faire. Il faudra donc, j'en suis sûre - de concert avec l'auteure de ce projet de loi -, trouver d'autres moyens.
Le premier moyen serait peut-être de ne pas adopter une nouvelle loi sans en supprimer une autre au préalable. C'est très facile: il suffit d'un article de loi pour dire que la loi «X» est supprimée. Mesdames et Messieurs, dès lors que vous ne serez pas privés de cette prérogative - celle de déposer des projets de lois - dont vous êtes l'un des seuls parlements de Suisse à bénéficier, je vous encourage à déposer des projets de lois qui en abrogent d'autres... (Remarque.) ...et je vous souhaite de refuser ce texte. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12748 est rejeté en premier débat par 63 non contre 20 oui.
Premier débat
La présidente. Nous passons au PL 12772-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Guinchard, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames les députées, Messieurs les députés, chères et chers collègues, ce projet de loi, qui concerne les fonctionnaires - cités dans le titre -, vise à augmenter la durée de travail en la faisant passer à 42 heures par semaine, c'est-à-dire à peu près 546 heures par trimestre.
Maladroit, anachronique, déplacé, sans vision globale d'une gestion efficiente des ressources humaines... Ce sont là les termes les plus souvent entendus de la part d'une majorité des membres de la commission. Au-delà du titre passablement trompeur de ce projet de loi, c'est son inadéquation qui a souvent été relevée... (Remarque.) Merci, Monsieur Dimier, c'est un peu tard. Inadéquation quant à une gestion constructive des ressources humaines, inadéquation quant à la confiance qui doit s'instaurer entre un employeur et l'ensemble de son personnel, inadéquation encore quant à la responsabilisation des collaboratrices et des collaborateurs, mais inadéquation aussi quant à une vision globale de ce que devrait être une gestion des ressources humaines moderne et innovante.
Aucune étude sérieuse n'a démontré jusqu'ici qu'une augmentation de la durée du travail pouvait avoir pour conséquence une augmentation de la productivité. Au contraire, dans ces cas, on remarque en général des tendances nettes à favoriser le «présentiel» lié à un timbrage facilement utilisable. On peut d'ailleurs citer certaines entreprises en Suisse romande qui, à l'heure actuelle, privilégient la semaine de quatre jours et qui arrivent à réaliser des gains de productivité assez intéressants.
Le Conseil d'Etat - je le rappelle souvent - est le patron de la fonction publique, et il appert de plus en plus souvent que l'intervention systématique de notre Grand Conseil dans la gestion du personnel de l'Etat n'a pas lieu d'être, en particulier s'agissant des horaires de travail. Nous n'avons pas été élus pour planifier les horaires de travail des collaborateurs de l'Etat.
Qui plus est, la nouvelle politique du Conseil d'Etat en matière de gestion des membres de la fonction publique, brillamment présentée par Mme la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, a convaincu une très forte majorité des commissaires que cette voie devait être suivie et poursuivie afin de donner à la fonction publique une autonomie et une responsabilité accrues, tant dans la gestion des horaires que dans l'atteinte d'objectifs préalablement fixés et subséquemment évalués.
Ce projet de loi, de surcroît, est particulièrement malvenu dans cette période pendant laquelle nos fonctionnaires, dont les conditions salariales et les acquis sont certes garantis, ont oeuvré, tout au moins pour la très grande majorité d'entre eux, de façon remarquable et sans compter afin de faire face aux crises que nous avons connues et que nous connaissons encore.
Ce projet de loi, finalement, n'a obtenu qu'une voix, celle de son auteur. Sur cette base, Mesdames les députées, Messieurs les députés, je ne peux que vous recommander de le refuser avec la même majorité, c'est-à-dire une quasi-unanimité. Je vous remercie.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en effet, ce projet de loi propose d'augmenter la durée normale du travail hebdomadaire à 42 heures pour les catégories du personnel de l'administration cantonale, du Pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux. Il convient de reconnaître que cela existe en Suisse: à Fribourg, en Valais, à Berne, à Zurich, à Bâle-Ville, à Bâle-Campagne, à Lucerne, à Saint-Gall, dans les Grisons, en Thurgovie, à Glaris, à Schaffhouse, à Zoug, au Tessin, à Obwald et à Nidwald. Pourquoi est-ce que Genève ne rejoindrait pas le train confédéral ? Une Genferei de plus, comme d'habitude - c'est une boutade, vous l'aurez bien évidemment compris.
Il est donc curieux de constater que Genève travaille moins que les autres cantons suisses, mais rémunère de manière généreuse les heures supplémentaires pour les hauts cadres, comme je l'avais relevé dans une question écrite urgente: des gens qui font plus de 100 heures supplémentaires - je parle des hauts cadres - ont le droit à des rémunérations de l'ordre de 1%, et quand ils font plus de 200 heures supplémentaires, ces rémunérations sont de 2%. On contourne donc la loi existante pour prévoir quand même une compensation salariale, en marge des petits collègues.
Par conséquent, la minorité de la commission ad hoc sur le personnel de l'Etat, qui a depuis changé de nom et qui est devenue la commission du personnel de l'Etat, vous demande d'accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Louise Trottet (Ve). Je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'excellente prise de parole de M. le rapporteur de majorité. Une chose dont les auteurs de ce projet de loi, déposé en 2021, n'ont pas peur en tout cas, c'est le présentéisme sur le lieu de travail. Avec un texte qui nage courageusement à contre-courant, on veut augmenter le temps de travail des fonctionnaires sous le prétexte étrange de préserver leurs annuités et leurs salaires. Le raisonnement est pour le moins alambiqué et je le trouve, à titre personnel, très difficile à suivre. Les mêmes personnes de l'UDC qui refusent tous les nouveaux postes d'un budget déjà à moitié achevé à la commission des finances voient tout à coup un intérêt à augmenter le temps de travail des mêmes fonctionnaires dont ils ne votent pas les augmentations de salaire, même quand il s'agit de faire face à l'inflation. Par contre, augmenter le temps de travail de la fonction publique, tant que c'est sous l'angle du bénévolat et de la surveillance des heures de travail, cela semble acceptable !
Les différentes auditions en commission, dont celle de la conseillère d'Etat, Mme Nathalie Fontanet, ont également montré le peu de fondement économique de ce projet de loi, qui a été refusé à une très large majorité - on l'a dit. Le groupe Vert appuiera donc sur le bouton rouge et vous incite à faire de même. (Applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, il faut d'abord juste rappeler le contexte du dépôt de ce projet de loi, qui faisait suite à l'annonce du Conseil d'Etat de baisser les salaires de la fonction publique de 1%. D'où ce texte, qui part du principe qu'il n'est pas admissible de baisser ces salaires. La contrepartie prévoyait d'aligner les horaires de travail sur ce que font la quasi-totalité des cantons, à savoir 42 heures par semaine; en échange, on refuse de baisser les salaires de 1% et on garantit l'annuité et l'indexation - c'était ça, la vraie contrepartie. Avec sa mauvaise foi habituelle, le rapporteur de majorité a omis de le signaler dans sa présentation du projet de loi.
Pourtant, si vous lisez ma présentation de celui-ci dans le rapport, cela est parfaitement expliqué. Il s'agissait simplement d'une contrepartie pour garantir finalement le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Voilà le lien qu'il y a entre tout ça. L'UDC s'est toujours refusée à ce genre de - entre guillemets - «coups bas» consistant à baisser les salaires pour de mauvais prétextes. Par contre, oui, ça fait partie de son combat de longue date pour des réformes structurelles de l'Etat que nous appelons de nos voeux: ce n'est pas la première fois que nous déposons un tel projet de loi, pour justement amener quelque chose de concret dans ce parlement s'agissant de réformes structurelles. Je me souviens que notre ancien et regretté collègue Pierre Weiss, lui, avait parfaitement compris l'essence même de la toute première mouture, que nous avions déposée il y a une bonne dizaine d'années. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il l'avait même plus ou moins chiffrée et c'étaient, Mesdames et Messieurs, plusieurs centaines de millions d'économies pour l'Etat que de faire travailler nos fonctionnaires ne serait-ce que 24 minutes de plus par jour, à savoir 2 heures par semaine, pour arriver à 40 heures.
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Stéphane Florey. Voilà le vrai gain, et c'est du gagnant-gagnant pour tout le monde. Finalement, augmenter le temps de travail signifie également moins d'engagements. Voilà, c'était ça notre projet de loi, et nous... (Le micro de l'orateur est coupé.)
Mme Masha Alimi (LJS). Ce projet de loi me laisse très dubitative. «Sauvegarde des salaires et du pouvoir d'achat»: je ne vois pas très bien le rapport avec le fait de passer à 42 heures au lieu de 40 par semaine. On justifie cette demande en disant que les autres cantons adoptent ce nombre d'heures; étrange, car pour moi ce n'est pas le nombre d'heures qui fait un travail de meilleure qualité. A mon avis, ce texte se trompe complètement de cible.
Fixer correctement des objectifs pour les collaborateurs et les motiver permettra une bonne qualité de travail effectué et générera certainement moins d'absentéisme - c'est d'ailleurs le but qu'il conviendrait d'atteindre. Aujourd'hui, plusieurs études sérieuses démontrent au contraire que la semaine de quatre jours améliore la performance au travail. Sur internet, vous verrez d'ailleurs une foison d'études à ce sujet, et j'invite les auteurs de ce projet de loi à aller les regarder. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de cet objet. Je vous remercie.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi de l'UDC vise finalement à ce qu'on travaille davantage pour gagner moins: il induirait une baisse du salaire horaire pour davantage de travail. Bien évidemment, ce texte est anachronique, puisque - je rejoins les propos de Mme Alimi et de LJS - notre société a évolué vers une diminution du temps de travail. En effet, les nouvelles générations cherchent à avoir un engagement avec un sens dans le travail, mais également des activités en dehors de leur fonction. Aujourd'hui, on privilégie une réduction du temps de travail. Cela ne concerne pas que les fonctions étatiques, c'est quelque chose qu'on trouve également au sein d'entreprises privées.
Cette réduction du temps de travail a plusieurs impacts bénéfiques, notamment en matière d'égalité hommes-femmes: c'est un aspect qui permet en effet davantage d'égalité - on l'a mentionné tout à l'heure au sujet de la représentation politique -, c'est également la possibilité pour beaucoup de femmes d'avoir une vie de famille tout en menant une carrière professionnelle. On parle donc d'une adéquation entre le fait d'avoir une vie et une fonction professionnelle; il ne s'agit pas de toujours travailler plus et de passer plus de temps au travail.
On est rassuré de voir que ce projet de loi n'a eu en commission que le soutien de ses auteurs. Il constitue une bien mauvaise idée et une fausse solution si l'on veut effectuer des économies au sein de la fonction publique. Le groupe socialiste vous invite donc à le refuser. (Applaudissements.)
M. Pierre Nicollier (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, pour rappel, le Conseil d'Etat a présenté au mois de septembre de cette année un budget qui dépasse pour la première fois les 10 milliards de charges. Ceci a été dit plusieurs fois aujourd'hui, ce projet de budget permet d'offrir des prestations à quelque 520 000 habitants. Je ne vais pas nous comparer à la Ville de Paris, ce qui a été fait plusieurs fois, mais plutôt au budget du canton de Zurich, qui est annoncé à environ 18 milliards pour une population de 1,6 million. Je vous appelle à prendre vos calculatrices: ceci nous donne 11 250 francs par habitant à Zurich contre 19 230 francs à Genève. Il est déjà tard, nous sommes vendredi en fin de journée et en fin de séance, je ne testerai pas votre capacité de calcul mental, mais cela donne quand même une différence de 70%. Je vous pose donc la question: les Zurichois reçoivent-ils 70% de prestations en moins que les Genevois ?
Une durée de travail hebdomadaire de 42 heures serait similaire à celle pratiquée par la plupart des cantons: Fribourg, Valais, Berne, Zurich, Bâle-Campagne, Lucerne, Saint-Gall, Grisons, Thurgovie, Glaris, Schaffhouse, Zoug, Tessin, Obwald et Nidwald; j'ai dû en oublier encore quelques-uns... (Remarque.) Bâle-Ville, merci ! La large majorité des cantons suisses a fixé à 42 le nombre d'heures de travail hebdomadaire, sauf le canton de Vaud, il est vrai, qui est à 41,3. Pourquoi ne pas nous aligner au même niveau que les autres cantons ?
Ce projet de loi ne mentionne d'ailleurs pas les salaires. Toutes ces discussions sont vaines. Il n'empêche en aucun cas un taux d'activité partiel. Rappelez-vous que Genève avait fixé à 44 le nombre d'heures de travail hebdomadaire, et nous étions à 42 heures il y a quelques années, comme la plupart des cantons, qui d'ailleurs se sont, eux, arrêtés là.
Sachez qu'en Suisse, en 2022, il y avait 100 000 places de travail vacantes. En 2025, les projections indiquent 250 000 places vacantes et 500 000 en 2030. 70% des entreprises se plaignent de la difficulté d'identifier de la main-d'oeuvre de manière systémique.
Ce projet recueille d'ailleurs un large soutien ! Je suis un petit peu ironique là-dessus, mais le Cartel intersyndical a indiqué que cela lui permettrait d'augmenter massivement le nombre de nouveaux membres; peut-être que les bancs de la gauche devraient donc le soutenir. Je le cite: «[...] il remercie ses auteurs parce que c'est exactement ce qu'il va se passer» - une augmentation du nombre de membres. Les cadres se réjouissent également: l'Union des cadres de l'administration indique, je cite: «[...] si [nous devions] travailler 42 heures par semaine, cela [nous] ferait une sacrée diminution de [notre] temps de travail.» Je vous invite donc à soutenir ce projet de loi. Merci.
M. François Baertschi (MCG). Faire des économies en travaillant 24 minutes de plus par jour, ça ne marche pas. Pour quelle raison ? C'est très simple, ça a été dit lors des débats en commission: avec ces augmentations de temps de travail, on arrive à ce qui est appelé du présentéisme, c'est-à-dire des fonctionnaires qui viennent à leur bureau, mais qui ne font rien ou qui ne font pas plus de travail. Pire, ils vont en faire moins, parce qu'il y aura une démotivation du fait que c'est une action de type punitif. Le côté punitif de cette action, si cela fait plaisir sur certains bancs de ce Grand Conseil pour pouvoir punir... Alors c'est alternatif, dans ce parlement: certains veulent punir les riches, d'autres veulent punir les fonctionnaires, d'autres encore veulent punir Dieu sait qui. On est dans ces sortes d'axes de... Comment dire ? De haine ordinaire, qui apparaissent de manière régulière ou sont consubstantiels à divers groupes politiques. Mais pour le groupe MCG, cela est tout à fait stérile, car on oppose une fois de plus le public et le privé. Il faut bien savoir que la prospérité du secteur privé ne peut aller que de pair avec la prospérité du secteur public, et vice versa. On ne peut pas séparer la vie de Genève en mettant côte à côte des éléments qui doivent travailler de manière tout à fait simultanée, dans une concorde qui est nécessaire et qui nous permet d'atteindre la prospérité de notre canton. Vous l'aurez compris, le MCG s'opposera avec détermination à ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Romain de Sainte Marie pour une minute vingt-deux.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Madame la présidente, ce sera largement suffisant pour transmettre ceci à M. Nicollier: on a entendu toute la journée le PLR comparer les cantons en matière de dépenses publiques, et notamment de dépenses publiques par habitant et par fonctionnaire; mais il est aussi important de comparer les choses correctement. En effet, je crois que le canton de Genève connaît des charges bien plus élevées par rapport à la plupart des autres cantons. Il suffit de comparer les coûts de la vie: si nous prenons les primes d'assurance-maladie, Genève a la palme avec 450 francs en moyenne, par rapport à la moyenne suisse qui est de 359 francs; Genève est également malheureusement en tête des loyers par mètre carré les plus élevés de Suisse; Genève connaît le deuxième taux de chômage le plus élevé du pays, là encore c'est un coût; Genève connaît le pourcentage de personnes à l'aide sociale le plus élevé de Suisse. Bref, Genève est en effet un canton qu'on peut mettre en parallèle avec les autres, mais il est un peu rapide de faire un simple produit en croix et de rapporter le nombre de fonctionnaires purement au nombre d'habitants: il faut comparer les choses par rapport à la population que nous avons, par rapport à nos besoins, et là, la comparaison sera juste. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, en augmentant le temps de travail de 24 minutes, soit 2 heures par semaine, je ne vois pas comment on pourrait améliorer la productivité. Surtout qu'il n'y avait pas de demande des institutions publiques qui aurait retenu qu'une augmentation de 2 heures de la durée de travail permettrait d'atteindre une meilleure productivité. Si on fait une analyse empirique du coût caché, beaucoup de fonctionnaires consultent leur téléphone pendant leur journée de travail et font autre chose pendant plus de 24 minutes par jour. Maintenant, s'ils doivent travailler 24 minutes de plus par jour, pourquoi pas ? S'ils ont envie de le faire en tant que patriotes, pourquoi pas ?
Certains donnent comme exemples les autres cantons, mais dans d'autres pays, c'est 35 heures par semaine, et non pas 40 comme ici. Dans certains pays, les gens travaillent même 10 ou 12 heures par jour. Maintenant, quel est le meilleur modèle ? Le meilleur modèle est celui qui répond aux besoins du pays, aux besoins des institutions. Si on fait une analyse empirique, aucune des études menées par les experts dans le domaine des ressources humaines n'a démontré que travailler 2 heures supplémentaires par semaine permettrait d'être plus productif. Sur la base des éléments que le rapporteur de majorité a bien expliqués dans son rapport, le groupe LJS est opposé à ce projet - comme l'a dit ma collègue - et vous invite à le refuser. Je vous remercie beaucoup.
La présidente. Merci. Je vais donner la parole aux rapporteurs. Monsieur Christo Ivanov, vous avez la parole pour une minute seize.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Ce sera largement suffisant, merci, Madame la présidente. En effet, il faut remettre les choses en perspective. Lorsque ce projet de loi a été déposé - l'auteur du texte, Stéphane Florey, l'a dit -, il y avait à la fois une baisse de 1% des salaires et la suspension de l'annuité qui étaient prévues par le Conseil d'Etat. Il convient donc de remettre un peu les choses en perspective. Le Conseil d'Etat a ensuite retiré son projet de loi, mais cela ne veut pas dire que tôt ou tard les choses ne reviendront pas sur le devant de la scène. On a vu que le projet SCORE a été abandonné et que maintenant quelque chose d'autre est prévu. Pour la réforme de la fonction publique et de la problématique liée aux salaires, en l'état, ce texte propose 24 minutes de plus par jour: l'idée est quand même de travailler plus et gagner plus. La minorité de la commission vous demande de bien vouloir accepter l'entrée en matière sur ce PL 12772. Merci.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de majorité pour deux minutes.
M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente, ce sera suffisant. J'ai un petit peu de peine à comprendre la volte-face du PLR en la matière et surtout sa comparaison avec le canton de Zurich. J'aimerais rappeler, pour ce qui concerne ce projet de loi, que dans le canton de Zurich, les communes ont beaucoup plus de compétences et de tâches financières à assumer que dans notre canton - je n'ai pas besoin de vous faire un dessin par rapport à ça. J'aimerais aussi rappeler que le Grand Conseil n'est pas le patron des ressources humaines de la fonction publique. Nous n'allons pas donner mandat à la commission du personnel du Grand Conseil de contrôler les temps de travail et les durées de timbrage de la fonction publique.
Pour répondre à l'auteur du projet de loi, je dirai, par rapport à la baisse des salaires de 1%, qu'il est beaucoup plus facile de baisser de 1% - c'est un fait et ça intervient immédiatement - que de contrôler l'efficacité d'une augmentation des horaires. Et enfin, pour répondre à M. Florey, qui m'a envoyé cette petite pique, je dirai - et je m'en excuse d'avance auprès de mes collègues - qu'étant juriste et député, j'ai deux raisons d'être de mauvaise foi ! En conclusion, je confirme que je vous conseille de refuser ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Ce soir, j'ai cité M. Thévoz, je peux bien citer M. Florey. (Exclamations.) Effectivement, ce projet de loi avait été déposé dans un contexte particulier et il était une alternative à la baisse de 1% des salaires proposée par le Conseil d'Etat. Il y avait une volonté de protéger les mécanismes salariaux des collaboratrices et collaborateurs. Ça, c'est la réalité.
Maintenant, le Conseil d'Etat s'est effectivement opposé d'emblée à ce texte, d'abord parce qu'il est contraire à sa politique des ressources humaines. Ensuite - cela a été dit -, ce n'est pas parce qu'on travaille 42 heures qu'on est plus efficient et qu'on accomplit mieux son travail. De plus, Mesdames et Messieurs, si l'on veut que ces 24 minutes de plus par jour et ce passage de 40 à 42 heures amènent un gain en matière de personnel, eh bien il faut des services avec au moins 20 postes qui accomplissent toute la journée la même tâche de sorte que, grâce à cette économie sur les heures, on ait en quelque sorte un poste de plus. Vous en conviendrez, l'objet n'atteint pas sa cible. Le Conseil d'Etat vous recommande de le refuser.
Peut-être un signe d'espoir pour la conseillère d'Etat que je suis: je vois qu'un groupe qui s'est toujours opposé à des transferts de charges et de compétences aux communes cite, en comparaison avec le canton de Genève, le canton de Zurich, dans lequel effectivement les charges et les compétences respectives des communes et du canton sont totalement différentes. Cela a évidemment une influence sur le budget du canton de Zurich, qui, malgré la population plus nombreuse, est bien inférieur proportionnellement à celui du canton de Genève. Je me réjouis donc de savoir que certains députés dans cet hémicycle sont favorables à ce que le Conseil d'Etat puisse réduire son budget dans le cadre de transferts de charges et de compétences aux communes, comme c'est le cas dans le canton de Zurich. Voilà, Mesdames et Messieurs, merci beaucoup. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Nous allons voter sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12772 est rejeté en premier débat par 57 non contre 23 oui.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, après avoir si bien travaillé, c'est l'heure du bilan: en quatre jours, nous avons traité 92 points de notre ordre du jour. (Applaudissements.) Cela signifie que nous ne renvoyons que 118 points à la prochaine séance. (Rires.) Sur ce, je vous remercie de la qualité des débats que nous avons eus, et vous souhaite une excellente fin de semaine.
La séance est levée à 19h55.