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IN 184
Initiative populaire cantonale 184 « Pour un congé parental maintenant ! »
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 23 et 24 juin 2022.
IN 184-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la prise en considération de l'initiative populaire cantonale 184 « Pour un congé parental maintenant! »
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 23 et 24 juin 2022.

Débat

Le président. Nous abordons pour commencer l'initiative 184 ainsi que le rapport du Conseil d'Etat qui l'accompagne, qui sont classés en catégorie II, trente minutes. Comme cela a été demandé au préalable par le chef du groupe Ensemble à Gauche, avant d'entamer le débat, nous allons procéder à la lecture du courrier 4041 de la Communauté genevoise d'action syndicale au sujet de ladite initiative. Monsieur Flury, je vous prie de bien vouloir nous en donner lecture.

Courrier 4041

Le président. Merci. Je donne maintenant la parole à M. Youniss Mussa.

M. Youniss Mussa (S). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, en septembre 2020, le peuple genevois a plébiscité à près de 80% l'instauration d'un congé paternité au niveau fédéral. Ce fut un petit pas dans la bonne direction - deux semaines pour les pères - permettant à la Suisse de combler une partie de son retard en matière de prise en considération des pères au moment de la naissance d'un enfant. Deux semaines accordées aux pères, ce fut très peu, mais ce fut un compromis très suisse trouvé pour obtenir une majorité au niveau fédéral. Néanmoins, ce peu de deux semaines ne répond manifestement pas aux attentes des Genevoises et des Genevois, car il comprend de nombreuses failles liées à l'évolution des aspirations de la population. L'initiative citoyenne qui nous occupe aujourd'hui reflète la demande d'un système prenant en compte une plus grande implication du deuxième parent au moment de la naissance ainsi que les différents modèles familiaux que connaît aujourd'hui notre société et les différents cas de figure qui permettent d'accueillir un enfant - je pense ici à l'adoption et aux parents d'accueil permanent.

Cette initiative représenterait un changement radical de la politique familiale dans notre canton. Le parti socialiste défend, et ce depuis longtemps, un système qui ne fait pas peser les charges d'une naissance uniquement sur les femmes. Mauvaise protection au retour du congé maternité, allocation maternité de seulement 80% du salaire, mise entre parenthèses de la carrière professionnelle, non-reconnaissance de la prise en charge d'un enfant; en bref, jusqu'à aujourd'hui, la politique familiale oublie un acteur important dans une naissance: le père.

Le parti socialiste défend une politique familiale plus égalitaire et plus juste. Nous avons déposé un projet de loi pour un congé maternité payé à 100% du salaire. Il est actuellement à l'étude en commission. La séance passée, la majorité de ce Grand Conseil a refusé mon texte demandant une période étendue de la protection contre le licenciement au retour du congé maternité. Tout cela pour dire que quand il s'agit de politique familiale protectrice et progressiste, nous sommes bien là. Malheureusement, nombre de partis ne répondent pas présent.

En 2022, les tâches familiales ont grandement évolué. Les pères veulent pouvoir prendre soin et s'occuper de leurs enfants au moment de la naissance. La naissance ne peut plus uniquement reposer sur les épaules des femmes. Le deuxième parent doit participer à l'accueil de l'enfant. Un autre point crucial de cette initiative est la question des couples homoparentaux. Le congé parental permettra par exemple à deux femmes ayant recours à la PMA de participer ensemble à l'arrivée de l'enfant, de même pour deux hommes qui souhaiteraient adopter.

Alors oui, le parti socialiste, vous l'aurez compris, soutient un congé parental de 24 semaines dans la forme proposée et salue le travail sérieux des initiants. C'est pour cela que nous voterons le renvoi à la commission des affaires sociales, afin d'étudier le texte en profondeur. Je vous remercie.

M. Didier Bonny (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, rappelons tout d'abord que la Suisse a été le dernier pays en Europe à mettre en place un congé paternité ou parental. Toute initiative visant à améliorer les conditions des congés maternité et paternité qui prévalent actuellement ne peut donc que trouver un écho favorable auprès des Vertes et des Verts, à condition toutefois que ladite initiative tienne la route et qu'elle soit ambitieuse.

Concernant tout d'abord la forme de l'IN 184, l'interprétation qui pourrait être faite de l'alinéa 3 de l'article 205 conduisant à une diminution du congé maternité de 16 à 14 semaines en cas d'accord entre les deux parents n'est pas acceptable pour les Vertes et les Verts. Les femmes ont droit à un congé maternité de 16 semaines à Genève, pas question de revenir en arrière !

Ensuite, de nombreuses insécurités juridiques ont été soulevées par le Conseil d'Etat, parmi lesquelles on peut relever, premièrement, le financement de ce congé parental qui ne pourra pas se faire au moyen des allocations pour perte de gain, le droit fédéral actuel ne l'autorisant pas. Deuxièmement, le risque qu'un congé parental cantonal empiète sur les compétences du législateur fédéral en matière de droit civil n'est pas écarté. Troisièmement, la possibilité que ce congé parental ne s'adresse pas à tout le monde selon que l'on est employé, indépendant ou au bénéfice d'un contrat de droit public ou privé, est réelle. Par conséquent, la commission des affaires sociales devra très vraisemblablement demander un avis de droit au début de ses travaux pour savoir comment cette initiative peut s'inscrire - ou non - dans le droit actuel aussi bien cantonal que fédéral.

Concernant à présent le fond, l'initiative 184 laisse la députation Verte sur sa faim, car elle n'est pas assez ambitieuse. Concilier au mieux vie professionnelle et privée, tendre à une meilleure répartition des tâches entre les parents et donner à l'enfant une opportunité plus large de profiter de ses deux parents demande du temps. Le PL 12595 déposé au mois d'octobre 2019 par l'ancienne députée Verte Delphine Klopfenstein Broggini va dans ce sens. Ce projet de loi propose en effet de doter Genève d'un congé paternité de 18 semaines ainsi que de faire passer le congé maternité de 16 à 18 semaines, soit 36 semaines en tout contre seulement 24 dans l'IN 184. Une durée de 36 semaines est bien plus en adéquation avec les objectifs cités plus haut de conciliation de vie professionnelle, de répartition des tâches et de bien-être de l'enfant. (Remarque.) Les Vertes et les Verts verraient donc d'un très bon oeil que ce projet de loi serve de contreprojet à l'initiative 184.

Certes, la question du financement du congé paternité soulève également des interrogations dans le PL 12595. Mais alors autant prendre cette question du financement à bras-le-corps avec un projet qui permettra de faire entrer Genève dans la cour de celles et ceux qui octroient un congé paternité ou parental digne de ce nom, à l'image de l'Allemagne et de son congé parental de 36 mois. Merci. (Commentaires.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, instaurer un véritable congé paternité est indispensable pour que les parents puissent accueillir leurs enfants dans de bonnes conditions et endosser pleinement et de manière égale leur rôle de parents. C'est aussi une opportunité pour sortir des stéréotypes et favoriser l'égalité de genre. C'est bien parce qu'ils étaient convaincus de cette nécessité que les partis de l'Alternative et les syndicats ont élaboré un projet de loi, le PL 12595, déposé en octobre 2019. Celui-ci propose un congé parental de 36 semaines, à savoir 18 semaines pour chaque parent. Cela reviendrait à augmenter de 2 semaines le congé maternité genevois et de 16 semaines le congé paternité fédéral voté en septembre 2020.

Ce projet de loi, étudié à la commission des affaires sociales, a été gelé à plusieurs reprises, notamment en raison du coût probable de sa mise en application, d'un risque de non-conformité au droit fédéral et dans l'attente de l'initiative des Vert'libéraux, à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Il en va de même pour un autre projet de loi demandant une couverture à 100% du congé maternité. Il est troublant de constater que le Conseil d'Etat, en dépit des réserves que lui-même partageait à l'époque à l'égard du projet de loi 12595, n'a pas hésité à déclarer son soutien à l'initiative 184. On aurait pu attendre d'un Conseil d'Etat à majorité alternative qu'il se montre plus circonspect en la matière. Il eût mieux valu qu'il défende la perspective d'un contreprojet plus favorable aux parents et à leurs enfants. Ce soutien est d'autant plus étonnant que cette initiative, qui entend modifier l'article 205 de la constitution genevoise, présente des défauts et des carences majeurs.

C'est le cas premièrement de cette disposition prévue à l'alinéa 3 de la nouvelle teneur de l'article 205, à savoir: «Sur demande commune des deux bénéficiaires de l'assurance, l'Etat garantit la possibilité pour l'un des bénéficiaires de reporter deux semaines de l'assurance en faveur de l'autre bénéficiaire.» Dans ce texte peu clair et dans l'exposé des motifs contradictoire avec le texte de l'initiative, on peut voir la possibilité pour le parent soumis au congé maternité de céder deux semaines de ce dernier à l'autre parent. Cela n'est pas concevable pour notre groupe: on ne peut prétendre améliorer la situation du congé paternité en réduisant la durée du congé maternité et en remettant en cause cet acquis, une appréciable particularité genevoise, une Genferei à laquelle nous sommes résolument attachés.

L'autre défaut de ce projet de loi est lié au caractère non contraignant de l'adhésion de l'employeur à ce dispositif, ce qui générerait une inégalité de traitement parmi les salariés. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) De plus, le fait que les indépendants ne soient pas compris dans celui-ci est absolument rédhibitoire. Nous ne pouvons souscrire à cette clause, pas plus qu'aux autres carences précitées. Si nous estimons qu'aujourd'hui...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Jocelyne Haller. ...huit semaines de congé paternité sont mieux que les deux semaines de congé fédéral, cela ne suffit pas encore pour répondre aux aspirations de la population. C'est pourquoi, vous l'aurez compris, nous ne soutiendrons pas cette initiative. Nous...

Le président. C'est terminé, Madame la députée.

Mme Jocelyne Haller. ...travaillerons à l'élaboration d'un contreprojet et nous demanderons que les deux projets de lois...

Le président. Merci, Madame la députée.

Mme Jocelyne Haller. ...connexes soient réactivés. Je vous remercie de votre attention.

Mme Delphine Bachmann (PDC). Le congé parental introduit une réponse à un vrai besoin d'accompagnement dans les périodes de transition de la vie, qui, je le rappelle, arrivent en moyenne 1,7 fois dans la vie d'une femme - peut-être aussi dans la vie d'un homme, mais c'est en tout cas 1,7 fois pour les femmes. C'est reconnaître aujourd'hui la place du conjoint, c'est permettre aussi aux parents de mieux préparer la reprise du travail, et c'est précisément parce que les femmes seront mieux soutenues qu'elles resteront en emploi et à un plus haut pourcentage. Trop nombreuses aujourd'hui sont les femmes qui baissent les bras, non pas par choix, mais parce qu'elles sont dégoûtées. C'est aussi reconnaître le droit pour tous les modèles parentaux à un soutien lors d'une naissance ou d'une adoption. Un congé parental, c'est un investissement dans la société, ce n'est pas une charge.

En revanche, si le Centre soutient le principe d'un congé parental, de nombreuses PME ont émis des questionnements sur des difficultés organisationnelles. Elles doivent être entendues et nous serons particulièrement attentifs aux modalités d'application qui devraient être discutées en commission. Par exemple, ce congé doit pouvoir être pris au minimum dans l'année qui suit la naissance, voire plus; il doit pouvoir être scindé sur plusieurs périodes - on peut imaginer des journées, des demi-journées. Notre enjeu ici est d'accompagner un changement souhaité par bon nombre de citoyens et de citoyennes, tout en garantissant aux entreprises qu'elles pourront rester compétitives; l'économie perd en effet des compétences et de la main-d'oeuvre chaque année parce que des femmes ne restent pas en emploi après la naissance.

J'ai pris connaissance du courrier de la CGAS. Je rappellerai ici que 8 semaines post-naissance de congé maternité sont déjà intouchables. Pour le reste, le congé n'est pas obligatoire. Une femme peut aujourd'hui décider de renoncer à son congé maternité pour retourner en emploi. Qui serions-nous pour nous immiscer dans la vie privée et imposer aux femmes... (Remarque.) ...de prendre obligatoirement 16 semaines ? Si des couples veulent s'organiser et qu'une mère veut donner deux semaines au père, mais qu'est-ce que ça peut vous faire ? Il s'agit d'une démarche d'organisation personnelle propre à chaque couple. D'ailleurs, je trouve que donner seulement deux semaines aux papas, c'est presque trop court: on devrait pouvoir leur en donner beaucoup plus !

Une voix. Bravo ! (Commentaires.)

Mme Delphine Bachmann. Nous nous réjouissons des débats en commission, mais nous rappelons que la liberté de chacun et de chaque couple dans la construction de l'accompagnement de la naissance d'un enfant doit également être respectée. Je vous remercie.

Mme Ana Roch (MCG). Le MCG soutient l'idée d'un congé parental pour une meilleure répartition des tâches de famille. Cette initiative est très intéressante, parce que, comme l'a souligné ma préopinante, la prise de ce congé n'est pas obligatoire et que celui-ci peut être réparti entre les conjoints. Maintenant, la question du financement est à étudier, parce que cela va de nouveau charger le coût du travail; nous devons être prudents et veiller à ce que ce ne soit pas une charge trop lourde pour les entreprises et que cela ne devienne pas contreproductif pour l'avenir des familles. C'est pour cela que nous accepterons le renvoi en commission. Merci.

Le président. Je vous remercie, Madame la députée.

L'initiative 184 et le rapport du Conseil d'Etat IN 184-A sont renvoyés à la commission des affaires sociales.