République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2347-B
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Christian Dandrès, Irène Buche, Caroline Marti, Alberto Velasco, Roger Deneys, Christian Frey, Isabelle Brunier, Romain de Sainte Marie, Thomas Wenger, Nicole Valiquer Grecuccio, Jean-Louis Fazio, Lydia Schneider Hausser, Cyril Mizrahi pour la préservation du parc de logements face au développement des plateformes numériques du type Airbnb
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 12 et 13 mars 2020.
Rapport de majorité de Mme Caroline Marti (S)
Rapport de minorité de M. Yvan Zweifel (PLR)

Débat

Le président. Nous reprenons nos urgences avec la M 2347-B, classée en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à Mme la rapporteure de majorité Caroline Marti.

Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, à l'instar de nombreuses grandes villes, Genève connaît ces dernières années une explosion du nombre de logements loués à courte durée sur des plateformes de type Airbnb - c'est probablement la plus connue, mais il en existe d'autres - et ce n'est évidemment pas sans poser de problèmes.

Le premier, c'est que cela soustrait un certain nombre de logements du parc locatif, ce qui est particulièrement préoccupant et problématique au vu de la situation de pénurie que nous connaissons à Genève et des diverses conséquences que cela peut avoir sur les ménages de notre canton, comme la difficulté de trouver un logement et l'explosion du niveau des loyers.

Cela pose aussi un certain nombre de problèmes de concurrence vis-à-vis des autres structures hôtelières qu'on pourrait qualifier de traditionnelles, un secteur économique qui a bien sûr été particulièrement touché - et qui l'est toujours d'ailleurs - par la crise du covid.

D'autres problèmes liés à cette augmentation massive du nombre de logements loués sur les plateformes de location de courte durée peuvent encore être mentionnés, par exemple les problématiques de paiement des différentes taxes, comme la taxe de séjour. On peut citer aussi les risques liés à l'usage de ces appartements pour de la prostitution forcée et de la traite d'êtres humains.

Alors que ces plateformes de location de courte durée ont été présentées à l'origine comme des possibilités de location entre particuliers pour de très courtes durées, par exemple pendant des vacances, aujourd'hui, force est de constater que c'est un marché qui a été largement investi par des agences de location professionnelles, qui utilisent ces plateformes pour contourner des normes légales, notamment dans le domaine de la protection du parc locatif, mais aussi de la protection des professions de l'hôtellerie.

Si le Conseil d'Etat a effectivement édicté un certain nombre de règles pour encadrer, contrôler et réduire les possibilités de sous-location de courte durée, il reconnaît lui-même qu'il est très difficile de contrôler la bonne application de ces différentes règles et normes et de prononcer des sanctions le cas échéant. Ce qui nécessite aujourd'hui de renforcer le dispositif, mais aussi de faciliter le contrôle, entre autres à travers l'introduction d'une obligation d'annonce pour celles et ceux qui souhaitent louer leur appartement sur ces plateformes de location de courte durée.

Raison pour laquelle la majorité de la commission du logement vous invite à accepter l'amendement déposé par le groupe Ensemble à Gauche, qui vous sera probablement présenté tout à l'heure, et ainsi à accepter la motion sur le fond. Je vous remercie.

Présidence de M. Jean-Luc Forni, premier vice-président

M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de minorité. Cette motion, on le sait, a fait plusieurs allers-retours. Je ne reviens pas sur la partie historique, qui a d'ailleurs été en partie réglée par le Tribunal fédéral. Lorsque ce Grand Conseil a souhaité renvoyer cette motion en commission la dernière fois, c'était pour étudier deux points: la possible inégalité de traitement quand des locations passent par une plateforme numérique, d'une part, et la conjonction entre ces plateformes et la traite d'êtres humains d'autre part. Sur ce deuxième point, il faut être clair: aucune audition n'a permis de déterminer si la location de logements via une plateforme numérique augmentait ou non ce risque. Mais, surtout, il faut rappeler que ces plateformes numériques ne sont que de purs intermédiaires: elles ne sont ni les propriétaires ni au bénéfice d'un bail à loyer pour ces logements mis en ligne. Cette motion n'apporterait donc aucune potentielle protection supplémentaire contre la traite d'êtres humains, quand bien même évidemment ce phénomène doit être combattu.

Sur le premier point, il peut y avoir, c'est vrai, une inégalité de traitement par rapport à des hôteliers, et de tels cas de sous-location doivent être annoncés, mais ils doivent l'être par le locataire ou le propriétaire du logement et pas par Airbnb ou toute autre plateforme numérique, puisqu'elle n'est ni propriétaire ni locataire de l'appartement qui serait mis en ligne. Elle n'est, encore une fois, qu'un simple intermédiaire. D'ailleurs, cette obligation existe déjà dans la LRDBHD en son article 32, alinéa 3.

Pour la minorité de la commission, ce n'est pas à Airbnb ou à n'importe quelle autre plateforme numérique de savoir ce qu'il se passe ni de procéder à des contrôles, puisque la seule fonction d'Airbnb - et on l'a bien vu en commission - est de mettre en relation quelqu'un qui souhaite louer son bien et quelqu'un qui cherche un hébergement, ce pour un certain laps de temps. La responsabilité de respecter la loi est à la charge de celui qui met à disposition son bien et non à un intermédiaire numérique comme Airbnb, puisqu'il n'y a pas de relation contractuelle entre le locataire et Airbnb, mais entre le locataire et le propriétaire. C'est à ce niveau-là qu'il faut intervenir. En ce sens, la motion telle qu'elle est proposée ici ne servirait strictement à rien du tout.

Il existe dans d'autres cas de figure, vous le savez déjà, des plateformes comme booking.com, qui proposent différents hôtels dans divers lieux, et vous pouvez, si vous voulez voyager quelque part, consulter ces plateformes qui mettent en relation les hôtels et les clients potentiels. Lorsque le client arrive à l'hôtel qu'il a choisi, réservé et payé sur la plateforme, il y a effectivement une obligation d'annonce, mais cette obligation d'annonce vaut pour l'établissement hôtelier, pas pour la plateforme numérique qui a servi d'intermédiaire. Cette logique qui existe pour les hôtels est exactement la même pour ce qui concerne ici Airbnb ou les plateformes assimilées.

Enfin, la minorité ne comprend pas qui serait chargé de contrôler que la plateforme Airbnb fait bien son travail, surtout lorsqu'on parle de services hébergés sur des serveurs qui se trouvent à l'autre bout de la planète. Certains d'entre vous ont peut-être été approchés par le responsable commercial d'Airbnb - c'est mon cas: je vous signale que, pour la Suisse, il se trouve en Allemagne ! Alors bon amusement pour aller lui expliquer les contrôles qu'il devrait effectuer à cet égard !

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Yvan Zweifel. Oui, je ne vais pas faire beaucoup plus long. Donc, Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, si on peut défendre les buts louables indiqués dans cette motion, la manière dont est présenté ici le passage par ces plateformes numériques est totalement inutile. Vous pouvez, si ça vous amuse, voter cette motion, cela n'aura absolument aucun effet. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Rémy Pagani (EAG). J'ai bien écouté M. Zweifel, mais je crois que l'affaire des Pandora Papers nous montre à quel point les arguties juridiques peuvent nous faire oublier l'essentiel ou sont en tout cas là pour le cacher. L'essentiel dans cette affaire, Mesdames et Messieurs, c'est que, d'abord, c'est illégal de louer ainsi des appartements - la LDTR l'interdit -, et le gouvernement devrait être beaucoup plus proactif dans la sanction de ces pratiques. Alors il nous dit que c'est très difficile, mais il n'empêche que quand il s'agit de poursuivre des personnes qui fraudent l'aide sociale, il dispose de beaucoup plus de moyens que ce qu'il prétend avoir aujourd'hui par rapport à Airbnb. Donc, Monsieur Zweifel, le jour où il aura été démontré - et ça risque de l'être - que cette plateforme fait du détournement fiscal, parce qu'elle ne paie aucun impôt nulle part, je vous entendrai encore une fois dire: «Ils ont tout à fait raison.» Les sociétés offshore n'ont pas à payer d'impôts, nous sommes dans la flibuste, on continue et on rigole tous ensemble !

Par conséquent, Mesdames et Messieurs, il faut que notre parlement décide une fois pour toutes de mettre fin à ces stratégies juridiques qui visent à se soustraire à l'impôt, aux lois que la collectivité a décidé de mettre en place, notamment pour protéger les locataires, ainsi que les hôteliers. Et je m'étonne, ayant entendu ces deux derniers jours la droite pleurer sur la situation dans laquelle se trouvent la restauration, l'économie, dont les hôteliers, de l'entendre maintenant dire: «Non non, il n'y a pas de problème, laissons-les ! D'ailleurs, ça ne sert à rien de combattre ce phénomène.» Je vous rappelle au passage que ce n'est pas 1,5 million de pertes pour la Ville de Genève, comme on l'a évoqué tout à l'heure par rapport aux terrasses sur le domaine public, ce sont des millions d'impôts qui sont volés à la collectivité et des millions qui sont volés aux hôteliers par une concurrence extrêmement illégale et déloyale. Je vous invite donc, ne serait-ce que pour le principe, à voter cette motion. Merci de votre attention.

Mme Claude Bocquet (PDC). Le renvoi en commission avait été demandé par notre collègue Anne Marie von Arx, car elle avait appris que les sites Airbnb pouvaient servir à abriter de la prostitution forcée. Ces faits ont été confirmés lors de l'audition d'un sergent-major de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite. Contrairement à ce qu'a dit M. Zweifel, la police nous a clairement indiqué qu'elle aurait beaucoup plus de facilité à travailler s'il y avait des obligations d'annonce. Les appartements sous-loués ont été utilisés à cette fin, et comme il n'y a pas d'obligation d'annonce pour les locations sur les plateformes numériques, il est très difficile d'agir pour faire cesser ce trafic d'êtres humains. En conséquence, cette motion avait fait l'objet d'un amendement introduisant une obligation d'annonce à la charge des intermédiaires numériques ou des personnes mettant à disposition tout ou partie de leur logement. Une phrase visant à combattre l'utilisation d'appartements loués en ligne pour la prostitution illicite et la traite d'êtres humains a également été rajoutée. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés en disant, comme je l'ai entendu en commission, que cela ne concerne que quelques personnes. Il est inadmissible qu'à Genève, des êtres humains soient retenus contre leur gré dans des appartements et forcés à la prostitution. L'amendement présenté par M. Bayenet qui reprend ces éléments et demande d'élaborer un projet de loi nous convient. Le PDC vous invite à soutenir cette motion.

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, c'est vrai que le représentant de l'UDC à la commission du logement a accepté cette motion en raison notamment de l'amendement qui a été déposé pour lutter contre la prostitution clandestine et la traite des êtres humains. Toutefois, l'UDC trouve qu'il n'est franchement pas approprié de fliquer les plateformes numériques de type Airbnb; peut-être fiscalement, pourquoi pas - mais c'est un débat que nous n'avons pas abordé -, mais pas pour l'obligation d'annoncer, parce que, comme l'a très justement relevé le rapporteur de minorité, la responsabilité de respecter la loi est à la charge de celui qui met son bien à disposition. Concernant les gros abuseurs - c'est vrai qu'il y en a -, ils finissent par se faire dénoncer parce qu'ils violent la loi et je ne pense pas qu'une loi supplémentaire soit nécessaire.

J'aimerais prendre la défense des plateformes de type Airbnb, parce qu'elles sont quand même précieuses ! Il faut savoir qu'à Genève, nous avons de nombreuses conférences, des séminaires, des stages, et les gens qui viennent n'ont pas forcément les moyens de se payer l'hôtel pendant trois semaines, un mois, voire deux mois. Cette plateforme Airbnb rend donc d'énormes services à toutes sortes de personnes qui viennent dans notre canton, également les touristes qui peuvent y séjourner avec des moyens limités.

C'est vrai que ce qui était intéressant dans cette motion, c'est l'invite demandant au Conseil d'Etat de trouver une solution pour lutter contre la traite d'êtres humains et contre la prostitution illicite. Je leur souhaite bonne chance pour trouver des solutions ! Parce que, dans la pratique, ça ne va pas être facile, mais ça, c'est un autre débat. On verra ce que le Conseil d'Etat trouvera comme solutions. L'UDC votera sur cette motion selon les convictions personnelles de chacun. Merci.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le problème que nous avons aujourd'hui avec cette nouvelle économie, c'est celui du for juridique. Nous nous retrouvons avec un for juridique extraterritorial et nous voyons bien la difficulté que cela pose, notamment d'un point de vue fiscal. Nous constatons que cette motion - et ce n'est qu'une motion -, qui demandera au Conseil d'Etat de nous donner une réponse dans les six mois, touche différents types de problèmes.

D'abord, un problème d'utilisation de logements. Ce n'est pas simplement le fait de gens partis une semaine en vacances et ayant mis leur logement à disposition d'autres personnes, ce qui somme toute est fort sympathique: il s'agit de logements soustraits au marché du logement pour devenir des sortes d'hôtels avec différents types d'utilisations. Nous avons vu que, parmi les possibles utilisations, il y avait le cas des travailleuses et des travailleurs du sexe, qui pouvaient être contraints de se prostituer dans des logements de ce type-là. A Genève, la prostitution est légale, elle est encadrée, on essaie de protéger le plus possible les travailleurs et travailleuses du sexe et on se rend compte que là, il y a une zone d'ombre qui nous pose un énorme problème. M. le député Pagani, qui a un regard assez affûté sur ce côté obscur de l'utilisation d'Airbnb, nous a rendus attentifs au fait qu'à Genève, par rapport aux différentes lois fédérales, nous sommes bientôt à 20% d'utilisation de logements en résidence secondaire. Nous devons - parce que nous ne sommes pas vraiment une station de ski, de montagne - être extrêmement attentifs à garder des logements en ville de Genève. Nous devons être attentifs aux problèmes de logement qu'ont pu connaître d'autres villes, que ce soit Barcelone ou Venise, et nous assurer que nous gardions bien des appartements au centre-ville et qu'ils ne soient pas destinés à une activité criminelle. Les Verts, pour toutes ces raisons, vous invitent à voter cette motion.

M. Alberto Velasco (S). Effectivement, c'est une motion, mais une motion qui vise à sensibiliser le Conseil d'Etat afin qu'il prenne des mesures. Contrairement à ce que soutient M. Zweifel, il existe une disposition, à savoir la LDTR, qui combat justement ce changement d'affectation. Le problème, c'est de savoir quels sont les immeubles affectés par ce phénomène. A Genève, le Conseil d'Etat a été averti et a réagi, parfois, quand il était au courant: en Vieille-Ville par exemple, il y avait un ou deux immeubles qui étaient carrément occupés à 100% par des locations Airbnb.

Evidemment, il faut distinguer ces cas de celui du locataire qui part quelques mois ou une année à l'étranger, ce qui est tout à fait juste. Ce n'est pas du tout cela que l'on combat avec cette motion. On combat le fait de changer d'affectation, de transformer des immeubles en hôtels; ça, ce n'est pas possible. D'ailleurs, la profession hôtelière est soumise à certaines contraintes juridiques et sanitaires et pas ces appartements.

Il y a vraiment un détournement des logements et il y a aussi un détournement, il faut le dire, fiscal. C'est donc très grave ! A Genève, ce sont des milliers d'appartements qui sont concernés. Certaines villes comme Berlin, Rome, Lisbonne ou Barcelone sont aussi atteintes par ce phénomène, qui se décline à l'échelle européenne et qui devient grave ! Parce que non seulement on soustrait des logements, mais en plus on vide les populations du centre-ville. On les exclut, puisque évidemment, ce sont des logements au centre-ville qu'on loue en réalité à des touristes à des prix - en plus - surfaits, et les populations qui ont habité dans ce centre-ville sont éjectées vers l'extérieur, avec les conséquences sociales que l'on connaît.

Par conséquent, chers collègues, Mesdames et Messieurs, il est important de sensibiliser le Conseil d'Etat sur ce point. Je sais, par des contacts que nous avons eus avec M. le conseiller d'Etat chargé du département, qu'il essaie de prendre des mesures. C'est difficile, c'est vrai. Mais vous avez en tout cas, Monsieur le conseiller d'Etat, l'appui des associations de locataires. Et vous savez qu'il y a même des associations de locataires de quartier qui essaient, de manière bénévole, d'identifier ces immeubles et ces appartements non déclarés. Parfois, ils vous envoient les références. J'invite mes collègues à voter cette motion, parce que cela aidera le Conseil d'Etat à aller de l'avant. Merci beaucoup.

Une voix. Bravo !

Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je vais appuyer le propos de M. Zweifel, puisque apparemment il n'a pas été assez clair. En l'occurrence, M. Pagani n'a, semble-t-il, pas très bien compris le français, puisqu'il est passé juste après, et il n'a pas non plus intégré la problématique de cette motion. Ce que voulait dire M. Zweifel, ce n'est pas du tout qu'il trouve qu'Airbnb est super et que les locations illicites sont une très bonne solution, il a simplement dit que cette motion était inutile. Je vais rappeler rapidement les propos de M. Zweifel - excusez-moi si nous nous répétons, mais il faut que tout le monde soit au clair.

Elle est inutile d'abord parce qu'elle ne permettra pas la lutte contre la traite des êtres humains - c'était l'argument principal ayant motivé le renvoi en commission -, qui est un problème grave, ça, on ne le remet pas en question. Ces pratiques existaient déjà avant Airbnb, elles existeront toujours après la chute d'Airbnb, et malheureusement, les logements seront toujours à disposition d'une autre façon.

Elle est inutile ensuite parce que le département du territoire n'a pas besoin de ce texte pour faire respecter la LDTR, l'interdiction de changement d'affectation qu'elle prévoit, et les contrôles réguliers visent déjà à lutter contre ces pratiques. Inutile encore parce que la responsabilité de respecter la loi incombe à celui qui met à disposition son bien. Cela fera donc passer la plateforme Airbnb totalement à côté. Inutile enfin, parce que les plateformes numériques ne sont pas nos ennemies: nous ferions mieux de trouver des moyens de vivre avec plutôt que de lutter contre.

Pour toutes ces raisons, Mesdames les députées, Messieurs les députés, si vous dormez mieux ce soir en pensant que vous avez fait une bonne action avec cette motion, tant mieux pour vous ! On en reparlera dans cinq ans, quand absolument aucun changement n'en sera résulté. Merci.

Une voix. Bravo !

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG a refusé cette motion, parce qu'il fait entièrement siens les propos tenus tout à l'heure par le rapporteur de minorité. Je ne crois pas que ce texte va changer quoi que ce soit. Je pense que le département fait son travail. Il est venu nous expliquer que, lorsqu'il a connaissance d'un cas, il intervient et fait respecter la LDTR. Vous voulez vous doter d'une armée de nouveaux fonctionnaires pour aller contrôler et sonner aux portes. Ce n'est juste pas possible et ce ne sera pas plus efficace !

Evidemment, ce qu'il faut condamner, ce sont les abus. Or les abus, encore faut-il en avoir connaissance pour pouvoir intervenir. Par ailleurs, il y a un certain nombre d'habitants du canton qui sont tout à fait contents, lorsqu'ils partent en vacances, de pouvoir mettre leur appartement à disposition, cela leur apporte aussi un petit peu de revenus. Je pense que tout cela n'est pas condamnable. Ce qui est condamnable, ce sont les abus, et ce n'est pas cette motion qui va aider à les détecter d'une quelconque façon. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le département fait son travail, c'est en tout cas le sentiment qu'on a eu suite à son audition. On se fait de nouveau plaisir en se disant qu'on va lutter contre certains abus, mais en réalité, on ne fait rien du tout. Cette motion est inutile, c'est pourquoi le MCG la refusera.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Pagani, il vous reste vingt secondes: il faudra donc être bref !

M. Rémy Pagani (EAG). Oui, Monsieur le président de séance. On m'a rappelé que je n'avais pas défendu l'amendement. Je vous rappelle donc que l'amendement que nous avons présenté prévoit une obligation d'annonce pour les loueurs d'hébergements temporaires et les intermédiaires. Ce n'est pas anodin. Je vous remercie de votre attention.

Le président. Merci de votre concision. Je donne maintenant la parole à M. le député Sébastien Desfayes pour une minute quarante.

M. Sébastien Desfayes (PDC). Merci, Monsieur le président. En ce qui concerne le PDC, notre parti refuse de vivre avec ce qui est une calamité. On nous dit qu'on ne peut rien faire, qu'Airbnb a une existence supranationale, etc. Je crois qu'il faut simplement regarder la situation telle qu'elle est et la gravité de celle-ci. Un reportage de la RTS du mois d'août avançait un chiffre éloquent sur les abus commis à Genève: 2100 logements proposés sur Airbnb. Soit. Mais sur ces 2100 logements, 715 sont loués à l'année, c'est-à-dire 715 logements qui sont soustraits du marché locatif et devraient être soumis à un changement d'affectation. Alors je ne doute pas que la situation soit difficile, je ne doute pas que le département fournisse ses meilleurs efforts, mais quand même ! Sur ces 715 logements soustraits, combien des propriétaires ou locataires, qui font donc commerce de leur logement, se sont déclarés ? C'est un chiffre qui nous intéresse.

Il faut aussi parler de la mise en location de logements qui se trouvent en zone de développement. Ce n'est très certainement pas le but de la loi Longchamp, ce but est contourné. C'est aussi un scandale, qui doit être traité par le département. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à Mme la députée Danièle Magnin pour une minute vingt-quatre.

Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Je ne sais pas pourquoi tout le monde ne parle que d'Airbnb ! Les manières de louer, de sous-louer un logement ou une part de logement sont extrêmement nombreuses et il n'y a pas que cette société. Vous pouvez certainement imaginer qu'il existe des réseaux et que si une personne, par exemple un international, dont parlait tout à l'heure un député, a loué une fois un logement et qu'elle doit revenir, elle va directement contacter la famille chez qui elle a été reçue. Il y a aussi énormément de gens, notamment des personnes peut-être plus âgées, qui ont une chambre à louer de temps à autre dans leur appartement, qui, eux aussi, ont besoin de cette petite participation pour payer la charge de leur loyer, parce que les loyers à Genève sont épouvantablement élevés, et je ne vois pas pourquoi on devrait le leur interdire. Alors s'acharner sur Airbnb, ma foi, pourquoi pas ! Imaginer que des locations sont destinées uniquement à l'exercice de métiers du sexe... Peut-être ! Mais ce n'est certainement pas la majorité. Et comme d'habitude, de petits excès, de petits abus amènent à ce que l'on essaie de faire maintenant. Nous voterons non.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole va maintenant à Mme la rapporteure de majorité Caroline Marti pour vingt-quatre secondes.

Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. C'était juste pour rappeler à M. Sormanni, qui craignait qu'une armée de fonctionnaires doive être engagée pour sonner aux portes et contrôler la location de ces appartements, que c'est ce qu'il faudrait faire dans la situation actuelle, effectivement, ce qui nécessiterait un énorme travail administratif...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la rapporteure de majorité.

Mme Caroline Marti. ...que l'Etat n'est pas capable d'effectuer aujourd'hui. En revanche, avec une obligation d'annonce, le département aurait les informations dont il a besoin... (Remarque.)

Le président. C'est terminé, Madame la rapporteure.

Mme Caroline Marti. ...pour pouvoir contrôler la bonne application de la loi... (Remarque.)

Le président. C'est terminé.

Mme Caroline Marti. ...et ainsi sanctionner là où il y a un certain nombre de problèmes... (Remarque.)

Le président. Je vous remercie.

Mme Caroline Marti. ...absolument manifestes aujourd'hui.

Le président. Je donne maintenant la parole au rapporteur de minorité pour quarante-huit secondes.

M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de minorité. Oui, quarante-huit secondes, Monsieur le président, pour dire que nous sommes tous d'accord ici sur le fait qu'il faut responsabiliser le locataire ou le propriétaire du logement en le sanctionnant dans le cas où il louerait à tort son bien, mais non se défausser sur les nouvelles technologies en transférant cette responsabilité sur de simples intermédiaires, ce que proposent la motion et l'amendement. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Hier, nous avons discuté d'un autre sujet, celui des cédules hypothécaires, et tout le monde expliquait ici qu'on était content de se projeter dans le XXIe siècle. Il y a aujourd'hui des groupes plutôt à gauche qui décident de revenir dans le passé en combattant ces plateformes numériques, en combattant la nouvelle technologie, alors que ce sont des alliés, non pas des ennemis.

Le président. Merci.

M. Yvan Zweifel. C'est regrettable ! Et en ce sens, Mesdames et Messieurs, la minorité vous appelle à refuser cette motion...

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur.

M. Yvan Zweifel. ...ainsi que l'amendement qui vous est proposé. Retour au bon sens !

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, cette thématique est importante et il est légitime que votre parlement s'en saisisse et envoie des signaux au Conseil d'Etat. Effectivement, notre canton connaît une pénurie de logements chronique et, par conséquent, chaque logement soustrait au marché locatif et - pour intégrer également les propriétés par étage et les villas - au marché de l'habitat est un problème supplémentaire, puisque ce phénomène contribue ainsi à renforcer la crise du logement.

J'aimerais tout d'abord dire que contrairement à la minorité PLR, le Conseil d'Etat estime que les plateformes qui agissent comme intermédiaires ont bel et bien une responsabilité dans les mises en relation qu'elles proposent entre un offreur et un loueur, dans la mesure où elles intègrent à leur «business model» des pratiques illégales en vertu du droit applicable sur notre territoire. La question évoquée par le député Bavarel du for juridique est une question plus large qui concerne la nouvelle économie et toutes ces plateformes internet. On a eu le débat autour d'Uber, mais pensons aux réseaux sociaux et à leur responsabilité s'agissant de messages d'incitation à la haine, qui doivent aujourd'hui faire l'objet de contrôles par ces mêmes réseaux sociaux: dans tous les domaines où cette nouvelle économie agit comme intermédiaire - parce que, finalement, elle ne fait que mettre des plateformes à disposition, avec des serveurs dissimulés dans le monde -, il y a une déresponsabilisation qui n'est plus tolérable, qu'il s'agisse des réseaux sociaux et de la question que j'évoquais, d'Uber ou ici de plateformes de location de courte durée. Mme Magnin a raison de dire qu'on cite beaucoup Airbnb: le département travaille sur quelque quatre plateformes principales qui offrent aujourd'hui ces services. Il nous appartient d'élargir le débat, même s'il est vrai que l'entreprise Airbnb est leader dans ce domaine.

La difficulté à établir le flagrant délit qui permet soit aux autorités du département du territoire soit à la police elle-même de prononcer une amende est réelle. Nous devons, pour cela, comprendre ce qu'il se passe dans un appartement. Nous devons établir les faits de manière vraisemblable pour que les éléments de preuve puissent être plaidables devant une juridiction, et cela est évidemment long, complexe, cela prend du temps et des ressources. Pour être très clair, les cas peut-être les plus simples, ce sont tous les logements sociaux. Là, pas un seul jour de sous-location n'est autorisé et une dénonciation nous amène à effectuer un contrôle strict. Cela a été dit, de manière générale, quand il s'agit d'argent public, en l'occurrence dans le cas de l'aide sociale, il y a des contrôles, et ce volet-là est intégré pour les logements sociaux. Pour les logements dits libres, vous le savez, il s'agit d'une violation de l'article de la LDTR qui concerne l'affectation. C'est aussi une violation du droit fiscal, cela a été rappelé; c'est encore une violation de la loi sur le tourisme. Et, Mesdames et Messieurs, cela n'a pas été évoqué dans ce débat, c'est aussi une violation du droit du bail, parce qu'il s'agit souvent de locataires qui gagnent ainsi des plus-values qui ne sont absolument pas remises à leur bailleur et, par conséquent, bien souvent, le propriétaire du bien, de l'immeuble, se fait gruger par son locataire. Dans ce sens-là, les régies immobilières ont aussi un rôle à jouer pour rappeler à leurs locataires que la sous-location ne peut être faite que sur la base d'une autorisation délivrée par le propriétaire et que cette sous-location ne doit pas dépasser en principe plus de 10% du bail à la base. Cette dimension existe aussi; même si elle relève du droit privé, il m'importe de la souligner.

Alors est-ce que nous devons aller plus loin ? Peut-être. Le département du territoire étudie cette proposition qui visiblement sera la vôtre autour de l'obligation d'annonce. Mais avant d'aller dans le sens de ce dispositif supplémentaire, j'aimerais quand même rappeler que certaines villes européennes l'ont mis en place depuis des années avec un succès mitigé. Par exemple, Paris connaît une limite à 120 jours - vous savez que chez nous, c'est 90 jours, or dans les contrôles, s'il est déjà difficile d'établir qu'il y a une sous-location pour une nuit, il est encore plus difficile de déterminer si cette nuit était la 87e nuit autorisée ou déjà la 92e, qui dépasse donc les 90 jours et qui n'est plus autorisée. Par conséquent, pour terminer cette digression, quand le député Desfayes cite la RTS qui évoque 715 logements loués à l'année... Non ! Ce sont 715 logements qui sont offerts pour une location annuelle, mais on ne peut pas savoir s'ils ont été effectivement loués plus de 90 jours, et c'est une difficulté qui entre aussi en ligne de compte: au cours de l'année 2020, avec la chute drastique du tourisme que notre ville - comme d'autres - a connue, je pense que la plupart des appartements Airbnb ou des autres plateformes n'ont pas été loués plus de 90 jours, parce que, si on établit une corrélation avec le taux de remplissage hôtelier et qu'on se dit que c'est certainement le même taux qu'Airbnb a connu, il est fort peu probable que ces appartements aient été loués à l'année. On voit donc bien que même ce reportage de la RTS, d'un point de vue juridique, c'est-à-dire du point de vue de l'établissement de l'infraction, ne démontre en réalité rien, puisque cela ne nous permet pas de démontrer ce qu'Airbnb sait, à savoir si l'appartement a effectivement été loué plus de 90 jours ou non. La plateforme le sait, elle dispose de l'information dans ses fichiers, mais elle refuse de nous transmettre ces données qui nous permettraient d'agir légalement. Dans ce sens-là, j'insiste sur la responsabilité, malgré tout, de ces plateformes.

Alors est-ce que l'obligation d'annonce permet de résoudre la question ? La Ville de Paris l'a introduite en 2017; plusieurs villes françaises et d'autres, comme Barcelone, l'ont établie. En 2018, il y avait encore 60 000 appartements annoncés sur Airbnb à Paris, dont seulement 20% qui comportaient le numéro de référence obligatoire. Il y a eu cette année-là - et cela répond à la question de savoir si le département agit - pour toute la ville de Paris 156 appartements, sur les 60 000, qui ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. Mesdames et Messieurs, à Genève, on estime que le nombre d'appartements mis en location abusivement se situe entre 1500 et 2000. Nous sommes aujourd'hui entrés dans un rapport de litige avec des propriétaires pour 700 appartements. Donc le département fait son travail. Comme l'a relevé le député Velasco, il s'agit souvent d'immeubles dans leur ensemble. Ce sont donc de gros poissons, effectivement plus faciles à détecter, mais c'est aussi une série de loueurs qui ont plusieurs appartements dans leur portefeuille et qui par là même nous permettent de comprendre que cela relève d'une activité lucrative et professionnelle. 700 appartements sont aujourd'hui dans le collimateur du département et le Conseil d'Etat entend mener ces opérations. Le 1er juillet 2021, c'est-à-dire il y a quelques mois à peine, la Ville de Paris a remporté une victoire judiciaire importante contre Airbnb, qui s'est vu infliger une amende de plus de 8 millions d'euros. Cet arrêt devrait contraindre la plateforme à ne publier que des annonces référencées. On va voir ces prochains mois l'effet réel de ce dispositif d'obligation d'annonce, puisqu'il va, dans les faits, s'appliquer - il ne s'applique que depuis quelques mois.

Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat est disposé à aller plus loin, notamment avec ce dispositif d'annonce. Il est coûteux, laborieux et nécessitera de créer des bases de données, d'engager des fonctionnaires, pour ne serait-ce qu'entretenir cette base de données, ainsi que, comme cela a été évoqué, mener les contrôles y afférents. Le département et le Conseil d'Etat sont prêts à effectuer ce travail. Il faut que vous soyez conscients que cette demande n'est pas neutre budgétairement parlant. Je pense que les centaines, voire les milliers de logements évoqués en valent la peine, valent cet investissement. Je vous propose que d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine, le Conseil d'Etat dépose un rapport au Grand Conseil pour évaluer la pertinence de ce système d'annonce, ses modalités et le résultat concret qu'il a permis d'obtenir dans d'autres villes européennes, et que, sur cette base-là, nous prenions une décision collective pour mettre en place ce système à Genève. En l'état, le Conseil d'Etat peut tout à fait vivre avec cette motion et son invite supplémentaire.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous allons passer au vote, en premier lieu de l'amendement proposé par Ensemble à Gauche. Il s'agit de modifier la teneur de la quatrième invite comme suit:

«4e invite (nouvelle teneur)

- afin de préserver le parc genevois de logements, de lutter contre la concurrence déloyale envers le secteur traditionnel de l'hébergement touristique, de combattre l'utilisation d'appartements loués en ligne pour la prostitution illicite et la traite d'êtres humains, à élaborer un projet de loi prévoyant une obligation d'annonce pour les loueurs d'hébergements temporaires et les intermédiaires, annonce qui devra porter à tout le moins sur l'identification exacte du loueur, de l'objet loué et la durée de sa location. Un régime de sanction en cas de fraude devra être prévu.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 48 oui contre 43 non.

Mise aux voix, la motion 2347 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 51 oui contre 42 non.  (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2347