République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 octobre 2020 à 18h10
2e législature - 3e année - 6e session - 32e séance
M 2666-A
Débat
Le président. Nous continuons le traitement des urgences et passons à la M 2666-A dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. La parole est au rapporteur de majorité, M. le député Sébastien Desfayes.
M. Sébastien Desfayes (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Au moment où je prends la parole pour défendre la vision de la majorité sur ce texte, j'ai une pensée pour notre très regrettée Anne Marie von Arx-Vernon, qui a été l'une des inspiratrices de cette proposition de motion.
En raison de la surpopulation carcérale, qui entraîne des conditions de détention absolument indignes à Champ-Dollon, l'intérêt, l'intérêt public commande d'apporter une réponse à cette situation. Et cet objet vise à penser, à imaginer une politique pénitentiaire différente de celle qui est menée à l'heure actuelle: plus humaine, plus cohérente et plus économique, mais aussi plus moderne et en meilleure adéquation avec ce qu'exige le droit suisse. Il n'y a là aucun angélisme, simplement du réalisme et du pragmatisme vis-à-vis d'une situation donnée.
Cette politique pénitentiaire moderne s'articule autour de quatre axes. Le premier axe, c'est la détention préventive. Aujourd'hui, quand le Ministère public ou le Tribunal des mesures de contrainte doivent statuer sur le régime de la détention préventive, ils n'ont finalement que deux options. La première est la remise en liberté pure et simple du prévenu. La deuxième est de l'incarcérer à Champ-Dollon, dans une prison de haute sécurité surpeuplée, indépendamment de son degré de dangerosité ou de l'infraction. Il suffit que le Ministère public ou le Tribunal des mesures de contrainte estime qu'il existe un risque de collusion pour qu'une personne qui n'est absolument pas dangereuse se retrouve incarcérée à Champ-Dollon.
C'est une situation totalement insatisfaisante et cette motion vise à donner aux autorités judiciaires une nouvelle palette de mesures alternatives - cas échéant d'établissements de mesures alternatives - par exemple une utilisation accrue du bracelet électronique. J'ai lu dans l'un des deux rapports de minorité que cela constitue une atteinte à la séparation des pouvoirs. Bien au contraire ! Il n'y a là aucune atteinte à la séparation des pouvoirs: de nouveaux moyens sont simplement donnés aux autorités judiciaires afin qu'elles puissent statuer au cas par cas, dans le cadre du régime de la détention provisoire, comme l'exige le droit suisse...
Le président. Vous parlez désormais sur le temps de votre groupe.
M. Sébastien Desfayes. ...comme l'exige plus précisément le code de procédure pénale. Voilà le premier axe.
Le deuxième, c'est l'exécution de peine. Le code pénal suisse pose comme principe que l'exécution de peine se fait en milieu ouvert, sauf en cas de dangerosité ou de risque de réitération. Or il n'y a pas de places de détention en milieu ouvert à Genève, tant et si bien que l'on se retrouve dans une situation absolument intolérable: des assassins sont au même endroit que des personnes qui n'ont pas payé leurs amendes, des violeurs à côté de personnes ayant commis des excès de vitesse. Cela doit changer ! De nouveau, ce n'est pas une atteinte à la séparation des pouvoirs, c'est simplement permettre de respecter les exigences du droit suisse en matière de détention par la création d'établissements de détention ouverts.
Le troisième axe, ce sont les travaux d'intérêt général. A l'heure actuelle, le SAPEM n'accomplit pas correctement ses tâches; il doit être plus proactif. Pourquoi ? Déjà parce que beaucoup de détenus, qui n'ont plus d'avocat à partir du moment où ils ont été condamnés, ne connaissent pas l'existence de ces travaux d'intérêt général comme moyen alternatif d'exécution de peine. Et ils ne savent pas non plus qu'ils ont l'obligation d'effectuer une demande formelle pour en bénéficier.
En quatrième lieu, il faut surtout créer un établissement de détention pour femmes. Dans le cadre d'une autre motion, le Conseil d'Etat avait reconnu en 2016 que la situation des femmes à Champ-Dollon était insupportable: elles subissaient des quolibets, des jets d'objets et des insultes. Il existe aujourd'hui un consensus parmi les spécialistes des questions de détention, de politique carcérale: les femmes et les hommes ne doivent pas cohabiter dans une prison. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) De même, un secteur de détention pour les femmes ne doit pas être noyé dans une prison construite et pensée pour des hommes. Il importe, il est absolument indispensable que nous ayons, à Genève, un centre de détention pensé pour les femmes et qui leur soit réservé.
J'aimerais juste terminer en soulevant deux points...
Le président. C'est terminé ! C'est vraiment terminé, Monsieur le député.
M. Sébastien Desfayes. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Je passe la parole à... Il y a un problème: je n'ai pas de rapporteur de première minorité annoncé pour le PLR. (Remarque.) Monsieur Pasquier, vous êtes ce rapporteur et je vous cède le micro.
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), député suppléant et rapporteur de première minorité ad interim. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Grand Conseil, lors de sa dernière session à fin septembre, a définitivement enterré le projet de la nouvelle prison des Dardelles. La M 2666 a de son côté été examinée par la commission judiciaire et de la police lors de sa séance du 8 octobre dernier. Elle présente dès lors un intérêt puisque certaines de ses invites offrent une alternative au projet des Dardelles et des compléments bienvenus à un statu quo dont nul ne saurait se réjouir, tant la surpopulation carcérale dont souffre Genève demeure - hélas ! - encore et toujours d'actualité. Parmi les invites réjouissantes de ce texte, on citera la création d'un établissement destiné exclusivement à la détention des femmes ou un recours plus important aux bracelets électroniques, ainsi que l'augmentation des places de travaux d'intérêt général pour les situations particulières qui s'y prêtent.
Malheureusement, la majorité de la commission n'a pas voulu se concentrer sur l'essentiel des invites de la motion, qui comportaient de nouvelles pistes de réflexion intéressantes. En effet, la majorité a préféré conserver une version légèrement modifiée mais tout aussi maximaliste du texte déposé par les auteurs.
Pour le groupe PLR, cet objet - au passage, il ressemble en tous points au programme électoral du candidat d'Ensemble à Gauche à l'élection du procureur général de 2014 - est inacceptable en l'état pour les raisons suivantes. Tout d'abord, il mélange les notions de détention provisoire, ordonnée en cours de procédure en cas de risque de fuite, de collusion ou de réitération d'un prévenu, et d'exécution d'une peine privative de liberté, qui intervient en fin de procédure, à la suite d'un jugement pénal entré en force.
La motion soutient en outre l'idée qu'il existerait une prétendue politique pénitentiaire, alors que la population carcérale n'est rien d'autre que la résultante de l'ensemble des décisions individuelles et concrètes prises par les juridictions pénales en matière de détention, respectivement d'exécution de peine privative de liberté. Elle revient à considérer que c'est la capacité carcérale d'une collectivité publique qui doit dicter sa politique de sécurité et sa politique pénale, et non l'inverse.
La motion viole par ailleurs la séparation des pouvoirs, d'une part en demandant au Conseil d'Etat de s'immiscer dans les prérogatives du service de l'application des peines et mesures en réduisant sa liberté de manoeuvre - alors que ce service doit lui aussi pouvoir prendre ses décisions de manière autonome, en fonction des circonstances particulières de chaque cas qui lui est soumis. D'autre part, elle demande à l'exécutif de requérir des juridictions pénales qu'elles réduisent le recours à la détention provisoire, respectivement qu'elles prononcent moins de peines privatives de liberté, ce qui entrave l'indépendance des magistrats du Pouvoir judiciaire.
En raison de l'angélisme idéologique dont il est teinté, ce texte ne fait rien d'autre qu'agiter le spectre d'un retour au laxisme qui prévalait il y a quelques années en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité à Genève, lorsque la gauche occupait le poste de procureur général et détenait simultanément la majorité tant au Grand Conseil qu'au Conseil d'Etat. Comme le dit si bien le député Murat Alder, auteur de ce rapport: «NON à une motion "bisounours" qui viole la séparation des pouvoirs !»
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe.
M. Jean-Pierre Pasquier. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR vous invite à rejeter cette motion. Merci, Monsieur le président.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Actuellement, 70% des détenus n'ont aucune attache avec Genève. Ils sont de passage; ce sont des touristes de la délinquance. Cette motion propose des structures ouvertes, une sorte de Club Med de la délinquance. En allant dans cette direction, ce texte est dangereux: il vise à affaiblir la protection de notre canton. Celui-ci est particulièrement exposé à la délinquance internationale et c'est pourquoi nous devons nous protéger en construisant suffisamment de prisons - mais pas des prisons ouvertes, des prisons Club Med: de vraies prisons pour que les délinquants internationaux sachent qu'ils ne sont pas les bienvenus à Genève.
Prenons l'exemple de la France, qui manque de places de prison, et voyons l'état inquiétant dans lequel elle se trouve actuellement. Nous devons impérativement nous protéger contre la délinquance internationale; c'est pour cela que cette motion est dangereuse. Aucune vraie proposition ne figure dans ce texte: la prison pour femmes, c'est un peu une foutaise parce qu'elle figurait dans le projet de loi sur les Dardelles. Il y avait un département bien délimité pour les femmes, tout comme un dispositif pour les détenus dits faibles ou âgés. Quant au bracelet électronique, c'est véritablement une foutaise ! Parce que je ne vois pas comment on peut adopter ce genre de pratique pour des délinquants qui sont des touristes de passage, à part pour des cas très très marginaux.
Ce que propose cette motion, c'est en fait un laxisme dans le domaine pénitentiaire. Non à la prison qui est portes ouvertes aux délinquants, non à Genève capitale des délinquants ! N'allons pas dans cette direction: ce serait véritablement aller dans la direction du pire, et cela, je vous invite à ne pas le faire, à ne pas donner ce signal qui serait tout à fait dangereux. Le groupe MCG vous recommande fortement de refuser cette motion.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je crois que M. le député Sébastien Desfayes a bien posé le problème. Il a bien résumé les avantages de cette proposition de motion et montré qu'il est nécessaire de la soutenir. J'aimerais insister sur quelques points et tout d'abord sur la question de la séparation des pouvoirs, parce que j'entends régulièrement dire - et encore aujourd'hui - que nous serions en train de nous ingérer dans l'activité du Pouvoir judiciaire. La question de la prison ne serait finalement que la résultante des décisions de mise en détention prises par le Pouvoir judiciaire et notre seul rôle à nous, en tant que législatif, serait de libérer des budgets pour que l'exécutif puisse construire des prisons et être sûr qu'il y ait assez de places pour tout le monde. C'est évidemment faux !
Malheureusement, notre Grand Conseil a cru pendant trop longtemps que c'était vrai et, pendant trop longtemps, notre Grand Conseil n'a pas pris à bras-le-corps la question de la politique carcérale qu'il entendait mener - il y a même des gens qui prétendent que la politique carcérale n'existe pas, qu'une politique pénitentiaire n'existe en rien. Et c'est bien ça, le problème: nous n'avons pas mené, Genève n'a pas eu de politique pénitentiaire. Il n'y a pas eu de réflexion sur la prison que nous voulions construire pour l'avenir. Pendant trop longtemps, nous avons vécu sur la prison de Champ-Dollon sans réfléchir à ce que nous voulions ni à la manière dont on devait l'améliorer pour la rendre acceptable et adaptée aux personnes qui s'y trouvent.
Il n'y a pas de volonté d'être laxiste, mais celle d'offrir au Pouvoir judiciaire des lieux adéquats pour chaque détenu lorsque nécessaire, lorsqu'il expédie des gens en prison - il est indispensable de lui offrir des conditions de détention adéquates pour chaque type de détenus. Chaque détenu doit l'être dans un lieu qui corresponde à sa dangerosité, parce que les lieux inadéquats ont pour conséquence l'augmentation du risque de récidive. Voilà l'enjeu, au final ! Nous savons tous que la prison ne rend pas les gens meilleurs ! La prison, la privation de liberté, n'aide pas les gens à s'améliorer et nous devons absolument permettre - si nous ne le faisons pas, nous faillirons à notre mission - d'avoir des lieux de détention qui vont finalement améliorer les gens. Ainsi, quand ils sortiront de ces lieux de détention, parce qu'ils vont tous en sortir un jour ou l'autre, eh bien ils ne commettront pas de nouvelles infractions.
Vouloir entasser les gens comme dans un poulailler, dans des lieux où même la détention des animaux ne serait pas autorisée en Suisse, sans leur apporter un soutien individuel, sans leur permettre de se réadapter petit à petit à la liberté, sans leur permettre de faire une formation, eh bien c'est encourager...
Le président. Merci.
M. Pierre Bayenet. ...c'est favoriser la récidive. Je me souviens que quelqu'un m'a arrêté dans la rue, il y a quelques années...
Le président. Merci, Monsieur le député, c'est terminé.
M. Pierre Bayenet. Bon, vous ne saurez pas ce qu'on m'a raconté dans la rue; ce n'est pas grave. Je vous remercie de soutenir cette motion. (Rires. Applaudissements.)
Une voix. On veut savoir ! On veut savoir ! (Commentaires.)
Le président. Eh non ! Madame la députée Léna Strasser, vous avez la parole.
Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, les Dardelles ne verront pas le jour: c'est acté, alors passons à d'autres options. Malgré le travail effectué par les équipes sur le terrain afin d'améliorer - ou juste maintenir - les conditions de détention à Genève, la surpopulation carcérale et la vétusté des bâtiments font que celles-ci ne sont en effet pas satisfaisantes du tout. De plus, les alternatives à la détention ne sont qu'insuffisamment utilisées, notamment lors de la détention avant jugement. La surpopulation, insupportable tant pour les détenus que pour les professionnels de la détention, ne peut plus durer. C'est pourquoi cette motion propose des pistes d'action concrètes afin d'aller vers une autre vision pénitentiaire à Genève.
La première d'entre elles est que si création de lieux de détention il y a, alors que ceux-ci soient des établissements dits ouverts, plus petits et permettant un véritable pont entre la détention et la liberté; des établissements offrant du travail, de la formation et des liens avec la population, comme c'est le cas dans d'autres cantons. La deuxième est la création d'un lieu de détention spécifique aux femmes, dont les conditions actuelles sont simplement inadéquates: pas d'accès à des ateliers dignes de ce nom, pas de promenade hors de vue des détenus, pas de possibilité de formation. La troisième est de renforcer les mesures alternatives à la détention en trouvant des solutions aux freins que celles-ci rencontrent aujourd'hui.
Cette motion, Mesdames et Messieurs, ouvre la voie à une nouvelle vision de la détention dans notre canton - accès à la dignité ne rime pas forcément avec laxisme. Elle donne le ton pour une vraie réflexion sur la politique pénitentiaire genevoise. Le parti socialiste vous demande donc de la soutenir. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Pour ne pas être redondant avec mes préopinants et préopinantes, je vais relever trois aspects de cette motion. Le premier est un aspect économique: un détenu ou une détenue dans une prison de haute sécurité coûte extrêmement cher. Il est donc impératif que seuls les cas présentant un danger pour la vie en société soient placés dans ce type d'établissement. Des types de peines alternatives doivent par conséquent être développés pour les autres cas, comme exposé dans la motion. De plus, si une réinsertion réussie coûte peut-être plus cher dans un premier temps, elle permet de diminuer le risque de récidive et de ce fait d'abaisser les coûts - c'est ce qui a été démontré en Scandinavie et en Allemagne notamment. Pour des raisons économiques déjà, je vous recommande donc d'accepter cette motion.
Deuxième point: l'aspect Bisounours. Je ne pense pas qu'adapter le niveau de dangerosité au type de détenus qui s'y trouvent soit une approche Bisounours. Nous avons, à l'heure actuelle, trois prisons de haute sécurité qui offrent environ 500 places: Champ-Dollon, La Brenaz et Curabilis. En dehors de ça, il n'y a rien ! Nous l'avons dit lors du débat sur les Dardelles, cette capacité est à notre avis suffisante pour héberger des détenus qui ne doivent pas être en contact avec la société. Ce qui manque, ce sont des structures moins sécurisées, avec moins d'encadrement et avec des moyens dévolus à la réinsertion, voire des milieux ouverts. Une fois que ces structures auront été mises en place, il restera bien assez de cellules disponibles pour les cas dangereux. Il n'est absolument pas question de les laisser déambuler dans la rue, tout comme il n'est pas question d'enfermer dans une prison de haute sécurité des personnes qui n'auraient pas payé leurs amendes de stationnement.
Le troisième aspect est l'aspect juridique. Un des rapporteurs de minorité nous dit qu'il n'y a pas de politique pénitentiaire, ce que je trouve spécialement choquant pour le législatif que nous sommes et l'exécutif qu'est le Conseil d'Etat. Les procédures judiciaires sont certes fortement encadrées par le code pénal, qui est fédéral, je le reconnais, mais il ne faut pas tout le temps se cacher derrière ce cadre. Il existe à Genève des lois et des règlements qui transposent localement le cadre helvétique, notamment la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale - la LaCP - qu'il est par exemple en notre pouvoir de modifier. Il est du pouvoir de ce législatif de modifier cette loi d'application s'il en a envie.
Soyons donc créatifs, inspirons-nous d'autres modèles qui fonctionnent, changeons les lois et règlements si nécessaire, et redéfinissons une politique carcérale. Et pour donner une impulsion dans cette direction, votons sans tarder cette motion et renvoyons-la au Conseil d'Etat.
Mme Danièle Magnin (MCG). Chères et chers collègues, la première chose qui m'apparaît ici, au sujet de la détention préventive et de sa durée, c'est qu'il faut commencer par réduire la durée des procédures. Il y a des gens qui, pour une infraction de moyenne importance, attendent cinq ou six ans avant de passer en jugement. Ça leur bousille complètement la vie - et je ne dis pas qu'ils sont détenus en préventive pendant cinq ou six ans, mais qu'ils le sont pendant un moment puis enfin libérés. Ça ne tient pas la route ! A l'heure actuelle, le Ministère public ne traite pas les cas suffisamment vite.
Ensuite, il est absolument clair et évident pour le MCG que le nombre de personnes à Champ-Dollon est trop élevé. Des formes de détention alternatives, comme un bracelet au pied, sont une très bonne idée. Des lieux de détention à bas niveau de sécurité sont par contre une absurdité: soit on est enfermé et on ne peut pas sortir, soit alors il n'y a pas beaucoup de sécurité et hop, on se fait la malle quand on en a envie ! Et ça, ça ne peut pas aller ! Il me paraît aussi complètement farfelu de vouloir que la moitié de la durée des peines privatives de liberté soit subie en milieu ouvert d'ici cinq ans, parce que les détenus peuvent être dangereux. S'ils ont été condamnés à une peine d'une durée relativement importante, eh bien il faut que ce soit très progressif et non systématique. Ensuite, on a parlé de plusieurs établissements de taille modeste, etc., et d'un suivi thérapeutique de qualité: mais il faudrait de toute façon qu'il y ait un suivi sociothérapeutique - ça n'a pas besoin de figurer dans ce texte.
Donc pour les peines de substitution en milieu ouvert, bien. Les... (Remarque.) Attendez deux secondes, je voudrais simplement parler de la conversion des amendes en arrêts. Là aussi, il me semble qu'un bracelet à la cheville devrait suffire. Il y a par conséquent d'autres moyens que de déposer cette motion pour atteindre le but visé. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole va maintenant à M. le député Thierry Cerutti pour une minute.
M. Thierry Cerutti (MCG). Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je crois rêver lorsque j'entends les propos des uns et des autres au sein de cet hémicycle ! Affirmer qu'au sein de notre institution prison, au sein de notre canton on ne fait rien pour la réinsertion, c'est se moquer de la population - c'est se moquer des gens honnêtes ! C'est se moquer des gens qui ont été des victimes, c'est se moquer des gens qui ont subi les actes délictueux de toutes ces personnes que vous voulez défendre aujourd'hui et dont vous voulez minimiser les actes ! Je ne vous souhaite pas du mal - je ne vous souhaite pas de vivre ce que certains ont vécu - mais il est inadmissible de vouloir inverser les rôles ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) C'est une honte de dire que les gens en prison sont des victimes et que les victimes sont des délinquants ! Je rappelle juste qu'il y a déjà des alternatives à la prison au jour d'aujourd'hui: les jours-amende, l'amende et le bracelet auquel on a recours de manière régulière et constante dans notre canton. Je rappelle aussi que Champ-Dollon, La Brenaz...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Thierry Cerutti. ...et Curabilis ne sont pas des prisons de haute sécurité, Monsieur Eckert.
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Thierry Cerutti. Renseignez-vous avant de dire des bêtises ! Merci.
Le président. Je passe la parole à M. le député Emmanuel Deonna pour une minute trente.
M. Emmanuel Deonna (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion offre de nombreuses perspectives intéressantes: des mesures contre la surpopulation carcérale, des mesures pour une optimisation des conditions de détention par catégorie de détenus, des mesures pour une meilleure cohabitation entre détenus et détenues, des mesures pour une meilleure réadaptation et réinsertion des détenus.
Je voudrais attirer votre attention sur la question de la détention administrative. Les députés de la commission des Droits de l'Homme et de la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil ont été sensibilisés aux problèmes liés à cette thématique. De l'avis de nombreux observateurs, l'évolution de la situation sanitaire impose de fermer les établissements de Frambois et de Favra - en ce qui concerne Favra, cet établissement devrait fermer de façon définitive. Je vous remercie.
M. Cyril Aellen (PLR). Cette motion comporte des choses tout à fait correctes - des choses correctes qui étaient réglées par le projet des Dardelles, refusé par les auteurs de ce texte - d'autres plus contestables, et surtout des choses qui n'ont rien à y faire puisqu'elles violent la séparation des pouvoirs. Je prends un exemple très concret: demander dans la première invite une réduction du nombre de personnes détenues préventivement, c'est une violation manifeste de la séparation des pouvoirs. Si vous voulez changer les conditions de la détention préventive, il faut effectivement changer les lois, mais vous ne pouvez pas donner des injonctions aux magistrats. Il en va de même pour la quatrième invite, par exemple: avoir pour objectif un quota de gens en milieu ouvert, c'est faire fi de tous les principes juridiques, qui requièrent de prendre en compte la réalité des personnes et non des quotas relatifs aux détenus en milieu ouvert ou fermé. C'est dommage qu'un si grand nombre de choses absurdes et irréalisables figure dans une motion qui pourrait, si elle avait été travaillée correctement, être acceptable pour l'ensemble de ce parlement.
Maintenant, soyons quand même concrets; ne soyons pas angéliques. Pourquoi Champ-Dollon est-il surchargé ? Parce qu'il y a une surcharge de criminalité ! En 2019, on a par exemple enregistré 2141 infractions pour des atteintes à l'intégrité, dont 42 homicides ! Cette même année, il y a eu 362 cas de brigandage, 2324 escroqueries et, on en a parlé tout à l'heure, des viols en nombre important. On a compté 30 séquestrations et enlèvements, des contraintes sexuelles par dizaines. Mesdames et Messieurs, s'il y a beaucoup de monde à Champ-Dollon, c'est parce qu'il y a beaucoup d'infractions ! En réalité, il y en a des dizaines de milliers, et il est par ailleurs tout à fait faux de dire que des criminels côtoient des gens qui ont fait des excès de vitesse ou sont en conversion d'amende.
Et si effectivement un certain nombre de demandes formelles ne sont pas déposées parce qu'ils n'ont pas d'avocat, eh bien donnons-leur des avocats pour qu'elles puissent l'être ! Mais de grâce, s'il y a surpopulation à Champ-Dollon - et c'est vrai ! - c'est précisément parce qu'un grand nombre d'infractions sont commises ! Changeons les conditions pour que ces infractions ne soient pas commises mais ne mettons pas en liberté des gens qui sont objectivement dangereux.
J'aimerais faire un lien avec le sujet précédent: on a voulu - ce parlement - augmenter la possibilité, pour les victimes de viol, de porter plainte et de faire en sorte que les responsables soient poursuivis...
Le président. Merci, Monsieur le député, il vous faut terminer maintenant.
M. Cyril Aellen. ...mais il va falloir pouvoir mettre en oeuvre cette politique criminelle. (Applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC). Pour l'UDC, entendre qu'il faut adapter le niveau de dangerosité, qu'il faut fermer la détention administrative et toutes ces choses, c'est juste une aberration ! Parce qu'on a bien senti où veulent en venir les auteurs de cette motion et ceux qui l'ont signée: pour vous, d'après vos critères, on le voit bien, il faudrait d'office libérer tous ceux qui contreviennent à la loi sur les étrangers, qui sont en infraction, tous les petits trafiquants de drogue à la petite semaine qui vendent un peu de shit par-ci par-là; il faudrait trouver autre chose à leur faire faire. (Remarque.) Par contre, celui qui aurait commis une infraction au code de la route, alors pour lui, pas de pitié: il faut a contrario l'enfermer, il n'y a pas de problème ! Il faut lui coller le maximum parce que c'est un danger public.
C'est ce qui ne va pas dans votre motion: vos distinctions ne correspondent pas à la réalité des faits reprochés. Et comme l'a très justement dit M. Cyril Aellen, s'il y a autant de monde à Champ-Dollon, il faudrait déjà voir d'où viennent toutes ces personnes - là aussi, c'est un véritable problème. Quand on voit la nationalité de la plupart des personnes enfermées... (Protestations.) ...là est le vrai problème de la surpopulation. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient finalement à M. le rapporteur de seconde minorité pour trente-sept secondes.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. On constate avec surprise qu'un certain nombre de personnes ne voient aucun intérêt à protéger la population genevoise, qui est menacée. Par quoi est-elle menacée ? Par les dealers, les délinquants internationaux, par toutes ces personnes qui créent le crime et la désolation dans notre canton. Ce ne sont pas des étrangers, ce sont des personnes qui n'ont aucune attache avec Genève ! Des gens de passage - ce fameux tourisme, ce fameux Club Med que le député Bayenet voudrait établir à Genève. Le Club Med de la criminalité ! (Remarque.)
Le président. Merci, Monsieur le député, c'est terminé.
M. François Baertschi. C'est pour cela que nous nous opposons à cette motion: elle est nuisible et nous vous demandons de la refuser.
Le président. C'est terminé ! La parole est au conseiller d'Etat, M. Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le seul fait de prendre la parole est la preuve de mon optimisme puisque les personnes présentes savent de toute évidence déjà ce qu'elles vont voter avant même que je m'exprime. Permettez-moi néanmoins de faire quelques remarques par rapport à cette liste à la Prévert de bonnes intentions qui nous est ici présentée.
Vous constaterez que celles et ceux qui se plaignent de maux dans le système carcéral sont les mêmes qui en sont en grande partie les artisans. Je rappelle qu'à une infime majorité, vous avez refusé la construction d'un établissement pénitentiaire de nature à répondre aux besoins pressants du canton. D'autant plus que toutes les assurances vous avaient été données sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'enfermer les gens dans des conditions... J'ai entendu des propos extrêmement choquants, de surcroît de la part d'une personne qui est auxiliaire de la justice et qui devrait savoir comment les choses se passent. Elle parle de détenus entassés comme du bétail; je pense qu'il y a certains propos qu'il faudrait savoir mesurer.
Permettez-moi de prendre quelques exemples de ce qui nous est demandé ici pour démontrer à quel point cette motion est le fruit du dilettantisme - je pèse mes mots. Etre un parlement de milice ne signifie pas qu'on peut dresser des listes de ce qui est souhaitable sans s'assurer un minimum de leur possibilité de réalisation. On nous demande de diminuer le nombre de places en milieu fermé. Or on sait, et on l'a rappelé, que 70% de la population carcérale est constituée de personnes non pas étrangères - ce n'est pas l'élément déterminant - mais qui n'ont aucun lien avec notre territoire ! Il est donc indispensable que ces personnes, selon la loi, soient détenues en milieu fermé; leur exécution de peine ne peut pas se faire en milieu ouvert. Malgré cela, on nous demande d'augmenter du double d'ici cinq ans - pourquoi cinq ans et pas trois, pendant qu'on y est ? - le nombre de peines en milieu ouvert, au mépris de l'article 76, alinéa 2, du code pénal qui fixe les règles que doivent appliquer nos magistrats.
On nous demande aussi de diminuer le nombre de détenus en mettant en place des alternatives à la détention avant jugement. De toute évidence, la détention avant jugement fait l'objet d'une appréciation des risques de la part des magistrats, qui doivent établir s'il y a un risque de fuite, c'est-à-dire si la personne qui doit se présenter devant ses juges le fera ou si le risque de fuite est trop élevé. S'il se réalise, ce risque implique évidemment non seulement la fuite - à la limite, avec un certain cynisme, on pourrait espérer la fuite de la personne pour ne pas avoir à la juger - mais aussi un risque de récidive si la personne est lâchée dans la nature. Or c'est le Pouvoir judiciaire qui fait cette appréciation et non l'exécutif, à qui cette motion est destinée.
On nous demande une prison pour femmes. Oui, c'est vrai, il y avait un secteur prévu pour les femmes aux Dardelles. Le souhait est récurrent, bien que l'on puisse se demander s'il correspond à la politique souhaitable à ce jour dans le domaine de l'exécution des peines. Pourquoi faudrait-il absolument... Je me souviens d'une question qui demandait pourquoi genrer les activités dans le cadre de l'exécution des peines: compte tenu des petits établissements pour femmes, on avait tendance à organiser des cours de cuisine et de broderie plutôt que de permettre aux femmes, ce qui est aussi mon souhait, d'accéder aux mêmes formations que les hommes. Il est évident qu'il sera difficile, dans un établissement pour femmes de vingt personnes, d'offrir toute la palette d'activités qui est offerte dans un établissement d'exécution pénitentiaire de plus grandes dimensions. Néanmoins, nous avons entendu cette demande de votre parlement.
Pas plus tard qu'hier, j'ai proposé à votre président de m'adresser aux commissions chargées du sujet afin de leur présenter le texte qui sera déposé pour offrir, avec votre soutien, une alternative aux Dardelles - que vous avez refusées - parce que nous n'avons pas le temps d'attendre ! Les personnes qui sont à Champ-Dollon dans des conditions déplorables - je pense bien sûr à celles qui soit se trouvent en attente de jugement, soit exécutent des peines, mais aussi à tout le personnel qui travaille dans des conditions inacceptables - attendent depuis des années maintenant que l'on affronte enfin nos responsabilités dans un canton comme Genève. Nous viendrons donc prochainement avec un projet qui fait sens; je pense qu'il devrait satisfaire une majorité de ce parlement, même si je sais que pour une partie d'entre vous, les prisons ne devraient tout simplement pas exister. J'invite ces personnes à s'adresser à l'Assemblée fédérale et à s'y faire élire pour pouvoir porter leur très beau message.
Autre sujet: celui des bracelets électroniques, dont on nous dit que les frais s'élèvent à 9,20 francs par jour, sans compter le coût du fonctionnaire qui doit évidemment suivre - pas physiquement, bien sûr - les détenus qui peuvent en bénéficier. Cela a naturellement aussi un coût. Néanmoins, tout le monde est favorable, lorsque c'est possible, au remplacement d'une exécution de peine par un bracelet électronique. Nous en avons suffisamment, le problème n'est pas d'en manquer. Il y a simplement un article 79b du code pénal - vous savez, ce code pénal qui fixe les règles auxquelles nous devons nous plier - qui prévoit que le bracelet électronique n'est possible que si la personne a un logement et une activité agréée. J'imagine que la prochaine motion visera à obliger l'Etat à offrir un logement et une activité agréée pour que l'on puisse ensuite utiliser le bracelet électronique ! (Applaudissements.)
Enfin, en ce qui concerne les travaux d'intérêt général, ils ne peuvent être proposés que si la personne qui souhaite les exécuter les demande. Il y a une activité régulière, le SAPEM informe chaque personne qui remplit les conditions pour en bénéficier et l'incite à en faire la demande. Evidemment, une fois que la personne se présente pour l'exécution de peine, nous n'avons plus aucune possibilité de transformer cette exécution de peine, le cas échéant après une conversion, en travail d'intérêt général - je le regrette aussi; c'est l'article 79a de ce même petit fascicule que certains n'ont apparemment pas en tête qui fixe les limites de notre action.
Voilà, Mesdames et Messieurs ! Le service de l'application des peines et mesures, comme son nom l'indique, est un service qui applique les peines et mesures. Ce n'est pas lui qui les distribue et sa marge de manoeuvre est celle que lui donne le droit fédéral. Si vous souhaitez changer tout cela, et c'est sans doute louable, ne le faites pas en envoyant des injonctions au Conseil d'Etat, injonctions dont il ne pourra pas tenir compte. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote de prise en considération.
Mise aux voix, la motion 2666 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 44 oui contre 42 non et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)