République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 novembre 2021 à 17h
2e législature - 4e année - 5e session - 28e séance
PL 12607-A
Premier débat
Le président. Nous passons maintenant au PL 12607-A, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole au rapporteur de majorité, M. Alberto Velasco.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi, vous l'aurez constaté, est d'une rédaction extrêmement laconique alors qu'on traite de publications fondamentales relatives aux transactions immobilières dans ce canton. Quand il y a par exemple des augmentations de loyer, ou des diminutions, les locataires doivent effectivement pouvoir obtenir des informations sur les acquisitions de cet objet durant les trente dernières années. Il est évident que la manière dont on veut procéder ici ne fera qu'entraver - entraver ! - cette possibilité pour les locataires de se défendre.
Je dois aussi dire, pour celles et ceux qui vont au Tribunal des baux et loyers, que quand on demande à certains bailleurs des informations sur l'acquisition de l'immeuble, eh bien la plupart des fois, disons, ils refusent. C'est dire s'il est donc important d'avoir de la transparence en matière de transactions immobilières, Mesdames et Messieurs ! Mais le seul parti qui ne l'a pas voté, enfin qui n'a pas voté le refus d'entrée en matière sur ce projet de loi, c'est le PLR, parce que tout ce qui est opacité en matière de transactions immobilières est évidemment dans l'intérêt du PLR; on a bien vu le vote précédent. Je trouve scandaleux qu'un texte qui n'amène absolument rien - même du point de vue financier, on aurait soi-disant peut-être une réduction des coûts... La seule chose qu'il amène, c'est que quand les citoyens lambda voudront obtenir une information sur une transaction financière, il sera extrêmement difficile de l'avoir.
Ensuite, il faudrait revenir sur l'anonymisation des transactions financières ! Mais quel déshonneur y a-t-il à s'acheter une maison ou un immeuble ?! Est-ce que c'est un crime ? C'est un délit ? Au nom de quoi est-ce qu'on ne peut pas avoir une transparence totale à propos de ceux et celles qui achètent un immeuble ou une propriété et du prix de la transaction ? Eh bien on nous propose ici d'anonymiser tout cela, comme ça tout se passe entre potes ! Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de suivre le vote de la commission, qui s'est prononcée contre l'entrée en matière, mis à part le groupe PLR qui, je l'ai dit, a tout intérêt à ce que l'opacité demeure - ou se fasse. Merci. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'article 970a, alinéa 1, du code civil suisse stipule: «Les cantons peuvent prévoir que les acquisitions de propriété immobilière sont publiées.» Ils peuvent prévoir ! Chaque canton décide donc librement s'il entend faire usage de cette faculté ou non, au vu de la situation du marché immobilier sur son territoire. Et le coût d'une telle publication est justifié par la transparence supplémentaire qu'apporte, ou qu'est censée apporter, cette mesure.
Les modalités de publication sont réglées par les cantons, et cela parce que les transferts immobiliers sont généralement publiés dans la «Feuille d'avis officielle», qui est cantonale. Mais l'article 34 de l'ordonnance sur le registre foncier dit, lui, clairement que «les cantons peuvent rendre publiques sous forme électronique les données destinées à la publication conformément à l'art. 970a [...]» du code civil que j'ai cité tout à l'heure. Ce texte est donc parfaitement dans les limites du droit fédéral. Il est aussi dans la tendance qui veut alléger la consommation de papier; on ne voit donc pas pourquoi une telle majorité a pu se constituer en commission contre cet objet ni pourquoi une telle hostilité s'est manifestée contre un projet de loi qui est simplement frappé au coin du bon sens. On sait que le canton de Genève a déjà pleinement exploité le potentiel de transparence en matière de transactions immobilières tel que le droit fédéral le prévoit; ce que nous cherchons donc à éviter, c'est un doublon. Il n'y a pas besoin de publier la même information en deux endroits alors qu'elle sera de toute façon accessible à tout un chacun par les mêmes biais de communication, qui sont électroniques.
Et quand bien même le parlement persisterait dans l'avis majoritaire qui s'est dégagé en commission, je me permets de constater qu'on pourrait contourner cette volonté en insérant simplement sur le site de la FAO ce qu'on appelle, dans le langage technique, un widget et en permettant au registre foncier de faire un lien avec ce widget. Il n'y aurait donc rien besoin de changer. Il s'agit vraiment là d'une proposition on ne peut plus pragmatique et constructive du gouvernement et la majorité l'a accueillie avec beaucoup de suspicion, malheureusement teintée d'un immense dogmatisme. On l'a encore entendu dans les propos du rapporteur de majorité, qui tout d'un coup attaque directement et frontalement le PLR alors que le texte vient du Conseil d'Etat. Je vous invite donc à suivre l'avis de la minorité, Mesdames et Messieurs les députés, et à voter l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je cède maintenant la parole à M. le député Pierre Eckert... (Un instant s'écoule.) Non, à M. Pierre Bayenet, excusez-moi. Il y a beaucoup de Pierre dans ce parlement ! Monsieur Bayenet, c'est à vous.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. Je commence par préciser que ma démission prendra effet lors de la prochaine session, j'aurai donc encore le plaisir de prendre la parole devant notre Conseil aujourd'hui et demain.
Ce projet de loi est en réalité - on ne peut pas le dire autrement - une attaque contre les droits des locataires. Il n'y a pas de doublon entre la FAO et les publications du registre foncier parce que la FAO n'est malheureusement accessible que pendant deux ans. C'est une exigence légale qui est prévue dans la loi sur la «Feuille d'avis officielle»: l'article 6, alinéa 1, prévoit que la FAO disparaît des écrans après deux ans. Si une transaction a eu lieu il y a plus de deux ans, il n'est donc plus possible d'y accéder en ligne sur le site de la FAO. Sur le site du registre foncier, on peut en revanche remonter jusqu'en 1994, soit des dizaines d'années en arrière, au moyen d'une recherche informatisée facile et rapide.
Les locataires, lorsqu'ils reçoivent l'avis de fixation de leur loyer initial, doivent prendre très rapidement la décision de contester ou non le loyer. Pour cela, la plupart d'entre eux vont à l'ASLOCA où, pour la modique somme de 70 francs, ils peuvent consulter un avocat qui va leur donner la réponse. Il faut savoir que si l'avocat devait se déplacer physiquement au registre foncier et faire une demande d'extrait pour connaître le prix d'acquisition de l'immeuble, d'abord ça lui prendrait une heure, deuxièmement il devrait payer 50 francs rien que pour obtenir cet extrait. Le locataire lambda en aurait donc peut-être pour 200 francs à la place d'avoir la réponse pour 70 francs; ça lui coûterait 200 francs et au lieu d'obtenir la réponse immédiatement, lors d'une consultation, eh bien il devrait attendre trois jours avant de la recevoir.
En réalité, l'objectif - ce n'est peut-être pas l'objectif, je ne veux pas faire un procès d'intention au Conseil d'Etat - ou du moins le résultat de l'entrée en vigueur de cette loi, si elle était adoptée, ce serait donc que les locataires auraient beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de difficultés à défendre leurs droits. Ils devraient avancer de l'argent, ils devraient attendre, alors qu'il y a déjà très peu de locataires qui aujourd'hui font cette démarche - vous savez évidemment qu'il n'y a pas, à Genève, de contrôle officiel sur la plupart des loyers: on se repose entièrement sur la bonne volonté, sur l'énergie, parfois sur l'acte militant des locataires qui ont le courage de se battre contre des loyers trop élevés. Il faut donc les encourager et non les décourager, et c'est pourquoi il faut rejeter ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Dilara Bayrak (Ve). La majorité des propos que je voulais tenir l'ont été par mes collègues Alberto Velasco et Pierre Bayenet; je ne vais pas épiloguer. Nous avons pu examiner - en tout cas regarder - ce projet de loi sous l'angle de la protection des données, en mettant en balance cet aspect avec l'intérêt en matière de transparence. Il est clair que ce texte amène plus de problèmes qu'il n'en résout: les Vertes et les Verts vous invitent à suivre l'avis de la majorité de la commission et à ne pas le voter.
J'aimerais soulever aussi le grand pragmatisme de l'exemple donné par Pierre Bayenet qui a dit concrètement ce que ça allait coûter et quels seraient les effets de ce projet de loi. Je remercie donc le PLR de ne plus se cacher derrière l'argument du pragmatisme et du dogmatisme. Merci. (Remarque.)
Le président. Merci, Madame la députée. (Remarque.) Je cède maintenant la parole à M. le député Marc Falquet... (Remarque.) S'il vous plaît ! (Remarque.) Vous avez encore la possibilité de demander la parole. Monsieur le député Marc Falquet, c'est à vous.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi du Conseil d'Etat n'a pas trouvé grâce aux yeux de la commission judiciaire. On peut se dire que c'est dommage si on pense, comme on l'a signalé, que le gouvernement a la volonté de rationaliser, de faire des économies et d'éviter le gaspillage de l'argent public et les doublons. Le problème, c'est que les utilisateurs ont dit que le site du registre foncier permet de remonter dans le temps et d'avoir plus de détails que celui de la FAO. Ce qui nous a particulièrement gênés par ailleurs, c'est que si le site du registre foncier est supprimé, il ne sera pas vraiment supprimé, mais privatisé ! C'est-à-dire qu'il va être privatisé et devenir payant, ce qui nous gêne un peu. On se demande donc... Ça nous a paru un petit peu bizarre et c'est notamment pour ça que l'UDC refusera ce projet de loi. Merci.
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, il s'agit effectivement d'un projet de loi du Conseil d'Etat, qui répond d'ailleurs aux attentes de la population et du Grand Conseil en matière de simplification administrative. Aujourd'hui, toutes les informations concernant les acquisitions immobilières sont accessibles par le biais de la FAO et elles continueront à l'être - il est vrai suite à une demande spécifique après un délai de deux ans, comme on l'a déjà mentionné.
Faut-il maintenir le doublon ? C'est-à-dire: faut-il faire en sorte que ces informations soient accessibles à la fois par le biais de la «Feuille d'avis officielle» et du registre foncier ? En ce qui nous concerne, au PLR, nous rejoignons les conclusions du Conseil d'Etat et nous pensons que l'on doit effectivement supprimer l'accès à ces informations par le biais du registre foncier. Il est faux de dire que l'accès à ces informations par le biais du registre foncier est simple et facile ! Le site est obsolète, les recherches se font de deux ans en deux ans et la sécurité des informations n'est aujourd'hui plus acquise - si l'on devait maintenir le site du registre foncier pour accéder à ces informations, nous devrions par conséquent procéder à sa refonte complète.
S'agissant de la limitation de l'accès à ces informations à deux ans rétrospectifs, elle est liée à une pesée d'intérêts entre la protection des données personnelles et l'attente légitime d'accéder aux informations sur les transactions immobilières. Là aussi, la FAO répond à ces préoccupations: pendant deux ans, il y a un intérêt public prépondérant à rendre ces informations accessibles; par contre, au-delà, elles peuvent être accessibles mais sur demande identifiée et motivée.
Voilà, Mesdames et Messieurs, dans un souci non pas de dogmatisme - on ne se cache derrière rien du tout ! - mais de simplification de l'accès du public à ces informations, la demande du Conseil d'Etat d'y accéder par le biais de la FAO et de mettre fin au registre foncier nous semble tout à fait pertinente et ne prive en rien la population d'un accès transparent à des informations légitimes. Nous vous invitons donc fermement à bien vouloir accepter ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
M. François Baertschi (MCG). Actuellement, le marché du logement est sous une tension extrême. Il suffit de lire l'article de la «Tribune de Genève» de ce matin: on voit qu'une espèce de marchand de sommeil crée le désordre dans de nombreux quartiers de notre ville. Nous allons par ailleurs voter en février sur la loi MCG qui demande la priorité de l'accès au logement pour les habitants du canton; ce sera un pas important. Tout cela pour dire que nous sommes dans une situation très délicate et qu'il est dangereux d'enlever le peu de transparence qu'il peut exister dans notre système.
Faire des économies qui au final causeront du tort pas nécessairement aux seuls locataires, mais indirectement à un certain nombre de mandataires dans des cas de poursuites, comme on nous l'a indiqué, ou dans d'autres affaires particulières, c'est faire des économies qui risquent de coûter très cher aux citoyens genevois. Pour le groupe MCG, il faut à tout prix être très attentif à ces problèmes de logement qui péjorent les conditions d'existence des habitants de notre canton, et c'est pour cela que nous voyons mal une nouvelle économie de bout de chandelle - c'est un peu dans les habitudes du Conseil d'Etat, ainsi que nous pouvons le voir lors de l'examen du budget -, c'est-à-dire une économie qui au final coûte cher aux habitants, coûte cher à la collectivité genevoise. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Je serai brève puisqu'un certain nombre de choses ont déjà été dites. Le PDC refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi. La raison numéro un, c'est que le code civil prévoit aujourd'hui un accès public au registre et nous souhaitons que ce soit maintenu. Ce qui a principalement été relevé lors des travaux de la commission, c'est que le registre foncier a un système obsolète; c'est un peu une solution de facilité que de l'abandonner.
Maintenant, sur le point précis de la majorité dogmatique, je tiens à souligner que l'Ordre des avocats, par exemple, mais aussi l'Union suisse des professionnels de l'immobilier ou l'Association des promoteurs-constructeurs genevois se joignent à l'analyse de cette fameuse majorité dogmatique. Le problème est technique, il n'est pas, sur le fond, relatif à la mise à disposition des données, et nous estimons que le rôle du gouvernement, quand un système informatique est déficient, n'est pas de faire peser les coûts d'une réforme sur les utilisateurs, mais de le moderniser et de le simplifier pour améliorer les prestations à la population. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. Je cède la parole au rapporteur de minorité pour quarante-six secondes.
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je m'étonne d'en entendre certaines critiquer le dogmatisme de la minorité: c'est bien la première fois qu'on soutient ici que ne pas entrer en matière sur un projet de loi consiste à faire preuve de pragmatisme. Quant à M. Bayenet, j'espère que le procureur élu qu'il est s'abstiendra, à l'appui de ses futurs réquisitoires, de faire de la publicité pour l'ASLOCA ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) J'aimerais quand même lui rappeler qu'il s'agit ici d'une mise en oeuvre du code civil et non du code des obligations, que c'est le code civil qui prévoit la publication et qu'on ne vote pas sur le principe même de la publication mais simplement sur les modalités de celle-ci.
Le président. Merci.
M. Murat-Julian Alder. Or on sait très bien que les associations de défense des locataires, avec le talent qu'on leur reconnaît...
Le président. Il faut conclure.
M. Murat-Julian Alder. ...savent compiler les archives de la FAO; elles ne devraient donc pas être concernées par ce délai de deux ans qui semble causer tellement de soucis.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Je voudrais dire à mon collègue Alder que l'association des locataires, l'ASLOCA, a justement le souci de faire payer les locataires le moins possible. Je comprends qu'il est dans votre intérêt, dans celui des gens que vous protégez, d'introduire une certaine opacité dans l'accès à l'information; mais les gens que nous protégeons, nous, ont des difficultés à accéder à ces informations et il faut précisément faciliter autant que possible la tâche au citoyen lambda. S'il faut être avocat ou avoir du pognon pour obtenir des informations, je sais que chez vous, c'est évidemment possible - pour la majorité de la population genevoise, c'est en revanche très difficile. Par conséquent, il faut arrêter de dire que c'est purement une question de facilité technologique, disons...
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Alberto Velasco. Pardon ? Eh bien merci, Monsieur le président. Je demande de refuser l'entrée en matière.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12607 est rejeté en premier débat par 69 non contre 25 oui.