République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 3 décembre 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 7e session - 40e séance
PL 12779-A
Premier débat
Le président. A présent, Mesdames et Messieurs les députés, nous nous lançons dans le traitement du budget 2021, soit le PL 12779-A. Le rapport de majorité est de M. Jacques Blondin, celui de minorité de M. Jean Burgermeister. Pour le premier débat, une enveloppe de sept minutes est à disposition de chaque rapporteur, des groupes et du Conseil d'Etat. Le vote de prise en considération suivra ce premier débat que j'ouvre dès maintenant. La parole est donc à M. Jacques Blondin.
M. Jacques Blondin (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez constaté que le débat a déjà commencé avec les prises de position que nous venons d'entendre sur le précédent objet. Je vais quand même vous présenter le rapport de majorité sur ce projet de loi spécifique. Je me fais un plaisir de commencer en remerciant l'ensemble des collaborateurs et collaboratrices de tous les départements qui nous ont assistés dans nos travaux, aussi bien le département des finances que les autres lors des auditions. Leurs compétences et leur disponibilité ont été appréciées à leur juste valeur. J'associe bien évidemment l'entier du Conseil d'Etat et plus particulièrement Mme Fontanet, chargée des finances.
Je reviens au 23 septembre 2020, jour où le Conseil d'Etat nous a présenté le projet de budget 2021. A ce moment-là, celui-ci prévoyait un excédent de charges, c'est-à-dire un déficit, de 501,3 millions et des investissements nets de 714,5 millions. Il nous a été rappelé que ce budget s'inscrit dans le contexte très particulier d'une crise sanitaire sans précédent, accompagnée d'une crise économique et sociale; une crise qui intervient après la mise en oeuvre de trois réformes majeures votées en 2019. L'ensemble de ces réformes - RFFA, IN 170, CPEG - grèvent le budget 2021 de 631 millions. Dans ces circonstances exceptionnelles, le Conseil d'Etat nous a indiqué avoir procédé à des choix formalisés sous forme de projets qui devaient encore être traités par le Grand Conseil, mais qui étaient déjà inscrits dans le budget.
La commission des finances leur a réservé un accueil des plus réservés, voire a infligé un verdict de non-entrée en matière à certains d'entre eux. En ce qui concerne la réduction temporaire de 1% du traitement de la fonction publique pour une économie de 30 millions de francs, la totalité des partis ont très rapidement émis des réserves: unanimes, les commissaires ont fait part de leur intention de ne pas entrer en matière, ce qui a conduit le Conseil d'Etat à retirer son texte.
S'agissant de l'écrêtage sur les communes à hauteur de 44 millions de francs, suite aux discussions avec le gouvernement, la commission des finances a dans un premier temps gelé le projet de loi, puis l'a refusé. Cependant, il est clairement attendu de l'Association des communes genevoises une entrée en matière avec la délégation du Conseil d'Etat pour trouver, sur le budget 2022, les prestations faisant l'objet des prochaines négociations.
Quant à la nouvelle évaluation fiscale des immeubles, pour 105 millions de francs, le projet de loi a été soumis à la commission fiscale qui l'a inscrit à son ordre du jour; une éventuelle prise en compte de ses délibérations et propositions ne se fera pas avant 2022, voire 2023. Pour finir, le texte sur l'écart entre les taux d'intérêt fiscaux différenciés, à hauteur de 24 millions de francs, n'a pas trouvé grâce aux yeux de la commission fiscale qui l'a refusé, tandis que la modification de la loi sur l'organisation des SIG pour 16 millions de francs vient d'être traitée par notre assemblée.
Suite aux décisions relatives aux lois connexes et à divers amendements du Conseil d'Etat, le déficit du projet de budget est passé de 501,3 millions à 764 millions, auxquels il faut encore ajouter les 44 millions de la loi écrêtage refusée. Les partis gouvernementaux - le MCG, le PLR, le PDC, les Verts et les socialistes - conscients de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent le canton de Genève et sa population en pleine crise du covid-19, avec les conséquences sanitaires, sociales et économiques que l'on connaît, désireux de ne pas y ajouter une crise institutionnelle en ayant recours aux douzièmes provisoires - ce qui, à coup sûr, serait anxiogène pour les entreprises et la population et mettrait le Conseil d'Etat dans une situation difficile, la gestion du ménage de l'Etat devenant ingérable avec la pandémie, dont on ne connaît pas encore l'issue ni les conséquences financières - se sont concertés afin de se mettre d'accord sur les conditions qui permettraient de conclure un pacte gouvernemental conduisant à l'acceptation du projet de budget 2021.
En considérant le sort réservé aux projets de lois connexes précédemment mentionnés, les négociations se sont focalisées sur deux points fondamentaux: la suspension de l'annuité 2021, à hauteur de 55 millions de francs, qui vient de faire l'objet de délibérations, et l'attribution de tous les nouveaux postes demandés pour 2021, soit 353 ETP - inclus 67 pour la cellule covid - pour environ 30 millions de francs. Après d'intenses pourparlers, les partis gouvernementaux sont parvenus à signer un accord historique par lequel ils acceptaient le projet de budget issu des travaux de commission pour autant que ces deux points soient strictement respectés. Cet accord prévoit aussi l'engagement de ces mêmes partis gouvernementaux à se mettre à la table des négociations afin de préparer, dès janvier 2021 déjà, le projet de budget 2022. Celui-ci devra inévitablement inclure des mesures structurelles afin de réduire le déficit, lequel ne devra pas dépasser les 325 millions de francs si on veut respecter les conditions actuelles liées au frein au déficit et sachant que la réserve conjoncturelle pourrait être épuisée.
Le montant final du déficit budgétaire 2021 se décompose comme suit: pour le budget de fonctionnement, des revenus de 8,52 milliards, des charges de 9,36 milliards et un excédent de charges de 839,65 millions - c'est le montant présenté à vos suffrages avant les délibérations. Le budget d'investissement, lui, reste fort heureusement à son niveau initial de 714,52 millions.
Mesdames et Messieurs, le covid-19 est passé par là, et la crise économique qui lui est liée entraîne progressivement dans son sillage une crise sanitaire et sociale dont les effets ne peuvent pas être estimés avec précision à ce jour. Malgré la prolongation partielle des RHT jusqu'à la fin de l'année 2020, une partie non négligeable de la population a vu ses revenus se réduire, ce qui fragilise un grand nombre de personnes et engendre un recours accru aux prestations sociales. Une partie de l'activité économique est à l'arrêt, et pour les entreprises et commerces concernés, les conséquences sont actuellement difficiles à cerner autrement que par le constat que cela sera très difficile et que certains vont probablement rester sur le carreau.
La majorité de la commission vous demande d'accepter le budget 2021 tel que présenté, Mesdames et Messieurs les députés. Cette majorité, et c'est historique avec un tel budget, est constituée de tous les partis gouvernementaux. C'est évidemment un mauvais budget au regard de l'ampleur du déficit, mais un bon budget au vu de la situation exceptionnelle que nous vivons; c'est surtout une volonté ferme d'éviter une crise institutionnelle en donnant les moyens au Conseil d'Etat de nous mener à bon port en 2021; enfin, c'est un pari sur l'avenir afin de sortir Genève de ses déficits chroniques. La majorité vous remercie d'accepter le PL 12779-A.
M. Jean Burgermeister (EAG), rapporteur de minorité. Le rapporteur de majorité, M. Blondin, nous a expliqué tout à l'heure qu'il s'agissait là d'un budget de crise. Mais, à mon sens, c'est précisément là le problème: ce budget n'est pas un budget de crise, c'est un budget en parfait décalage avec la situation que nous vivons aujourd'hui. Nous sommes en pleine crise majeure, une crise historique qui a d'abord mis en lumière les manquements dans les services publics et qui maintenant accélère massivement le processus de paupérisation de couches toujours plus larges de la population, d'un côté, et de l'autre, de concentration des richesses, qui continuent à croître à une vitesse folle.
Or, avec ce budget, le Conseil d'Etat et la grande majorité de ce parlement ne répondent pas du tout à cette rupture sociale. En réalité, à part quelques postes temporaires d'auxiliaires dans la cellule des HUG pour le dépistage et le traçage du covid, ce qui est évidemment élémentaire et que personne ne remet en question, ce budget n'intègre pas du tout la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons, n'intègre pas du tout les répercussions de la crise sanitaire, notamment sur le système de santé publique, n'intègre pas du tout l'explosion de la pauvreté, la hausse des personnes au chômage ou bénéficiant de l'aide sociale. Rien, rien n'est prévu pour répondre à ces besoins urgents et vitaux en pleine crise.
Plus tard, nous entendrons tour à tour les représentants des différents partis gouvernementaux nous expliquer qu'ils ont pris la responsabilité de signer un accord et de voter le budget, qu'il est de notre responsabilité d'éviter une crise institutionnelle. Mais notre responsabilité, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas de nous mettre d'accord sur un projet abstrait sans contenu social; notre responsabilité, c'est de répondre aux besoins des citoyens, en particulier à l'urgence de la crise. Et puis s'il y a eu un accord sacré allant du PS au PLR, il s'agit d'un accord de partis politiques qui, dès le début, a mis de côté les représentants des salariés. En effet, le Cartel intersyndical a été mis hors jeu par le Conseil d'Etat avant même les négociations avec les différents partis, de manière aussi incompréhensible qu'irresponsable.
C'est pourtant le Conseil d'Etat qui a ouvert les hostilités et mis le feu aux poudres en présentant toute une batterie de mesures contre les salaires de la fonction publique, ce qui ne pouvait que susciter la mobilisation, et elle a été importante. Il s'agit donc d'un accord conclu en secret, d'un coup de poignard dans le dos, je pense qu'on peut le dire, envers les salariés qui se sont mobilisés pour défendre leurs conditions de travail et leurs revenus, et je regrette vivement que la gauche se soit livrée à ce petit jeu.
Vous l'avez compris, Mesdames et Messieurs, nous refuserons ce projet de budget. Pour conclure, j'aimerais citer les mots de celui qui était à l'époque le président du Conseil d'Etat, M. Antonio Hodgers, et qui au moment de la présentation du projet de budget nous a dit pour clore: «S'il y a une chose à retenir de cette présentation, Mesdames et Messieurs, une seule chose à retenir, c'est que les charges ont été maîtrisées par rapport aux années précédentes.» Voilà la conclusion tirée par le gouvernement du budget. Eh bien en ce qui nous concerne, Mesdames et Messieurs, nous ne pensons pas qu'en pleine crise, la priorité soit de contenir les charges ! De fait, ce voeu pieux a fait long feu, puisque la crise a encore empiré et que le déficit s'est élargi.
Disons-le encore une fois: le canton a les moyens de mener une autre politique, y compris en versant la totalité des salaires dus aux fonctionnaires, malgré ce que vient de décider ce Grand Conseil, et en développant les prestations à la population. Mesdames et Messieurs, nous vivons dans un canton extraordinairement riche, et les plus fortunés continuent à très bien s'en sortir, à accumuler des richesses qui croissent à des taux extraordinairement élevés alors que, parallèlement, la plus grande part de la population ne détient aucune fortune. Cet écart, ce fossé social qui se creuse, eh bien il restera sans réponse de la part du parlement si nous votons ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Eric Leyvraz (UDC). En introduction, j'indique que l'UDC n'a pas déposé de rapport de minorité, car étant seul commissaire de mon parti et président de la commission des finances, il aurait été peu élégant de ma part d'en présenter un. En septembre, l'UDC avait accepté l'entrée en matière sur ce budget déficitaire de 501 millions pour pouvoir discuter et proposer son point de vue en commission. Elle a de suite manifesté sa mauvaise humeur face au manque de réalisme du Conseil d'Etat, qui savait très bien que les projets de lois déjà inscrits dans les économies budgétaires ne seraient pas acceptés ou étaient si problématiques qu'ils ne pourraient pas être votés en 2021. Le chiffre à annoncer devait être proche des 700 millions. Le Conseil d'Etat a la loi pour lui, mais ce n'est pas de cette manière que l'on traite de façon honnête la population et que l'on rétablira la confiance entre le législatif et l'exécutif. De plus, il fallait bien peu de psychologie pour proposer une baisse de 1% des salaires de la fonction publique.
Maintenant, nous nous trouvons devant un budget déficitaire de 840 millions, chiffre qui va encore s'envoler avec toutes les dépenses covid que nous aurons à voter, hélas. Ce déficit colossal fait frémir. Avec une perte dans les comptes 2020 déjà estimée à plus de 750 millions, l'Etat de Genève fait face à une situation très préoccupante. Il ne peut plus tirer sur la corde de l'impôt, sa pression fiscale est au maximum, la dette s'envole et avec les 5,2 milliards dus à la caisse de pension, une véritable dette que l'Etat inscrit cependant en pied de bilan, ce qui est totalement contraire aux normes comptables, on arrive tranquillement à 18 ou 19 milliards de dette; joli, large record suisse pour une population de 500 000 habitants ! Ici c'est Genève, comme dirait un collègue...
La population ne comprend pas la gravité de la situation et que si un citoyen déménage, il n'emporte pas avec lui une partie de la dette. L'Etat vit au-dessus de ses moyens, car une dette finit toujours par se payer; si ce n'était pas le cas, cela se saurait depuis longtemps et les Etats feraient marcher sans cesse la planche à billets. Et croire que les banques pourront toujours prêter à l'Etat est une vue de l'esprit, elles ont aussi des limites à ne pas dépasser.
Le Conseil d'Etat va tout faire pour repousser le frein au déficit qui doit s'appliquer à partir de 13,3 milliards; l'UDC luttera avec force pour refuser ce subterfuge. Notre canton arrive à la fin des possibilités de dépenses sans compter. La baisse des rentrées fiscales va être plus sévère que l'annonce de septembre, les faillites vont se multiplier dans l'hôtellerie et la restauration, l'événementiel est en débâcle. Malgré cette situation catastrophique, les partis gouvernementaux se lient pour accepter ce budget avec 353 ETP supplémentaires. Et la droite au pouvoir depuis longtemps, en tout cas sur le papier, porte une lourde responsabilité dans cette quasi-faillite financière.
Difficile de reprocher à l'UDC cette situation. Depuis son entrée au Grand Conseil en 2001, elle n'a cessé de dénoncer cette fuite en avant, de refuser des budgets toujours plus importants pour nourrir un Etat beaucoup trop gros, lequel enfle chaque année de façon disproportionnée: 3500 fonctionnaires de plus en dix ans, soit une hausse de 20% dans le petit Etat, et ce alors que la population n'a augmenté que de 10%. Sans mesures drastiques et douloureuses, nous finirons avec une crise aux conséquences dramatiques.
Pour couper cette spirale infernale d'un Etat toujours plus obèse, prêt à emprunter pour faire tourner la machine, ce qui est le début de la fin, le Conseil d'Etat devrait montrer un courage exceptionnel dont il ne fait malheureusement pas preuve. Le courage serait de demander l'abolition du statut de fonctionnaire; les nombreux cantons suisses allemands qui l'ont adoptée s'en montrent très satisfaits: souplesse, facilité de se séparer de mauvais éléments, motivation accrue pour ceux qui accomplissent - et c'est la plupart d'entre eux - consciencieusement leurs tâches. Le courage serait de réduire la voilure de l'Etat. Prenons l'Etat et les communes, car la répartition des tâches est différente selon les cantons: à Zurich, la fonction publique coûte 35% de moins par tête d'habitant qu'à Genève ! Une réorganisation profonde s'impose, et le Conseil d'Etat doit privilégier les tâches régaliennes: éducation, santé, sécurité. Chaque subvention doit être remise en question, étudiée dans les détails, comme le fait le Conseil national, et supprimée si elle n'est pas absolument nécessaire.
Avec les dizaines de millions que nous dépensons pour l'informatique, les programmes pour rendre l'administration numérique et performante, on continue à augmenter les emplois. Avec toutes ces avancées technologiques, il est faux de dire qu'une population plus nombreuse induit automatiquement plus de postes étatiques. Pourquoi ce qui est possible dans les autres cantons est-il impensable à Genève ? Les administrations doivent être transversales, organiser des échanges d'un service à l'autre en cas de nécessité, diminuer l'absentéisme qui se transforme en droit quand une simple dispute avec son supérieur entraîne un congé maladie. Que de potentielles économies en personnel !
De plus, il n'est pas sain que le parlement comporte un tiers de députés rattachés à la fonction publique; toute demande d'amélioration de fonctionnement rencontre peu d'espoir de succès. Une réflexion profonde s'impose face à ce problème. Rappelons qu'avant 1998, un fonctionnaire ne pouvait pas siéger au Grand Conseil. On ne peut pas être à la fois juge et partie ! Pitoyable et irrationnel canton: d'un côté chantre du modernisme et du numérique, de l'autre vivant encore au temps des diligences avec 45 communes pour une si petite communauté, grand donneur de leçons au monde, mais incapable de régler un problème lancinant et coûteux, celui d'avoir pratiquement deux administrations parallèles, la Ville et le canton. C'est une crise financière sans issue qui s'annonce, et nous risquons de finir comme en 1934 sous la tutelle de la Confédération. Nous pourrons alors changer la devise de la république: «Post tenebras patatras» !
Vous l'aurez compris, ce budget est ficelé par les partis gouvernementaux sans possibilité d'ajustement, donc pour nous, il sera inutile de faire des heures de débat. L'UDC n'est pas satisfaite et refusera l'entrée en matière, sans espoir évidemment, ainsi que le vote final. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous stoppons ici et reprendrons le premier débat sur le budget à 17h.