République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 juin 2020 à 15h30
2e législature - 3e année - 2e session - 9e séance
PL 12727
Premier débat
Le président. Nous traitons à présent l'urgence suivante, le PL 12727, classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à Mme Marjorie de Chastonay.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise avant tout à soulager les chauffeurs de taxi du manque à gagner qu'ils ont subi pendant la période de confinement notamment. En effet, ce secteur a été particulièrement affecté par les mesures mises en place pour contenir la propagation du covid-19. Même si les chauffeurs de taxi ont déjà bénéficié d'une aide financière accordée par le Conseil fédéral en leur qualité d'indépendants, aujourd'hui ce n'est plus la concurrence des VTC qui fait souffrir les taxis, mais l'absence de clientèle.
Pour rappel, les taxis, au nombre de 1400, font face à plus de 1500 VTC qui, eux, ne paient pas de taxes. Les taxis subissent des charges fixes importantes telles que la taxe annuelle de 1400 francs - qui est discutée en ce moment - la taxe de tourisme, la taxe communale, le contrôle technique annuel, la vignette autoroutière, l'impôt sur les plaques, etc. Ce sont donc beaucoup de taxes pour une profession dont les revenus ne font que baisser. Par ailleurs, il faut également tenir compte des contraintes auxquelles sont soumis les chauffeurs de taxi, comme les heures de pointe, l'augmentation du coût de la vie, la diminution du pouvoir d'achat, la hausse des charges, etc. Je pourrais aussi ajouter les frais mécaniques du véhicule, son usure, le prix de l'assurance automobile professionnelle, l'amortissement du coût de l'autorisation pour les plaques, etc.
Comme vous le constatez, la suppression de la taxe annuelle 2020 sera donc une bouffée d'oxygène pour ces professionnels, qui luttent depuis plusieurs années maintenant contre une ubérisation forcenée de leur secteur et qui, de surcroît, ont dû tout simplement arrêter de travailler afin de respecter les mesures instaurées pour contenir la propagation du covid-19. Un chauffeur de taxi qui ne roule plus ne gagne plus rien ! Pour toutes ces raisons, les Vertes et les Verts entreront en matière sur ce projet de loi et le voteront. Merci.
M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, la modification prévue dans ce projet de loi vise effectivement à supprimer pour l'année 2020 la taxe pour le droit d'usage accru du domaine public, en particulier en ce qui concerne les couloirs de circulation ou les places de parking réservées aux taxis. Il est évident que les chauffeurs de taxi souffrent passablement de la situation de crise découlant des mesures édictées par le Conseil fédéral en lien avec le covid-19 depuis début mars. Manifestement, cette proposition représenterait une bouffée d'oxygène.
Toutefois, s'agissant de ce projet de loi, nous avons quand même le sentiment d'une inégalité de traitement vis-à-vis des chauffeurs VTC, mais également d'autres corps de métier. Il existe certainement des situations difficiles dans d'autres secteurs, qui ne bénéficient pas d'un tel coup de pouce. De plus, il y a exactement une année, alors que tout allait bien, M. Poggia avait déjà informé la commission des transports qu'il allait proposer au Conseil d'Etat de baisser cette même taxe, invoquant le fait que beaucoup de chauffeurs avaient de la peine à tourner. Il faut aussi rappeler que le produit de cette taxe est affecté aux mesures nécessaires pour garantir le respect et la bonne application de la loi, notamment en prévoyant suffisamment de postes de contrôleurs sur le terrain.
En conclusion, le groupe PDC votera ce projet de loi, mais il reviendra sur le sujet à l'occasion de la révision de la LTVTC actuellement à l'étude à la commission des transports.
M. François Baertschi (MCG). C'est vrai que cette période a été d'une dureté que l'on peine à imaginer pour les chauffeurs de taxi, qui ont souffert d'une part des mesures contre la pandémie, mais d'autre part aussi de l'interruption presque totale de l'activité de l'aéroport et de la suppression de l'édition 2020 du Salon de l'auto, dans la mesure où il s'agit pour eux de sources de revenus très importantes. En discutant avec l'un ou l'autre de ces chauffeurs de taxi, je me suis rendu compte que certains faisaient une ou deux courses en une journée, dans une situation socialement et économiquement catastrophique. Dans ces conditions, on ne peut que souligner la sagesse du Conseil d'Etat, qui a décidé de supprimer cette taxe pour l'année 2020. Il est vrai également qu'il existe certaines problématiques, notamment en ce qui concerne la taxation des véhicules de taxi par l'Etat qui semble être abusive et qui devrait être revue, ou en tout cas réexaminée, pour que son niveau soit plus adapté. Nous nous trouvons dans une situation très sensible, parce que les chauffeurs de taxi, après la menace Uber, font maintenant face au covid. Ils n'ont véritablement pas de chance. Ils subissent toutes les difficultés qu'on peut imaginer ! Voilà une raison de plus pour voter ce projet de loi et surtout la clause d'urgence, qui permettra une mise en application rapide de cette mesure.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. La situation des chauffeurs de taxi est hélas extrêmement difficile. Il faut d'ailleurs rappeler qu'ils sont davantage touchés que les autres secteurs, parce qu'ils ont abordé la crise du coronavirus en étant déjà exsangues, en ayant déjà été écrasés par Uber, par l'ubérisation de leur profession. Vous savez que le terme «ubérisation» est une espèce d'euphémisme politiquement correct pour parler d'appauvrissement, de précarisation et de perte de revenus. C'est ce qui s'est passé. Le métier a été décimé et, alors qu'ils n'avaient plus d'argent en poche, plus d'économies et déjà très peu de clients, les chauffeurs de taxi ont dû en plus faire face au covid et à la disparition totale de tout revenu pendant plusieurs mois.
Contrairement à ce que soutient le PDC, je pense qu'il est faux de dire qu'il existe une inégalité de traitement avec les VTC, puisque ces derniers ne paient précisément pas la taxe annuelle prévue à l'article 11A de la LTVTC. Rappelons que cette taxe annuelle est versée uniquement par les taxis officiels, parce qu'eux seuls sont au bénéfice d'une autorisation d'usage accru du domaine public et qu'eux seuls ont le droit d'utiliser certaines places de parking ad hoc ainsi que certaines bandes jaunes empruntées par les bus, les taxis et parfois les cyclistes - en cohabitation, d'ailleurs. Il n'y a donc aucune discrimination. Il est logique qu'on dispense les taxis du versement d'une taxe qu'ils doivent payer et qu'on n'en dispense pas les VTC, puisque de toute façon ils ne doivent pas la payer.
Cela étant dit, il faut préparer l'avenir. Il faut penser à ce qui va se passer après le covid. Il est important que le Conseil d'Etat agisse pour sauver la profession. Rappelons que les taxis jouent un rôle de service public: ils servent de complément aux transports publics, ils permettent à de nombreux citoyens de ne pas avoir de voiture et de quand même bénéficier d'un service de transport à 3h ou 4h du matin, un mardi soir ou un mercredi matin, lorsque les transports publics ne circulent plus. Il faut donc sauver ce service et, surtout, prendre des mesures pour éviter une précarisation accrue de la profession, notamment en invitant ou en obligeant l'aéroport à respecter la loi. L'aéroport doit cesser d'autoriser des intermédiaires à vendre des courses, dans des véhicules qui n'ont pas le droit de transporter des passagers, à des personnes qui arrivent à Genève - souvent depuis le Royaume-Uni, mais parfois en provenance d'ailleurs - et souhaitent se rendre dans des stations de ski en France voisine. Il s'agit en effet d'une des ressources importantes des chauffeurs de taxi, et elle doit être préservée.
Le projet de loi sur lequel nous votons - et que nous allons bien sûr accepter - est un tout petit encouragement, mais j'espère que cela marquera le début d'une reconsidération de la profession des chauffeurs de taxi dans notre canton.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le 16 mars, comme vous le savez toutes et tous, restera gravé dans nos mémoires. Le 16 mars correspond à notre premier jour de confinement, à la fermeture des écoles, des commerces et des frontières, ainsi qu'à l'interruption des vols - pas totalement, mais presque - en raison de la fermeture des frontières. Il n'y avait pratiquement plus aucun avion décollant ou atterrissant à l'aéroport de Genève ! C'est une date qui restera gravée dans nos mémoires, et certainement aussi dans les mémoires des chauffeurs de taxi. Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés sans clients, mais également - et c'est tout le paradoxe - sans aide financière: puisque, officiellement, il n'était pas interdit de travailler, ils n'ont pas tout de suite touché les aides financières leur permettant de compenser leurs revenus qui, du jour au lendemain, comme je l'ai dit, ont équivalu à zéro.
La profession de chauffeur de taxi est déjà fragilisée. Cela fait des années et des années qu'on en parle dans notre Grand Conseil. Elle est encore plus fragilisée depuis quatre ou cinq ans suite à l'arrivée des fameux VTC - les véhicules de transport avec chauffeur. On parle d'Uber, qu'on connaît le plus, mais il existe aussi d'autres entreprises qui sont ou qui vont arriver sur ce marché, ces fameux VTC qui se font passer pour des diffuseurs de courses, avec l'application que vous connaissez bien, mais qui en fait, pour l'Etat - et il faudra voir quelles seront les décisions des tribunaux à l'avenir - ne seraient pas de simples diffuseurs de courses, mais des entreprises de transport employant les fameux VTC. Il s'agit d'une concurrence déloyale, parce qu'une société comme Uber ne paie pas les charges sociales de ses chauffeurs et qu'en plus les recettes dues aux commissions partent très rapidement aux Pays-Bas, où le taux d'imposition est extrêmement avantageux.
Pour aider les chauffeurs de taxi aujourd'hui, le parti socialiste votera ce projet de loi ainsi que la clause d'urgence, car nous devons les soutenir maintenant et sans attendre. C'est une aide symbolique à court terme que l'on accorde à une profession qui, je l'ai dit, souffre et est fragilisée. A court et moyen termes, nous étudions une adaptation de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur à la commission des transports. Notre Grand Conseil doit maintenant adapter cette loi sur le fond afin de diminuer cette concurrence déloyale des VTC et offrir aux chauffeurs de taxi des conditions de travail dignes qui leur permettent de percevoir des revenus suffisants pour vivre aujourd'hui à Genève.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Thierry Cerutti pour une minute dix.
M. Thierry Cerutti (MCG). Merci, Monsieur le président. Je souhaiterais remercier le Conseil d'Etat d'avoir pris la décision de supprimer cette taxe. Pour nous, elle est juste incompréhensible. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, on taxe l'outil de travail de cette profession. Sans l'utilisation de la voie publique, ces gens ne peuvent pas exercer leur métier. Dès lors, nous trouvons assez scandaleux que cette taxe existe et qu'on ne l'abolisse pas, tout simplement. Nous sommes effectivement en train de revisiter la loi sur les taxis à la commission des transports, et il serait temps de supprimer cette ineptie, cette fameuse taxe que paient les chauffeurs de taxi.
Par ailleurs, nous sommes tout de même choqués par les propos du PDC. On sait très bien que le PDC soutient le lobby Uber ! Chacun a sa raison, mais pour notre part nous sommes clairement opposés à ces attaques contre des indépendants qui ont besoin d'aide aujourd'hui. En tout cas, on ne salue pas la position du PDC à cet égard. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous remercie de soutenir ce projet de loi. On l'a dit, je ne le répète pas, cette profession a été et est encore très durement touchée par la crise actuelle. Sachant que les taxis vivent bien sûr principalement du tourisme - et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le nombre de taxis présents sur le site de l'aéroport est régulièrement important - je cite toujours un chiffre marquant: en avril de l'année dernière, l'aéroport de Genève accueillait 1,5 million de passagers, tandis qu'en avril 2020, on en comptait 6000. Vous voyez la différence ! Il est évident que nous ne pouvons qu'être impactés directement par cette situation.
Je rappelle aussi que le Conseil d'Etat est intervenu à plusieurs reprises auprès du Conseil fédéral, avec le résultat que des allocations perte de gain ont finalement été accordées aux chauffeurs de taxi indépendants pour les deux premiers mois - de mi-mars à mi-mai. Nous sommes encore intervenus pour que cette durée soit prolongée, puisque la réouverture des frontières avec l'Union européenne - nous avons obtenu aujourd'hui la confirmation du Conseil fédéral - est prévue pour le 15 juin prochain. Mais cela ne signifie évidemment pas que du jour au lendemain nos avions vont repartir, et encore moins repartir complets. Il est donc clair que les conséquences sont très importantes s'agissant des taxis, mais aussi - nous l'avons dit tout à l'heure - des cafés-restaurants et de l'hôtellerie, dont on parlera également.
Un manque à gagner de 1,6 million de francs découlera de la renonciation à cette taxe, qui n'est pas abusive, contrairement à ce que j'ai pu entendre, puisqu'il s'agit bien d'une taxe d'usage accru du domaine public. Les chauffeurs de taxi bénéficient de voies à eux, tout comme de lieux où ils peuvent s'arrêter sur la voie publique pour prendre en charge des clients. Cela a un coût. Il existe d'ailleurs des taxes de ce type partout dans le monde. Il est en revanche normal que, cette année, l'Etat fasse un geste, d'autant que le produit de cette taxe va à un fonds qui est lui-même dédié au contrôle de l'ensemble des acteurs du transport de personnes dans le canton. Ce fonds est suffisamment doté, si bien que la «perte», entre guillemets, de cette recette pour l'année 2020 n'aura pas d'impact sur l'exécution des tâches qui incombent à l'Etat. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je mets aux voix l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12727 est adopté en premier débat par 88 oui (unanimité des votants).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 48 (nouveau).
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté.
Le président. Je vous prie à présent de vous prononcer sur l'article 2 souligné «Clause d'urgence». Je rappelle que selon l'article 142 de la LRGC, pour être adoptée, la clause d'urgence doit être votée par le Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres.
Mis aux voix, l'art. 2 (souligné) est adopté par 84 oui contre 2 non et 1 abstention (majorité des deux tiers atteinte).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12727 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 87 oui et 1 abstention.