République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 929-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier la proposition de résolution de MM. Patrick Dimier, Christian Flury, Sandro Pistis, Daniel Sormanni, François Baertschi pour que la Suisse demande des comptes à la Chine à propos de la propagation de la COVID-19 (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 29 et 30 octobre 2020.
Rapport de M. Emmanuel Deonna (S)

Débat

Le président. Nous poursuivons le traitement de notre ordre du jour avec la R 929-A, classée en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Emmanuel Deonna, à qui je cède la parole.

M. Emmanuel Deonna (S), rapporteur. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution a été discutée l'automne dernier par la commission des affaires communales, régionales et internationales. Il a beaucoup été question du coût économique, social et humain de la pandémie; de l'ampleur de la crise de la covid-19. Nous avons évoqué l'état de préparation - ou plutôt de relative impréparation - de notre administration et des hôpitaux, des dispositifs sociosanitaires et économiques, pour faire face à cette crise absolument majeure à laquelle nous sommes encore confrontés, bien que désormais peut-être à un moindre degré. Nous avons évoqué le manque de coordination des Etats et la faiblesse de l'Organisation mondiale de la santé dont le siège, vous le savez, est à Genève. Il faut dire que les Etats-Unis avaient à l'époque quitté l'OMS; le nouveau président, Joe Biden, a heureusement été élu entre-temps et les Etats-Unis sont revenus dans le giron de cette organisation.

Ce texte demande des comptes à la Chine pour son manque de transparence et pour ne pas avoir eu une attitude proactive au moment d'informer les autres Etats de la situation pandémique - pour le manque de responsabilité dont la Chine a fait preuve. Sommes-nous habilités, en tant que représentants de la République et canton de Genève, à émettre une telle critique et à l'émettre pour orienter les choix de politique étrangère du gouvernement suisse ? Est-ce que cela ne devrait pas plutôt être la prérogative du Conseil national, du Conseil des Etats ?

Si le groupe socialiste ne pense pas que la réaction de la Chine ait été exemplaire dans cette affaire - loin de là -, il pense par contre qu'on n'a pas suffisamment de recul, à l'heure actuelle, pour endosser toutes les revendications de cet objet qui demande de faire toute la lumière, dans un délai extrêmement bref, sur l'état d'impréparation et sur la non-coopération de la Chine avec les autres Etats. Nous n'allons donc pas soutenir cette résolution même si elle pose des questions importantes et qu'il est important, à Genève, capitale internationale des droits humains et siège de très nombreuses organisations internationales, d'évoquer la bonne coordination entre les Etats, mais aussi de renforcer le dispositif des organisations gouvernementales et non gouvernementales qui font face à la pandémie. Je vous remercie.

M. Patrick Dimier (MCG). J'adore ce genre de posture, où on est à cheval entre l'âne et la mule. (Rire.) Parce qu'on est réellement là dans... Bon, c'est vrai que les Verts et les socialistes adorent le bois, donc on est dans une langue qu'ils connaissent bien: la langue de bois. On ne peut pas garder des postures pareilles dans une situation pareille ! Avec cette résolution, mes camarades et moi avions presque une année d'avance puisque, vous le savez tous, la communauté internationale tout entière estime aujourd'hui que la Chine doit rendre des comptes.

Est-ce que c'est ou non le rôle de Genève ? Genève est un centre extrêmement important, vous le savez bien - et on le saura encore mieux le 16 juin -, dont la voix doit être entendue lorsqu'il s'agit de sujets aussi cruciaux - pas seulement pour nous mais pour l'ensemble de la communauté humaine. Par conséquent, je vous invite bien entendu à soutenir ce texte même s'il vient du MCG et qu'il n'est donc pas bon par nature - bien que notre posture soit certainement partagée par plein d'autres. Si après la pantalonnade que nous avons vue à la fin de l'année dernière - des gens se sont rendus sur place pour voir et examiner les lieux incriminés, mais n'ont pas pu y accéder parce que la police politique chinoise les a suivis à la trace ou leur en a interdit l'accès - nous ne le faisons pas, nous, qui accueillons l'OMS, alors je me demande à quoi sert la voix de Genève. Souvenons-nous que les deux premiers prix Nobel de la paix sont genevois - ce n'est pas vrai: l'un est bernois, mais quand même. Si on veut que cette voix continue à être entendue et respectée, faisons savoir ce que nous pensons de pantalonnades pareilles. Ce n'est pas chinoiser, c'est simplement être juste.

M. Alexandre de Senarclens (PLR). J'aimerais remercier les signataires de cette proposition de résolution, parce qu'on traite ainsi de politique étrangère, dans ce parlement, et ça me donne l'illusion que j'ai été élu au Conseil national et que je siège à la commission des affaires étrangères, ce qui me fait immensément plaisir. Encore une fois, notre Grand Conseil se prend au sérieux. En général, c'est pour traiter de choses très graves - des droits de l'homme, de sujets durs: on a parlé du Haut-Karabakh, d'Ukraine, de Poutine.

Cette résolution a été précieuse, ne serait-ce que parce qu'elle nous a permis d'entendre à l'instant que le député Deonna s'est posé la question - c'est à mon sens vraiment important - de savoir: sommes-nous habilités ? Venant du parti socialiste, qui dépose à intervalles réguliers des textes de ce type-là, je pense que c'est une avancée qu'il faut absolument souligner. (Rires.) Je le remercie de cette prise de conscience.

Mais cette résolution est également assez... j'allais dire touchante, mais par affection pour son premier signataire, parce que je note une sorte de détermination: la détermination de dire à l'Assemblée fédérale que nous devons intervenir auprès de la République de Chine afin qu'elle soit totalement transparente envers la Suisse. J'imagine que l'ambassadeur de Chine auprès des Nations Unies, à Genève, suit nos débats et tremble à la pensée de la décision que nous pourrions prendre, et qu'il est en direct avec Xi Jinping, qui nous écoute aussi et est évidemment suspendu à mes lèvres. Alors je ne vais pas trop faire durer le suspense - je sens que les gens stressent à Pékin: le PLR refusera pour sa part cette proposition de résolution, malgré tous ses aspects intéressants. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Jean Batou (EAG). J'ai entendu notre collègue Dimier faire appel à ses camarades; j'ai cru, avec son vocabulaire de guerre froide, qu'il me parlait à moi. En réalité, il s'adressait bien à ses collègues du MCG. J'aimerais donc réagir en n'étant ni la mule ni l'âne - ni le cavalier fringant qui chevauche au milieu de ces deux animaux de trait - et juste indiquer que, s'il s'agissait aujourd'hui de condamner l'attitude d'un gouvernement, il faudrait bien sûr commencer par celle du gouvernement chinois. Et poursuivre avec l'attitude du gouvernement italien, puis du gouvernement belge et pourquoi pas avec celle du gouvernement américain qui n'a rien fait quand l'épidémie était sur la côte ouest - et il faudrait sans doute condamner aussi l'attitude du Conseil fédéral qui a pris les choses trop à la légère, etc., etc., etc.

Je crois que faire un cas particulier de l'attitude de la Chine dans le traitement de cette pandémie, c'est se tromper. De manière générale, à l'échelle internationale, cette pandémie n'a pas été prise au sérieux et n'a pas été traitée dès le départ comme il aurait fallu. Les Chinois s'y sont pris trop tard, avec des moyens autoritaires, mais ils ont jugulé le développement de la pandémie - c'est reconnu. En revanche, tant les Etats-Unis ou l'Europe que la Suisse ont déploré une extension énorme de cette pandémie, avec aujourd'hui 3,5 millions de morts enregistrées - probablement plutôt 5 ou 6 - à l'échelle internationale. Il faudrait donc rester modestes, faire un bilan international critique de l'attitude de l'ensemble des Etats - de la quasi-totalité des Etats - sur ce dossier au lieu de régler ses petits comptes avec la Chine. Ceux-là méritent sans doute d'être réglés, mais au regard de sa politique à l'égard des Ouïghours plutôt qu'à l'égard du SARS-CoV-2. Par conséquent, notre groupe ne votera pas cette résolution. Merci.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi, dans cette situation grave, de commencer par une boutade de notre très regretté Coluche au sujet de la presse: dans les milieux autorisés, on s'autorise à penser. Dans le Grand Conseil genevois, il semblerait que non seulement on ne s'autorise plus à penser, mais qu'on n'a même plus le droit de dire quelque chose étant donné que nous ne sommes pas dans la bonne séance ni dans le bon cénacle.

Il n'en demeure pas moins que ce sujet est grave. Il n'en demeure pas moins qu'à ce jour, malgré toutes les études et les rapports - notamment suite à l'enquête spéciale qui avait été diligentée en Chine -, personne ne sait ce qui s'est réellement passé. Notre groupe a bien sûr considéré cela, pensant qu'il y a certainement, sur le fond, plein de raisons d'avoir déposé cette résolution. Notre caucus a toutefois décidé de s'y opposer, surtout parce que la première demande requiert de l'Assemblée fédérale que la Suisse soit... que le Conseil fédéral, la Confédération, intervienne auprès de la République populaire de Chine afin qu'elle soit totalement transparente envers la Suisse. Pour nous, cette transparence à l'égard de la Suisse n'est peut-être pas suffisante: il s'agit vraiment d'un problème mondial et la transparence devrait s'étendre à tous les habitants de notre planète. Pour toutes ces raisons, l'Union démocratique du centre, sans être fermement convaincue mais en faisant preuve de rationalité et d'objectivité, n'acceptera pas cette résolution. Merci.

M. Philippe Poget (Ve). Chers collègues, je me disais que le député Batou a oublié d'indiquer qu'on aurait pu également condamner l'OMS, qui est peut-être aussi responsable d'une certaine légèreté dans le traitement de la pandémie. Le texte nous a permis de débattre un peu et puis nous nous sommes quand même vite rendu compte - je ne sais pas si M. de Senarclens dira dans ce cas-là qu'on a fait une avancée - que ce n'est effectivement peut-être pas notre rôle d'essayer de condamner la Chine, même si elle montre de fait une totale opacité dans ce dossier. Ce texte ne sera d'aucun poids pour appuyer une demande fédérale dans ce sens, la majorité des commissaires l'ont bien dit, et nous avons estimé qu'il serait préférable que nous mettions notre énergie dans la gestion locale de cette pandémie. Le groupe des Verts vous recommandera donc aussi de refuser cette résolution. Je vous remercie.

M. Olivier Cerutti (PDC). Chères et chers collègues, un mot pour vous faire part de mon avis sur cette proposition de résolution. Premièrement, en effet, il y a certainement eu des dysfonctionnements, et pas seulement en Chine - nous en sommes tous témoins. La critique est toujours un élément important: elle nous permet de mieux comprendre ce qui se passe. Et du moment qu'une critique est faite, elle mérite probablement un rapport - c'est peut-être à ce propos qu'il faudrait modifier l'invite: à mon sens, il serait effectivement plus important d'inviter l'OMS à faire un rapport circonstancié sur ce qui s'est passé pendant cette crise du covid-19. Voilà simplement ce que je voulais vous dire, Mesdames et Messieurs: à ce stade, on se trompe peut-être de cible et il faudra en effet se livrer à une introspection. Elle devra se faire à tous les niveaux, que ce soit européen, national, de nos cantons ou de nos communes. Je vous remercie de refuser cette proposition de résolution.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient maintenant à M. le député Patrick Dimier pour trente-deux secondes.

M. Patrick Dimier (MCG). Ça me suffira, Monsieur le président. Je suis très heureux de savoir - ça a fait ma journée - que j'ai offert au député de Senarclens le destin national que les urnes lui ont refusé. Merci. (Exclamations. Commentaires. Rires.) Eh bien il ne faut pas me chercher !

Le président. Contenu différent, mais réaction similaire ! Monsieur Emmanuel Deonna, je vous rends la parole pour conclure.

M. Emmanuel Deonna (S), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Je souhaite répondre à M. de Senarclens, qui m'a interpellé. Avons-nous le droit de donner notre avis sur des questions de politique étrangère, sommes-nous habilités à le faire ? La réponse est évidemment oui ! Nous devons par contre évaluer au cas par cas la pertinence des recommandations que nous souhaitons faire à nos collègues à Berne et aux autorités fédérales. Comme l'ont dit mes collègues Batou et Dimier, la Chine et l'OMS n'ont pas su tirer la sonnette d'alarme suffisamment tôt...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Emmanuel Deonna. ...et le partage d'informations entre les Etats et les différentes instances de l'OMS n'a pas été digne de la situation. On parle aujourd'hui d'un traité international sur les pandémies; la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Afrique du Sud y sont favorables - la Suisse n'y est pas défavorable. Il pourrait «régler», entre guillemets, le problème du protectionnisme excessif des Etats dans ce genre de situation, pour mieux échanger les informations pertinentes sur la réponse à adopter, la technologie à partager et la production du traitement et des vaccins. Le parti socialiste est bien sûr favorable à la conclusion d'un tel traité multilatéral. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, nous passons au vote.

Mise aux voix, la proposition de résolution 929 est rejetée par 74 non contre 12 oui et 1 abstention.