République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 mars 2019 à 16h
2e législature - 1re année - 10e session - 61e séance
PL 11760-A
Premier débat
Le président. Chers collègues, nous allons présentement examiner le PL 11760-A, qui fait partie de la série d'urgences que nous avons votées hier. Il s'agit d'un objet classé en catégorie II, quarante minutes. Madame Bidaux, vous avez la parole.
Mme Patricia Bidaux (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, en guise d'introduction à notre discussion de cet après-midi, je me permets de citer un bref passage du préambule de notre constitution cantonale: «Le peuple de Genève [...] attaché à l'ouverture de Genève au monde, à sa vocation humanitaire et aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme [...] adopte la présente constitution».
La commission des Droits de l'Homme a travaillé sur ce thème à treize reprises. La complexité de la problématique de la traite des êtres humains vous a été expliquée dans le préambule de mon rapport, mais je tiens à souligner les défis liés au système parallèle mis en place par les auteurs de traite des êtres humains, le premier - et non des moindres - étant de maintenir l'invisibilité des victimes. Actuellement, divers articles de journaux relèvent cette difficulté grâce à des témoignages des plus parlants, et ce depuis plusieurs semaines. La traite des êtres humains, même dans notre canton, est une réalité, une réalité cachée. Pour la rendre visible, Genève, cité des droits de l'Homme, ne peut se satisfaire d'un mécanisme de coordination administrative uniquement. Contrairement à ce qui vous sera probablement présenté, puisque c'était le principal reproche formulé par ceux qui se sont opposés à ce texte - finalement, tout était une question d'argent - ce projet tend à ancrer dans une loi la lutte contre la traite des êtres humains, qui n'est pas acceptable. On ne parle pas de faire croître sans fin la législation, mais au contraire de vies humaines qui méritent la protection qui leur est due. Le PL 11760 offre au mécanisme un ancrage en vue des changements à venir au sein du Conseil d'Etat grâce à la nomination d'une personne-ressource choisie par ledit Conseil d'Etat. Il ne s'agit pas d'engager des dépenses en créant de nouveaux postes, mais bien plus de valoriser les compétences déjà en place pour les pérenniser. Le choix de demander un rapport régulier aura certes une implication financière, mais étant donné ce que j'ai dit précédemment, ce qu'on lit dans les journaux et la situation de la traite des êtres humains à Genève, je pense qu'il est très important que l'on dispose d'un rapport régulier faisant état de ce qui se passe. Cela permettra en outre de rendre une visibilité à cette problématique. Pour ce qui est de la formation des intervenants, tant du côté judiciaire que de la police, il me semble qu'il s'agit là d'une opportunité pour rendre le système déjà en place efficient, cohérent et surtout - je le rappelle - pérenne.
Les amendements apportés par la commission des Droits de l'Homme prennent en compte les remarques des auditionnés, notamment celles du Conseil d'Etat. Ainsi, le projet de loi proposé garde son sens, corrige le manque soulevé par le service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants, le SCOTT - à travers la nomination d'une personne assurant la pérennité du mécanisme de coordination administrative - et assure le développement de la formation de tous les acteurs en lien avec la problématique de la traite des êtres humains, ce qui constituait aussi une exigence du groupe d'experts nommé GRETA.
Tout ce qui fonctionne aujourd'hui doit être rendu pérenne, vous l'aurez compris. En conclusion, permettez-moi de citer les observations finales du Comité des droits de l'homme des Nations Unies concernant le quatrième rapport périodique de la Suisse, datées du 22 août 2017. A la page 7, où il est question de la traite des êtres humains, il est dit ceci au point 40: «Le Comité accueille avec satisfaction l'ordonnance sur les mesures de prévention des infractions liées à la traite des êtres humains entrée en vigueur le 1er janvier 2014, la mise en place du Service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants, et la mise en place, quoique tardive et ayant impliqué l'absence de plan pendant trois ans, du deuxième plan d'action national contre la traite des êtres humains 2017-2020. Il demeure toutefois préoccupé par les informations indiquant un manque de ressources humaines et financières allouées à la mise en oeuvre de ce plan. Il est également inquiet des difficultés rencontrées pour l'identification des victimes dues à l'absence de processus unifié entre les cantons et au manque de formation des autorités policières et judiciaires en la matière [...].» En acceptant ce projet de loi, notre parlement marquera sa volonté de rendre durable le système en place et surtout de défendre le plus faible, celui qui n'est même pas visible et envers lequel notre responsabilité est totalement engagée. La majorité de la commission des Droits de l'Homme vous remercie donc de bien vouloir soutenir ce texte. (Applaudissements.)
M. Charles Selleger (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, il est toujours très difficile d'être le seul parti à s'opposer à un projet de loi, surtout lorsqu'il concerne un sujet aussi dramatique que la traite des êtres humains. En raison de cette position, on pourrait nous assimiler à des gens désintéressés de la misère humaine, voire prêts à soutenir les exploiteurs et les esclavagistes, mais il n'en est rien, bien entendu ! Notre position procède uniquement de la constatation que ce texte est inutile et redondant par rapport à la législation existante et sa mise en application. Dans sa version initiale, ce projet de loi était de plus coûteux - cet aspect est accessoire - contrairement à ce que nous avait affirmé son premier auteur en préambule à son audition. C'est ce point qui est remarquable ! Elle avait en effet déclaré qu'il ne coûterait pas un sou à l'Etat, alors qu'elle proposait la création d'un poste de délégué à la traite des êtres humains.
L'essentiel n'est pas là. Ce qui est important, c'est que ce projet de loi n'amène strictement rien par rapport à ce qui existe déjà en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Des structures, des lois, des règlements, des soutiens associatifs et des moyens de communication sont déjà en place, et ils fonctionnent parfaitement bien, de l'aveu même de l'auteur de ce texte - vous en trouverez confirmation dans le rapport de majorité. Ces éléments ont été corroborés entre autres par le procureur général et le conseiller d'Etat chargé de la sécurité, deux personnages qui ne sont évidemment pas négligents s'agissant des atteintes aux droits de l'Homme. Tout cela est connu et reconnu, y compris par la rapporteuse de majorité - je le disais à l'instant - qui le détaille dans son excellent rapport.
Alors pourquoi légiférer ? On veut légiférer pour donner un signal, comme l'affirme le premier auteur de ce projet de loi. Mais, je le répète, ce dernier ne changera strictement rien à ce qui se pratique déjà, que ce soit en matière de soutien - c'est l'article 3 - de coordination - c'est l'article 4 - ou... Non, je me suis trompé ! Enfin bref... (Rires. Commentaires.) Il ne s'agissait pas de la coordination... Je pensais à l'article 4 ou 6 ! Vous vous y référerez, puisque mes notes sont inexactes ! La seule nouveauté réelle de ce texte, c'était la création d'un poste de délégué, qui a finalement été supprimé par la majorité de la commission, car elle le jugeait à la fois inutile et coûteux. Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est purement déclamatoire et ne fait que participer à l'inflation d'une législation déjà pléthorique. C'est pour ces raisons que le PLR, seul peut-être, aura le courage de refuser l'entrée en matière de cet objet à caractère strictement émotionnel.
Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme von Arx-Vernon pour une minute cinquante-six.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais être brève, mais je tenais beaucoup à remercier les cosignataires de ce projet de loi, ainsi que les commissaires de la précédente législature, bien sûr. Merci également à M. Maudet d'avoir créé la BTPI, la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - la première en Suisse - et d'avoir lancé notamment l'opération Papyrus, qui a été un outil fantastique pour lutter contre la traite des êtres humains. Les membres de l'actuelle commission ont en outre enrichi ce projet de leurs amendements, ce dont je les remercie tout particulièrement.
Oui, c'est un signal fort. Il est d'une importance majeure pour Genève que ce projet de loi soit largement soutenu et voté, parce que si la coordination est effectivement possible, elle doit être absolument renforcée. En effet, les institutions sont ce qu'elles sont, les gens qui les représentent sont ce qu'ils sont, mais il faut que ce soit également incarné dans une loi pour être pérenne. Il ne suffit pas d'avoir simplement des intentions, il faut pouvoir les formaliser. De plus, soutenir ce projet de loi, c'est délivrer un message qui devrait être suivi par d'autres cantons et enfin par la Confédération, parce que c'est rendre justice aux victimes de la traite des êtres humains, qui sont invisibles, comme le rapport de majorité l'a remarquablement bien expliqué, et en leur nom, moi qui suis à leurs côtés depuis vingt ans, je vous dis merci ! (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, ce projet de loi contre la traite des êtres humains est une idée louable mais, vous le savez, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Pour les professionnels de la sécurité ainsi que pour l'UDC, il est totalement illusoire de penser qu'un délégué, un haut fonctionnaire, même détenteur de quelque titre que ce soit, puisse être la personne adéquate pour traiter cette problématique criminelle. En effet, il faut être clair, nous sommes face à une problématique criminelle, qui n'a pas à être traitée par un fonctionnaire. A notre connaissance, jusqu'à présent c'est toujours à la police qu'on a confié les problématiques criminelles. De plus, il faut quand même rappeler que les criminels sont en guerre et qu'ils se battent avec acharnement et détermination pour maintenir une position de domination. Le crime est donc leur gagne-pain ! Il ne suffit pas de faire des déclarations pour lutter contre la criminalité, il faut envoyer des guerriers. Ces criminels doivent effectivement être combattus par des professionnels qui connaissent leurs méthodes et qui savent surtout comment les mettre hors d'état de nuire. Il ne sert à rien d'établir des statistiques si la problématique perdure. On parle évidemment ici des brigades spécialisées de la police judiciaire, dont les membres sont des professionnels organisés et capables d'infiltrer le milieu, de récolter des renseignements, d'interpeller, d'arrêter et de faire condamner les criminels afin de les mettre définitivement hors d'état de nuire. La police n'a pas besoin d'un haut fonctionnaire qui lui explique comment elle doit travailler. En conclusion, comme l'a dit le procureur général, je crois qu'on est en train de gaspiller de l'argent, d'en jeter par la fenêtre, pour se donner bonne conscience. Seule la police peut agir efficacement. Il vaudrait donc mieux mettre des moyens pour engager deux policiers au sein d'une brigade spécialisée, ce serait bien plus efficace. Merci beaucoup.
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, il n'est évidemment pas possible, pas justifiable - et je pense que personne dans ce parlement ne peut le justifier - qu'il y ait sur le territoire de Genève, qui se targue d'être la capitale des droits de l'Homme, des êtres humains victimes de traite et en situation d'esclavage. Il est important, même essentiel, de passer d'un mécanisme de coordination administrative - tel que c'est le cas aujourd'hui avec le SCOTT, on vous l'a expliqué - à une loi, c'est-à-dire de donner une base légale au mécanisme de coordination qui existe déjà, et il ne s'agit pas d'une posture politique ou humanitaire: c'est offrir des moyens à l'administration afin qu'elle accomplisse un travail dans un cadre juridique.
Que propose ce cadre juridique ? Eh bien de faire de la prévention, d'identifier les victimes, de les sortir de leur invisibilité et de leur apporter un soutien, toutes ces choses essentielles que ne fera jamais une police judiciaire. La police judiciaire doit être renforcée dans sa lutte contre la criminalité, tout comme l'Etat doit être renforcé dans son souci de protection et de prévention du crime. Il n'y aura pas de nouveau poste, soit ! Pourtant, l'ajout d'un poste ou deux en lien avec cette problématique ne serait pas un drame pour Genève, dans la mesure où elle est particulièrement grave et importante. Il n'y a rien de plus grave que la traite des êtres humains, Mesdames et Messieurs les députés !
Avant de conclure, j'aimerais rendre hommage à tous ceux qui se sont investis dans le domaine de la protection des victimes - qu'il s'agisse de fonctionnaires ou de personnes dans la société civile. Je souhaite également rendre hommage à l'ex-directrice de l'office des droits humains, Fabienne Bugnon, pour tout le travail qu'elle a accompli à ce poste mais aussi dans la coordination administrative dont on a parlé tout à l'heure. Du reste, je pourrais même demander s'il ne serait pas temps aujourd'hui de faire renaître l'office des droits humains tel qu'il existait avant que M. Maudet ne le supprime. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, dans un pays civilisé tel que le nôtre, il n'est plus admissible que des êtres humains puissent continuer à faire l'objet de traite, qu'il s'agisse de travailleurs détachés, d'employés de maison ou de travailleuses et travailleurs du sexe. Ce projet de loi demande que l'Etat soutienne les institutions publiques ou privées actives dans la lutte contre la traite des êtres humains, qu'il encourage, soutienne et développe la formation et la recherche dans le domaine de la traite des êtres humains et qu'il participe au financement d'institutions oeuvrant contre la traite des êtres humains ou à des projets de formation ou de recherche en la matière. Mais l'Etat le fait déjà, chers collègues ! L'arsenal juridique actuel permet de poursuivre les auteurs de tels actes et les victimes trouvent aide, secours et soutien auprès de la police, de la structure LAVI, du Centre social protestant, d'Aspasie ou du Coeur des Grottes, des associations qui sont toutes soutenues par l'Etat. La police n'a pas attendu ce projet de loi pour adapter ses formations et créer la BTPI - la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - une brigade spécifiquement dédiée à cette problématique. Aux yeux de notre groupe, ce projet de loi n'apporte donc pas de plus-value significative à l'existant, une position soutenue par le Conseil d'Etat. D'ailleurs, connaissez-vous une association qui ne peut fonctionner par manque de moyens ? Ne créons pas de nouvel arrosoir, ne fabriquons pas d'usine à gaz et, s'agissant de la coordination, les services de l'Etat peuvent l'améliorer en parfaite autonomie. Pour toutes ces raisons, le Mouvement Citoyens Genevois vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, à rejeter ce texte. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe socialiste, qui soutiendra bien sûr ce projet de loi, j'aimerais ajouter quelques éléments. Il s'agit simplement d'ancrer dans une loi le dispositif de coordination qui existe déjà actuellement. Pourquoi faut-il l'ancrer dans une loi ? Je citerai au minimum deux raisons. La première est d'ordre juridique - je suis désolé, on ne se refait pas ! Comme vous le savez - ce genre de notion figure probablement au programme de première année des étudiants en droit, et je rends ici hommage à un collègue député qui se reconnaîtra - toute activité étatique doit se fonder sur une base légale, et je vous renvoie à ce titre à l'article 5, alinéa 1, de notre Constitution fédérale, qui consacre le fait que le droit est la base et la limite de l'activité étatique. J'imagine que c'est un principe assez cher au groupe PLR, qui pourtant change tout à coup d'avis et nous dit aujourd'hui qu'en réalité une base légale n'est pas nécessaire. Contrairement à ce qu'a indiqué le rapporteur de minorité... Enfin, je n'ai pas très bien compris s'il a dit qu'il existait déjà une base légale à l'heure actuelle, mais en tout cas ce qui est clair, c'est qu'il n'y en a pas, voilà pourquoi il est proposé ici d'en créer une. La deuxième raison est plus politique: il s'agit de garantir cet ancrage et cette politique en matière de traite des êtres humains dans la durée. Cet ancrage légal se justifie aussi pour ce motif.
C'est vrai, il y a une petite nouveauté, à savoir l'établissement d'un rapport. Du point de vue de la majorité de la commission, c'est indispensable, notamment pour que la transparence de l'action de l'Etat dans ce domaine soit assurée, parce qu'aujourd'hui il n'existe pas de rapport à ce sujet et qu'il n'est donc pas facile d'obtenir des informations sur ce qui se passe.
J'ajouterai un dernier élément: il n'est pas question de créer un nouveau poste ou de dire - comme on l'a entendu - qu'une personne seule devrait s'occuper de cette problématique, qu'il s'agirait uniquement d'un haut fonctionnaire et que la police serait, entre guillemets, «dépossédée» de ses prérogatives en la matière. Ce n'est bien entendu pas le cas ! Mais on ne peut pas non plus dire, Mesdames et Messieurs, chers collègues, comme certains l'ont fait, que c'est une tâche qui reviendrait exclusivement à la police. En réalité - et je vous invite à relire la formulation de l'article 6, qui est très clair - il s'agit d'une personne dont l'une des tâches, car elle pourrait aussi en avoir d'autres, consisterait à coordonner le mécanisme de coopération administrative. Et si je me réfère à cet article 6... (Brouhaha.)
Le président. Une seconde, Monsieur ! Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît, je ne peux pas vous laisser faire autant de bruit !
M. Cyril Mizrahi. Il y en a visiblement que la problématique intéresse un peu moins...
Le président. Si, si ! La problématique intéresse ! Le député en question est en train de montrer son intérêt en faisant le tour de la salle... (Exclamations.) Vous pouvez poursuivre, Monsieur.
M. Cyril Mizrahi. Merci, Monsieur le président. L'article 6, alinéas 1 et 2, est très clair à ce sujet: «1 Le Conseil d'Etat désigne la personne chargée de la coordination, de l'évaluation et de l'information dans le domaine de la traite des êtres humains. 2 Cette personne pilote le mécanisme de coopération administrative de lutte contre la traite des êtres humains, constitué par le Conseil d'Etat et composé de représentants des pouvoirs publics, de la police» - mais pas seulement ! - «des magistrats du pouvoir judiciaire, des représentants des HUG, des institutions d'aide aux victimes et de personnes expérimentées provenant de milieux privés.» (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On voit bien qu'il existe une multiplicité d'acteurs et qu'une personne de référence au sein de l'Etat va assurer la pérennité et la coordination de ce mécanisme. Le groupe socialiste vous encourage donc à adopter cet ancrage légal qui est vraiment nécessaire à mon sens. Et si vous le permettez, Monsieur le président, je reprendrai la parole très brièvement au deuxième débat pour dire deux mots sur l'amendement formel que j'ai déposé. Merci. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, depuis un certain temps la lutte contre la traite des êtres humains commence à être mieux comprise et à retenir l'attention du monde institutionnel et politique. Cela reste toutefois un phénomène éminemment complexe, dont la nature même fait qu'il échappe trop souvent aux moyens mis en oeuvre pour le combattre. Il faut donc mieux coordonner le travail de ceux qui sont actifs dans ce domaine, il faut catalyser toutes les potentialités et, comme le requiert le projet de loi, améliorer la coordination de toutes ces activités et renforcer le dispositif. Enfin - et surtout - il faut donner à ces personnes les moyens d'exercer leur mission afin que l'on puisse répondre aux besoins de cette population particulièrement précaire. Si notre groupe est convaincu de la nécessité d'organiser cette coordination, de fédérer tous ces acteurs et de les amener à mieux travailler ensemble, il reste persuadé que nous n'avons pas besoin d'une tête d'affiche; ce dont nous avons besoin, c'est de quelqu'un de fédérateur, qui puisse rassembler toutes ces personnes et qui soit capable d'allier toutes les compétences pour les mettre au service de la cause de la lutte contre la traite des êtres humains. C'est pour cela que nous soutiendrons ce projet de loi. Cela étant, nous souhaitons quand même souligner un fait, celui de la précarité des personnes impliquées dans ce genre de situations, qui nécessitent indubitablement que leur statut soit renforcé et qu'on puisse leur donner les moyens de rester ici le temps que leur cause soit entendue et que le dispositif de protection soit mis en place. Dans cette optique, nous reviendrons plus tard avec un autre texte.
Pour finir, j'aimerais répondre à la question de M. Flury, qui demandait à notre Grand Conseil s'il connaissait des associations qui ne peuvent pas accomplir leur travail faute de moyens. Eh bien oui, Monsieur Flury, il y en a pléthore dans notre canton depuis que ce parlement a développé une politique d'austérité ces dernières années. Beaucoup d'associations sont bien en peine de remplir la mission qui leur est dévolue, il faut donc que l'on s'assure - en leur en donnant les moyens, et non en leur rognant les ailes - que celles-ci, lorsqu'on les charge d'une tâche, soient en mesure de l'exécuter. Pour toutes ces raisons, je vous invite à veiller à ce que les moyens soient garantis non seulement aux associations qui oeuvrent dans le domaine de la traite des êtres humains, mais également à toutes celles qui sont chargées par ce parlement d'exercer un certain nombre de tâches dans notre canton. Et finalement je vous appelle à voter ce projet de loi, parce qu'il est indispensable pour mieux faire connaître la lutte contre la traite des êtres humains et mieux agir contre cette dernière. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Charles Selleger (PLR), rapporteur de minorité. Je vais prendre quelques instants sur le temps qui reste à mon groupe pour rectifier d'abord un élément, puisque j'avais mal inscrit les références dans mes notes: je voulais parler de l'article 3 «Soutien», de l'article 4 «Coordination et évaluation» et de l'article 6 «Organisation». Ce projet de loi ne change rien à la pratique actuelle !
D'autre part, à entendre certaines interventions, en particulier celle de M. Rossiaud, je me demande s'il sous-entend que la police ne fait pas son travail, mais en même temps il la remercie de le faire... Il faudrait savoir: elle le fait ou pas ?
Je me pose encore une question: vu que ce projet de loi est censé - de l'aveu même de son auteur - ne pas coûter un franc au contribuable, que va-t-on pouvoir ajouter en matière de soutien aux associations, d'organisation, etc., si les moyens ne sont pas augmentés ?
Enfin, M. Mizrahi semble s'étonner qu'on n'ait pas de base pour décliner la constitution. Comme je ne suis pas juriste, je voudrais lui demander si, en l'état actuel du code pénal, il n'existe pas de mécanisme prévoyant la condamnation des personnes qui se livrent à la traite des êtres humains.
M. Jean Rossiaud (Ve). J'aimerais juste rectifier un point: il est bien entendu que la police fait très très bien son travail, mais il faut malgré tout peut-être la renforcer ! C'était l'idée de mon propos. Par ailleurs, que la police fasse son travail dans le domaine de la recherche et de la poursuite des criminels est une chose, que l'on dispose d'un mécanisme de coordination pour l'identification des victimes et le soutien à ces dernières en est une autre, ces deux éléments n'étant bien sûr pas contradictoires, mais complémentaires. En conclusion, il est évident que tout le monde ici remercie la police pour son travail ! (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, le Conseil d'Etat et le Ministère public n'appuient pas ce projet de loi, non pas parce qu'ils considèrent que les motivations de ses auteurs ne doivent pas être soutenues, mais parce qu'ils estiment - comme certaines voix qui se sont exprimées dans ce parlement - que l'Etat a largement pris la mesure de cette problématique et y répond de manière efficace. Cela dit, le phénomène n'est pas éradiqué, et nous pouvons malheureusement dire sans trop de pessimisme qu'il ne le sera hélas jamais totalement. C'est donc un combat qui doit être sans cesse renouvelé.
Ce qu'il faut relever, Mesdames et Messieurs, c'est que ce projet de loi n'apporte rien de fondamental par rapport à ce qui existe aujourd'hui. Je rappelle que le dispositif cantonal actuel est l'un des plus étoffés de Suisse, et ce n'est évidemment pas un gouvernement qui se gargarise de ses propres actions qui le dit, mais les experts du GRETA, soit le groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains, lequel est chargé de veiller à la mise en oeuvre par les parties de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Ce sont donc des experts extérieurs à la Suisse, qui viennent contrôler le travail des parties à cette convention et qui constatent que Genève effectue un travail certainement remarquable par rapport à ce que font tous les autres. Est-ce assez ? Bien sûr que non, mais nous travaillons pour être de plus en plus forts. Depuis maintenant dix ans, le Conseil d'Etat oeuvre d'arrache-pied pour renforcer l'ensemble des dispositifs dans ce domaine - suite notamment à l'entrée en vigueur pour la Suisse du protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes - et cela de plusieurs manières. A l'automne 2010, un comité de pilotage a été mis en place avec deux sous-groupes de travail dès 2011, l'un sur la sensibilisation, la formation et l'information, l'autre sur le volet concernant l'exploitation de la force de travail. Il s'agit là de l'activité de sensibilisation, sur le terrain, de l'ensemble des acteurs potentiels de cette exploitation. Il existe bien sûr aussi un volet répressif, puisqu'une brigade dédiée à la lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - la BTPI - a été mise sur pied au sein du corps de police en janvier 2016.
Voilà ce que le Conseil d'Etat avait à vous communiquer, Mesdames et Messieurs. Cette loi n'apporte rien, et il y a dans le discours que je viens d'entendre quelque chose d'antinomique: on nous annonce d'une part que cela ne va rien changer ni rien coûter, surtout, alors qu'on nous dit d'autre part qu'il faut absolument accorder davantage de moyens. Soyons clairs: si ce projet de loi demande des financements supplémentaires de la part de l'Etat, il faut le dire sans détour, pour que celles et ceux qui le soutiennent sachent ce que cela va coûter. Et si effectivement cela ne coûte rien, je ne vois pas ce que l'on peut faire de plus que ce qui a été indiqué voici un instant.
Je remarque tout de même que l'article 3 prescrit que l'Etat soutient les institutions publiques ou privées actives dans la lutte contre la traite des êtres humains, ce que celui-ci fait aujourd'hui; est-ce à dire que c'est insuffisant au point qu'il faille ancrer ce principe dans la loi pour pouvoir ensuite revendiquer un droit à un subventionnement ? Le projet de loi ne le dit pas. En ce qui concerne l'article 6 «Organisation», il est écrit que le Conseil d'Etat désigne la personne chargée de la coordination, de l'évaluation et de l'information, ce qui existe déjà, on vous l'a indiqué, dans le cadre du sous-groupe de travail. Encore une fois, on nous dit qu'il n'est pas nécessaire d'engager quelqu'un, puisqu'il suffit de nommer une personne au sein de l'Etat. Alors soit on considère que ce travail est inutile et ne prend pas de temps, auquel cas on peut effectivement donner ce titre à un collaborateur de l'Etat, soit on estime qu'il y a véritablement une activité à mener qui ne le serait pas encore, et à ce moment-là il est bien évident qu'il faudrait engager quelqu'un. Aux yeux du Conseil d'Etat, ce travail est aujourd'hui effectué. Nous avons bien compris dans quel sens se dessinent les majorités, mais il n'en demeure pas moins que le gouvernement considère que cette loi n'apportera rien de plus par rapport à la détermination actuelle qui est la sienne pour lutter contre ce phénomène répréhensible. Je vous remercie.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11760 est adopté en premier débat par 52 oui contre 34 non et 6 abstentions.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 1.
Le président. A l'article 2, nous sommes saisis d'un amendement de M. Mizrahi, à qui j'accorde trente secondes pour qu'il nous le présente rapidement. Le voici:
«Art. 2, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Par "traite des êtres humains", la loi désigne les situations prévues à l'article 182 CPS, ainsi que les situations définies à l'article 4, lettre a, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.»
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, cet amendement est d'ordre purement formel et rédactionnel. Il vise d'une part à apporter une rectification, car il s'agit de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte «contre» - et non «de», comme indiqué dans le projet issu de commission - la traite des êtres humains, et d'autre part à préciser que la définition de la notion de «traite des êtres humains» a son siège plus particulièrement à la lettre a de l'article 4 de cette convention. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur l'amendement de M. Mizrahi, qui est projeté sur l'écran situé devant vous.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 49 oui contre 45 non.
Mis aux voix, l'art. 2 ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 3 est adopté, de même que les art. 4 à 7.
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 11760 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 51 oui contre 45 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)