République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 avril 2021 à 14h
2e législature - 3e année - 11e session - 68e séance
P 2111-A
Débat
Le président. Nous passons à la P 2111-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à M. le rapporteur de majorité Pierre Conne.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Cette pétition s'inscrit dans la même logique que celle de l'objet dont nous venons de débattre. Il y a toutefois une différence fondamentale: celle-ci émane du syndicat Unia. Rien à voir avec la précédente, comme je l'avais relevé. Elle demande que le personnel de soins socio-hôteliers et d'animation des EMS touche une prime de 50 francs par jour travaillé du mois de mars au mois de mai 2020.
C'est tout à fait cocasse, et je tiens à le relever, parce que, lorsque nous avons auditionné en commission les pétitionnaires - les représentants du syndicat Unia -, nous leur avons évidemment posé la question que tout le monde se pose ici: et les nettoyeurs ? «Ah non, les nettoyeurs, c'est un autre syndicat, on ne sait pas ce qu'ils font !» Cette pétition illustre parfaitement la manière totalement inéquitable dont la gauche et les syndicats procèdent. Ils ne s'intéressent finalement pas à leur public, sauf éventuellement à faire valoir ceux qui sont leurs clients, pour justifier leur existence. (Remarque.)
Mesdames et Messieurs, cette pétition manifeste l'instrumentalisation d'un certain nombre de professionnels qui ne sont pas revendicatifs, une instrumentalisation qui se fait uniquement en faveur des syndicats, qui n'ont cure de savoir quelle est vraiment la réalité du terrain de ces professionnels et qui visent à les instrumentaliser, simplement pour exercer une pression politique et se mettre en avant.
Voilà les arguments politiques pour refuser cette pétition. La majorité de la commission vous demandera de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Merci, Monsieur le président.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Ce débat va prendre quelque peu la même forme que celle du précédent, vu qu'il s'agit d'une pétition demandant à peu près la même chose: une reconnaissance avec une prime unique, cette fois-ci pour les employés des EMS. Il est important de la soutenir et de la voter, parce qu'il s'agit là d'une catégorie professionnelle peu formée, majoritairement féminine, souffrant depuis longtemps d'un manque d'effectifs, et qui, dans le cadre de cette crise, a payé un lourd tribut à la lutte contre le covid-19. Les hôpitaux ont reçu beaucoup d'applaudissements, ont été parmi les lieux très importants - et nous les en remercions encore - de la lutte contre le covid-19; les EMS ont été d'autres lieux, mais peut-être un peu moins considérés, un peu moins mentionnés pour le travail admirable réalisé par les employés en leur sein.
A nouveau, il s'agit là de marquer cette reconnaissance et de soutenir des personnes qui, pour certaines, vous l'avez vu, ont perdu leur emploi depuis et se trouvent dans des situations professionnelles et existentielles extrêmement dures. Nous ne partageons pas l'avis de M. Conne, PLR, sur cette instrumentalisation. Nous avions reçu ces personnes quand elles avaient déposé leur pétition; elles avaient contacté certains membres de la commission de la santé. Ce sont des gens simples, pour qui un franc est un franc. Ce sont des gens qui n'arrivent plus à boucler leurs fins de mois, et dire de haut: «Il s'agit d'instrumentalisation politique, et cet argent, ils n'en ont finalement pas vraiment besoin, circulez, il n'y a rien à voir !», c'est extrêmement choquant. Un franc est un franc; on parle là de personnes parmi les plus précarisées de la société, qui ont mouillé leur maillot, si vous me passez cette métaphore sportive, mais c'est vraiment le cas: ce sont des gens qui se lèvent pour assurer la préservation de la santé.
Nous vous invitons donc évidemment à refuser le dépôt sur le bureau du Grand Conseil et à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, avec le même message politique que pour la pétition précédente: Monsieur Poggia, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, faites un geste ! Faites un geste politique, à l'instar du canton de Vaud, pour tous les travailleurs et travailleuses de ce canton - pourquoi pas ? -, pour toutes les personnes qui étaient en première ligne. L'économie ne s'en portera que mieux. On a proposé des bons d'achat, des bons de soutien au tourisme, on a soutenu différentes catégories. Les travailleurs et travailleuses ont aussi droit à une reconnaissance et à un soutien financier, afin de pouvoir aller de l'avant et être reconnus dans leur travail. Merci beaucoup.
Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante et rapporteuse de deuxième minorité. Monsieur le président, il s'agit encore, encore, d'un secteur où le personnel est à 80% féminin et où on invoque la vocation féminine pour justifier des salaires qui sont généralement beaucoup trop bas et la sous-évaluation de la quantité de travail et des conditions de travail nécessaires pour assurer leur dignité.
Dans ce contexte, on sait que les syndicats - oui, Monsieur Conne, heureusement qu'il y a des syndicats, car sinon, qui serait là pour représenter ce personnel qui souffre et qui est traité majoritairement avec une extrême négligence ? - parlent depuis longtemps d'un taux d'absentéisme de 7% dans les EMS, parce que le personnel est surchargé, craque, est à bout de force et que les conditions de travail sont extrêmement difficiles. Ne pas pouvoir soigner correctement des personnes âgées est très difficile à assumer, parce que, quand on est mis sous pression et qu'on n'a pas le temps de leur parler pour réaliser certains soins, c'est très préjudiciable également pour le personnel qui est obligé de travailler dans ces conditions. C'est vrai qu'aujourd'hui, grâce au covid, il y a des places dans les EMS, il y a donc un peu moins de travail. Mais il est bien clair que, très rapidement, le travail va recommencer à plein temps et que les EMS seront à nouveau remplis.
Nous avons écouté une soignante d'EMS expliquer que son épuisement était aussi accompagné d'angoisse et qu'elle était extrêmement fatiguée. C'était une personne à risque, mais elle a renoncé à ne pas aller travailler, comme elle en avait le droit, parce qu'elle ne voulait pas laisser ses collègues prendre son travail à leur charge et parce qu'elle savait combien tout le monde était à bout de force et combien tout le monde était épuisé. Elle a donc continué à travailler dans ces conditions-là. Non, ce n'est pas parce que ce sont des femmes et qu'on suppose une vocation féminine dans ce travail qu'il ne faut pas voir ce qu'être au front représente quand il y a une épidémie de covid dans un EMS ! Ces personnes ont besoin qu'on leur dise merci, elles ont besoin qu'on reconnaisse leur travail et le surplus de travail considérable aussi bien moral que physique qu'elles ont connu.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
Mme Françoise Nyffeler. D'ailleurs, la secrétaire générale de la FEGEMS, qui fédère une partie des EMS, a adressé un courrier au département pour demander qu'une prime soit éventuellement offerte à son personnel. Il y a donc bien une conscience que quelque chose s'est passé et qu'il est nécessaire que quelque chose soit fait, et nous pensons que c'est le minimum: leur donner cette prime qui est demandée de 50 francs par jour travaillé pendant le sommet de la crise covid.
Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, au-delà des professions de la santé, cela a été dit, bien d'autres professions ont été extrêmement sollicitées: le personnel de sécurité, des transports, de l'alimentation, du nettoyage. Tous ont rempli leur travail avec conscience et professionnalisme; qu'ils soient tous remerciés très chaleureusement.
Dans le cadre spécifique de cette pétition concernant une prime de reconnaissance exceptionnelle pour le personnel des EMS, les deux fédérations faîtières ont été auditionnées, et ce que nous avons entendu, c'est que les charges de travail ont été adaptées en fonction des situations au sein de ces établissements. Pour remercier leur personnel, la FEGEMS et l'AGEMS ont opté en l'occurrence pour diverses options, telles que la gratuité des repas, des jours supplémentaires de congé, des pauses plus longues et, parfois aussi, des primes. Des appuis psychologiques ont été proposés aux collaborateurs. Quant à l'Etat, il a pris en charge les coûts inhérents au matériel supplémentaire et au personnel intérimaire qui fut nécessaire durant la pandémie.
Quid de la suite ? Est-ce une demande «one shot» ? La réponse des pétitionnaires - en l'occurrence du syndicat - a confirmé que cette demande ne couvrait que la première vague et qu'il y aurait d'autres demandes concernant les vagues suivantes. La pandémie n'est certes pas terminée, mais la situation est maîtrisée et les employés - à l'exception du syndicat Unia à l'origine de la pétition - sont aujourd'hui satisfaits.
Pour ces raisons, le PDC votera le dépôt de cette pétition. J'aimerais ajouter qu'au-delà des primes, c'est l'emploi, c'est le travail lui-même qu'il faut préserver. Ça, c'est une priorité. Le Conseil d'Etat et le parlement le reconnaissent et versent les crédits covid nécessaires aujourd'hui et le feront sans doute demain encore. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC). Les considérations du groupe UDC pour cette pétition seront les mêmes que pour la précédente, à la différence qu'on relèvera que ce texte-ci, émanant d'un syndicat, est vraiment choquant, parce qu'on s'aperçoit que le syndicat lui-même fait de la discrimination au sein de corps de métiers et de travailleurs qui lui sont affiliés. On peut se poser la question: pourquoi un syndicat lance-t-il une pétition uniquement pour une catégorie de syndiqués ? Le propre d'un syndicat, c'est de défendre tous ses membres et non pas de prioriser telle ou telle profession ! En cela, pour l'UDC, cette pétition est scandaleuse. Pour ma part, si j'étais syndiqué, ce que je ne suis pas... (Commentaires.) ...à Unia, avec un tel texte, il y a longtemps que j'aurais démissionné, et moi j'appelle tous les membres de ce syndicat qui ont été discriminés à donner leur démission... (Exclamation.) ...pour signifier leur coup de gueule vis-à-vis de cette pétition, qui est une honte ! (Commentaires.) C'est principalement pour ça que le groupe UDC vous recommande de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.
M. Pierre Conne (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, vous transmettrez à la députée Nyffeler et au député Thévoz qui m'ont interpellé tout à l'heure que ma première intervention, je la faisais en tant que rapporteur de majorité.
J'interviens maintenant au nom du groupe PLR - qui votera le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil - et en réaction à ce que j'ai entendu de la part des deux rapporteurs de minorité. Ceux-ci ont essentiellement plaidé pour dénoncer des conditions de travail proches de l'esclavagisme. J'aimerais quand même rappeler à cette assemblée et à ceux qui nous écoutent qu'à Genève, le personnel des EMS travaille dans des conditions définies par les conventions collectives de travail pour les uns et par la loi B 5 05 sur le personnel de l'Etat pour les autres. Ce sont des conditions de travail qui n'ont absolument rien à voir avec ce qui a été décrit par mes préopinants.
L'autre élément que j'aimerais relever, c'est que les rapporteurs de minorité, à l'occasion de cette demande de prime de pénibilité liée à la crise sanitaire, font valoir une revendication au sujet des conditions de travail en général qui n'a en fait rien à voir avec le stress lié à la pandémie et dénoncent des conditions de travail et salariales qui devraient être réévaluées en tant que telles. On voit bien que cette pétition est en réalité une tentative d'instrumentalisation politique et ne vise pas du tout à reconnaître ce qui s'est passé réellement pour le personnel soignant des EMS, comme cette pétition le mentionne. (Brouhaha.)
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Pierre Conne. Je conclurai en rappelant que les conditions de travail du personnel des EMS, ainsi que l'a relevé tout à l'heure Mme Meissner... (Remarque.) ...ont été réellement adaptées aux conditions de stress et de pénibilité induites par cette pandémie. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. J'invite les députés tenant des conciliabules au fond de la salle à respecter les interventions en cours et à déplacer leurs conversations bilatérales à l'extérieur de la salle. Monsieur Emmanuel Deonna, c'est à vous.
M. Emmanuel Deonna (S). Merci, Monsieur le président de séance. Je pense qu'on ne peut être que choqué par l'outrecuidance et l'effronterie des propos notamment du représentant de l'UDC et de son attaque contre les syndicats qui, heureusement, sont là pour défendre les travailleuses et les travailleurs, leurs droits et leur dignité.
Quand j'entends de la bouche du représentant du PLR qu'il s'agit d'une instrumentalisation de la part des professionnels des syndicats, je suis profondément choqué: cette pétition a réuni à peu près 3000 signatures en un temps record; les signataires elles-mêmes sont venues nous interpeller, nous, en tant que membres de la commission de la santé. Les charges de travail, contrairement à ce que disait la représentante PDC, n'ont pas été suffisamment adaptées. Il y a des travailleurs qui souffrent de la situation du covid plus que d'autres. Certaines personnes sont en télétravail et doivent, certes, procéder à des aménagements et faire des sacrifices, mais cela n'a rien à voir avec ce qui a été vécu et ce qui est encore vécu dans les EMS. Souvenez-vous de la situation avant le début de la campagne de vaccination, des témoignages absolument terrifiants de familles qui ne pouvaient pas visiter leurs proches dans les EMS, de membres du personnel de ces établissements complètement dépassés, désorientés par la situation - peut-être pas dépassés au sens professionnel, mais soumis à une pression et à un niveau de stress totalement inhabituels !
Dans ce contexte, je pense qu'on ne peut vraiment qu'entrer en matière sur cette pétition et remercier les syndicats de se battre, parce qu'il s'agit bien d'une lutte pour le respect des droits et de la dignité des travailleuses et des travailleurs. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
M. François Baertschi (MCG). Nous avons, dans cette enceinte, des députés qui s'amusent à faire des comparaisons avec d'autres cantons. (Commentaires.) Nous avons un député qui, régulier comme un métronome, nous compare à Bâle-Ville. (Rire.) Cette comparaison, si on la suivait vraiment, comme nous avons pu le déduire des déclarations de Mauro Poggia, ne serait pas toujours à l'avantage de Bâle-Ville, au contraire ! Mais, par esprit confédéral, par respect pour les Bâlois, nous n'entrerons pas dans ce type de raisonnement, parce que je pense que ce n'est pas très correct.
Nous avons un autre député qui a également pris l'habitude de faire des comparaisons sur divers sujets avec le canton de Vaud. Alors bien évidemment, comme le précédent, il le fait toujours dans le sens qui l'arrange, c'est-à-dire qu'il reprend l'élément où la comparaison est avantageuse pour le canton de Vaud. Je ne m'amuserai pas non plus à faire ce genre d'exercice, ce serait un petit peu injurieux pour le canton de Vaud. Il faudrait revenir sur ce qui avait été relevé il y a quelques années à la commission des finances par un député PLR: il était scandaleux, à ses yeux - à moi, ça ne me posait aucun problème, et pour d'autres députés, dont ceux du MCG, ça posait zéro problème, au contraire: le coût de la vie est plus élevé à Genève - que nous ayons des salaires pour des infirmières plus élevés d'environ 1000 francs par mois en moyenne. C'était un scandale pour ce député à l'époque. (Remarque.)
Donc, on peut faire les parallèles que l'on veut, mais je pense que c'est toujours hasardeux. D'ailleurs, ce n'est pas très poli vis-à-vis des autres cantons: chacun a sa structure propre, chacun a sa logique économique, sa logique fiscale, et je crois qu'il faut arrêter de se comparer. C'est un petit peu enfantin, je suis désolé de vous le dire, Mesdames et Messieurs les députés ! Ces raisonnements ne mènent à rien, si ce n'est dans le mur. (Remarque.) C'est pour cela que l'argumentaire d'un des rapporteurs de minorité est, à mon sens, quelque peu stérile et contreproductif, et je ne répéterai pas ce qui a été dit lors du précédent débat. C'est vrai qu'il y a dans cette prime un aspect injuste, un aspect dangereux sur le long terme, où on prend une mauvaise habitude. (Remarque.) Moi je suis pour les mécanismes salariaux plutôt que les primes; il y a des mécanismes salariaux dans les EMS et c'est cela qu'il faut défendre. Je vous remercie de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va enfin à M. Jean-Marc Guinchard pour cinquante secondes.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Cela me sera suffisant. Je voulais juste signaler qu'il est vrai que la situation, notamment pendant la première vague, a été extrêmement difficile pour les familles, les proches, mais également pour les résidents, au-delà du personnel. J'aimerais rappeler que nous avons pu bénéficier, dans ces circonstances, d'un appui financier et matériel important de la part des services de l'Etat.
Cela étant dit, j'aimerais également relever que je suis un peu étonné de l'aspect «Zola» qui est toujours dépeint par la gauche et l'extrême gauche s'agissant des conditions de travail dans les EMS. Sur notre site internet - de l'AGEMS -, je reçois chaque semaine quinze à vingt offres d'emploi. Je pense que si les conditions de travail étaient si catastrophiques dans les EMS, il y a longtemps que nous aurions beaucoup plus de peine à recruter du personnel. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, j'invite cette assemblée à se prononcer sur les conclusions de la majorité de la commission.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2111 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 50 oui contre 38 non.