République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 4 décembre 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 7e session - 45e séance
PL 12779-A
Suite du troisième débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le débat budgétaire avec les déclarations finales. La parole échoit à M. Eric Leyvraz, président de la commission des finances.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. Nous voilà arrivés au bout de cette discussion budgétaire, une discussion bien inutile puisque tout était ficelé et verrouillé à la virgule depuis le début par les partis gouvernementaux.
Mme Fontanet nous a dit que plusieurs cantons annoncent un déficit 2021 important, voulant atténuer dans l'esprit de la population l'ampleur de notre trou financier. Elle a cité Zurich qui accuserait une perte de 500 millions; c'est oublier que Zurich compte plus de 1,5 million de citoyens, soit trois fois plus que notre canton, et que si on s'attache aux chiffres par habitant, Genève devrait présenter un déficit de 170 millions, pas de 840 millions. Elle omet également de signaler que Fribourg, sage canton, ne sera même pas dans les chiffres rouges.
Notre situation demeure la plus inquiétante du pays. Notons qu'il n'existe au monde aucune autre communauté de 500 000 habitants enregistrant des rentrées fiscales aussi élevées - 8,5 milliards ! Nous avons donc clairement un problème de dépenses, c'est une évidence mathématique. D'année en année, nous lâchons toujours plus d'argent pour une multitude de subventions, arrosant à tout va. Notre Etat est pléthorique, cessons de cacher la vérité. Régulièrement, la Cour des comptes et la commission de contrôle de gestion nous communiquent des informations affligeantes relatives au fonctionnement de certains services: absentéisme affolant, pas de sanctions pour mauvaise gestion, on garde un responsable et on lui adjoint une aide plutôt que de le renvoyer, etc.
Ce n'est plus acceptable, Mesdames et Messieurs. Si vous pensez que nous allons poursuivre sur cette voie dans un tranquille ronronnement sans nous occuper de la vie réelle et des chiffres rouges, vous vous trompez lourdement. Nous nous trouvons à un tournant: si nous ne sommes pas capables de reprendre en main nos finances catastrophiques, les agences de notation ne pourront que déclasser sévèrement notre Etat fin décembre 2021, et vous verrez alors comment on peut encore tirer de l'argent des banques et à quel prix.
Comme je ne crois pas que ce parlement sera assez réaliste pour prendre des dispositions impopulaires nécessaires en diminuant des subventions ou en les supprimant, c'est la tutelle de Berne qui nous attend. Et il n'y aura pas de cadeaux de la part des autres cantons ou de la Confédération - si j'étais citoyen d'un autre canton, je refuserais de donner un centime à Genève, cette cigale trop dépensière. Notre canton est riche dans un pays déjà béni des dieux; la preuve, nous payons 3,5% sur notre budget pour la péréquation intercantonale, péréquation équitable et raisonnable, alors mendier de l'aide dans ces conditions est juste indécent.
L'UDC tire la sonnette d'alarme depuis longtemps, en vain; la dure réalité nous rattrape, et ça va faire mal. L'UDC ne votera pas ce budget, et nous reparlerons bientôt de notre attitude responsable. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je vais essayer de ne pas trop répéter ce qui a été dit lors du premier débat. Comme nous l'avons constaté, nous faisons face à un budget difficile, un budget de crise, un budget qui n'est le budget idéal d'aucun des groupes politiques représentés dans ce parlement, un budget dans le cadre duquel il a fallu fixer des priorités. La crise sanitaire se poursuivra en 2021, ses conséquences économiques et sociales se feront sentir bien au-delà d'une hypothétique vaccination.
Nous avons effectué une pesée des intérêts et estimé que les prestations à la population étaient fondamentales, prestations qui passent essentiellement par une quantité suffisante de personnel dans les domaines clés, et c'est l'un des points forts du budget que nous allons voter. Relevons à cet égard que la moitié du déficit résulte de mesures prises l'année dernière - RFFA, subventions à l'assurance-maladie, recapitalisation de la CPEG - et que seule l'autre moitié découle de la crise covid, que ce soit en raison de pertes de recettes ou d'une augmentation des dépenses. Malheureusement, cette situation est appelée à durer du fait de la forte globalité de l'économie genevoise - ou de sa globalisation, si on veut - et d'une précarité grandissante.
Davantage encore que le budget, ce qui importe aux Vertes et aux Verts, ce sont les perspectives à moyen terme. Il est clair que le plan financier quadriennal tout comme le plan décennal des investissements doivent être revus dans les grandes lignes. Vous avez sûrement noté que l'accord sur ce budget comportait deux volets. Nous avons traité le premier lors du début de la session, mais le second est tout aussi important: il inclut le Conseil d'Etat, les partis gouvernementaux et toutes les forces de bonne volonté qui permettront de définir les priorités de ces prochaines années, voire jusqu'en 2030 où, ainsi que nous l'avons décidé, l'impact carbone du canton doit être réduit de 60%. J'ai bon espoir que nous parviendrons à trouver des solutions ensemble.
On a parlé de l'efficience de l'Etat; quoi que cela signifie, ce n'est de loin pas la seule piste, tout ne doit pas forcément passer par des espèces sonnantes et trébuchantes. Hier, nous avons évoqué la transition générationnelle, il s'agit aussi d'un paramètre important; la définition d'un cadre régulateur peut contribuer à cette nécessaire transition, tout comme la formation dont nous avons débattu également. Lors des discussions que nous mènerons dès le début de l'année prochaine, nous parlerons sûrement de fiscalité écologique, d'aménagement du territoire, de politique d'investissement. La nécessaire transition impose que l'économie devienne plus durable, plus équitable, qu'elle soit relocalisée. Il me semble que tous les bords politiques de ce Grand Conseil peuvent y trouver leur compte, et le groupe des Vertes et des Verts se réjouit d'aborder ce chantier dès le début de l'année 2021. Je vous remercie.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. Monsieur Jean Burgermeister, vous avez la parole pour votre prise de position finale.
M. Jean Burgermeister (EAG), rapporteur de minorité. C'est bien pour la prise de position finale, Monsieur le président ?
Le président. Je confirme, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté: c'est bien pour la prise de position finale.
M. Jean Burgermeister. Je vous remercie. Comme je le disais tout à l'heure avant d'être interrompu, on a entendu l'ensemble des partis gouvernementaux vanter un bon compromis, fruit d'une réflexion entre personnes raisonnables. En réalité, ce consensus n'est pas le résultat d'une large réflexion, puisqu'il s'agit tout simplement de soutenir le projet de budget tel qu'il a été présenté par le Conseil d'Etat sans en changer une seule virgule. Mais ce qui ressort surtout des discussions, ainsi que je l'ai indiqué lors du deuxième débat, c'est le fait que ce gouvernement, que la majorité du Grand Conseil a décidé de suivre sans broncher, n'a pas du tout pris la mesure de la crise que nous traversons. Je pense qu'il faut dresser un constat d'échec sur sa gestion de la crise jusqu'à maintenant; les conséquences sur le plan sanitaire aussi bien que social et économique seront très graves et s'installeront probablement de manière durable.
Par ailleurs, sous couvert d'une grande alliance, ce parlement tourne le dos à une majorité de la population. Les travailleuses et travailleurs, en particulier, sont mis sur le carreau, ce qu'illustre le fait que les syndicats n'ont jamais été invités à la table des négociations au moment d'élaborer le budget, tout comme d'ailleurs ils n'ont pas été conviés aux discussions dans le cadre des projets de lois d'aide aux entreprises, projets de lois qui auraient pu - qui auraient dû, selon nous - inclure aussi les salariés. Ce pacte sacré des partis gouvernementaux ne peut pas masquer l'accroissement des inégalités dans ce canton, il ne peut pas masquer l'augmentation des antagonismes sociaux qui vont perdurer du fait de l'inaction de notre gouvernement et du Grand Conseil sur ce front.
M. Eckert a dit qu'il fallait désormais, puisque les débats sur le budget touchent à leur fin, réfléchir à la suite, et il est vrai qu'un chantier important s'annonce. C'est avant tout le déficit structurel de l'Etat, et on a entendu tout au long de la journée se succéder les prises de parole des différents groupes appelant à des réformes structurelles, mais disons-le, Mesdames et Messieurs, ce qui se cache derrière ces termes, ce sont des baisses des dépenses de l'Etat qui ne se font généralement pas de manière indolore pour la population. Il y a deux solutions pour ce qu'on appelle des réformes structurelles: soit une diminution des prestations, soit une dégradation des conditions de travail et des salaires du personnel. Si ces réformes sont menées comme le souhaite la droite, l'Etat sera d'autant moins en capacité de répondre à l'urgence actuelle.
En fait, ce qui se cache derrière le débat que nous avons commencé aujourd'hui et qui va durer jusqu'à la fin de la législature, c'est un choix de société fondamental: au plus fort de la crise, dans quelle direction allons-nous nous tourner ? Est-ce que nous voulons une société avec davantage de solidarité, ce qui passe indéniablement par le renforcement des services publics et des prestations à la population, et qui met au centre la majorité de la population, y compris les salariés qui sont systématiquement les oubliés de ce parlement, ou, au contraire, voulons-nous, comme le souhaite une majorité, démanteler les services publics et accroître encore l'explosion des inégalités sociales, faire de Genève encore plus que ce n'est déjà le cas un canton dans lequel la pauvreté se développe à une vitesse folle alors qu'il est taillé sur mesure pour des ultrariches qui vivent des intérêts de leur fortune et des rentes de leurs capitaux ? Eh oui, Mesdames et Messieurs, l'économie de notre canton est dominée par des rentiers, ceux-là même que certains ici nous supplient de remercier tous les jours parce qu'ils paient quelque impôt.
Eh bien je pense que c'est ça, Mesdames et Messieurs, le défi pour les années à venir, à savoir abolir les privilèges fiscaux des plus riches pour permettre à l'Etat de répondre aux besoins de la population et à la crise en particulier. Pour cela, Ensemble à Gauche a lancé de nombreuses propositions, et nous sommes prêts à les défendre devant le peuple: c'est évidemment faire disparaître un bouclier fiscal injustifiable, c'est taxer les actionnaires au même titre que les salariés, c'est augmenter l'impôt sur la fortune, c'est rétablir un impôt sur les successions en ligne directe pour les gros héritages. Je vous remercie. (Huées. Applaudissements. Sifflements. Le président agite la cloche. Commentaires.)
Le président. Chacun son tour, Mesdames et Messieurs ! Vous ne supporteriez pas qu'on vous hue, donc ne le faites pas ! La parole est à Mme la députée Léna Strasser.
Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le budget que nous nous apprêtons à adopter, nous l'avons exprimé à maintes reprises, n'est pas le budget socialiste dont nous rêvions; c'est un budget de consensus qui permettra à l'Etat de Genève non pas de parer à la plus forte crise que notre canton connaisse depuis des dizaines d'années, mais de faire fonctionner l'appareil étatique et de délivrer les prestations dont la population a plus que jamais besoin. Nous entamerons ainsi l'année 2021 sans que le Conseil d'Etat doive venir, dès janvier, quémander des postes ou des crédits supplémentaires à la commission des finances, dans l'incertitude et une planification rendue difficile, comme il a dû le faire avec le budget «zéro poste» voté l'an passé par la majorité de droite de ce parlement.
Mesdames et Messieurs les députés, la catastrophe sanitaire, économique et sociale nous montre que nous ne pouvons plus fonctionner sans une coordination extrêmement forte entre les différentes politiques publiques: aujourd'hui, on ne peut plus mesurer le taux de chômage sans le mettre en perspective avec la hausse des demandes d'aide sociale ni faire fi de la formation quand il s'agit de préparer l'avenir de notre système de santé.
Nous attendons donc du gouvernement qu'il soit capable de mettre en oeuvre une plus grande transversalité afin d'assurer la qualité des services de l'Etat, capable également de prendre la mesure des enjeux que le canton devra affronter dans les années à venir - précarisation de la population, économie et secteur de l'emploi très menacés - en proposant des projets ambitieux dans un dialogue constructif avec le Grand Conseil. Tout en regrettant que des ouvertures n'aient pas été trouvées pour maintenir l'annuité du personnel de la fonction publique en 2021, le groupe socialiste acceptera le présent budget. (Applaudissements.)
M. Cyril Aellen (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, 840 millions de déficit, 392 postes supplémentaires, 190 emplois d'auxiliaires - encore plus si l'on tient compte des entités subventionnées - suppression de l'annuité, 13,5 milliards de dette - probablement le double si toutes les dettes du grand Etat sont prises en considération: c'est probablement ce que l'on retiendra de ce budget. Pourtant, ces chiffres ne disent pas tout, le signal politique lancé par le vote du budget est également essentiel.
J'ai entendu hier Mme Marti indiquer que ce budget n'était pas celui des socialistes; les Verts ont parfois tenu un discours comparable. A mon sens, ils se trompent: ce budget est aussi le leur. Mme la députée Léna Strasser a parlé d'un budget de consensus, elle a raison. A partir du moment où une députée ou un député appuie sur le bouton «oui», ce budget devient le sien, il doit l'assumer, il doit même le défendre vis-à-vis de la population. Quant à nous, nous répondons pleinement de nos actes et de nos choix.
Seules cent personnes peuvent faire des choix en matière budgétaire, ce sont les députées et députés présents aujourd'hui. C'est une application concrète du principe de responsabilité auquel le PLR est particulièrement attaché. Cette situation est d'autant plus vraie que les partis gouvernementaux représentant 79 députés - voire 82 si l'on tient compte des indépendants - s'apprêtent à voter ce budget. Aucun parti n'est donc nécessaire: que le PS renonce, que les Verts se ravisent ou, à l'inverse, que le PLR ou le PDC changent d'avis, ce budget serait adopté avec une majorité suffisante. Et pourtant, la participation de l'ensemble des partis gouvernementaux est indispensable.
Comme l'a mentionné M. le député Youniss Mussa, il s'agit d'un budget de responsabilité. Plus qu'aucune autre année, il engage les formations qui assument des responsabilités gouvernementales. Ce budget ne correspond pas au programme politique du PLR, pas plus qu'il ne s'inscrit dans la ligne du parti socialiste ou des Verts, ou même dans le cadre du discours de Saint-Pierre, mais sans avoir pris la peine de relire chacun des programmes, nous pouvons affirmer sans risque qu'aucun de cesdits programmes n'anticipait la crise sanitaire, sociale et économique actuelle.
Aussi, dans la situation de crise historique que nous vivons, le parlement doit montrer à la population qu'il peut, qu'il doit avoir confiance en ses autorités. L'heure n'est ni à la polémique ni à la posture, ni à la mésentente ni au bouleversement. Alors oui, le PLR assume avec responsabilité ce budget, et même s'il ne s'agit pas du budget dont il rêvait, il l'acceptera avec conviction. Dans la tempête, il est essentiel de fixer un cap, de le suivre, de compter sur chacun des matelots et de se donner tous les moyens pour arriver à bon port. Sans confiance du parlement et sans adhésion de la population, il sera impossible de vaincre la crise sociale et économique que nous traversons aujourd'hui.
Pour beaucoup, et c'est un aspect positif, cette crise aura été un révélateur de la réalité économique actuelle. Les patrons de PME ne se battent pas pour la seule survie de leur commerce, ils s'engagent aussi et surtout pour préserver les emplois. Les entreprises et leurs employés constituent non seulement le tissu économique du canton, mais aussi son tissu social... et fiscal ! Les aides publiques, qui grèvent le présent budget, sont indispensables pour soutenir les sociétés affectées par les mesures étatiques. Cette crise aura également des conséquences économiques plus durables et sans lien direct avec les restrictions imposées ces derniers mois. Combien de temps faudra-t-il par exemple au secteur du tourisme d'affaires pour retrouver une activité comparable à celle de 2019 ? Nul ne le sait vraiment.
Genève doit d'ores et déjà se réinventer. Les réformes structurelles qui étaient souhaitables ces dernières années sont désormais nécessaires, inévitables et urgentes. L'enjeu de ce budget, plus que les chiffres, c'est la capacité des autorités politiques à mettre en oeuvre ces réformes. Les partis représentés au Grand Conseil se sont engagés à y travailler de concert avec le gouvernement dès janvier 2021. Cette promesse nous engage toutes et tous. Les tenants d'un Etat fort doivent admettre que ledit Etat doit s'appuyer sur une économie prospère. Aucun Etat ne peut assurer une cohésion sociale suffisante sans tissu économique solide. Les employés des secteurs économiques touchés doivent être réorientés vers des activités en manque de main-d'oeuvre, de nouvelles formations doivent être mises en place, l'Etat doit permettre et encourager une mutation de notre économie locale, la transition écologique appelée par l'ensemble des députés ou presque doit aller de pair avec la transition économique, la protection de l'environnement ne doit pas être la tâche d'un Etat redistributeur, mais celle de chaque citoyen et de chaque entreprise.
Le PLR a souvent démontré qu'il était attaché à un Etat qui fonctionne et qui se met au service de la population. Ce n'est pas toujours le cas, c'est même parfois l'inverse. Si des moyens supplémentaires s'avèrent parfois nécessaires, l'Etat de Genève a l'obligation de se montrer plus agile. La crise que nous traversons a démontré que cela est nécessaire et possible. Le PLR est convaincu que la fonction publique, et j'en terminerai par là, souhaite ces réformes autant qu'elle les craint. L'immense majorité des fonctionnaires aiment leur métier, mais ils pâtissent des dysfonctionnements actuels. En votant ce budget avec un déficit historiquement élevé, le PLR fait preuve de responsabilité et s'engage pour l'avenir. (Applaudissements.)
Mme Delphine Bachmann (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, Genève a besoin d'un budget, le PDC le martèle depuis plusieurs mois et a oeuvré avec succès pour l'obtenir. Aujourd'hui, fonctionner sur la base de douzièmes provisionnels établis sur un budget 2020 dont les comptes seront catastrophiques est totalement en deçà de la réalité socio-économique, ce n'est pas un choix viable ni responsable. Après des années de débats budgétaires qui, le plus souvent, ont déchiré notre hémicycle et démontré notre incapacité à forger des compromis solides et durables, il aura fallu les circonstances dramatiques d'une pandémie mondiale et un adversaire commun pour que notre parlement fasse preuve d'un début d'unanimité en matière financière.
Malgré nos opinions respectives sur la situation sanitaire, sur les mesures visant à la contenir ainsi que sur les solutions pour soulager les différents secteurs et corps de métier soufflés par cette déflagration, nous avons pu trouver plus régulièrement et plus facilement ces derniers mois des points de convergence face à l'urgence de la crise et à la souffrance d'une partie de la population. Notre parlement a prouvé une nouvelle capacité de collaboration que les Genevoises et les Genevois désespéraient de voir émerger entre nos murs. Le budget que nous allons voter maintenant en est une preuve supplémentaire. Car si le rôle du Conseil d'Etat est d'élaborer un projet de budget, celui du Grand Conseil est de le faire aboutir.
Le compromis qui unit cinq partis gouvernementaux autour de ce projet nous conduit à reconnaître ses imperfections financières tout autant que sa valeur politique. Nous avons été capables de contenir nos exigences individuelles pour forger la meilleure des exigences, celle de donner à notre canton mais aussi au Conseil d'Etat, à l'administration et à la population un cap pour 2021. Cet esprit de responsabilité qui nous anime est cher au PDC, c'est ce qui permet à l'Etat de fonctionner sans que nous renoncions toutefois à penser un Etat plus efficient. Malgré l'ampleur du déficit, nous considérons que pour limiter les dégâts de la crise, il faut dégager des moyens prioritaires, ce que seul un budget permet.
Durant cette période, notre mission a été d'orienter le Conseil d'Etat dans ses choix, certes de manière critique, mais toujours dans un esprit de bonne volonté, car la gravité de la crise sanitaire, économique et sociale se suffit à elle-même, nous n'avons pas besoin de lui ajouter une dimension politique que les Genevois ne comprendraient pas. C'est un subtil équilibre qu'il faut sans cesse chercher, en étant conscient que les choix effectués sont douloureux. Mais faire des choix, c'est savoir être courageux, c'est savoir abandonner les postures idéologiques stériles.
Malgré tout, cela ne signifie pas que le PDC soit entièrement satisfait. Comme probablement beaucoup d'entre vous dans cette salle, nous ressentons une certaine amertume pour des raisons qui nous sont propres. Nous sommes profondément inquiets, inquiets que nos décisions d'aujourd'hui pèsent lourdement et durablement sur les générations à venir. Nous attendons désormais que les partis réunis autour de cet accord tiennent en 2021 leurs promesses d'ouverture d'esprit afin que nous trouvions ensemble des solutions peut-être imparfaites, mais viables et durables sur le long terme.
Prioriser, décider et agir: voilà ce qui nous guidera durant les mois à venir. Pour cela, notre canton devra compter sur un parlement responsable, collégial et prêt au compromis. Représentation plurielle des convictions politiques et des réalités socioprofessionnelles, le Grand Conseil ne pourra pas garantir à notre canton un avenir préservé avec une constante politique d'affrontement entre les bancs de gauche et ceux de droite. Cette vision passéiste d'une politique par à-coups ne conduit à rien. Le parlement ne pourra avancer qu'avec la gauche, la droite et le centre - car deux extrémités ne peuvent être réunies que parce qu'il existe entre elles un vrai centre, fort et stable. Vous pouvez compter sur le PDC pour faire le travail. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Au moment où nous nous apprêtons à voter le budget du canton se pose une question fondamentale pour Genève. Cette question que se pose l'humanité depuis des siècles est finalement très simple: être ou ne pas être, le fameux «to be, or not to be» de Shakespeare. Pour être, Genève doit s'appuyer sur un budget, parce que cette terrible crise que nous vivons, la plus importante depuis la dernière guerre mondiale, met en cause les fondements mêmes de notre république. Or disposer d'un budget pour 2021 nous permet de placer des jalons, de trouver un chemin au milieu de la tempête, d'espérer des années 2021 et suivantes meilleures pour nous tous, de préparer le futur.
Parce que le Mouvement Citoyens Genevois croit en l'avenir de Genève, parce que le Mouvement Citoyens Genevois sait que notre république a traversé de multiples épreuves au cours des siècles, parce que le Mouvement Citoyens Genevois veut donner une réponse légitime aux attentes de la population, parce que le Mouvement Citoyens Genevois est convaincu que la République et canton de Genève bénéficie d'un potentiel considérable qu'il s'agit de mettre en valeur, nous voterons le budget 2021.
M. Jacques Blondin (PDC), rapporteur de majorité. Les débats budgétaires que nous venons de vivre s'annonçaient des plus particuliers, et force est de constater que nous n'avons pas été déçus. Preuve en est que le rapporteur de majorité s'est contenté de présenter les objectifs du projet de loi et de reprendre la parole seulement à la fin, au troisième débat. Mais comme cela a été dit, les règles du jeu étaient clairement définies, il a fallu s'y conformer et, à ce titre, je tiens à remercier les députés membres des partis gouvernementaux d'avoir respecté les conditions de l'accord conclu, d'en avoir accepté les conséquences. Ce n'était pas facile, j'ai regardé dans la salle et beaucoup trépignaient à certains moments, l'envie ne manquait pas d'intervenir, mais les conditions supérieures de ce pacte impliquaient de tenir parole, ce qui a été fait. Nous avons passé un marché, il a été tenu et je vous en remercie.
Ce faisant, nous avons évité une crise institutionnelle. C'est ce que nous voulions, parce que les intérêts supérieurs le requièrent; il y a des priorités, nous les avons définies, ce ne sont pas tout à fait les mêmes que celles décrites par Ensemble à Gauche, mais c'est dans la logique des choses. Je constate que malgré le déficit qui s'élève maintenant, selon le dernier projet, à 846,9 millions, le parlement a pris ses responsabilités. Tous les groupes l'ont dit, à l'exception d'un ou deux: nous nous trouvons au milieu du gué. On a parlé de tempête, il faut s'en sortir, il faut aller au port avant de prendre des décisions pour savoir ce que nous allons faire, et je crois que cela a été très bien compris. Le déficit est abyssal, cela a été souligné aussi, mais n'oublions pas que nous sommes en pleine crise - même si le mot n'est pas toujours compris de la même manière par chacun - sanitaire, sociale et économique. Il faut absolument que notre population voie que nous pouvons apporter des solutions.
Mais surtout, cet accord est un pari sur l'avenir, l'espoir d'une concertation, de négociations entre la gauche, la droite et le centre. Il va falloir que nous revoyions nos paradigmes pour nous tendre des perches et travailler ensemble, faute de quoi nous n'y arriverons pas. On a évoqué les mesures structurelles: celles-ci ne pourront être purement cosmétiques, il faudra parler recettes, il faudra parler dépenses; on peut comparer cela aux douze travaux d'Hercule pour les douze mois de 2021, il va vraiment falloir nous retrousser les manches et trouver des solutions qui réforment totalement le fonctionnement de l'Etat, les positions de recettes et de dépenses. Mais l'heure est au vote du budget 2021, et au vu des discours qui viennent d'être tenus, il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'il sera accepté. Je vous invite donc à soutenir ce budget. Merci à tous.
M. Jean Burgermeister (EAG), rapporteur de minorité. J'aimerais répondre brièvement à ce qui a été dit tout à l'heure. Il y a tout de même un décalage important et inquiétant, je trouve, entre l'autocongratulation d'une majorité des députés quant au sens des responsabilités dont ils vont faire preuve en appuyant sur le bouton comme le leur a demandé le Conseil d'Etat et la terrible détresse sociale de la population à laquelle nous n'avons apporté aucune réponse, ni aujourd'hui ni la semaine dernière durant laquelle nous avons pourtant traité des projets de lois en lien avec la crise. Aucune réponse pour celles et ceux qui souffrent le plus, celles et ceux qui ont perdu leurs revenus, les travailleurs précaires, une grande partie des salariés, celles et ceux qui craignent les licenciements contre lesquels ce Grand Conseil a refusé d'agir, beaucoup d'indépendantes et d'indépendants qui ne sont pas concernés par les aides financières.
J'ai entendu une députée dire qu'il fallait à l'avenir avancer avec la gauche et la droite; mais c'est surtout avec ces secteurs de la population qu'il faut avancer si vous voulez forger une unité ! L'unité n'est pas un concept abstrait qui se dessine au sein d'un parlement, Mesdames et Messieurs, elle doit avant tout reposer sur la capacité du gouvernement et du parlement à apporter une réponse à la détresse ! C'est tout de même ce Conseil d'Etat, derrière lequel vous serrez les rangs, qui a sonné la charge contre les employés de l'Etat avec toute une batterie de mesures pour dégrader leurs revenus en pleine crise sociale, lesquelles ont suscité de fortes mobilisations malgré la situation extraordinairement difficile. Quelle unité ? Quelle unité, Mesdames et Messieurs, pouvez-vous espérer derrière un gouvernement qui, dans un même mouvement, annonce sa volonté de baisser l'impôt sur la fortune et celle de diminuer les salaires ? Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. Je donne finalement la parole à M. Eric Leyvraz, président de la commission des finances et rapporteur de la crypto-minorité.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. L'UDC s'amuse de l'autocongratulation des partis gouvernementaux qui parlent de courage et de responsabilité face à la population. Mais c'est tout le contraire: ce budget est un acte de lâcheté qui va charger la future génération. Vous n'avez pas de quoi être fiers, Mesdames et Messieurs.
Mme Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, à mon tour, au nom du Conseil d'Etat, d'adresser un certain nombre de remerciements, d'abord - Nathalie Fontanet l'a déjà fait hier, mais je voudrais m'y associer - à l'ensemble de l'administration et des services, notamment à la direction générale des finances de l'Etat, qui ont permis de mener à bien le travail qui est sur le point d'aboutir ce soir, et puis à vous, Mesdames et Messieurs membres des partis gouvernementaux, pour avoir accepté de prendre des responsabilités, celles de voter un budget dans une situation extrêmement particulière. Qui, il y a encore une année, au moment où nous adoptions - ou pas - le budget 2020, aurait pu imaginer que nous allions affronter la plus grave crise sanitaire, économique et sociale de ces dernières décennies ? Personne, sans doute.
Le sens des responsabilités, Mesdames et Messieurs, c'est d'accepter la validation d'un budget déficitaire. Ce qui est irresponsable, en revanche, c'est d'évoquer la détresse sociale tout en rejetant le budget et les postes qui permettent d'y répondre; ce qui est irresponsable, c'est de parler de lâcheté et de refuser le budget en laissant tomber toutes les personnes qui souffrent et qui ont besoin de l'aide du gouvernement et du parlement.
Lorsque j'ai rencontré les différents groupes politiques au cours du mois d'octobre, j'ai constaté du côté des partis gouvernementaux une volonté unanime de trouver des solutions, de répondre aux besoins de la population, et le budget qui vous est proposé aujourd'hui est le fruit de ce compromis. C'est un budget qui permet de répondre à la crise, à celles et ceux qui souffrent, à celles et ceux qui ont perdu leur emploi, à celles et ceux qui risquent de perdre leur entreprise, à tous ceux dans la fonction publique qui ont davantage de travail parce qu'il faut faire face à de nouveaux défis, à de nouvelles préoccupations. Ce n'est pas simplement un budget qui maintient les prestations, il permet de les augmenter.
Ce compromis, j'ai même envie de dire ce consensus - le mot a été lâché aujourd'hui - est le résultat d'une volonté de travailler en deux temps. D'abord, en acceptant une forme de pacte républicain. Dans une situation comme celle que nous connaissons actuellement, personne - personne ! - n'aurait compris que la classe politique se déchire et soit incapable d'offrir des réponses aux questions de la population. Ensuite, en travaillant plus en amont avec l'ensemble des partis politiques. En effet, lorsque le gouvernement vous présente son projet de budget en septembre, avec parfois des textes de lois connexes visant à trouver des solutions aux difficultés financières de notre canton, eh bien on s'aperçoit que cela ne satisfait à peu près personne, et le délai est beaucoup trop court pour parvenir à élaborer des solutions avec vous.
Notre volonté, et je crois que vous la partagez, c'est donc d'agir en amont. Voilà pourquoi le gouvernement s'est engagé à oeuvrer avec l'ensemble des formations politiques, avec l'entier du Grand Conseil dès le mois de janvier sur un certain nombre de thématiques. Il y a bien sûr les sujets qui fâchent; je pense à la fiscalité, je pense aux rapports et à la répartition des tâches entre canton et communes, je pense également au statut de la fonction publique et tout ce qui va de pair. Ces discussions doivent avoir lieu même si ces thèmes sont difficiles, notamment avec les partenaires externes concernés.
Mais il y a également des débats à mener sur les projets d'avenir: qu'est-ce qui peut encore faire rêver dans notre canton, comment nous adapter aux besoins de demain ? Nous devons anticiper ces questions, que ce soit pour répondre à la crise climatique ou à des problématiques économiques, sociales et de formation. Il y a encore tout ce qui concerne le fonctionnement de l'Etat, et je crois qu'il existe déjà un consensus pour chercher des moyens d'alléger les procédures, de simplifier les démarches, d'éviter les contrôles, de donner à la fonction publique le rôle qui est le sien, à savoir véritablement répondre aux besoins des citoyens. Nous devons donner du pouvoir au plus près du terrain, les responsabilités doivent être engagées là où elles sont nécessaires, et pas forcément dans des procédures longues et coûteuses.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai envie de formuler un voeu au nom du Conseil d'Etat. Aujourd'hui, je constate que vous vous êtes montrés très suisses. La classe politique genevoise, en tout cas sa majorité, montre qu'elle est capable d'ouverture et de consensus, et je souhaite que cette helvétisation se poursuive ces prochains mois et ces prochaines années; en tout cas, le gouvernement s'engage à collaborer avec vous. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Madame la présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous procédons à présent au vote du budget. Je rappelle que l'adoption d'un budget de fonctionnement déficitaire tel qu'il nous est présenté ici requiert la majorité des membres du Grand Conseil, soit 51 voix sur 100.
Mise aux voix, la loi 12779 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 76 oui contre 17 non et 2 abstentions. (Applaudissements et huées à l'annonce du résultat.)