République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 mai 2021 à 16h05
2e législature - 4e année - 1re session - 4e séance
R 966
Débat
Le président. Voici notre dernière urgence: la R 966. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Avant d'ouvrir le débat, je prie le premier vice-président de procéder à la lecture du courrier 3991 demandée en début de session.
Le président. Je vous remercie. Pour commencer, la parole revient à l'auteure, Mme Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, Tahir Tilmo représente un exemple d'intégration. Depuis 2017, il participe aux cafés solidaires ainsi qu'aux programmes de l'Université de Genève pour les réfugiés; il a appris le français et tissé un large réseau d'amis en Suisse. Le 27 janvier dernier, Tahir Tilmo a fait l'objet d'un renvoi forcé en Ethiopie au mépris des risques auxquels il est exposé dans son pays, où sa vie est menacée. Human Rights Watch et Amnesty International ont largement dénoncé le fait que le gouvernement éthiopien est dirigé par le Front de libération du peuple du Tigré, ce qui en fait l'un des Etats les plus répressifs au monde sur le plan de la liberté d'expression et du respect des droits fondamentaux.
Lors de notre séance du 26 mars dernier, notre Grand Conseil a adopté la résolution 953 adressée à l'Assemblée fédérale et intitulée: «Non aux renvois de requérants d'asile vers des pays où les droits humains sont bafoués. Proscrivons les renvois vers l'Ethiopie».
Tahir Tilmo a vu sa vie bouleversée, son intégrité physique et psychique menacée en raison de l'engagement politique de ses parents, décédés des suites de tortures. Ces violences, ces injustices ont conduit M. Tilmo à s'engager, lui aussi, pour lutter contre ce régime tyrannique. Après avoir dû s'échapper et être venu se réfugier en Suisse, M. Tilmo s'est vu refuser l'asile au motif qu'il n'est pas parvenu à convaincre les autorités suisses des risques qu'il courait en Ethiopie, comme s'il ne se devait pas de conserver une certaine réserve pour protéger d'autres personnes restées au pays, et ce alors que l'accord de réadmission signé entre l'Ethiopie et l'Union européenne, auquel la Suisse s'est jointe, prévoit une étroite collaboration avec les services secrets éthiopiens, un fait qui conduit pour le moins à une certaine circonspection. M. Tilmo a donc été expulsé par les autorités helvétiques sans considération quant au fait que, pour lui, en Ethiopie, le danger reste permanent.
Depuis son retour, il est condamné à changer fréquemment de domicile pour échapper à la police qui le recherche; son état de santé est sévèrement affecté par cette situation, mais surtout il vit en situation constante de danger de mort. Amnesty International s'est mobilisée sur ce dossier, tout comme la Ligue suisse des droits de l'Homme; Genève a également alerté la Fédération internationale pour les droits humains. Nous avons reçu le courrier qui vient d'être lu à ce propos. M. Tahir Tilmo doit impérativement quitter l'Ethiopie. Ses amis en Suisse sont disposés à assumer les frais de son vol de retour. Il ne lui manque qu'une chose: un visa humanitaire.
C'est précisément l'objectif de cette proposition de résolution. Il s'agit de renvoyer ce texte au Conseil d'Etat afin qu'il intervienne auprès du Conseil fédéral et que celui-ci délivre de toute urgence un visa humanitaire pour M. Tilmo. L'occasion de préserver son intégrité n'a pas été saisie en janvier dernier; notre Etat aurait dû protéger M. Tilmo. Par conséquent, il porte une responsabilité dans la situation périlleuse à laquelle il est actuellement confronté. Aujourd'hui, il n'est pas encore trop tard pour sauver sa vie. C'est pourquoi les signataires de cette proposition de résolution vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cet objet et à le renvoyer sans délai au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Deonna (S). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous vous le rappelez, la majorité de ce plénum a récemment dénoncé, dans le cadre de la résolution 953 destinée à l'Assemblée fédérale et intitulée «Non aux renvois de requérants d'asile vers des pays où les droits humains sont bafoués. Proscrivons les renvois vers l'Ethiopie», l'expulsion de sept ressortissants éthiopiens établis en Suisse depuis plusieurs années et tout à fait intégrés dans notre pays.
Ce renvoi a été exécuté en dépit de la situation qui prévaut en Ethiopie, en dépit d'une mobilisation citoyenne exceptionnelle, en dépit de l'appui de nombreux élus et militants des droits des migrants et des droits humains; il s'est déroulé dans des conditions particulièrement inhumaines. Pour rappel, plusieurs dizaines de personnes parmi lesquelles des membres des associations Solidarité Tattes, Stop renvois et 3ChêneAccueil étaient venues former une chaîne humaine devant les HUG pour empêcher cette expulsion.
La présente proposition de résolution demande qu'un permis humanitaire soit accordé à M. Tahir Tilmo. En effet, depuis son renvoi, sa situation s'est nettement détériorée, les nouvelles à son sujet sont très alarmantes. Des conditions objectives d'insécurité dans son pays pèsent sur lui et mettent sa vie en danger. Cette requête intervient alors que de grands médias romands et alémaniques - RTS, «Rundschau», «WOZ» - ont révélé de graves abus et dysfonctionnements au sein des centres fédéraux d'asile, des agissements qui font honte à la tradition humaniste et humanitaire de notre pays.
Pas plus tard qu'avant-hier, la section suisse d'Amnesty International a publié un rapport qui documente les cas de maltraitances infligées par des employés des entreprises de sécurité Securitas et Protectas, sous contrat avec le Secrétariat d'Etat aux migrations. Les abus décrits ont eu lieu entre janvier 2020 et avril 2021 dans les centres de Bâle, Chevrilles, Boudry, Altstätten et Vallorbe. Les requérants entendus ont décrit des coups, le recours à la contrainte physique au point d'engendrer des crises d'épilepsie, l'évanouissement et des difficultés à respirer suite à l'inhalation de sprays au poivre ou encore la détention dans un conteneur métallique en état d'hypothermie. Pour Amnesty, ces traitements sont assimilables à de la torture ou pourraient être assimilés à de la torture et, de ce fait, violent les obligations de la Suisse s'agissant du droit international.
Dans ce contexte, Mesdames et Messieurs les députés, il est vraiment crucial d'accéder à ce que demande cette résolution, à savoir de permettre à M. Tahir Tilmo de rentrer en Suisse en lui accordant un permis humanitaire. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Yves de Matteis (Ve). Pour défendre cette proposition de résolution, je vais simplement résumer une partie de son exposé des motifs que les députés - et le grand public - ne lisent pas toujours. Diplômé d'une université d'Addis-Abeba, M. Tahir Tilmo a été fonctionnaire successivement dans deux ministères. En 2009, il est licencié du seul fait que ses parents étaient engagés au sein du parti Oromo Liberation Front. Il retourne dans sa ville natale, Nazret, mais en 2010, reçoit plusieurs visites de la police qui l'interroge sur les activités politiques de son père, ceci non seulement à son domicile, qui est perquisitionné avec saisie du mobilier et de documents personnels, mais aussi dans la supérette qu'il a ouverte, notamment pour l'obliger à la fermer, celle-ci ayant été nuitamment vidée de son contenu.
Plusieurs fois interrogés par la police, ses parents sont enlevés devant chez eux pour être, quinze jours plus tard, jetés hors d'une voiture devant ce même domicile. Dans le coma, sa mère meurt deux jours après et son père quelques semaines plus tard à l'hôpital, après avoir témoigné des tortures subies jour et nuit. A la suite du décès de ses parents, M. Tahir Tilmo s'engage au sein de l'OLF et, poursuivi, doit vivre caché et déménager très souvent. Visé par un avis de recherche, il traverse, maquillé et déguisé, la frontière du Soudan qu'il quitte après un an pour la Libye, puis se rend en Italie par bateau avant d'arriver en Suisse en avril 2013, d'où il sera renvoyé en janvier 2021 par décision du SEM, confirmée par l'OCPM.
Depuis janvier 2021, comme cela a déjà été dit, M. Tahir Tilmo vit en clandestin dans son propre pays, complètement cloîtré, dans la crainte de se faire arrêter, emprisonner ou tout simplement assassiner. Face à ce tableau terrifiant, je n'ai pas grand-chose à ajouter et je vous enjoins, Mesdames les députées, Messieurs les députés, d'accepter cette proposition de résolution. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien votera cette proposition de résolution, parce que la situation en Ethiopie est parfaitement instable. On a appris ce qui s'est passé durant la récente guerre du Tigré: recours à une armée étrangère, massacres, viols de femmes, déportation de la population. Dans d'autres régions d'Ethiopie, certaines ethnies sont également remises à l'ordre par le gouvernement actuel.
Nous voulons simplement que la Confédération suive ses propres principes, à savoir qu'on ne renvoie pas quelqu'un dans un pays où le risque de guerre est avéré, qu'on ne refoule pas une personne qui s'expose à être jetée en prison parce que la situation politique est instable. On doit s'abstenir durant le temps nécessaire, jusqu'à ce que la situation politique soit de nouveau sûre en Ethiopie. Actuellement, il n'est pas possible d'expulser des gens vers ce pays, et c'est la raison pour laquelle le groupe démocrate-chrétien soutiendra ce texte. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je mets cet objet aux voix.
Mise aux voix, la résolution 966 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 47 oui contre 25 non et 3 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)