République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 28 janvier 2022 à 14h
2e législature - 4e année - 7e session - 41e séance
RD 1440
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs, j'ouvre notre séance des extraits. Le premier point figurant à l'ordre du jour est le RD 1440. Je cède la parole au rapporteur, M. Jean Romain.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, c'est la démission du directeur de Champ-Dollon, M. Martin von Muralt, qui a conduit la commission des visiteurs officiels à se saisir de ce dossier. M. von Muralt nous avait présenté le projet Ambition, lequel nous avait paru intéressant dans un premier temps. Le départ du directeur a été le point d'orgue des problèmes rencontrés lors de la mise en place de ce processus de réforme à Champ-Dollon, prison vétuste, surpeuplée et mixte, puisqu'elle abrite à la fois la détention préventive et l'exécution de peine.
Le rapport divers que vous avez sous les yeux, Mesdames et Messieurs, constate un échec cuisant. Il est équilibré en ce sens qu'il donne la parole de manière équitable aux deux parties en opposition: d'une part la direction générale de l'office cantonal de la détention et d'autre part le conseil de direction de la prison, la première voulant imposer de force cette réforme, le second se montrant surpris par le rythme de l'opération et par la manière dont il a été traité. Très vite, la confiance s'est rompue entre les deux camps, puis l'animosité s'est installée, ce qui a abouti à la démission de M. von Muralt.
La CVO s'est intéressée aux conséquences de cette mésentente sur les conditions d'incarcération des personnes; elle a établi des constats et formulé des recommandations que vous trouvez, chers collègues, à la fin du RD. Nous déplorons trois aspects. Premièrement, il est illogique de la part de l'OCD d'avoir confié à M. von Muralt deux missions incompatibles: d'un côté la direction de Champ-Dollon, de l'autre la mise en place de la réforme. La fonction de directeur et celle de chef de projet ne peuvent cohabiter dans un seul et même individu, les deux tâches visant des objectifs très différents et parfois opposés.
Deuxièmement, nous avons relevé l'impossibilité d'un dialogue constructif entre la direction de la prison et l'OCD. De part et d'autre, les griefs sont vifs. Est-ce une question de personnes, est-ce une question de structure ? Peut-être les deux. Troisièmement, depuis des mois, la CVO constate le mal-être des acteurs de Champ-Dollon. Or cet état de fait se répercute sur les détenus, voire sur la sécurité de l'établissement, sécurité qui est essentielle. Pour les détentions de moins de trois mois, il est absurde de parler de réinsertion, il faut parler de sécurité.
Conclusion: la commission est inquiète et demeure attentive à l'évolution de la situation, décidée fin décembre 2021 par notre magistrat. A l'unanimité, la CVO a accepté le rapport divers 1440 ainsi que ses recommandations; elle demande au Grand Conseil d'en faire autant et donc de renvoyer celles-ci au Conseil d'Etat.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés, la commission des visiteurs officiels, ayant pris connaissance de graves dysfonctionnements au sein de la prison de Champ-Dollon, notamment du départ de son directeur, M. von Muralt, a décidé de se pencher sur le sujet. Ainsi, elle a pleinement joué son rôle de surveillance et de contrôle, car il ne faisait aucun doute pour les membres de la commission qu'une telle crise ne pouvait que porter atteinte aux conditions de détention des personnes en préventive ou en exécution de peine.
De quoi est-il question ? D'une réforme nécessaire qui avait pour titre Ambition et qui visait une meilleure réinsertion des détenus; une réforme qui, sur le fond, avait tout son sens et ne pouvait qu'être soutenue par la CVO. Le problème ne se posait pas sur le fond, vous l'avez compris, mais bien sur la forme.
Dès le début, lors de l'audition de M. von Muralt, j'avais relevé que la réforme impliquait très fortement les cadres, fonctionnait par silos et se fondait sur un modèle hiérarchisé proche de celui de l'armée. Le rôle du personnel n'y apparaissait pas de manière évidente et les chefs d'unité devaient tous être galonnés selon un système fortement pyramidal: on y trouvait des grades élevés aux larges patelettes dorées dans la partie supérieure qui se rétrécissaient pour se transformer en simples spaghettis au fur et à mesure que l'on rejoignait la base de ladite pyramide.
Nul doute que l'opération Ambition allait mettre une énorme pression sur les cadres abandonnés par un directeur enfermé dans son bureau et peu à l'écoute de ses agents, et cela n'a pas manqué, puisque ce sont les cadres qui se sont révoltés et ont mis les autorités au pied du mur alors que le personnel, lui, se sentait un peu moins impliqué. Preuve en est l'audition de l'UPCP qui a montré une dichotomie évidente entre l'opinion des agents de détention et les cadres.
Alors oui, les choses sont allées très loin, le directeur est parti, la révolte a grondé; faute de consignes et de moyens adaptés, des attitudes hostiles se sont manifestées, des lettres incendiaires ont été écrites et les relations entre Champ-Dollon, l'office cantonal de la détention et le Conseil d'Etat se sont profondément péjorées, c'est le moins que l'on puisse dire. Le groupe Ensemble à Gauche demande que le problème soit entièrement reposé, car nous disons oui à une réforme portant sur la réinsertion et impliquant l'ensemble du personnel, et oui à un projet qui accorde tous les moyens nécessaires dévolus à cet objectif.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je remercie M. Jean Romain pour son rapport, que le parti démocrate-chrétien votera. Juste une toute petite intervention: le problème au sein de la prison de Champ-Dollon est-il vraiment lié au seul projet Ambition, celui-ci n'est-il pas simplement la goutte d'eau qui a mis en évidence d'autres dysfonctionnements ? A mon avis, les écueils sont davantage d'ordre structurel et beaucoup plus graves, ils ne sont pas uniquement en lien avec la réforme. On constate depuis plusieurs mois, voire quelques années, que la situation est compliquée dans tous les établissements pénitentiaires de Genève, pas seulement à Champ-Dollon, qu'il y a des difficultés relationnelles entre l'office cantonal de la détention et la base. C'est précisément ce point-là qui doit être solutionné pour que la situation puisse s'améliorer. Je vous remercie.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je remercie la commission des visiteurs officiels d'avoir formulé des recommandations qui rejoignent très largement, sinon totalement, les voeux du département lui-même, qui rejoignent également les dispositifs mis en oeuvre avant même que ces recommandations soient exprimées. Il faut savoir que la commission des visiteurs intervient pour constater des symptômes, elle n'a pas eu matériellement le temps d'effectuer une analyse historique quant aux causes du problème.
Ces symptômes, nous les déplorerons tous. Il s'agit maintenant de renouer le dialogue, de prendre en charge différemment - et si possible mieux - les gens incarcérés à la prison de Champ-Dollon, laquelle a la particularité de réunir des détenus avant jugement et des personnes en exécution de peine, ce qui implique des relations à l'obligation de travailler différentes que l'on soit avant ou après jugement.
Nous partageons les préoccupations, nous sommes prêts à suivre les recommandations. Permettez-moi d'ailleurs très brièvement de les passer en revue. La première émet le voeu d'une reprise du dialogue; je crois que c'est en cours, du moins je l'espère, car tout a été mis en place dans ce sens. Comme vous le savez, un nouveau directeur a été nommé, qui est entré en fonction le 3 janvier. Je me suis moi-même rendu à Champ-Dollon avant Noël, puis j'ai accompagné le nouveau directeur le 3 janvier pour discuter avec les cadres et m'assurer que chacun mette la bonne volonté nécessaire, ce qui n'a pas toujours été le cas ces derniers mois, il faut le dire. Il conviendra d'abord d'identifier les problèmes par ordre de priorité, puis de les résoudre dans l'intérêt non seulement des détenus, mais aussi des employés qui vivent une situation difficile.
Je rappelle que cette situation difficile, et chacun doit jeter des pierres dans son jardin, est également la conséquence d'une décision qui donne malheureusement peu de lumière de sortie du tunnel à brève échéance, puisque votre Grand Conseil a refusé le projet des Dardelles - à chacun de se souvenir quelle a été la couleur du bouton sur lequel il a pressé à ce moment. Il était important pour l'ensemble du personnel carcéral, et pas seulement de Champ-Dollon, de savoir qu'on allait enfin disposer d'un lieu permettant d'offrir aux personnes condamnées des conditions pour préparer leur retour à la liberté lorsque cela est possible, lorsque la peine est suffisante. Il s'agissait de faire en sorte que la sociothérapie, qui a été largement placée sur le devant de la scène - à la lumière de faits dramatiques, on s'en souvient -, ne soit pas mise au rebut, parce que l'accompagnement est essentiel et ne doit pas être réservé à certains cas particuliers, mais bénéficier à l'ensemble des détenus qui recouvrent la liberté.
En ce qui concerne la recommandation numéro deux, elle rejoint la première, puisqu'elle parle d'«écoute mutuelle» et notamment d'attention aux problématiques du terrain; il n'y a pas, pour reprendre la recommandation numéro un, de dialogue s'il n'y a pas d'écoute, les deux vont naturellement de pair.
Ensuite, on nous demande de veiller à ce que les conditions d'incarcération soient améliorées. Or le but principal - ou l'un des buts principaux - d'Ambition était précisément de faire en sorte que les ateliers se développent, qu'ils ne soient jamais fermés, qu'ils restent constamment en fonctionnement, car on sait que l'exercice d'une activité professionnelle fait baisser les tensions dans un lieu carcéral.
Enfin, la dernière recommandation vise la mise en place d'un secteur d'exécution des peines. C'est réalisable, c'était également l'un des objectifs d'Ambition afin d'éviter ce mélange entre personnes présumées innocentes et personnes condamnées, pour des raisons évidentes que même le profane peut comprendre, mais aussi pour des raisons de gestion, parce qu'un individu en exécution de peine bénéficie en principe de davantage de libertés qu'un autre en attente de jugement.
Voilà ce que je tenais à souligner, Mesdames et Messieurs les députés. Evitons de tirer des conclusions hâtives comme j'en ai entendu certaines - mais pas de la part de M. le rapporteur -, selon lesquelles il y aurait un problème général dans le domaine de la détention à Genève. Bien sûr qu'il s'agit d'un milieu difficile, bien sûr qu'il faut être constamment attentif et procéder à des ajustements, mais il faut également, et j'attends de l'exécutif le soutien nécessaire, que l'autorité de l'Etat soit représentée dans ces lieux. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je lance le scrutin.
Mis aux voix, le rapport divers 1440 est approuvé et ses recommandations sont transmises au Conseil d'Etat par 69 oui (unanimité des votants).