République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2489-C
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Delphine Klopfenstein Broggini, Frédérique Perler, Pierre Eckert, Jean Rossiaud, Yves de Matteis, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Yvan Rochat, Philippe Poget, Isabelle Pasquier, François Lefort, Paloma Tschudi, Adrienne Sordet, Mathias Buschbeck, Jocelyne Haller, Jean Batou, David Martin, Olivier Baud, Nicole Valiquer Grecuccio, Caroline Marti, Jean-Charles Rielle, Grégoire Carasso, Léna Strasser, Salima Moyard, Diego Esteban, Sylvain Thévoz, Xhevrie Osmani, Marion Sobanek, Cyril Mizrahi, Pierre Bayenet : Pas de centre fédéral d'attente et de départ à Genève !

Débat

Le président. A présent, nous nous penchons sur la M 2489-C. Je cède la parole à Mme Marjorie de Chastonay.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons ici le deuxième rapport du Conseil d'Etat sur la motion intitulée «Pas de centre fédéral d'attente et de départ à Genève !» Pour les Vertes et les Verts, sa réponse n'est toujours pas satisfaisante, et ce ping-pong sans fin est infernal. Certes, elle est plus étayée et nous observons un bel effort pour essayer de gommer l'aspect carcéral; cependant, le problème de l'établissement lui-même subsiste, notamment la localisation du centre et les questions de scolarisation, et les propos à ce sujet ne sont pas vraiment rassurants. Les Vertes et les Verts ne sont pas satisfaits et refuseront une nouvelle fois ce rapport; nous ne sommes pas convaincus par les informations complémentaires reçues et rappelons qu'en l'état, un tel centre fédéral d'attente est inacceptable à Genève. Merci.

Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, la réponse du Conseil d'Etat se termine par l'affirmation que celui-ci veillera à accompagner étroitement la mise en oeuvre du futur centre fédéral d'asile du Grand-Saconnex et fera en sorte que son exploitation s'effectue - je cite - «dans les meilleures conditions possibles du point de vue humain». Au vu de ce qui se passe dans les centres déjà en fonction, on ne peut pas se contenter des «meilleures solutions possibles». Le lieu n'est pas adapté, aucune garantie ne nous est fournie sur les points soulevés à la commission des affaires sociales qui posent problème, à savoir le bruit, les horaires, les fouilles, la scolarisation à l'intérieur du centre et j'en passe. Dès lors, le groupe socialiste soutiendra le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat en espérant qu'il négocie pour que ce projet soit revu.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe démocrate-chrétien soutient également le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Dans le texte qui nous est présenté, il y a des choses que je ne peux pas accepter. A la page 5, par exemple, il est indiqué, au sujet de ces centres, que «les clôtures qui les entourent sont d'abord destinées [...] à protéger la vie privée de leurs occupants». C'est un gag ou quoi ? Honnêtement, on met des clôtures pour protéger la vie privée des occupants ?! Il n'y a pas de clôture autour de mon immeuble, mais je pourrais demander qu'on en installe pour préserver ma sphère privée !

Chacun sait que ce genre de centre a un caractère carcéral, et on n'est pas d'accord avec ça. On n'est pas d'accord avec le lieu, on n'est pas d'accord avec le fait qu'il n'y ait pas de garantie que les enfants seront pris en charge au niveau scolaire. Nous avons posé un tas de questions, nous n'avons toujours pas obtenu de réponses. Le Conseil d'Etat nous dit: «On n'y peut rien, c'est la Confédération qui décide.» C'est toujours le même ping-pong: c'est la Confédération qui commande, le canton ne peut rien dire ! Comme pour le rapport sur le transport de chlore tout à l'heure, nous renverrons ce texte au Conseil d'Etat pour qu'il nous apporte des réponses plus satisfaisantes. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, en date du 22 mars 2019, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d'Etat une motion l'invitant à renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ, un projet qui avait fait l'objet de moult débats au sein de notre parlement. Au lendemain de ce vote, le gouvernement participait à une conférence de presse avec des représentants du SEM pour faire valoir la construction prochaine de ce centre, infligeant ainsi un camouflet à la majorité de notre parlement. Les autorités genevoises ne sont-elles pas tenues de donner suite aux décisions du Grand Conseil ? Ne sommes-nous là que pour faire de la figuration ?

Un consensus s'est forgé pour refuser ce centre et pourtant, le Conseil d'Etat continue comme si de rien n'était. Depuis l'origine du projet, il ne s'est jamais démarqué de la politique du SEM; par le présent rapport, il s'aligne une fois de plus sur la politique fédérale de durcissement des conditions d'asile, bafouant ainsi les principes fondamentaux du droit d'asile. «Ce n'est pas nous», nous dit-on en substance, «c'est la faute de Berne ou bien de la population qui a accepté la révision de la loi sur l'asile, laquelle prévoit la création de ces centres d'attente et de départ.»

Certes, mais qui a laissé s'instiller le poison du rejet des requérants d'asile et de leur criminalisation ? Qui n'a pas informé sur les violences, les abus, les humiliations vécues par ces personnes sur le chemin de l'exil ? Qui se dissimule derrière les chiffres d'un infléchissement des demandes d'asile alors que nous savons que cette diminution n'est possible qu'en raison des murs de la honte érigés autour de l'Europe, et ce avec le soutien de gouvernements infréquentables ? Qui, enfin, fait l'impasse sur la responsabilité de la Suisse et de ses multinationales dans les motifs qui contraignent des êtres humains à tout quitter, à affronter les routes de l'exil pour tenter de préserver leur vie et celle de leurs familles, lorsqu'elles parviennent encore à partir avec eux ?

Parce que la résignation n'est pas de mise lorsqu'il s'agit du droit d'asile, parce que l'on n'a pas à se satisfaire de rester dans l'impuissance face à Berne, parce qu'il nous incombe d'être cohérents avec notre décision du 22 mars 2019, le groupe Ensemble à Gauche vous invite, Mesdames et Messieurs, à refuser ce rapport du Conseil d'Etat et à le lui renvoyer afin qu'il tienne compte des demandes de notre parlement. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Véronique Kämpfen (PLR). Je tiens à rappeler que le peuple suisse a très clairement sollicité la création de ces centres, avec 66% des voix, tandis qu'à Genève, 60% de la population en a accepté le principe. C'est vrai que le canton est maintenant dans une situation qui n'est pas toute facile, il doit mettre en oeuvre la volonté populaire genevoise - je le répète, 60% des gens ont dit oui à la loi fédérale - et sa marge de manoeuvre est relativement faible. En effet, il ne peut intervenir que sur les questions de sécurité, de scolarité, comme l'a très justement rappelé Mme Strasser - lors des auditions, l'Etat s'est d'ailleurs engagé à faire très attention aux enfants scolarisés au sein du centre - et de suivi médical, qui doit évidemment être digne pour les personnes. Il y a donc ces trois points, et le Conseil d'Etat, dans son rapport, s'engage à y être très attentif, tout comme à la question des horaires d'ouverture du centre qui pourront être modulés en accord avec la commune, chose qui a déjà eu lieu, on a également auditionné la commune sur ce sujet. Pour l'ensemble de ces raisons, Mesdames et Messieurs, le groupe PLR vous invite à prendre acte de ce rapport du Conseil d'Etat.

M. François Baertschi (MCG). Refuser ce rapport du Conseil d'Etat est un prétexte. C'est un prétexte que l'on essaie de justifier de toutes les manières, mais ces justifications sont sans aucun fondement. En réalité, ce qui est en cause, c'est la frontière: un certain nombre de gens, sans doute une majorité au sein de ce parlement - la gauche et le PDC - refusent le principe de frontière ou en tout cas ses conséquences, en oubliant que la frontière sert d'abord à protéger les étrangers et les Suisses. Nier la frontière, c'est mettre en avant la loi de la jungle; refuser ce rapport est un prétexte, comme je l'ai dit, c'est vouloir imposer une vision anarchique du monde, c'est au final créer la misère sociale. Pourquoi crée-t-on la misère sociale ? Parce qu'en supprimant les lois qui protègent le territoire, les lois qui protègent les habitants de ce pays, ce sont les premiers arrivés, à savoir les permis C et les permis B, qui sont les victimes de cette politique laxiste; les derniers venus sont ceux qui ont le moins de relations, le moins de protection, et ils sont donc soumis à cette loi de la jungle. Ainsi, c'est pour protéger les étrangers et les Suisses établis de façon régulière dans notre canton que nous prendrons acte de ce rapport et ne participerons pas à une polémique qui n'a pas lieu d'être.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le 13 septembre de l'année dernière, votre Grand Conseil a renvoyé au Conseil d'Etat le premier rapport que nous avions établi le 29 mai 2019. Alors oui, comme l'a dit une députée, ce ping-pong est infernal. Il est infernal, parce que persévérer dans ces conditions devient diabolique, c'est une négation de la réalité factuelle et juridique de ce dossier que certains persistent à vouloir ignorer en faisant de ce combat un combat contre l'asile lui-même, ou plutôt contre les procédures d'asile mises en place par la Confédération.

Je rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, que la Confédération, les cantons et les communes de toute la Suisse ont signé une déclaration commune à l'issue de la deuxième conférence nationale sur l'asile du 28 mars 2014. La Confédération a adopté une nouvelle loi sur l'asile qui, suite à un référendum, a été approuvée le 5 juin 2016 par une majorité de la population, ainsi que cela a été mentionné. Aujourd'hui, il s'agit pour Genève d'assumer ses obligations et responsabilités vis-à-vis de Berne.

Vous ne pouvez pas jouer à l'autruche et faire croire qu'en contestant ce centre fédéral pour requérants, vous allez lutter contre la nouvelle loi sur l'asile, c'est totalement impossible pour des raisons de compétences cantonales limitées. Si d'aventure vos démarches aboutissaient, vous allez, dans le meilleur des cas, faire faire par d'autres, et certainement moins bien que nous le ferions ici, moins respectueusement que nous le ferions ici, ce qu'impose la loi sur l'asile.

Nous avons apporté des garanties quant à la résolution de problèmes qui ont été soulevés à juste titre, comme la scolarisation des enfants - n'oublions pas que la durée de séjour dans ce centre sera extrêmement courte - la protection contre le bruit, les horaires. Ce centre sera ouvert, et quand on vient nous dire avec angélisme que les clôtures servent à enfermer les gens à l'intérieur, c'est l'expression d'une totale méconnaissance des faits. En effet, il ne s'agit pas d'un centre de détention administrative, mais d'un centre fédéral pour requérants d'asile, et si des barrières sont installées, c'est pour éviter que certains occupants y fassent venir des gens qui n'ont rien à y faire, notamment pour dormir. Nous avons constaté cette situation aux Tattes, avec les risques malheureusement avérés d'incendie que cela engendre: des personnes venaient passer la nuit dans ces lieux, avec la complicité de celles qui y habitaient. Nous devons tout simplement pouvoir contrôler les présences, sans empêcher qui que ce soit d'entrer ou de sortir, sous réserve des heures de nuit.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie d'arrêter de générer du travail inutile pour l'administration. Nous répondrons toujours de la même manière à vos requêtes persistantes, parce qu'il n'y a pas d'autre manière de procéder. Ce centre sera construit, il s'agit d'une obligation du canton de Genève à l'égard de l'ensemble de la Suisse. Nous le ferons avec tout le respect que nous devons aux requérants d'asile qui y résideront pendant de courtes périodes et vous pourrez à tout moment aller visiter les lieux et demander les améliorations que vous jugerez nécessaires pour la dignité de ces personnes. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'une demande de renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat que je soumets à votre approbation.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2489 recueille 40 oui, 40 non et 1 abstention.

Le président. Je tranche en faveur du renvoi. (Applaudissements.)

Le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2489 est donc adopté par 41 oui contre 40 non et 1 abstention.

Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2489 est donc refusé.