République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 30 octobre 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 6e session - 30e séance
RD 1367-A
Débat
Le président. Nous passons à l'étude du RD 1367-A et je cède la parole à M. Cyril Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais vous dire quelques mots de la part du groupe socialiste au sujet du rapport du Conseil d'Etat sur la clause péril, dont il convient de lire le contenu, parce que nous avons le sentiment que le rapport de commission n'a pas forcément été bien compris.
En premier lieu, la méthodologie employée nous a interpellés. Nous avons en effet été un peu surpris que les statistiques soient uniquement basées sur le critère Suisse-étranger. Pourquoi ne pas établir des statistiques par exemple sur la couleur de cheveux ! Plus sérieusement, on aurait pu effectuer à peu près la même analyse concernant la question du niveau de revenu, car il est clair qu'une situation de précarité entraîne logiquement un risque plus élevé de clause péril. Mais le mérite essentiel de ce rapport - parce qu'il en comporte quand même plusieurs ! - c'est de mettre en lumière le fait qu'en réalité le TPAE n'exerce strictement aucun contrôle sur la clause péril, Mesdames et Messieurs. Seul le SPMi lui-même procède à la levée de clauses péril, et le TPAE confirme - tenez-vous bien - 100% des clauses péril non levées. A noter qu'aucune information n'est fournie sur d'éventuels recours contre cette ratification par le TPAE de la clause péril. Ici, la terminologie a bien entendu son importance, et le schéma du processus figurant dans le rapport montre aussi que seul le SPMi entend les personnes concernées après l'activation de la clause péril.
Plus loin dans ce document, on peut lire qu'en moyenne, sur les trois années considérées, la ratification du TPAE survient 49 jours après la prise de la clause péril. La ratification la plus rapide est intervenue 8 jours après, tandis que la plus tardive a été effectuée 131 jours après. C'est proprement sidérant, Mesdames et Messieurs ! Il s'agit d'une violation du droit d'accès au juge, et je vous invite à vous référer à ce que dit la doctrine concernant le délai pour valider les mesures superprovisionnelles, ce qui permet d'ouvrir ensuite des voies de recours. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je vais conclure, Monsieur le président ! La doctrine mentionne que si cette validation intervient entre 5 et 20 jours après, selon les différents avis, eh bien c'est une violation du droit d'accès au juge, or nous en sommes là à 49 jours.
Voilà pour les constats. Mais ce qui est aussi inquiétant, c'est que même si le Conseil d'Etat avait parfaitement conscience du contenu de la motion de commission 2671, qui demandait clairement une réforme de la clause péril...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Cyril Mizrahi. ...il se contente dans ce rapport de proposer une opération de communication sur la clause péril et de créer un groupe de travail pour améliorer la coordination.
Le président. Merci, Monsieur Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi. Le message de la commission, et je terminerai par là, Monsieur le président...
Le président. Non, votre temps est écoulé, Monsieur le député !
M. Cyril Mizrahi. ...c'est que c'est insuffisant, raison pour laquelle nous proposons le renvoi de ce texte au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (PDC). Je ne reviendrai pas sur les propos de mon préopinant, qui a très bien résumé le contenu de ce rapport. En tant que présidente de la commission des Droits de l'Homme, je crois que l'on doit vraiment souligner que ce document ne suffira pas pour résoudre la problématique de la clause péril, entre autres parce qu'il n'offre pas de solutions à même de répondre aux inquiétudes légitimes. Et si nous renvoyons aujourd'hui ce rapport au Conseil d'Etat, c'est que la commission attend de lui qu'il profite de l'occasion de ce renvoi et de l'étude de notre motion de commission - dont il est déjà saisi et qui traite également de la question de la protection des mineurs, notamment de la clause péril - pour nous répondre cette fois de manière plus exhaustive, en apportant de vraies solutions issues d'un travail transversal réalisé avec toutes les instances qui interviennent dans ce domaine. Je vous remercie.
Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. Le groupe Ensemble à Gauche soutiendra évidemment lui aussi le renvoi au Conseil d'Etat de ce rapport qui, comme mes préopinants l'ont dit, est totalement insatisfaisant et insuffisant, notamment eu égard au travail qui a été réalisé à la commission des Droits de l'Homme. Il est un peu difficile de se trouver face à un tel rapport après tout le travail d'élaboration effectué au sein de cette commission !
J'aimerais relever entre autres un aspect qui me semble important et qui a d'ailleurs été souligné par la commission: il existe de graves dysfonctionnements au SPMi, et pour éviter la clause péril, c'est bien entendu le travail en amont qui nécessite d'être renforcé. Comme on peut le lire dans le rapport du Conseil d'Etat, 75% des jeunes touchés par la clause péril étaient suivis par le SPMi, ce qui témoigne bien d'un dysfonctionnement. Même si tous les cas ne sont pas évitables, 75% est un pourcentage énorme; il est donc clair pour nous que les services du SPMi et les AEMO doivent être renforcés. En conclusion, nous renverrons ce rapport au Conseil d'Etat, en espérant que nous obtiendrons des réponses sur le fond dans un délai assez bref.
M. Yves de Matteis (Ve). Etant donné le caractère indigent, voire indécent de ce rapport, le groupe des Verts approuvera également son renvoi au Conseil d'Etat. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la présidente du Conseil d'Etat Anne Emery-Torracinta.
Mme Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Ce n'est pas en tant que présidente du Conseil d'Etat que je m'exprimerai, mais bien en ma qualité de conseillère d'Etat chargée du DIP.
Mesdames et Messieurs les députés, ce qui est sidérant - sidérant ! - c'est le travail ou plutôt l'absence de travail effectué par la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) dans ce cadre. J'ai entendu tout à l'heure, lors d'un débat sur un autre point, le député Mizrahi s'étonner que l'on n'auditionne pas les personnes concernées lorsqu'on traite un sujet. Eh bien, après avoir lu ce rapport, je ne sais toujours pas très bien ce que la commission a fait et si un vote a eu lieu, car rien n'est indiqué, et je relève surtout que le département n'a pas été auditionné. Or, s'il l'avait été, les choses auraient peut-être été plus claires ! En effet, je me suis rendue à deux reprises à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) il y a quelques mois pour évoquer la question de la protection des mineurs, et j'ai dit aux députés de cette commission que nous allions entamer une grande réforme, une grande révision dans ce domaine, en collaboration avec tous les partenaires concernés, mais que suite à plusieurs questions qui nous avaient été posées, nous étions aussi en train de rechercher des éléments statistiques sur cette fameuse clause péril, parce que lorsqu'on examine un sujet, il faut savoir de quoi il retourne sur le plan statistique. J'avais alors indiqué aux commissaires que des chiffres vous seraient transmis, et c'est bien ce que nous avons fait dans ce document ! Il ne s'agit donc pas d'un rapport sur la révision de la protection des mineurs - il serait effectivement bien trop succinct. Nous vous avons simplement communiqué des données statistiques, qu'en aucun cas nous n'avions l'obligation de vous transmettre. J'en ai d'ailleurs tiré une bonne leçon: il ne sert à rien d'être transparent, puisque lorsqu'on vous donne des chiffres, vous nous les renvoyez, comme si nous étions responsables de ces éléments. Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, ne prenez pas ce rapport pour la réponse à la question essentielle de la protection des mineurs. Considérez-le simplement comme une indication relative à un sujet qui interpelle souvent votre parlement.
De quoi parle-t-on quand on évoque la clause péril ? Eh bien de situations d'extrême urgence dans lesquelles il faut protéger des mineurs, notamment des enfants, puisque 60% des clauses péril concernent des enfants de 0 à 5 ans. A cet égard, je vous cite un extrait du préambule de la Constitution fédérale: «[...] la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Il s'agit donc de situations d'urgence, dont vous trouverez quelques exemples dans le rapport, que je vous incite à lire. Cela peut être un médecin qui détecte des traces de coups de rasoir sur les jambes d'un mineur, des parents qui gavent leur bébé, le nourrissent de force et le réveillent des dizaines de fois par nuit pour lui donner à manger, une mère qui laisse ses enfants en bas âge toute la nuit sans surveillance à la maison, un père qui consomme de grandes quantités d'alcool et de cocaïne devant sa fille, des services vétérinaires qui découvrent un bébé vivant dans une pièce jonchée d'excréments de chien, etc. Voilà des situations dans lesquelles on active la clause péril, Mesdames et Messieurs. Ce sont des enfants en danger, très souvent en danger de mort, ou qui subissent en tout cas des violences physiques et psychiques extrêmement graves.
De combien de personnes par an parle-t-on ? A vous entendre, on pourrait penser qu'elles sont des milliers. Non, une vingtaine de clauses péril sont actionnées chaque année, ce qui représente 26 ou 27 mineurs, sur les 7288 jeunes suivis par le SPMi, si je prends les chiffres de l'année dernière, soit 0,35% d'entre eux. Quant aux statistiques, Mesdames et Messieurs les députés, elles n'indiquent pas seulement s'il s'agit de Suisses ou d'étrangers: on y trouve également le genre, l'âge et l'indication du suivi ou non par le SPMi. Il y a toutes sortes d'informations ! Du reste, on voit bien que les clauses péril concernent souvent des familles qui sont déjà suivies. Alors certes, Mesdames et Messieurs les députés, on peut abandonner la clause péril, de cette façon il n'y aura plus de souci, mais dans ce cas on laissera des enfants en danger. Vous ne pouvez pas d'un côté nous dire que le SPMi ne fait pas son travail et de l'autre vous étonner qu'on active quand même des clauses péril.
Et puisque le rapport de commission, qui contient plus généralement des propositions pour la réforme de la protection des mineurs, est arrivé six mois après la mise en révision du dispositif avec tous les partenaires, je vais tout de même vous donner quelques éléments. Dans votre réponse à notre rapport, vous nous demandez de développer l'AEMO. Eh bien nous ne vous avons pas attendus pour le faire ! L'AEMO dite classique - l'assistance éducative en milieu ouvert - a été lancée en 2010, celle pour la petite enfance, c'est-à-dire les tout-petits et les bébés, en 2016, et l'AEMO de crise pour les situations d'urgence en 2018. Pour ce qui est de l'augmentation budgétaire et des places disponibles, il y avait 527 mineurs suivis en assistance éducative en milieu ouvert en 2019. Sachant que 26 ou 27 mineurs sont touchés par la clause péril, vous voyez la proportion ! Ils étaient donc 527 en 2019, alors qu'on n'en comptait que 212 en 2010. Et le budget 2021 présenté par le Conseil d'Etat vous propose encore des moyens supplémentaires à cet effet.
Au vu de ces éléments, je ne peux pas laisser dire que le rapport qui vous a été transmis est indigent ou insuffisant. Il s'agissait simplement d'un rapport statistique, dont je vous invite à prendre acte. Et si vous le renvoyez au Conseil d'Etat, il n'y aura pas d'autre réponse que celle, ultérieure, concernant la révision de la protection des mineurs. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Je vous remercie. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi au Conseil d'Etat, selon les conclusions de la commission, que je mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport RD 1367 est rejeté par 36 non contre 29 oui et 1 abstention.
Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat RD 1367.