République et canton de Genève

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PL 12499-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat approuvant les états financiers individuels de l'Aéroport international de Genève pour l'année 2018
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 29 et 30 août 2019.
Rapport de M. Jacques Béné (PLR)

Premier débat

Le président. Nous traitons à présent le PL 12499-A sur l'Aéroport international de Genève. Le rapport est de M. Jacques Béné, qui ne souhaite pas s'exprimer. Nous passons donc au vote... Ah non, il y a une demande de parole: allez-y, Monsieur Bayenet.

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai pris connaissance avec attention des états financiers de l'Aéroport international de Genève et avec plus d'attention encore de son rapport sur le développement durable. Depuis 2016, en effet, l'AIG établit chaque année un document annexe destiné à évaluer spécifiquement les conséquences de son activité en termes de développement durable. Et je dois avouer que je suis complètement tombé des nues: à sa lecture, on a l'impression que l'aéroport est un grand pré verdoyant où poussent les fleurs et vivent les fourmis, et qu'il n'y a ni avions ni employés ! Le rapport est entièrement construit sur une comparaison avec les objectifs de développement durable fixés par l'Organisation des Nations Unies, que l'aéroport prétend vaillamment remplir à peu près dans leur ensemble. Je vais vous donner deux exemples, le premier terriblement cynique, le second plutôt comique.

L'objectif de développement durable n° 8 de l'ONU prévoit que tout le monde, toutes les entreprises, tous les Etats doivent lutter pour assurer un travail décent et la croissance économique; le but est notamment de défendre les droits des travailleurs, y compris des titulaires d'emplois précaires. Or l'Aéroport de Genève prétend figurer parmi les partisans de cet ODD n° 8 ! Evidemment, il se garde bien de dire qu'il défend les droits des travailleurs, mais il place tout de même ce point en avant comme l'un de ses «achievements», pour parler la langue des Nations Unies.

Comment ose-t-il ? Comment ose-t-il alors qu'il constitue un laboratoire de la sous-enchère salariale et du travail sur appel ?! L'exemple des bagagistes est frappant, avec des salaires qui avoisinent les 3500 francs. Dans un article du «Courrier», le syndicat Unia dénonce un matériel obsolète et inadapté, un sous-effectif, des contrats précaires, l'absence d'application de conventions collectives de travail par certaines entreprises, notamment Dnata. Je cite les propos d'un employé: «Le matériel est inadapté, les chariots à bagages que nous tirons à la main sont censés être tractés par des véhicules. Et nous travaillons en permanence en sous-effectif. Cinq à six personnes sont normalement prévues pour décharger un avion, aujourd'hui c'est plus de l'ordre de trois ou quatre.» Les contrats «zéro heure garantie» deviennent petit à petit la norme, et près de la moitié des salariés de Dnata ne bénéficient pas d'un contrat de travail fixe.

Si c'est comme ça que l'aéroport perçoit les objectifs de développement durable, eh bien il faudra que les membres du conseil d'administration soient intégralement remplacés et que quelqu'un d'autre vienne faire le travail à leur place. Parce qu'ils pourraient faire quelque chose ! Ils pourraient faire quelque chose: pour travailler sur le domaine de l'aéroport, une concession est en effet nécessaire, laquelle est prétendument accordée après contrôle de l'existence d'une CCT ou du respect des usages. Le problème, c'est qu'il est assez facile de respecter les usages, puisqu'il n'y en a pas pour les bagagistes. Ainsi, les entreprises font ce qu'elles veulent, et surtout il n'y a pas de contrôle; on exige des sociétés qu'elles s'engagent à respecter les CCT, mais sur le terrain, dans les faits, ce n'est pas le cas et l'aéroport ne fait rien pour changer les choses.

Le second exemple, qui m'a fait rire jaune, voire pleurer, c'est la question du respect de l'environnement. Genève Aéroport prétend également être à la pointe en la matière, mettant en avant l'objectif de développement durable n° 15 de l'ONU qui consiste à préserver et à restaurer les écosystèmes terrestres. Oui, je vous apprends sans doute quelque chose: l'AIG aide à la préservation et à la restauration des écosystèmes terrestres ! Et comment s'y prend-il ? Eh bien vous trouverez la réponse à la page 71 du rapport de développement durable 2016-2018: «Six ruches sont en activité en 2018 et 130 kilos de miel ont été récoltés.» On apprend encore qu'un suivi environnemental est effectué lorsqu'il y a un chantier et que les plantes rares menacées sont déplacées et replantées dans des zones de prairie adaptées à leurs besoins.

Une voix. Magnifique !

M. Pierre Bayenet. Bravo, Genève Aéroport ! (L'orateur applaudit.) C'est vraiment extraordinaire !

Non, nous ne pouvons évidemment pas accepter cela, l'aéroport doit prendre les choses au sérieux: il faut supprimer les vols vers des destinations situées à moins de quatre heures en train, il faut cesser d'accorder des concessions aux entreprises sans CCT. Je vous remercie.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci. Mesdames et Messieurs, je rappelle qu'il est uniquement question des états financiers de l'aéroport. Comme vous l'avez constaté, plusieurs rapports de gestion n'ont pas été remis, donc nous les traiterons ultérieurement. Je passe maintenant la parole au député Thomas Wenger.

M. Thomas Wenger (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, mon intervention ira exactement dans le même sens que celle de mon préopinant Pierre Bayenet. A l'heure actuelle, l'Aéroport international de Genève fait en effet face à trois enjeux extrêmement importants.

Le premier, c'est sa croissance qui n'est absolument pas maîtrisée: environ 18 millions de passagers aujourd'hui et 25 millions prévus à l'horizon 2030, Monsieur le président, c'est-à-dire un vol qui décolle ou atterrit toutes les 90 secondes. On connaît déjà les nuisances actuelles en matière de bruit, alors imaginez avec 25 millions de passagers pour les dizaines de milliers de personnes qui habitent aux alentours de l'aéroport ! Sans parler de la pollution atmosphérique: on sait que le trafic aérien pollue énormément. Nous voterons le 24 novembre prochain sur une initiative qui demande un développement maîtrisé et équilibré de l'aéroport pour préserver non seulement notre environnement, mais aussi la santé des populations riveraines, et le parti socialiste soutiendra bien entendu cette initiative.

Deuxième enjeu: les conditions de travail. Comme mon préopinant l'a souligné, il y a de la sous-enchère salariale dans les entreprises actives à l'aéroport, notamment celles qui sous-traitent: conditions de travail difficiles, horaires morcelés avec des pauses de trois heures où les employés n'ont rien le temps de faire si ce n'est attendre pour reprendre leur poste, travail sur appel de plus en plus fréquent.

Enfin, il y a le domaine des marchés publics où règne beaucoup d'opacité, de copinage, voire plus. On a vu ce qui se passait dans le secteur de la sécurité, une enquête est en cours. Or il s'agit là typiquement de tâches publiques: la sûreté d'un aéroport, c'est vraiment la base du service public. Voilà pourquoi le parti socialiste, sous la plume de mon collègue Christian Dandrès, a déposé un projet de loi pour réinternaliser les missions de sécurité au sein de l'aéroport, et nous espérons que l'AIG ira dans ce sens. Merci, Monsieur le président.

Mme Isabelle Pasquier (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'aimerais citer quelques chiffres présentés dans les états financiers de l'aéroport et le rapport annuel 2018 qui lui est joint: 17,7 millions de passagers en 2018, soit une augmentation de 3 millions en trois ans, près de 100 000 tonnes de fret, c'est-à-dire une hausse d'un tiers par rapport à 2010, un chiffre d'affaires et un bénéfice en progression respectivement de 5% et de 8%.

A ces chiffres indiqués dans les rapports, il faut en ajouter un, celui qui nous fâche particulièrement: un quart des émissions de gaz à effet de serre du canton sont causées par l'Aéroport international de Genève. Pourtant, il n'existe aucune stratégie pour les diminuer, le trafic aérien n'est pas inclus dans les objectifs de réduction des émissions de l'Etat et on n'en parle pas dans ces documents. Une exception inadmissible pour les Verts et une partie croissante de la population !

A ce sujet, je souhaite citer les propos de M. Schneider, directeur de l'aéroport, qui se réjouit des améliorations dans le remplissage des avions. Il a expliqué à la commission des finances que «le fait de remplir plus les avions est aussi positif écologiquement parce qu'en finalité, plus il y a de passagers et plus on divise le CO2 par le nombre de personnes» - cela figure à la page 356 du rapport PL 12478-A, si jamais. Naturellement, nous ne partageons pas du tout cette vision. Ce sont les nuisances globales du trafic aérien qu'il faut impérativement réduire, et pas la quantité par passager. Cela devrait constituer l'une des priorités de cette politique publique !

«L'aéroport souffre beaucoup de la saturation du ciel européen», a également indiqué la direction. Nous, c'est la souffrance des populations riveraines que nous souhaitons mettre en évidence.

Une voix. Bravo !

Mme Isabelle Pasquier. Les aéroports pourraient, je cite encore, «débiter plus d'avions, mais [...] il n'y a pas de place». La saturation du ciel est décrite comme une contrainte pour l'entreprise, mais ne témoigne-t-elle pas plutôt d'une atteinte des limites, de l'impact démesuré de notre boulimie sur le système terre ?

Un autre sujet de préoccupation qui a été relayé par mes préopinants et qui nous conduit à refuser ce rapport, ce sont les affaires dénoncées par les médias quant à l'attribution des marchés publics, notamment les prestations de sécurité. Un audit de la Cour des comptes a été lancé, portant sur l'adjudication de Dnata suite à l'affaire Abu Dhabi. Pour justifier l'augmentation de la sous-traitance, la direction explique qu'il s'agit «de réduire les coûts, mais aussi d'avoir une flexibilité», parce que les compagnies aériennes - je cite toujours - «demandent que les coûts ne soient pas trop élevés» et «ont fait le choix de faire appel à de la sous-traitance». Résultat: deux tiers des emplois dans la sécurité sont sous-traités !

Les Verts vous appellent à rejeter cette politique publique: il faut revoir complètement la gouvernance de l'aéroport. Ce n'est pas une surprise, puisque nous soutenons activement l'initiative de la CARPE qui sera soumise à votation le 24 novembre prochain et qui demande un pilotage plus démocratique de l'aéroport ainsi que davantage de mesures pour réduire les nuisances dues au trafic aérien. Je vous remercie.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, lorsqu'il s'agit de l'aéroport, certains ont le mot facile, d'autres confondent prévisions et certitudes. Pour ma part, j'aimerais en revenir aux états financiers, c'est-à-dire à ce qui nous occupe actuellement. L'AIG connaît une situation financière saine, ce qui est intéressant pour l'Etat s'agissant des retombées fiscales, car celles-ci permettent de financer toute une série de prestations sociales. Une échéance importante a été rappelée, celle du mois de novembre où nous nous prononcerons sur l'initiative 163 et le contreprojet qui lui est opposé, contreprojet que le groupe démocrate-chrétien a soutenu.

J'aimerais souligner l'attention qu'il faut accorder aux revendications des riverains; nous les recevons régulièrement à la commission de l'économie, ils nous font part de leurs soucis, ils méritent d'être non seulement entendus, mais également écoutés. Notre aéroport présente l'avantage - ou le désavantage, c'est selon - d'être urbain: situé à vingt minutes en bus du centre-ville, il a un impact direct sur la vie de la population, en particulier celle de la rive droite. Dans cette perspective, je rappelle que le groupe démocrate-chrétien a déposé une excellente motion visant à imposer la taxe CO2 aux passagers qui embarquent à Cointrin ainsi qu'à augmenter d'autres taxes, ce que nous pouvons faire sans aucun problème, puisque celles-ci relèvent de la compétence de l'aéroport.

Cela étant, je déplore - c'est une bonne occasion de le dire - les attaques systématiques contre cette institution qui affaiblissent sa position: en commission, elles aboutissent régulièrement au dépôt de motions, résolutions et autres projets de lois, ce qui engendre une certaine incertitude pour la direction de l'aéroport. A cet égard, il faut rappeler que l'AIG n'est un aéroport ni cantonal ni régional, mais bien international et que, de fait, il est soumis à des normes à la fois fédérales - imposées par la Confédération et l'Office fédéral de l'aviation civile - et internationales sur lesquelles notre population et notre Grand Conseil n'ont aucune influence. Sur cette base, je vous recommande d'approuver les états financiers de l'Aéroport international de Genève. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs, beaucoup de propos négatifs et de critiques ont été émis sur notre aéroport. Il faut aussi en rappeler les avantages: l'AIG constitue l'un des outils principaux de notre canton et nous permet d'atteindre une belle prospérité. Beaucoup de régions ou de villes dans le monde rêveraient de disposer d'une telle infrastructure !

En ce qui concerne les nuisances sonores, il est vrai que beaucoup de nos concitoyens sont touchés: ils représentent environ un cinquième de la population. Mais il faut souligner que l'aéroport a entrepris énormément dans ce domaine: mise en place de mesures sur le site pour diminuer le bruit, subventions pour l'isolation des logements dans le périmètre, etc. Il existe un instrument pour limiter le bruit, voire le diminuer dans un futur proche; il n'est sans doute pas parfait, mais il existe.

S'agissant de la pollution, j'insiste sur le fait que l'aviation est le seul et unique secteur industriel à avoir pris des mesures à l'échelle mondiale: elle limitera les émissions de gaz à effet de serre dès 2021 pour la Suisse et 2023 au niveau international. A partir de ces dates-là, il ne sera plus possible de les augmenter et, dans un deuxième temps, elle prévoit même de les diminuer. Je le répète: ces mesures ne sont certes pas parfaites, mais elles existent ! L'Aéroport de Genève est absolument nécessaire et crucial pour notre canton, et si des aménagements doivent et devront encore être réalisés, il mérite également notre soutien. Merci de votre attention.

M. François Baertschi (MCG). La gestion de l'aéroport est remise en cause à juste titre dans le cadre de ce débat, en particulier les délégations à des privés qui se font de manière contestée et contestable. Ainsi, l'attribution à la société Dnata dont il a été question est véritablement problématique, tout comme l'engagement massif de travailleurs frontaliers et d'autres éléments de management qui, comme nous l'avons dit, sont pour nous inacceptables.

Or si nous ne pouvons pas approuver la gestion de l'aéroport, il s'agit ici d'autre chose, il s'agit des états financiers, c'est-à-dire uniquement de la comptabilité. A notre sens, celle-ci ne pose pas de problème; d'ailleurs, aucun élément concernant ce point n'a été soulevé dans le cadre du présent débat, personne n'a relevé de chiffres faux, de comptabilité défaillante. Aussi, nous allons voter ces états financiers; si on nous avait soumis le rapport de gestion, nous l'aurions refusé, mais ce n'est pas le cas. Merci, Monsieur le président.

M. Guy Mettan (HP). Je m'abstiendrai sur cette question, parce que si la gestion de l'aéroport ne pose pas de problèmes techniques et financiers - on a pu constater que c'est parfaitement au point - en revanche, comme cela a été relevé sur les bancs de la gauche et notamment des Verts, concernant les aspects écologiques et environnementaux, que ce soient les nuisances sonores ou le problème du kérosène, on pourrait attendre une attitude un peu plus proactive de la part de l'AIG. Cela étant, il s'agit ici d'apprécier les éléments financiers et de management, donc personnellement, je m'abstiendrai.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je serai très rapide, car nous parlons ici des comptes, c'est-à-dire des états financiers. Cependant, j'ai bien entendu en arrivant - vous excuserez d'ailleurs ma venue tardive - qu'il est plutôt question de la gestion de l'aéroport. A ce propos, je vais juste vous donner un élément d'information: très récemment, le Conseil d'Etat et la direction de l'aéroport ont signé une convention d'objectifs de manière anticipée pour suivre l'adoption du plan sectoriel de l'infrastructure aéronautique - le PSIA - par le Conseil fédéral au mois de novembre de l'année dernière.

A travers cette convention, nous nous sommes fixé des objectifs très ambitieux en matière de nuisances et d'environnement. Ces éléments sont vraiment prometteurs, et l'AIG tout comme le Conseil d'Etat font preuve d'une attitude volontariste afin que notre aéroport puisse continuer à développer ses bienfaits pour l'économie et la société genevoises tout en contenant ses aspects plus problématiques, comme le bruit et la pollution. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler lorsqu'il sera question de la gestion proprement dite de cette infrastructure indispensable pour Genève.

Le président. Merci. Je lance la procédure de vote.

Mis aux voix, le projet de loi 12499 est adopté en premier débat par 63 oui contre 18 non et 2 abstentions.

L'article unique du projet de loi 12499 est adopté en deuxième débat.

Mise aux voix, la loi 12499 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 56 oui contre 24 non et 6 abstentions.

Loi 12499