République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 24 février 2022 à 20h30
2e législature - 4e année - 8e session - 45e séance
IN 182 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous poursuivons le traitement des points fixes avec les objets liés IN 182 et IN 182-A, classés en catégorie II, trente minutes. A l'issue du débat, Mesdames et Messieurs, je vous demanderai de vous prononcer sur la commission à laquelle renvoyer ces deux textes. Pour commencer, la parole revient à M. David Martin.
M. David Martin (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, avec l'initiative «Climat urbain», Genève rejoint les villes et cantons où l'association actif-trafiC oeuvre pour restituer une partie de la voirie à la végétation, à la mobilité douce et aux transports publics. A Saint-Gall, cette démarche a donné une impulsion aux autorités, qui se sont engagées à transformer 200 000 mètres carrés de routes en faveur des piétons, des cyclistes, des transports en commun et de la plantation d'arbres.
Ce texte est appuyé par un large front citoyen composé de 25 organisations telles que, pour citer quelques exemples, l'Association des habitant-e-s de la Jonction, différents organismes environnementaux, les partis de gauche mais également les Vert'libéraux. S'il bénéficie d'un tel soutien, c'est qu'il y a une très forte demande au sein de la population pour un milieu urbain plus agréable à vivre. Une prise de conscience renforcée, pour celles et ceux qui vivent en ville, par l'expérience du confinement qui nous a permis de goûter au plaisir d'entendre des chants d'oiseaux à la rue de Chantepoulet à huit heures du matin, chose complètement inimaginable en temps normal.
Si nous sommes d'accord qu'une étude approfondie de cette initiative en commission est nécessaire, nous regrettons que le Conseil d'Etat ait exprimé autant de scepticisme quant à la faisabilité de sa mise en oeuvre; il a notamment évoqué des coûts disproportionnés, et pourtant, les trottoirs, les pelouses et les arbres, cela coûte bien moins cher au mètre carré que l'entretien des routes. Les Verts se réjouissent de débattre en commission, et si un contreprojet est élaboré, nous serons très attentifs à ce que l'ambition de l'initiative soit préservée. Je vous remercie.
Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. Mesdames et Messieurs les députés, limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré constitue probablement le plus grand défi auquel l'humanité ait jamais été confrontée. Voilà ce que déclare le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie. C'est ce qu'indiquent également des dizaines de milliers de scientifiques qui nous alertent depuis des années. La stabilité même de notre civilisation est compromise par la situation écologique planétaire et particulièrement par la catastrophe environnementale.
L'initiative «Climat urbain» fait partie des solutions locales à ce problème. En 2021, nous avons vu des inondations meurtrières en Allemagne, en Belgique, en Chine, des vagues de chaleur terribles et des incendies en Amérique du Nord et dans le sud de l'Europe. Ce n'est que le début, les choses continueront à empirer à mesure que nous accumulerons du CO2 dans l'atmosphère. Selon une étude, Genève sera la deuxième ville la plus réchauffée du monde avec des températures moyennes allant jusqu'à +2,5 degrés dans les années 2030 et +4,5 degrés en 2050. Si rien n'est entrepris, la vie dans notre canton en été risque de devenir tout simplement insupportable. Nous ne parlons pas ici de qualité de vie, mais bien de survie.
L'asphalte des zones urbaines concentre la chaleur qui est relâchée durant la nuit, créant un effet d'îlot de chaleur. La végétalisation est la solution... (L'oratrice insiste sur le mot «la».) ...là contre, car les arbres ont un pouvoir de rafraîchissement 3,5 fois plus élevé que d'autres méthodes comme repeindre les surfaces en blanc. Le meilleur moment pour en planter, c'était il y a vingt ans; le deuxième meilleur moment, c'est maintenant. Les arbres prennent du temps à libérer leur plein potentiel... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...il ne faut plus attendre pour en planter. Partout où on ne peut pas planter de grands arbres, il est important de désimperméabiliser les sols et d'y semer de l'herbe, des buissons ou des prairies fleuries.
Le président. Merci.
Mme Françoise Nyffeler. Cette démarche permettra de faire face aux pluies abondantes.
Le président. Il faut conclure.
Mme Françoise Nyffeler. Je conclus, oui: l'initiative «Climat urbain», ne l'oublions pas, est aussi une mesure...
Le président. Merci...
Mme Françoise Nyffeler. ...de justice sociale.
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Françoise Nyffeler. Plus de 25 organisations la soutiennent...
Le président. Je donne maintenant la parole...
Mme Françoise Nyffeler. ...et l'engouement de la population est très important.
Le président. ...à Mme Delphine Bachmann. (Exclamations. Commentaires.)
Mme Françoise Nyffeler. Les initiants et initiantes se battront avec détermination... (Le micro de l'oratrice est coupé. L'oratrice poursuit son intervention.)
Le président. Madame Delphine Bachmann, vous avez la parole.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Merci, Monsieur le président. Pour ma part, je ne vais pas donner un cours de biochimie sur le climat, le fonctionnement des arbres, comment ils poussent et où il faut en planter. En revanche, je tiens à relever que le sujet évoqué dans cette initiative correspond à une large sensibilité de la population de notre canton.
Le PDC soutiendra l'élaboration d'un potentiel contreprojet pour la simple et bonne raison que l'objectif de transformer 1% de la surface totale des communes de plus de 10 000 habitants n'est pas applicable de manière stricte. D'ailleurs, j'imagine que la Ville de Genève, qui possède un Conseil administratif de gauche depuis la nuit des temps, aurait déjà agi dans ce sens depuis longtemps si cela avait été le cas.
Voilà, donc nous prenons en compte les préoccupations des gens et serions heureux de travailler à un contreprojet plus facilement réalisable, qui permette de gagner en qualité de vie sans rendre la vie des citoyennes de ce canton ingérable. Je vous remercie.
Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, cette initiative d'une part enfonce une porte ouverte, puisque le projet de désimperméabilisation des sols est déjà en cours, nous avons eu des présentations dans ce domaine, le bas des arbres au-dessus des racines ne sera plus goudronné, bétonné, pavé.
D'autre part, ce qui est particulièrement gênant dans la demande de ce texte, c'est que le 1% de surface totale soit prélevé non pas sur les voies publiques disponibles, mais exclusivement sur les parties de la voirie dédiées au trafic individuel motorisé. «Individuel», mais quel horrible mot ! Vous comprenez, il faut tuer tout ce qui est individuel si on veut parvenir à un Etat communiste. Voilà, j'ai terminé, merci.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Une voix. Très bien envoyé !
M. Thomas Wenger (S). Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette initiative, cela a été indiqué, vise à prélever 1% - seulement 1% ! - de surface totale sur la voie publique dans les communes de plus de 10 000 habitants, c'est-à-dire urbanisées. On parle de la voirie dédiée aux voitures et au transport individuel motorisé, que ce soit les routes ou les places de parking. Et cela pourquoi ? Bien entendu pas juste pour embêter les automobilistes...
Une voix. Si, c'est pour ça !
M. Thomas Wenger. ...mais pour végétaliser l'espace, Monsieur Sormanni, pour planter des arbres, pour disposer de trottoirs larges, de pistes cyclables, d'emplacements pour la mobilité douce et de zones piétonnes. Monsieur Sormanni, je vois que vous avez appuyé sur le bouton de votre micro, vous répondrez à cette question: voulez-vous une ville d'abord pour les véhicules ou pour les humains ? Voulez-vous des places de stationnement ou des parcs, des pataugeoires, des endroits où les enfants peuvent jouer, où les personnes âgées peuvent traverser la rue tranquillement, marcher sur de larges trottoirs ? Je vais prendre quelques exemples... (Brouhaha.)
Le président. Un instant, s'il vous plaît ! Mesdames et Messieurs, je me fais un plaisir de vous donner la parole si vous la sollicitez, mais en attendant, respectez celle des autres et les autres respecteront la vôtre. (Rires.)
M. Thomas Wenger. Merci, Monsieur le président, je poursuis. Pensez à certaines artères comme la rue Dancet à Plainpalais ou celle du Beulet à Saint-Jean, Mesdames et Messieurs: vous avez des enfilades de parkings et une route au milieu pour les voitures. Les enfants, les personnes âgées, les familles, les promeneurs ne bénéficient pas de telles voies publiques. A la rue de Montchoisy, c'est assez intéressant, un conseiller municipal a voulu créer un corridor vert. Et cet édile, il n'est pas Vert; il n'est pas socialiste; il n'est pas d'Ensemble à Gauche; il est PLR ! Il s'appelle Pierre de Boccard, il fait partie du PLR et il soutient qu'il faut aménager un corridor vert à la rue de Montchoisy.
A un moment donné, nous devons nous interroger: est-ce qu'on souhaite une ville agréable, des rues conviviales, est-ce qu'on souhaite voir nos enfants jouer dehors, est-ce qu'on souhaite des pataugeoires, des fontaines, des cafés, des terrasses... (Brouhaha.) J'ai de la peine à m'entendre parler, Monsieur le président ! ...est-ce qu'on souhaite une cité accueillante avec une bonne qualité de vie, moins de nuisances, de pollution de l'air, de bruit ou est-ce qu'on souhaite une ville pour les véhicules en priorité ? Eh bien nous, au parti socialiste, Monsieur Sormanni et le MCG, nous avons fait notre choix: nous voulons une ville pour les humains en premier, et c'est la raison pour laquelle nous soutiendrons cette initiative. Merci.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole va à M. Daniel Sormanni pour deux minutes et quatre secondes.
M. Daniel Sormanni (MCG). Oui, merci, Monsieur le président. Vous transmettrez à M. le député Wenger, futur président du parti socialiste, qu'il ne s'occupe plus de ses troupes depuis au moins vingt ans ! Il croit toujours qu'il défend les ouvriers, mais non, il défend les bobos ! (Rires.)
Ecoutez, Mesdames et Messieurs, il ne faut pas rêver. Oui, un certain nombre de mesures doivent être prises, mais cette initiative est irréaliste, excessive. Certes, il faut une ville pour les humains, mais les humains utilisent des véhicules, notamment des véhicules individuels, pas seulement des vélos ou des trottinettes comme vous ! Il y a un vrai besoin de répartition. D'ailleurs, la constitution prévoit une complémentarité des modes de transport ainsi que le libre choix en matière de mobilité.
Or, une fois de plus - c'est comme lors du débat de tout à l'heure -, vous voulez interdire, brimer, taxer, empêcher, voilà ce que vous faites avec les citoyens. Ce n'est pas de cette manière que vous allez régler la situation. Quand on emprunte une rue, on ne sait même plus laquelle c'est - la plaque rose, la plaque bleue ? -, on ne sait même plus où on est. Je pense que vous faites fausse route, et il faut refuser cette initiative totalement inopportune.
Le président. Merci, Monsieur. Je repasse la parole à Mme Magnin pour cinquante et une secondes.
Mme Danièle Magnin (MCG). Ah, alors je vais aller très vite ! La rue Dancet, puisqu'elle a été évoquée, est déjà très arborée. Il suffirait de changer le sol, d'installer des plots permettant d'accueillir les voitures et de laisser l'eau passer pour que toute la végétation soit améliorée. Il est donc inutile de supprimer les places de parc, surtout au vu de la fermeture de la rue de Carouge demandée par ce bizarre Conseil administratif que nous avons. Merci.
Le président. Merci bien. Monsieur Patrick Saudan, c'est à vous pour une minute trente.
M. Patrick Saudan (HP). Merci, Monsieur le président, c'est bien aimable à vous de me laisser autant de temps ! Vous transmettrez à Mme Magnin que les transports individuels non motorisés, ça existe: à vélo, on est tout seul sur son engin, c'est très bien ! Nous ne sommes pas contre la mobilité individuelle.
Trêve de plaisanterie, je pense que chacun dans ce parlement est conscient de la problématique du changement climatique. Mais on souffre tous un peu de dissonance cognitive, si je peux me permettre, c'est-à-dire qu'on écarte les faits, on balaie la réalité et on préfère s'en tenir à son discours de tous les jours. Si je vous dis que vous allez mourir d'une maladie demain, ce sera l'affolement; si je vous dis que vous allez y succomber dans vingt ans, vous dormirez très bien ce soir.
Malheureusement, face au réchauffement climatique, c'est maintenant qu'il faut agir. Alors on peut rigoler, mais en ce qui me concerne, je n'ai pas envie que mes enfants et mes petits-enfants pleurent parce qu'on leur a laissé une planète en mauvais état. Je soutiendrai cette initiative. Merci.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole retourne à M. Daniel Sormanni pour vingt-six secondes.
M. Daniel Sormanni (MCG). Ce sera très rapide, Monsieur le président. Avant de planter des arbres, Mesdames et Messieurs les députés, il faudrait arrêter d'en couper ! Or qui a coupé les arbres en ville ? Qui les a coupés ? C'est M. Pagani, qui a retiré les trois cents arbres qu'il y avait sur la plaine de Plainpalais ! (Huées. Applaudissements.) Alors avant...
Le président. Merci...
M. Daniel Sormanni. ...d'en planter de nouveaux, il faudrait d'abord arrêter de couper les anciens ! Et ça ne sert à rien...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Daniel Sormanni. ...de supprimer des places de parking pour y mettre des arbres, ce n'est pas possible, parce qu'on n'est pas en pleine terre, et vous le savez très bien...
Le président. Merci...
M. Daniel Sormanni. Votre objectif...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Daniel Sormanni. ...c'est d'empêcher les voitures de circuler en ville ! (Le micro de l'orateur est coupé.)
Le président. Je cède maintenant la parole... (Remarque.) J'ai coupé votre micro, Monsieur Sormanni. Je cède maintenant la parole au président du Conseil d'Etat Serge Dal Busco.
M. Serge Dal Busco, président du Conseil d'Etat. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a estimé, en l'examinant comme il doit le faire, que cette initiative est valide, mais arrive à la conclusion qu'elle est très difficilement réalisable, pour ne pas dire impossible à mettre en oeuvre - vous percevez la nuance. Même si les objectifs sont partagés - vous le savez, nous avons déjà eu un débat tout à l'heure sur le même thème, le Conseil d'Etat s'est largement exprimé sur les préoccupations climatiques qui sont les siennes et le plan climat renforcé qu'il a présenté l'année dernière -, force est de constater que ce texte n'est pas applicable. Nous ne pouvons tout simplement pas le concrétiser.
Certains ont avancé la comparaison avec Saint-Gall, alors je ne connais pas la situation spécifique de cette ville, en particulier l'occupation de son sous-sol, mais s'agissant des zones urbaines à Genève, en regard de l'occupation du sous-sol dans notre canton, cette démarche est impossible à réaliser. C'est juste impossible ! Par un souci de réalisme et de pragmatisme qui caractérise le Conseil d'Etat - vous le connaissez, il est légendaire -, nous ne pouvons pas vous recommander d'accepter un texte qui n'est pas exécutable.
Partant de l'idée que ses buts sont tout de même louables, le Conseil d'Etat considère que si votre parlement le veut bien, il pourrait se pencher sur l'élaboration d'un contreprojet permettant de viser des ambitions analogues, mais atteignables. C'est la raison pour laquelle, Mesdames les députées, Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous propose de rejeter cette initiative et d'examiner l'opportunité d'un contreprojet. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Monsieur Thomas Wenger, je vous rappelle que l'on ne prend pas la parole après le gouvernement, mais il est vrai que vous avez été mis en cause... (Exclamations.) ...donc je vous laisse trente secondes, allez-y.
Une voix. Oh, il va pleurer !
M. Thomas Wenger (S). Merci, Monsieur le président. Je n'abuserai pas de votre bonté, j'ai juste oublié de préciser que nous souhaitons renvoyer cet objet à la commission des transports, s'il vous plaît.
Le président. Cela ne correspond pas vraiment à la mise en cause, mais il en est pris note. Mesdames et Messieurs, je mets aux voix la proposition de renvoi à la commission d'aménagement du canton; si celle-ci est refusée... (Commentaires.) Attendez que j'aie terminé ma phrase ! Si celle-ci est refusée, les deux objets iront à la commission des transports.
Mis aux voix, le renvoi de l'initiative 182 et du rapport du Conseil d'Etat IN 182-A à la commission d'aménagement du canton est adopté par 49 oui contre 34 non et 1 abstention. (Commentaires pendant la procédure de vote.)