République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 16 novembre 2023 à 20h30
3e législature - 1re année - 6e session - 31e séance
IN 194 et objet(s) lié(s)
Débat
La présidente. Nous abordons notre point fixe, soit les objets liés IN 194 et IN 194 A, classés en catégorie II, trente minutes. La parole n'est pas demandée...
Des voix. Si !
La présidente. Je la passe à M. Pierre Eckert... à la dernière minute !
M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, cette initiative soulève une question intéressante, celle du degré de contrôle qui doit être exercé sur la police dans ses actions, surtout celles qui exigent une certaine contrainte, contrainte qui peut aller de la clé de bras jusqu'à l'usage d'armes à feu.
Aux yeux du groupe des Vertes et des Verts, le recours à la puissance publique doit être encadré par des directives permettant d'éviter tout type d'arbitraire d'une part, de respecter la proportionnalité d'autre part. C'est absolument nécessaire pour que la police puisse assumer son rôle de soutien sécuritaire au fonctionnement de notre société démocratique.
L'initiative traite notamment de la poursuite pénale lorsqu'elle est dirigée contre le personnel de la police. En pareil cas, celui-ci bénéficierait d'une immunité qui ne pourrait être levée que par autorisation du Grand Conseil et de sa commission législative. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous ne voyons pas du tout sur quelle base cette décision pourrait être rendue. En posant le principe de l'aval préalable de la hiérarchie, notamment de la commandante de la police, le contrôle judiciaire indépendant est mis à mal. Cela viole largement les principes de contrôle que j'énonçais en début d'intervention. Les contradictions possibles entre les décisions de la commandante, du Grand Conseil et du Pouvoir judiciaire sont bien mises en évidence dans les points 3 et 4 du rapport du Conseil d'Etat.
Je relèverai encore que le nombre de procédures pénales contre le personnel de la police est en baisse constante, probablement - et ce sera une question à discuter au sein de la commission - grâce à une répression plus forte des dénonciations calomnieuses.
Finalement, pour reprendre la formule du Conseil d'Etat, «la police, qui dispose des prérogatives régaliennes les plus intrusives, doit être irréprochable dans l'exercice de son pouvoir d'autorité et requiert dès lors un contrôle totalement objectif de ce pouvoir». La crédibilité des forces de l'ordre réside aussi dans la parfaite qualité du contrôle de leur action. En ce sens, le groupe des Vertes et des Verts plaidera contre l'initiative en commission. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je me dois de faire remarquer aux personnes dans la salle que la pause est terminée. L'idée, maintenant, c'est d'écouter les députés qui interviennent ou de sortir pour discuter ! Monsieur Yves Nidegger, nous vous écouterons avec attention.
M. Yves Nidegger (UDC). Je vous remercie, Madame la présidente. Tout ce qui vient d'être indiqué par mon préopinant Vert est juste, à l'exception de la conclusion. (Rires.) Bien sûr que le monopole de la force et de la contrainte qui est donné à la police suppose qu'il soit encadré - nous autres, citoyens, sommes quasiment interdits de légitime défense; même lorsqu'on entre nuitamment chez nous, la seule chose que nous devions craindre, c'est de blesser le cambrioleur. Ce monopole de l'exercice de la violence laissé à un corps constitué sous le contrôle de l'Etat suppose évidemment qu'il n'en soit pas fait n'importe quoi.
Maintenant, on constate, et c'est la raison d'être de l'initiative, que par tracasseries, par excès de droits accordés à toute personne rencontrant la police de se plaindre de son comportement, on aboutit à une forme de paralysie et d'autocensure des forces de l'ordre, qui doivent toujours considérer combien d'heures elles vont passer en paperasserie administrative ou en suspension dès lors qu'elles font usage de ce droit qui leur est pourtant conféré, celui de l'exercice de la contrainte et de la violence que l'on retire complètement aux citoyens ordinaires et que l'on encadre, puisqu'il s'agit de fonctionnaires, mais de façon excessive. Le résultat est que, quoi qu'en dise le Conseil d'Etat, le sentiment d'insécurité à Genève est important, les citoyens se sentent mal protégés, le 117 sonne souvent dans le vide, et lorsque la police se déplace, elle doit en plus faire attention à toute sorte de risques totalement disproportionnés pour chaque action qu'elle prend l'initiative de mener.
Cette initiative prend acte de cet état de fait et vise non pas à ce que les policiers puissent faire tout et n'importe quoi, mais qu'avant qu'on paralyse leur activité par une suspension administrative, qui inclut une obligation de se défendre, on en passe par un filtre qui juge si véritablement on est dans le cas où le droit qui est invoqué de se plaindre du comportement de la police est utilisé correctement ou s'il ne s'agit pas, comme c'est souvent le cas, d'un abus.
Lorsque l'abus devient la règle, lorsque l'abus devient une façon de procéder... Le même phénomène se produit dans le droit de l'asile: en théorie, vous n'avez pas le droit d'entrer dans le pays, mais si vous criez: «Asile !», vous pouvez y rester au moins une année en épuisant les voies de recours aux frais du contribuable. Ici, la situation est à peu près identique: chaque fois que la police vient mettre de l'ordre, si vous vous plaignez d'un agent, vous obtenez toute une série de droits. Il convient donc que le Grand Conseil adopte une approche positive face à ce sujet et que celui-ci soit envoyé devant le peuple, lequel est assez grand pour dire lui-même ce qu'il pense de ce texte.
M. Diego Esteban (S). Petit rappel statistique: l'année 2022 représente, pour la police genevoise, 10 000 interventions, 2000 personnes qui les effectuent, 75 procédures pénales qui en résultent et, au bout du compte, une seule nomination refusée. Sur la base de ces chiffres, on peut affirmer sans trop prendre de risques que la police n'est pas assiégée par la justice à Genève. Seules 0,01% des procédures font effectivement obstacle à une carrière au sein des forces de l'ordre, mais c'est visiblement déjà trop pour les initiants.
Le groupe socialiste accueille cette initiative de manière défavorable, en particulier en raison du mécanisme qu'elle propose. Il faut peut-être rappeler comment les choses se passent aujourd'hui: en cas de procédure ou de dénonciation à l'encontre d'un membre du corps de la police, l'article 303 du code pénal sur la dénonciation calomnieuse de même que la présomption d'innocence s'appliquent à l'entier de l'instruction. Au final, il y a peu à craindre d'arriver à des condamnations dans la mesure où nous disposons également d'une formation de qualité pour la police. J'ai l'impression qu'on n'a pas trop à se plaindre dans ce domaine.
Là où l'initiative pose un grand problème, c'est sur le principe. Tel que nous le comprenons, toute plainte est considérée comme chicanière, sauf exception. Le mécanisme fait par ailleurs intervenir le Grand Conseil dans la levée d'immunité proposée pour les policiers, ajoutant une composante politique à une procédure - celle d'autorisation de poursuivre - qui ne peut absolument pas en comporter.
Je ne peux pas m'empêcher de penser à quelques affaires emblématiques qui ont eu lieu dans la région lémanique ces dernières années et d'imaginer le traitement de la levée d'immunité qui en aurait été fait si le Grand Conseil avait dû intervenir, par exemple dans le dossier ayant impliqué notre ancien collègue Simon Brandt. Aujourd'hui, le parlement a décidé d'examiner le fonctionnement de la police judiciaire de l'époque, mais au moment de son arrestation, nous n'avions pas tous les éléments de la procédure en main, nous ne connaissions pas tous les faits de l'instruction, et surtout, notre ancien collègue était en campagne électorale. Pensez-vous vraiment, à ce stade, que le Grand Conseil puisse être totalement dénué de considérations politiques dans son analyse ? Il est permis d'en douter. Le système actuel doit être maintenu, et c'est la raison pour laquelle le groupe socialiste s'opposera à cette initiative en commission. (Applaudissements.)
Mme Masha Alimi (LJS). Ma foi, Mesdames et Messieurs, cette initiative n'est pas très satisfaisante. J'ai l'impression qu'elle a été rédigée très vite, sans que certains critères soient pris en considération. C'est dommage, car l'intention est bonne, et notre devoir est bien entendu de protéger notre police. Peut-être était-il urgent de la déposer avant les élections ?
Ce que je vois d'abord, dans ce texte, c'est un alourdissement disproportionné des procédures au sein de l'Etat, ce qui conduira forcément à des demandes de budgets pour des collaborateurs supplémentaires. J'imagine la charge de travail si une autorisation de la commandante est requise chaque fois qu'un policier doit se présenter devant le Tribunal de police afin d'administrer des preuves dans le cadre d'une opposition ! Je pense que la commandante de la police a autre chose à faire. Les initiants devraient se renseigner quant au nombre d'oppositions reçues par le service des contraventions, par exemple, qui nécessitent souvent la présence du policier par-devant le Tribunal de police.
Deuxièmement, pourquoi le personnel administratif de la police ? Dans ces conditions, pourquoi pas le personnel de l'Etat pendant qu'on y est ? Là encore, je ne saisis pas l'intention. Par ailleurs, si une procédure pénale est intentée à l'encontre d'un policier ou même d'un citoyen et que la plainte s'avère abusive ou calomnieuse, la loi prévoit pour le plaignant la possibilité d'une condamnation avec une peine privative de liberté allant jusqu'à cinq ans.
Au demeurant, tout citoyen risque d'encourir une plainte pénale de la part d'un autre citoyen, que ce soit dans le cadre professionnel ou non; cela fait partie du quotidien d'un Etat de droit.
S'agissant des agents de police et afin de limiter les procédures à leur encontre, il existe un organe de médiation indépendant qui dispense un service en faveur des citoyens et des membres de la police cantonale et municipale: il offre une conciliation et un dialogue préalables afin de permettre une meilleure compréhension de l'activité des policiers et ainsi de restreindre les éventuelles plaintes pénales. Pour en savoir davantage, je vous renvoie au règlement sur l'organe de médiation de la police (RMédPol), entré en vigueur le 1er mai 2016. Un travail conséquent est donc accompli en amont.
En résumé, cette initiative entraînera un alourdissement des procédures et générera un travail considérable pour une portée bien minime. LJS ne votera pas en sa faveur. Merci.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je n'avais pas l'intention d'intervenir sur cette initiative, mais je me dois quand même d'apporter quelques rectifications par rapport à ce que je viens d'entendre. Aujourd'hui, la police souffre de tracasseries, de chicaneries, comme l'a souligné notre collègue Nidegger, il y a un manque de filtre de la part du Ministère public, ce qui n'était pas le cas lorsque certains juges d'instruction étaient encore en place, de vieux briscards de la justice qui arrivaient à faire la part des choses quand certaines procédures leur parvenaient, qui constituaient un amas d'allégations fantaisistes, voire mensongères.
A l'heure actuelle, tout est traité, ce qui génère une surcharge de travail non seulement pour le personnel policier, mais aussi pour la hiérarchie qui doit démêler le juste du faux. Malheureusement, tous les policiers sont maintenant confrontés à ces procédures souvent fantaisistes, comme je viens de le dire, qui visent à manipuler l'opinion publique afin d'essayer d'échapper à la justice: des plaintes un peu farfelues sont déposées contre des agents en espérant que cela diminuera la portée des faits reprochés aux délinquants ou à d'autres personnes prévenues d'infractions.
Or il faut savoir que ces procédures ont un impact grave sur le personnel policier, qui, dans ces conditions, fait souvent preuve de retenue. En effet, elles deviennent tellement courantes que les policiers hésitent à prendre des initiatives personnelles par peur de se retrouver ensuite avec des lettres de personnes relevant des maladresses ou autres de leur part.
Il y a encore un autre élément. Notre collègue a dit: «Peu de personnes n'ont pas obtenu leur grade.» Mais toute procédure qui passe devant la justice retarde des carrières, des grades; c'est malheureusement ce qui se passe, puisque la hiérarchie attend les conclusions d'une enquête pénale avant de décerner un grade à un policier si celui-ci est confronté à la justice. Ainsi, cette personne va devoir attendre une année, deux ans, voire plus. Cela n'est pas acceptable.
On assiste à un véritable malaise aujourd'hui. Je pense que cette initiative soulève un réel problème, et il faut qu'elle soit traitée en commission et qu'un contreprojet soit éventuellement élaboré pour mettre fin à ces tracasseries, à cette exagération de la part du procureur général. C'est lui qui dirige le Ministère public, c'est lui qui veut instruire l'ensemble des faits dirigés contre des policiers. Ça suffit maintenant, cette manière de faire ! Renvoyons cette initiative en commission, ce sera très bien, et s'il y a un contreprojet, ce sera encore mieux. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci bien.
L'initiative 194 et le rapport du Conseil d'Etat IN 194-A sont renvoyés à la commission judiciaire et de la police.