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PL 12871-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM) (I 1 05)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 29 et 30 avril 2021.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de première minorité de M. Pablo Cruchon (EAG)
Rapport de deuxième minorité de M. Romain de Sainte Marie (S)
RD 1390-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur les effets de l'ouverture dominicale des commerces dans le cadre de la loi expérimentale 12372 modifiant la loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM - I 1 05)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 29 et 30 avril 2021.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de première minorité de M. Pablo Cruchon (EAG)
Rapport de deuxième minorité de M. Romain de Sainte Marie (S)

Premier débat

Le président. Nous reprenons les urgences et nous traitons les objets liés PL 12871-A et RD 1390-A, qui sont classés en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de M. Jacques Béné, à qui je donne la parole.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce énième débat sur les horaires d'ouverture des magasins risque à nouveau - on l'a d'ores et déjà annoncé en commission - de se retrouver devant le peuple. Il s'agit cette fois de pérenniser l'ouverture des trois dimanches, Mesdames et Messieurs, qui a déjà été plébiscitée par le peuple, et puis de prolonger d'une heure l'ouverture du samedi pour terminer à 19h au lieu de 18h actuellement, tout en conservant l'ouverture jusqu'à 19h30 le vendredi. On n'aurait donc plus que deux heures de fermeture différentes: à 19h30 le vendredi et à 19h tout le reste de la semaine. La majorité de la commission et le PLR également sont très satisfaits du dépôt par le Conseil d'Etat de ce projet de loi qui fait écho à deux projets de lois sur les dimanches et sur l'ouverture du samedi - initiés par le PLR, ils sont encore en suspens à la commission de l'économie. Nous ne pouvons donc qu'être satisfaits que l'exécutif revienne avec un projet de loi global.

Mesdames et Messieurs, vous savez que le commerce de détail genevois subit une crise majeure, sans précédent, du fait non seulement de la pandémie, mais aussi de la lente mutation des habitudes de consommation de la population. A la commission de l'économie, deux visions de la société se sont fait face; il y a d'un côté celle de la minorité, qui souhaite imposer à la population sa vision de l'évolution de la société, soit plus de contraintes. On va vous dire quand vous devez consommer - on va bientôt finir par vous dire à quelle heure vous devez aller vous coucher et à quelle heure vous devez vous lever. Notre vision de la société est bien différente: nous souhaitons moins de contraintes et plus de liberté, notamment dans les actes d'achat. On voit bien que la population demande plus de liberté: les commerces de France voisine sont assiégés par les Genevois, entre autres le dimanche matin mais également le soir - principalement le samedi -, et puis il y a surtout le développement des achats sur internet qui peuvent, eux, se faire 24 heures sur 24.

Passons aux arguments majeurs qui militent en faveur de l'acceptation de ce projet de loi. Tout d'abord, en ce qui concerne les dimanches, on a constaté qu'ils correspondent à un besoin pour les commerces genevois puisque ceux-ci les plébiscitent, y compris les petits commerces. En outre, tous ces commerces n'ont eu aucune difficulté à trouver des collaborateurs disposés à travailler les trois dimanches: la rémunération, vous le savez, est bien évidemment du double de celle d'une journée de travail ordinaire. Il n'y a donc pas de problème par rapport à cela. On a aussi constaté qu'il n'y a eu aucune violation de la loi sur le travail pendant cette expérience - la loi actuelle sur l'ouverture des dimanches était une loi expérimentale et c'est bien pour ça qu'il faut qu'on revienne dessus de manière définitive. C'est quand même un des arguments que les contestataires avaient évoqués, ou plutôt ceux qui ont lancé le référendum sur cette thématique. On a par ailleurs constaté que le besoin n'est pas uniquement celui des grandes surfaces, comme on l'avait affirmé...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Jacques Béné. ...mais aussi celui des petits commerces. Enfin, la loi prévoit de rendre obligatoire le respect des compensations prévues dans les usages pour le travail des dimanches, comme c'est déjà le cas pour le 31 décembre; tout est donc conforme de ce point de vue également. Et puis si les opposants à ce projet de loi dénoncent le fait que les Genevois ne vont en France voisine que parce que tout y est moins cher, des études démontrent que l'ouverture massive des commerces français le dimanche a un impact négatif sur le commerce suisse au-delà du simple niveau des prix.

S'agissant du samedi, c'est également un combat de longue date, mais qu'on n'avait pas voulu lier à l'ouverture des dimanches. Il y a pourtant aussi une réelle volonté, une réelle demande des consommateurs et des différentes enseignes que l'ouverture soit prolongée jusqu'à 19h comme dans beaucoup de cantons, ne serait-ce que dans le canton de Vaud voisin. A Chavannes, le centre Manor ouvre effectivement jusqu'à 19h le samedi, pour le bien-être des Genevois !

En guise de conclusion, Mesdames et Messieurs, si on ne fait rien, il est clair que le commerce de détail genevois continuera à perdre en attractivité. Ce projet de loi est non seulement favorable pour l'emploi, mais il l'est également pour le commerce local. Nous avons parlé tout à l'heure de production locale, de commerce local et de circuits courts: ce serait quand même aberrant d'avoir voté toutes les aides covid pour les commerçants genevois, mais de refuser ce projet de loi qui vise justement à consommer local plutôt que d'envoyer les consommateurs genevois en France voisine.

Notre vision est donc celle-ci: plutôt que de subir l'évolution de la société, Mesdames et Messieurs, nous préférons l'accompagner. Et cet accompagnement passe par la mise en place de conditions-cadres qui permettent de préserver l'emploi, de préserver les conditions de travail, mais aussi d'accéder à ce que la population souhaite. Et la population, très clairement, souhaite des horaires d'ouverture un peu plus larges que ceux en vigueur à l'heure actuelle. Je vous invite donc, au nom de la majorité de la commission mais également au nom du PLR, à bien vouloir accepter ce projet de loi. Et je remercie infiniment le Conseil d'Etat de l'avoir déposé ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de première minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la première fois que j'ai vu ce projet de loi du Conseil d'Etat, j'ai été choqué - choqué que le gouvernement mène une offensive sur les conditions de travail des personnes qui ont été au front pendant une année. Des personnes qui nous ont parfois servis dans des conditions particulièrement discutables puisqu'on leur interdisait le port du masque, au début, dans certaines enseignes. Elles ont dû se battre pour avoir des plexiglas; elles ont dû faire face aux absences des collègues malades et à la grogne des clients à cause des ruptures de stock, etc.

Je me suis dit que le travail de commission me réconcilierait peut-être avec la position du Conseil d'Etat. Malheureusement, après ce travail, c'est encore pire ! C'est encore pire puisque tous les arguments avancés sont soit des mensonges soit erronés, et je vais y revenir. L'exécutif a basé ce texte sur l'expérience de la loi test, comme il l'appelle, qui a permis d'ouvrir les trois dimanches durant deux ans. Cette loi, selon le rapport soumis par le gouvernement, a été super bénéfique pour le commerce de détail. Or lisez ce rapport: je m'excuse, mais en première année d'université, il obtiendrait la note de 1 ! Il n'y a aucune méthodologie sérieuse, aucune donnée objectivable et objectivée; les rares données qu'on a sont en plus biaisées par l'année du coronavirus. Ce rapport est tout simplement irrecevable !

Qu'a fait le Conseil d'Etat ? Il a demandé aux patrons comment ça s'est passé pour eux; ils ont répondu: «Oh, c'était super, on a fait plein de fric !» Après, il a demandé aux syndicats comment ça s'est passé pour eux: «Ah, c'était pas sympa, on s'est fait imposer les dimanches.» - «Ok, mais il n'y a aucune preuve que vous vous êtes fait imposer les dimanches et donc le résultat de cette loi est super bon !» Voilà le résumé du rapport du Conseil d'Etat ! C'est indigne, je le dis, c'est indigne d'un exécutif de présenter un rapport pareil, encore plus pour justifier une attaque frontale contre les conditions de travail du personnel de la vente ! (Applaudissements.) Merci.

La question de la forme ne doit pas cacher le fond, à savoir ce à quoi ce projet de loi ouvre la porte. Ce projet de loi est particulièrement pernicieux parce qu'il se base sur l'idée qu'on ouvrait déjà trois dimanches et qu'il s'agit juste de les pérenniser et de lisser les horaires sur la semaine. Nous avons déjà abondamment commenté la question de l'ouverture des dimanches et vous savez qu'Ensemble à Gauche y est opposé. Il y est particulièrement opposé puisqu'elle ouvre la porte à une libéralisation des heures d'ouverture des magasins et qu'elle va vers une société du tout consommateur, où on peut consommer tout le temps, partout, sans réfréner ces pulsions. Mais nous y sommes surtout opposés parce qu'on sait que ça concentre les richesses, favorise les grandes enseignes et va à l'encontre de l'intérêt des travailleuses et des travailleurs. Je vais y revenir parce que le Conseil d'Etat nous dit: «Oui, mais ça dope l'emploi, ça dope le chiffre d'affaires, etc.», et tous ces arguments sont parfaitement mensongers.

Sur les emplois: pendant des années et des années... Pardon, je n'ai pas fini l'argument d'avant ! Excusez-moi ! Non seulement on parle des dimanches, mais ce projet de loi veut également permettre d'ouvrir une heure de plus le samedi. En fait, c'est là le nerf de la guerre; voilà pourquoi M. Béné est tout frétillant sur sa petite chaise de ce que le Conseil d'Etat ait déposé ce texte ! L'enjeu fondamental de cette loi, c'est en effet d'ouvrir une heure de plus le samedi parce que c'est une heure qui rapporte très gros aux patrons des enseignes et qui coûte très cher - très cher - aux salariés en matière de conditions de travail. C'est la journée la plus pénible ! Il y a un monsieur boucher...

Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe.

M. Pablo Cruchon. Pardon ?

Le président. Vous parlez désormais sur le temps de votre groupe !

M. Pablo Cruchon. Un monsieur, boucher à la Coop, est venu défendre en commission les conditions de travail de ses collègues. Il nous a dit: «Le samedi, c'est une journée où on finit à genoux: on est cassés. On n'a pas de pause, on n'arrête jamais.» Et c'est cette journée que vous voulez augmenter d'une heure ! C'est un affront ! C'est particulièrement un affront parce que la seule demande formulée par le personnel des magasins alimentaires dans ses assemblées générales, après une année de sacrifices, c'était de pouvoir prendre congé les samedis. La seule réelle revendication du personnel de vente était: «Nous voulons pouvoir prendre congé les samedis pour pouvoir nous reposer.» La seule réponse du Conseil d'Etat, c'est: «Ah, super, vous avez bossé; maintenant, vous allez bosser plus le samedi et le dimanche.» Et ça, c'est l'apéro ! Parce que derrière ce projet de loi se profile évidemment l'ouverture généralisée des commerces le soir et les dimanches - c'est ce qu'on souhaite atteindre, et j'y reviendrai aussi.

Pour conclure, parce que j'aimerais garder un peu de temps pour répondre aux questions... (Remarque.) ...après avoir refusé de protéger les salariés, après avoir refusé de protéger les travailleurs précaires, après avoir refusé de protéger les locataires, après avoir refusé systématiquement la moindre mesure allant dans le sens des salariés, le Conseil d'Etat dévoile son vrai visage. Quel est-il ? C'est de faire payer la crise aux salariés ! L'offensive a commencé: on attaque les conditions de travail - ils ont voulu attaquer les conditions de travail de la fonction publique et ils s'attaquent maintenant au privé. Le député Burgermeister l'a dit avant: quand les aides seront finies, la crise va s'amplifier et les conséquences seront alors terribles. Et ce sont les salariés qui vont payer pendant que vous protégez les patrons et les grandes enseignes. C'est particulièrement inadmissible et, en tant que rapporteur de première minorité, je vous le dis: vous aurez un référendum si vous votez cette loi ! Merci. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est effectivement pas la première fois que nous débattons des horaires d'ouverture des magasins. Au-delà de leur extension, de l'allongement de 18h à 19h le samedi et des trois dimanches par année en plus du 31 décembre, ce qui blesse véritablement ici, c'est l'attaque contre le partenariat social. C'est une attaque - elle n'est d'ailleurs pas du tout voilée - du Conseil d'Etat, de la droite et des milieux patronaux qui n'attendent plus rien du partenariat social et qui de fait vont de l'avant, s'asseyent sur ce partenariat et passent en force. Ils s'adressent directement au peuple, sachant qu'il y aura une votation puisque référendum il y aura, et ne cherchent absolument pas à négocier quoi que ce soit au préalable. Pourtant, dans notre bon vieux système démocratique suisse, la recherche du consensus doit normalement toujours primer.

Ce qui est d'ailleurs terrible, soit dit en passant, c'est que dès que la gauche cherche à améliorer les conditions de travail des salariés, des travailleuses et des travailleurs de ce canton, on lui rétorque à droite qu'elle s'attaque au partenariat social et qu'elle le viole. A ce moment-là, j'aimerais savoir ce que font dans le cas présent la droite et la majorité du Conseil d'Etat de l'époque - elle a heureusement changé - si ce n'est s'attaquer directement au partenariat social et le mettre à mal. En 2016, une majorité du Grand Conseil avait en effet opté pour une logique de compromis, et le peuple avait suivi: on ouvrait davantage les commerces, mais on apportait des garanties en matière de conditions de travail en rendant obligatoire une convention CCT étendue dans la branche du commerce de détail. Force est de constater que le partenariat social n'a pas fonctionné, que la droite et les milieux patronaux sont passés en force et ont en effet réussi leur coup devant la population avec cette loi expérimentale. Une loi expérimentale - qui, comme toujours, devient définitive - qui visait uniquement les trois dimanches par année et le 31 décembre; cette fois-ci, on s'attaque en plus à une extension de l'horaire d'ouverture, le samedi, de 18h à 19h.

Pablo Cruchon l'a mentionné: c'est tout de même un peu léger ! Je ne reviendrai pas sur la qualité du rapport présenté ici et que nous devrons encore accepter; en l'occurrence, le groupe socialiste le refusera et proposera son renvoi au Conseil d'Etat. D'un point de vue méthodologique, celui-ci est en effet plus que discutable ! Le rapport se base sur les retours des employeurs par rapport à la phase test de deux ans, mais aucune étude objective, vraiment objective, n'a réellement été menée sur la manière dont les salariés ont vécu cela. Le seul élément donné consiste à dire: «Vous voyez, il n'y a pas eu de contestation et on peut du coup aller de l'avant.» Mais comment voulez-vous que les salariés osent aujourd'hui se plaindre des conditions de travail lorsqu'ils sont dans un secteur comme celui du commerce de détail qui est sous pression - d'autant plus sous pression avec la crise que nous traversons ! Et cela malgré le fait qu'on cherche en effet à leur imposer des conditions de travail toujours pires, notamment par le biais des horaires.

Maintenant, on le sait, c'est un type de commerce particulièrement touché par la crise. Les salariés de ces commerces - je ne parle pas des commerces de denrées alimentaires mais de tout le reste du commerce de détail - peuvent bénéficier des RHT et beaucoup de salariés touchent ces indemnités. Rappelons qu'il s'agit seulement de 80% de leur salaire, pour des salaires déjà bas ! Imaginez donc toute la difficulté de vivre à Genève avec seulement 80% d'un bas revenu - c'est simplement impossible ! C'est pourtant la question des salaires que vous devriez vous poser, Mesdames et Messieurs de la droite ainsi que des milieux patronaux. Si vous souhaitez relancer le commerce de détail, ce n'est pas en ouvrant davantage que vous y arriverez. Absolument pas ! Le rapporteur de majorité prétend qu'une étude prouverait que...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Romain de Sainte Marie. ...des horaires d'ouverture étendus aident à la relance économique. C'est absolument faux ! La Fédération romande des consommateurs l'explique très bien, toutes les études l'expliquent: les deux facteurs qui font que le commerce de détail genevois va mal, c'est d'une part le tourisme d'achat du fait de la différence de prix avec la France voisine, et c'est ensuite le commerce en ligne.

Quelle est la cause du tourisme d'achat du fait de la différence de prix ? Il est dû au pouvoir d'achat toujours plus bas, à Genève, d'un grand nombre de Genevoises et de Genevois, et c'est sur ce point qu'il faut agir ! Il faut aider les personnes les plus précaires à avoir davantage, à pouvoir consommer à Genève plutôt qu'en France voisine parce que les prix sont trop élevés à Genève par rapport à la France voisine. Et c'est là l'enjeu: si vous dépensez un franc la semaine et que vous n'en avez pas un deuxième, vous n'allez pas consommer le dimanche également ! Ce franc sera dépensé la semaine et étendre les horaires d'ouverture des magasins ne changera absolument rien à cela. Si vous souhaitez réellement aider le commerce de détail, il faut agir en matière de pouvoir d'achat et aider les milieux les plus précaires à gagner davantage. Il faut faire en sorte que ces personnes puissent consommer à Genève et puissent consommer tout court: aujourd'hui, pour beaucoup, elles sont dans l'incapacité de le faire.

Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste vous invite à refuser ce projet de loi. Il est simplement inadmissible de passer en force sur le partenariat social et de faire subir à un grand nombre de salariés une flexibilité supplémentaire des conditions de travail. Nous vous invitons donc à refuser ce texte. (Applaudissements.)

M. André Pfeffer (UDC). Le groupe UDC soutient ce projet de loi et trouve nécessaire de permettre à nos commerçants, qui traversent déjà une crise grave, de compenser une partie des inconvénients et des désavantages qu'ils ont par rapport à une grande partie de nos voisins. Pour rappel, en France voisine, les magasins n'ouvrent pas seulement trois dimanches par année, mais douze, voire encore plus dans certaines branches. En France, les heures de fermeture sont également beaucoup plus tardives.

Le rôle du législateur est de favoriser l'environnement et de réduire les dysfonctionnements de concurrence. Cet environnement inclut aussi le traitement par les partenaires sociaux principalement de la question des conditions de travail des employés. S'il existe un blocage entre partenaires dans ce secteur du commerce de détail, la raison tient partiellement à l'ingérence excessive de l'Etat, notamment avec les contrats types, l'exigence d'une convention collective de travail pour l'ouverture des trois dimanches qui était tout de même une mesure inédite dans notre pays, le vote du salaire minimum, etc. L'Etat doit respecter son rôle. Certaines conditions-cadres pour stopper le déclin du commerce de détail genevois, quand les surfaces commerciales en France voisine se multiplient, sont absolument nécessaires !

L'amélioration des conditions-cadres est aussi nécessaire pour sauver ce secteur sinistré. Il est évidemment question de sauver des entreprises, mais également de sauver les salaires d'une catégorie de salariés que la gauche prétend très précarisée. L'Etat doit cependant tout entreprendre pour que les conditions de travail des collaborateurs soient traitées principalement entre les partenaires sociaux. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC soutient ce projet de loi. Merci.

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'aimerais refaire un peu l'historique pour préciser la position des Verts quant à ce projet de loi. En novembre 2016, la population genevoise était appelée à se prononcer sur l'initiative «Touche pas à mes dimanches !». Les Vertes et les Verts y étaient largement favorables, tant nous pensons qu'un dimanche peut être consacré à d'autres activités qu'à se ruer dans les temples de la consommation. Se promener en famille, visiter des musées, jouer au frisbee, aller au cinéma, jouer au Trivial Pursuit ou faire un grand tour à vélo sont quelques exemples d'activités bien plus utiles à l'épanouissement personnel. J'aurais pu ajouter aller à la messe ou au culte, mais je ne tiens pas à marcher sur les plates-bandes du parti du Centre qui se trouve à mes côtés.

Des voix. Ah !

M. Pierre Eckert. Les valeurs centrales des Vertes et des Verts restaient donc inchangées: pas d'ouverture des magasins le dimanche ! Par souci de compromis, nous avions tout de même apporté une faible voix au contreprojet qui autorisait l'ouverture quatre dimanches en contrepartie de la mise en place par la branche d'une convention collective de travail étendue, mais nous continuions à privilégier l'initiative. Comme vous le savez, c'est le contreprojet qui a été voté.

Deux ans après, il n'y avait pas de CCT étendue, mais un projet de loi de la droite demandait l'ouverture quatre dimanches - sans CCT - pour une durée expérimentale de deux ans. Son bilan succinct a été établi dans le rapport divers dont mes préopinants parlaient tout à l'heure. Tout comme les deux rapporteurs de minorité, nous estimons que ce bilan est largement tronqué, notamment quant à savoir si ces ouvertures du dimanche ne favoriseraient pas les grandes surfaces au détriment des petits commerces.

Après ce premier coup de couteau dans la décision populaire de 2016, le Conseil d'Etat, dans sa majorité précédente - je tiens à le préciser -, revient avec un projet de loi encore bien pire. Non seulement il pérennise la possibilité d'ouvrir quatre dimanches sans aucune contrepartie en matière de CCT, mais il ajoute une heure d'ouverture le samedi, en fin de journée. S'il est douteux que cette mesure soit favorable aux consommatrices et aux consommateurs, elle constitue surtout une dégradation notable des conditions de travail du personnel de vente, qui va arriver chez lui à 19h30, 20h, voire plus tard, le samedi, après sa semaine de travail. Rappelons aussi que c'est sur un personnel de vente en grande partie féminin qu'on ferait ainsi porter une discrimination supplémentaire.

Enfin, les arguments avancés pour justifier le texte ne tiennent pas pour un certain nombre de raisons; j'en citerai trois. Premièrement, la mesure devrait relancer la consommation: nous pensons tout d'abord que c'est douteux. De plus, pour le bien de la planète, les Vertes et les Verts ne sont pas favorables à une relance par la consommation. En tout cas pas ainsi, comme nous l'avons vu dans le projet de soutien à la vente directe, que nous avons soutenu comme vous l'avez vu tout à l'heure.

Deuxièmement, le projet de loi permettrait de lutter contre la concurrence transfrontalière: on l'a dit, les horaires d'ouverture ne sont de loin pas le premier paramètre qui pousse les Genevois à s'approvisionner parfois en France voisine.

Troisièmement, le projet de loi favoriserait l'ensemble des commerces: nous en doutons fortement et restons convaincus qu'il favorise les plus grosses enseignes, qui ont la capacité d'organiser des rotations de leur personnel. C'est bien plus compliqué pour les plus petits commerces, qui n'auront la capacité ni d'ouvrir le dimanche, ni de prolonger leurs horaires le samedi. Aucune des auditions de la commission n'a pu nous persuader du contraire. Pour l'ensemble de ces raisons, nous refuserons avec conviction ce nouveau projet de loi. (Applaudissements.)

Le président. Merci beaucoup, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. le député Murat-Julian Alder pour une minute.

M. Murat-Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. Puisque le député Pablo Cruchon a offert de répondre à quelques questions, je vais lui en poser. Monsieur Cruchon, saviez-vous qu'il existe en Suisse un droit du travail, qui s'applique toute l'année et qui protège l'ensemble des salariés de ce pays ? Comment expliquez-vous que notre pays voisin, la France, qui dispose de l'un des codes du travail les plus stricts et les plus rigides d'Europe, parvient néanmoins à offrir la possibilité à chacun de faire ses courses tous les dimanches matins de l'année ?

Saviez-vous qu'il est désormais possible aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies, de commander à peu près tout et n'importe quoi sur internet et même de se faire livrer à domicile ? Croyez-vous vraiment que c'est en massacrant le commerce genevois avec la tronçonneuse de votre rigidité intellectuelle et idéologique que nous permettrons à notre économie de faire face à la concurrence dans l'espace, dans le temps et sur internet ?

Bref, Monsieur Cruchon, Mesdames et Messieurs de la gauche, dans quel monde et à quelle époque vivez-vous ? (Applaudissements. Huée. Remarque.)

M. Jacques Blondin (PDC). Le sujet est émotionnel, c'est évident. Je me pose la question de savoir pourquoi le Genevois va faire ses courses le samedi en fin de journée et le dimanche matin, alors qu'il aurait la possibilité d'étendre ses achats sur le reste de la semaine. Mais la réalité est là et il faut bien faire avec. La discussion est évidemment pertinente, mais elle est tendue. On parle de trois dimanches; je vous signale juste - on l'a dit - qu'à Berne, au Conseil national, certains ont même envisagé d'ouvrir dix dimanches par année.

On a donc un problème sociétal évident; ne nous en déplaise, les gens ont changé leurs habitudes de vie. Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Eckert: le dimanche était le jour du repos, il y avait mille raisons d'être en famille, il y avait encore des raisons religieuses. Mais les temps ont changé, les gens font autre chose et, de fait, ils se déplacent. J'habite en périphérie; le dimanche, vous trouvez effectivement les gens - ce n'est pas que pour l'argent - à Divonne, à Saint-Julien, à Collonges... ou vous les trouvez à Plainpalais. Le marché de Plainpalais, hors covid, est pour moi un bon exemple: il a eu de la peine à émerger mais depuis qu'il existe, les gens y vont. C'est la preuve qu'ils ont envie de bouger, le dimanche. Je citerai à nouveau - et ça plaira peut-être à M. Pablo Cruchon - les propos d'un rebelle, Boris Vian, qui a rappelé, il y a très longtemps, que les gens s'emmerdaient le dimanche... (Remarque.) ...et qu'il fallait donc qu'ils s'occupent. Evidemment, à l'époque, ça a détonné; c'était dans les années 50 ! Depuis, ça ne s'est pas arrangé. Une chose est sûre: si on ne fait rien, le commerce de détail genevois va péricliter. Il perdra de son importance, et des emplois avec - c'est quand même une réalité économique.

Pour en venir au travail qui a été fait, je suis, là, obligé de corriger un peu les propos tenus par mes collègues de gauche: lors des auditions, les représentants économiques ont été relativement clairs sur les constats qu'ils ont faits pendant les deux années d'essai. Ils sont arrivés avec des chiffres, des faits, des constats par rapport à leurs employés alors que, je suis désolé, je ne suis pas syndicaliste, mais quand même: les syndicats sont plutôt arrivés avec des dogmes qu'avec des chiffres ! Et c'est dommage, parce que la réalité du terrain est différente: il y a des étudiants qui cherchent des jobs, des gens intéressés à travailler le dimanche parce que le salaire est double et qu'ils peuvent reprendre ces heures ultérieurement. On est bien obligé de prendre en compte ces considérations. Le parti démocrate-chrétien, qui soutiendra naturellement ce projet de loi, met un point d'honneur à ce que les conditions salariales du personnel soient bien évidemment respectées.

Pour en venir aux CCT, vous savez très bien que l'échec antérieur est lié à la convention collective étendue. Il y a eu un jeu politique - c'est normal, ça fait partie de la stratégie - qui a provoqué un blocage; là, on passe au-dessus.

Il est question de trois dimanches par an pour donner une bouffée d'air à l'économie. Nous connaissons tous des gens qui sont dans le petit commerce, et les organisations professionnelles l'ont dit: il n'y a pas de confrontation entre les petits et les grands commerces. Le problème est général et il faut trouver un moyen de garder les consommateurs à Genève. Alors une chose est sûre: si on a un franc, on n'en dépensera pas deux - mais autant le dépenser, a priori, à Genève qu'à la périphérie. Le grand centre commercial Open, à Saint-Genis-Pouilly, dont nous parlerons à une autre occasion, n'est pas destiné à la périphérie française mais aux Genevois. Ce n'est pas pour rien: c'est pour les appâter le dimanche.

On doit donc s'opposer à ça, et il est évident qu'un des moyens, c'est de pérenniser cet essai de trois dimanches par année - en respectant les conventions collectives, en payant le personnel - pour donner les moyens à l'économie genevoise de sortir de l'ornière. (Remarque.) Nous sommes bien d'accord que ce n'est pas un projet covid: il est antérieur à cela. Il s'agit d'un projet économique pour la survie de notre commerce de détail genevois. C'est fondamental, raison pour laquelle le parti démocrate-chrétien soutiendra ce projet de loi. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à M. le député Pablo Cruchon pour une minute et cinquante-six secondes.

M. Pablo Cruchon (EAG), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le député... Monsieur le président, pardon ! Vous savez, moi, les révérences...

Quelques éléments sur l'emploi pour corriger un tout petit peu ça ! Depuis quarante ans, on a une extension massive des horaires d'ouverture des magasins: vous pouvez regarder, il y a eu une large extension ! Pourtant, le nombre d'emplois n'a cessé de reculer dans le commerce de détail. Il n'y a aucun lien de causalité. Le même débat, on l'a eu à propos des jeudis et des nocturnes ! La droite et les patrons nous disaient alors que c'était pour la relance, etc. Aujourd'hui, ce sont les mêmes qui nous disent que ça ne marche pas et que, du coup, ils veulent tenter le samedi. Donc, la variable d'ajustement, de nouveau, toujours, ce sont les travailleuses et les travailleurs, et pas autre chose ! Je vous rappelle juste que Manor a licencié 500 personnes au mois d'août. On leur a demandé si c'est à cause de la crise covid, ils ont dit: «Non, non, on digitalise parce que c'est là qu'est le business, c'est un plan stratégique que nous mettons en oeuvre.» Vous voyez donc bien que tout ça est de la poudre aux yeux ! Ça sert juste à concentrer les richesses et à favoriser les grandes enseignes comme Manor ou la Coop, au détriment du petit commerce qui, historiquement, s'est positionné à plusieurs reprises contre ces dimanches, ou en tout cas en exprimant des réserves. Je vous rappelle que 92% des magasins dans le commerce de détail ont moins de dix employés, c'est donc la majorité de ces magasins qui n'ouvriront pas ou ouvriront très peu les dimanches.

Encore un détail: ce projet est issu de l'ancienne majorité du Conseil d'Etat, une majorité de droite. Cette majorité a changé: malheureusement, aujourd'hui, Monsieur Poggia, vous êtes le seul à représenter le Conseil d'Etat et pas cette nouvelle majorité. Ce n'est pas contre vous, vous m'excuserez ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Le groupe Ensemble à Gauche demande donc l'ajournement de cette discussion pour que le Conseil d'Etat puisse se prononcer sur ce sujet dans sa nouvelle composition. (Exclamations et applaudissements. Quelqu'un entonne «L'Internationale». L'orateur se met aussi à chanter.)

...Groupons-nous, et demain,

L'Internationale

Sera le genre humain !

Merci de m'avoir lancé ! Non, Monsieur, j'ai été coupé et je voulais juste répondre à M. Murat Alder... (Le micro de l'orateur est coupé. Rires. Applaudissements. Brouhaha. Le président attend que le silence revienne.)

Le président. Nous sommes saisis d'une demande d'ajournement que je vous fais voter - à la majorité des deux tiers. (Remarque.) Pardon, M. le sautier a raison: d'abord les rapporteurs et le Conseil d'Etat, ensuite le vote ! Monsieur Béné, uniquement sur la demande d'ajournement !

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, il faut être réaliste, il s'agit d'une loi et il faut rappeler que la population a très clairement plébiscité l'ouverture des dimanches - c'est un point qui me paraît essentiel. S'il y a un référendum, comme Ensemble à Gauche l'a annoncé, cela veut dire qu'il faut qu'on vote rapidement ce projet de loi pour que le référendum puisse être lancé et qu'on puisse se prononcer au mois de septembre sur ces horaires d'ouverture. Cela permettra ensuite au Conseil d'Etat de fixer les dimanches pour la fin de l'année. Sinon, on prend effectivement le risque que la population soit trompée et ne puisse plus bénéficier de ces ouvertures de commerces le dimanche. Quand on parle de flexibilité, c'est bien le maître mot, ça a été dit tout à l'heure...

Le président. Uniquement sur l'ajournement, s'il vous plaît !

M. Jacques Béné. C'est bien de la flexibilité qu'il faut et cette flexibilité impose aujourd'hui de voter ce projet de loi sans ajournement !

Le président. Merci. Monsieur Romain de Sainte Marie, sur l'ajournement.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste votera la demande d'ajournement. La composition du gouvernement a changé et il ne serait en effet pas normal de demander au Conseil d'Etat nouveau d'assumer la volonté de la précédente majorité de droite de s'asseoir sur le partenariat social ! (Applaudissements.)

Le président. Merci. Monsieur le conseiller d'Etat Mauro Poggia, sur l'ajournement, voulez-vous dire un mot ?

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. (Grésillement de micro.) Ah, c'est décidément le micro qui a un problème, ce n'était pas ma collègue qui était radioactive ! (Rires.) Je me déplace ! (L'orateur change de place.)

Cette demande d'ajournement est un moyen dilatoire, évidemment. Si je suis ici pour défendre cet objet, c'est que le Conseil d'Etat m'a nommé pour ça. J'ai donc bien sûr toute la légitimité pour exprimer ici non pas un avis personnel, mais l'avis du Conseil d'Etat, qui est aussi celui de la majorité de la commission.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter sur cette demande d'ajournement, non pas à la majorité des deux tiers comme je l'ai dit tout à l'heure; je me suis trompé: c'est à la majorité simple.

Mis aux voix, l'ajournement du rapport sur le projet de loi 12871 est rejeté par 59 non contre 40 oui.

Le président. Le débat continue, je donne la parole à M. le député Daniel Sormanni.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je pense que cette loi est nécessaire. J'aimerais quand même rappeler qu'aux dernières nouvelles, en Suisse, à Genève, nous sommes dans une économie libre ! Nous ne sommes pas dans une économie planifiée, le consommateur est donc libre de consommer où il veut et quand il veut ainsi que de se déplacer comme il l'entend. Heureusement qu'on n'est pas dans une économie planifiée: dans les économies planifiées que vous avez bien connues - pour certains, en tout cas -, il n'y avait rien dans les magasins, il n'y avait rien à acheter et il n'y avait pas besoin d'y aller, donc ! (Rires.)

J'aimerais aussi rappeler qu'au tout début de ce processus, il y a eu toute une discussion sur ces extensions et sur la nécessité d'une convention collective, et il y avait à l'époque une convention collective ! Et qui a finalement saboté cette possibilité ?

Une voix. La gauche !

M. Daniel Sormanni. Malheureusement, ça me fait mal au coeur, mais je dois quand même le dire, ce sont les syndicats qui, au moment où tout ceci se discutait, ont fait une telle surenchère que, du coup, il n'y a plus eu de convention collective - plus du tout ! Par conséquent, ce sont les syndicats eux-mêmes qui ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis, et je crois qu'il était bon de le rappeler. (Commentaires.) Si on ne fait rien, Mesdames et Messieurs les députés, eh bien, ce sera une lente mort du commerce de détail genevois. Les habitudes des consommateurs ont changé et, comme je l'ai dit, ces consommateurs sont libres. Avant, le dimanche, c'était le jour du repos voire le jour du Seigneur, pour certains. Ce n'est plus du tout ça aujourd'hui: les gens ont envie de bouger et les gens ont envie de consommer. (Exclamations.) Eh oui ! Eh oui ! Il n'y a qu'à le voir avec l'ouverture des terrasses - comme elles sont envahies ! Les gens ont envie de consommer, et je crois qu'il faut quand même rappeler que, dans ce secteur, 80% des travailleurs sont des frontaliers qui, eux, consomment bien évidemment en France ! Je rappelle aussi les dégâts occasionnés par le salaire minimum le plus élevé du monde.

Mesdames et Messieurs les députés, cette souplesse qui a été essayée ne constitue pas une dégradation totale des conditions de travail des employés, ce n'est qu'une petite avancée qui devrait permettre - ce sera à mesurer - d'alimenter le commerce et de faire en sorte que les gens d'ici consomment ici. C'est d'ailleurs ce que demande l'Alternative: on dit souvent qu'on veut une économie circulaire, on veut que les gens consomment local ! Avec vos positions, ils ne consomment pas local, ils vont consommer en France ! Donc, faisons en sorte qu'ils puissent consommer ici, à Genève !

Tout à l'heure, j'ai entendu un député des Verts dire: «Ah, mais nous, de toute manière, on ne veut pas d'une relance de l'économie.» Alors vous voulez quoi ? Vous voulez une relance du chômage ? C'est ça que vous voulez ? (Huées. Applaudissements.) Mesdames et Messieurs les députés, je crois que vous n'êtes pas du tout sur la bonne longueur d'onde, je vous invite par conséquent à voter ce projet de loi qui est excellent pour favoriser et relancer le commerce à Genève et l'économie circulaire ! (Huées. Applaudissements. Rires.)

Le président. Rien, mais rien ne nous sera épargné ! D'ailleurs, comme me le rappelle le premier vice-président, chanter - même avec un masque - n'est pas recommandé par l'OFSP. Vous pouvez murmurer, mais pas chanter - et ça s'adresse à tous les groupes ! Sur ce, la parole est à M. le rapporteur de minorité Romain de Sainte Marie pour deux minutes vingt et une.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de deuxième minorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'entends le député Blondin et le député Béné dire que les rangs de la gauche souhaitent dicter à la population comment vivre: c'est faux ! C'est faux, Mesdames et Messieurs les députés ! C'est la droite qui dicte aujourd'hui à la population comment vivre en lui ordonnant d'aller consommer le dimanche: comme quoi la vie passe par la consommation ! C'est vous qui dictez ça ! Pire encore, vous imposez le travail - en édictant aujourd'hui qu'il faudra travailler le dimanche ! Parce qu'au-delà de la consommation, Mesdames et Messieurs de droite, pensez qu'il y a des femmes et des hommes qui travaillent pour permettre cette consommation ! Ce que vous faites, c'est d'édicter le travail le dimanche ! (Protestations. Applaudissements. Vifs commentaires. Chahut.)

Enfin, Monsieur le président, vous transmettrez à M. Alder: que celui-ci fasse preuve d'un peu de courage et qu'il aille jusqu'au bout de ses arguments ! M. Alder prétend qu'il faut lutter contre le commerce en ligne, qui est ouvert 24 heures sur 24, et que c'est la raison pour laquelle il faut ouvrir davantage le commerce de détail. Monsieur Alder, allez jusqu'au bout de vos idées et amendez ce texte pour ouvrir le commerce de détail 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ! Je vous remercie, Monsieur le président, et j'appelle à refuser ce projet de loi ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. Baertschi pour vingt-deux secondes - et je les compte !

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Après avoir eu le salaire minimum le plus haut du monde, qui a attiré tous les frontaliers... (Exclamations.) ...après avoir mis en place des mesures du même acabit, qu'est-ce qu'on veut faire ? On veut contraindre les Genevois à aller en France voisine faire leurs courses tous les dimanches...

Le président. Merci !

M. François Baertschi. ...cela jusqu'à point d'heure, les empêcher de vivre à Genève... (Le micro de l'orateur est coupé. Commentaires.)

Le président. La parole est à M. le député Bavarel pour vingt secondes.

M. Christian Bavarel (Ve). Monsieur le président, je trouve simplement piquant de se rendre compte que c'est la gauche - qui défend les familles plurielles, les familles inclusives, les familles différentes - qui défend le repas du dimanche, qui défend cette tradition et qui dit qu'on doit pouvoir avoir tous congé en même temps ! Et vous, vous dites autre chose, qui me semble totalement hallucinant ! Moi, ce que je veux, c'est que tout le monde ait congé ensemble et puisse participer ensemble à la vie de famille ! (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia.

Une voix. On veut aussi entendre Apothéloz et Mme Torracinta, s'il vous plaît !

Une autre voix. Monsieur Apothéloz ! (Commentaires.)

La première voix. On a une nouvelle majorité de gauche !

Une voix. Un peu de discipline, Monsieur le président ! (Brouhaha.)

M. Mauro Poggia. Merci...

Le président. Monsieur le conseiller d'Etat, attendez un peu ! (Un instant s'écoule.)

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Je ne sais pas si on est au marché aux poissons... (L'orateur attend que le silence revienne.) Je vous remercie !

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, bien sûr, nous souhaiterions tous que la vie familiale, les week-ends entre amis et les moments de sport soient privilégiés. D'ailleurs, ce projet de loi ne les empêche pas et les mesures prises en ce sens doivent être soutenues. Il n'en demeure pas moins qu'il y a une réalité: nous devons pragmatiquement regarder ce qu'est cette réalité et adapter notre législation pour soutenir celles et ceux qui font fonctionner notre économie. Quand certains comprendront qu'on ne protège pas les salariés sans soutenir ceux qui créent les emplois, nous aurons fait un pas essentiel !

Permettre des ouvertures étendues ne veut évidemment pas dire que nous considérons que l'achat est la distraction principale que nous voulons pour notre population. On va y venir, tout est relatif: si l'on regarde un peu autour de soi, dans le monde, vous verrez que nous sommes extrêmement loin des excès que vous fustigez ici ! Il se trouve néanmoins que des habitudes ont été prises, que nous devrons sans doute combattre en faisant des propositions si les activités existant actuellement ne suffisent pas comme alternatives à la consommation. Cela dit, encore une fois, nous allons tous dans les magasins; nous avons tous parfois des activités de plein air en famille le samedi qui nous font rentrer un peu plus tard. Nous pouvons alors encore faire des courses de l'autre côté de la frontière, comme le font certains - ce n'est pas mon cas -, parce que c'est ouvert là-bas lorsque ici c'est fermé. Si l'on peut aller dans le commerce qui est juste dans le quartier, je pense que nous irons dans le sens que vous souhaitez, celui d'éviter les mouvements inutiles.

Ce projet de loi aborde deux aspects: celui des dimanches d'abord, un sujet largement discuté. Je le rappelle, cette loi pilote visait avant tout à examiner de quelle manière se comporteraient les employeurs à l'égard des salariés dans le cadre de ces trois dimanches d'ouverture. Encore ce matin, j'ai lu un article dans la «Tribune de Genève» dans lequel un lecteur demandait pourquoi on n'ouvre pas trente dimanches par année: Dieu merci, ce n'est pas possible ! D'ailleurs, la proposition faite au Parlement fédéral semblait davantage un baroud d'honneur qu'une volonté réelle d'étendre le nombre de dimanches. Le droit fédéral fixe les possibilités d'ouverture à quatre dimanches maximum pour tous les cantons. Il se trouve qu'à Genève, le 31 décembre est considéré comme un dimanche selon le droit cantonal. Il nous en «reste», entre guillemets, trois, et c'est cette possibilité que nous utilisons. Vous avez vu de quelle manière nous l'avons utilisée: essentiellement en fin d'année, les dimanches précédant Noël. Parce que notre population n'avait pas toujours la possibilité d'aller faire ses achats pendant la semaine, elle les faisait de l'autre côté de la frontière - bien évidemment, les centres commerciaux ont été établis là où ils sont dans un but clair. C'est le cas du futur centre commercial de Saint-Genis-Pouilly, dont j'espère qu'il ne verra pas le jour: il est évidemment prévu de l'implanter là parce qu'il est à proximité immédiate de Genève. Si on peut éviter que ces sommes soient dépensées de l'autre côté de la frontière et faire en sorte qu'elles le soient chez nos commerçants, je pense que tout le monde est gagnant.

Je trouve aussi paradoxal d'entendre dans la bouche d'un représentant de la minorité que l'heure du samedi est une heure qui rapporte gros. Excusez-moi, il y a quelque chose de paradoxal à dire que c'est une heure qui rapporte gros mais qu'il faut qu'elle rapporte gros ailleurs, quand on n'a clairement aucun moyen de faire en sorte que celles et ceux qui dépensent ailleurs à ce moment-là dépensent ici à un autre moment de la journée ! C'est peut-être souhaitable dans l'absolu, mais nous n'avons aucun moyen d'agir sur cet élément, et je dirais presque que c'est tant mieux !

Je reviens aux trois dimanches par année: un rapport a été établi, qui est fustigé par certains, mais que vouliez-vous que dise ce rapport ? Nous avons demandé aux syndicats de nous rapporter des situations d'abus; on ne nous en a rapporté aucune ! Et on nous dit aujourd'hui que les salariés n'osent bien évidemment pas se plaindre. Excusez-moi, quand vous voyez les tribunaux de prud'hommes submergés, je me dis qu'il y a des visions un peu différentes de la réalité ! (Commentaires.) Même de manière anonyme, les gens peuvent venir au syndicat en disant: voilà la pression que j'ai subie pour travailler un dimanche. Or, aucun cas n'a été rapporté ! Nous avons demandé au patronat, notamment les associations des petits commerçants, ce qu'ils ont tiré comme profit de cette expérience: la situation et le bilan étaient favorables ! Alors vous direz: prouvez-le-nous, que vous avez gagné de l'argent ! Excusez-moi, Mesdames et Messieurs les députés, soyons sérieux ! Est-ce que vous avez vu un seul commerçant qui demanderait à ouvrir à un moment où il perd de l'argent ? Si l'ensemble des commerçants soutient ce projet, c'est évident, c'est la preuve par quatre que ces dimanches, instaurés précisément pour répondre à l'appel du tourisme d'achat de l'autre côté de la frontière, correspondent réellement à un besoin.

Nous devons donc passer à la vitesse supérieure et pérenniser ces trois dimanches par année. On parle de trois dimanches et j'imagine que certaines personnes dans d'autres pays riront bien fort en écoutant ce débat et se diront que c'est quand même surréaliste qu'on passe à Genève plus d'une heure à discuter pour savoir si on va ouvrir trois dimanches ainsi que le 31 décembre ! Celles et ceux qui veulent faire un repas en famille ne doivent pas être obligés d'aller acheter les ingrédients pour ce repas de l'autre côté de la frontière ! Voilà pour ce qui est de ces dimanches.

Je vous rappelle qu'il y avait une obligation d'établir une convention collective étendue avant le projet de loi pilote qui a été appliqué pendant deux ans. Or, cette convention collective étendue n'a jamais vu le jour: pour qu'il y ait une convention collective, encore une fois, il faut qu'il y ait un accord entre partenaires sociaux. Les responsabilités sont à tout le moins partagées, sans vouloir faire ici un comptage des points de part et d'autre. Certains n'avaient clairement pas intérêt à ce que cette convention collective voie le jour, puisque c'était précisément la condition qui avait été insérée pour que les dimanches soient acceptés. Or, ces conventions collectives ne servent précisément pas à protéger les travailleurs sur ces questions de durée du travail: les conventions collectives étendues ne peuvent être appliquées pour l'ensemble des salariés que pour les questions salariales et pas pour les conditions de travail. Donc, même si on devait exiger une convention collective, jamais ce moyen ne serait le bon pour apporter une protection contre un risque dont on ne nous a d'ailleurs jamais démontré l'existence !

En ce qui concerne les horaires, maintenant: il est certes prévu une heure de plus le samedi, mais aussi deux heures et demie de moins le jeudi. Personne n'en parle, mais l'heure de fermeture du jeudi est ramenée à 19h ! Nous n'aurons plus les nocturnes du jeudi jusqu'à 21h30. Il faut aussi qu'on y comprenne quelque chose: chacun avait son propre horaire dans ce canton et on ne savait plus qui était ouvert à quel moment. Ce sera donc 19h tous les jours ! Seul le vendredi sera ouvert jusqu'à 19h30 pour les personnes qui veulent, le cas échéant, pouvoir ensuite partir en week-end. Ce n'est pas grand-chose: c'est vrai que c'est une heure de plus le samedi, mais, d'un autre côté, ce sont deux heures et demie de moins le jeudi !

Ce petit pas sera sans doute soumis à la population puisqu'on nous prédit un référendum - voire on nous en menace. Eh bien, pourquoi pas ! Nous sommes dans une démocratie et la population aura le dernier mot, le cas échéant. Je suis convaincu que les Genevoises et les Genevois sont parfaitement conscients que ce projet de loi est un texte pondéré qui tient compte à juste titre des intérêts de part et d'autre. Aujourd'hui, les intérêts des salariés - qui sont et qui ont toujours été au coeur de nos préoccupations - sont réellement protégés. Personne ne nous a apporté la démonstration du contraire ! (Applaudissements. Huées.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Selon l'OFSP, les huées se murmurent aussi lèvres fermées ! Cela étant dit, je fais voter l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 12871 est adopté en premier débat par 57 oui contre 39 non.

Le projet de loi 12871 est adopté article par article en deuxième débat.

Le président. Monsieur de Sainte Marie, vous avez la parole pour quarante-sept secondes.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de deuxième minorité. Ce sera largement suffisant, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'appelle M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia, qui défend ce projet de loi, à ne pas demander le troisième débat, pour ne pas faire porter au nouveau Conseil d'Etat et à sa nouvelle majorité la responsabilité de briser le partenariat social ! (Applaudissements.)

Le président. Merci. Le troisième débat est-il demandé ? (Remarque.) Il l'est.

Une voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, largement. (Commentaire.) Ils sont soutenus, vous pouvez baisser la main ! (Brouhaha.) Nous passons au vote de la loi dans son ensemble.

Mise aux voix, la loi 12871 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 56 oui contre 41 non et 1 abstention (vote nominal). (Applaudissements. Huées.)

Loi 12871 Vote nominal

Le président. Concernant le RD 1390, la minorité demande son renvoi au Conseil d'Etat. Je vous fais voter sur cette requête.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport RD 1390 est rejeté par 57 non contre 39 oui et 1 abstention.

Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat RD 1390.