République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 mars 2019 à 14h
2e législature - 1re année - 10e session - 60e séance
M 2349-A et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous passons maintenant aux pétitions - traitées en catégorie II, trente minutes - et examinons pour commencer les objets liés M 2349-A et P 1989-A. Vous avez la parole, Monsieur Velasco.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Si les motionnaires ont déposé cet objet, c'est parce que les montants des amendes ont connu à l'époque une augmentation - décidée par le Ministère public, évidemment - de même que les tarifs des émoluments. Ils souhaitaient donc demander à l'Etat de Genève de faire en sorte que le poids des amendes et des émoluments diminue. Le problème, Monsieur le président, c'est que la hausse du prix des amendes obéissait à des directives de la Confédération, c'est-à-dire au droit supérieur. Le procureur nous a du reste signifié qu'il ne faisait qu'appliquer ce droit, notamment le programme Via sicura. Quant aux tarifs des émoluments, M. Maudet en a justement réduit une partie.
Cela dit, il est normal que les personnes qui enfreignent les règles de la circulation soient amendées ! Je trouve ça logique ! A mon sens, il est même absolument illogique que des députés, qui sont censés légiférer et respecter le droit, demandent que ceux qui ne le respectent pas soient moins punis. Comme vous le savez peut-être, j'habite dans une rue où la vitesse est limitée à 50 km/h; eh bien le soir, il y a des voitures et des motos qui roulent à 100 km/h ! Une fille a d'ailleurs trouvé la mort dans cette rue suite à un excès de vitesse. Je vois donc très très mal comment on pourrait accepter un objet ayant pour but que ceux et celles qui enfreignent le code de la route et qui effectuent des dépassements de vitesse inadmissibles se voient récompensés par une diminution du montant de leurs amendes. Mesdames et Messieurs, je reprendrai la parole plus tard, mais je vous demande déjà de refuser cette proposition de motion et de déposer la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, on comprendra bien qu'une personne qui stationne une heure de trop sur une place de parking ne met pas en péril la vie des autres usagers de la route. Ce n'est pas en restant trente minutes de plus que la durée autorisée qu'elle les met en danger ! Les amendes ont donc un caractère tout à fait disproportionné et on assiste en réalité à une phobie, à une rogne anti-automobilistes de la part de certaines personnes dans ce parlement, mais également ailleurs dans la classe politique. Cela dit, il est bien certain que l'on ne conteste pas le fait d'infliger des amendes, mais il n'en reste pas moins qu'il y a des gens qui circulent en voiture, qu'on est quand même libre de le faire, qu'il est difficile de se parquer et que certaines personnes, en raison d'une peine totalement disproportionnée, se retrouvent avec des problèmes sociaux parce qu'elles ont fait preuve de négligence et qu'elles ne peuvent plus exercer leur profession. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de soutenir la pétition lancée par le «GHI», et j'ai été ravi d'entendre le rapporteur de majorité dire qu'il fallait la déposer sur le bureau du Grand Conseil, car c'est une démarche beaucoup plus élégante que la proposition initiale, à savoir le classement. En effet, cette pétition est tout à fait raisonnable et courtoise, elle mérite donc d'être prise en considération et non pas dédaignée. Oui, les 16 000 Genevois qui l'ont signée méritent qu'on ne les méprise pas, je me réjouis donc du progrès réalisé par la majorité de la commission.
D'autre part, s'il est vrai que l'histoire des émoluments a été réglée - et heureusement - dans la mesure où on est revenu à une pratique beaucoup plus modérée et proportionnée s'agissant des peines infligées aux automobilistes qui ne font pas tout juste, il nous semble malgré tout utile d'adresser un message au Pouvoir judiciaire afin de lui demander - avec toute la politesse qui sied à ce type de requête - de revoir le montant des amendes ou en tout cas de réexaminer la question de manière proportionnée. Merci.
M. Guy Mettan (PDC). J'aimerais d'abord remercier le rapporteur de majorité, M. Velasco, d'avoir rendu son rapport. C'est vrai qu'on l'a attendu quelque peu, mais c'est désormais chose faite et je tiens donc à l'en remercier. Cela dit, notre position diverge totalement sur le fond, bien sûr, parce qu'il ne s'agit absolument pas de critiquer ou d'absoudre les personnes ayant commis des infractions. Je l'ai bien dit lors de mon audition: en aucun cas il ne s'agit de laisser impunies des infractions au code de la route ! Ce n'est pas du tout de cela qu'il est question dans cette motion, et prétendre que c'est le cas constitue à mon sens un mensonge ou une «fake news». Ce qui est en cause, c'est la disproportion du montant des amendes par rapport à l'infraction commise. Et la preuve que le droit supérieur n'est pas violé, c'est qu'on a pu revenir en arrière tout en le respectant. Il n'y a plus d'excès en matière d'amendes comme on pouvait en constater à l'époque. Ce qui signifie qu'on a bien assisté à une Genferei de plus où le Pouvoir judiciaire et la police se sont tout d'un coup mis à dérailler complètement. C'est cette pratique qui était mise en cause et qui a conduit au dépôt de cette motion et de cette pétition, qui ne visent donc pas du tout à laisser impunis les auteurs d'infractions.
J'aimerais aussi rappeler que ce phénomène n'a pas uniquement touché les automobilistes: à un moment donné, des centaines de cyclistes ont reçu des amendes allant jusqu'à 1400 francs ! Tout le monde était donc concerné, et ce n'étaient pas du tout les excès de vitesse qui étaient en cause, mais bien d'autres infractions, par exemple le fait de franchir une ligne blanche ou de dépasser la durée de stationnement autorisée. Bref, c'était complètement disproportionné ! Et la preuve qu'on ne déroge pas au droit supérieur, c'est-à-dire à la loi suisse, c'est qu'aucun autre canton que Genève ne pratique des tarifs aussi disproportionnés. Et ces vingt-deux cantons suivent d'autres règles sans contrevenir au droit supérieur ! C'est donc bien de ça qu'il est question ici. Je remercie le Conseil d'Etat d'avoir pris acte de la démesure qui l'avait tout à coup frappé, d'être revenu en arrière et d'appliquer maintenant la loi avec la juste sévérité qui convient, et non pas avec la démesure punitive qui le caractérisait. Pour ma part, je voterai quand même en faveur de la motion et soutiendrai évidemment la pétition, parce que je pense qu'il est essentiel que ce message soit bien perçu. Merci.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, depuis quelque temps on a parfois l'impression que les représentants du système judiciaire pensent que leur mission consiste à remplir les caisses de l'Etat. Ce n'est évidemment pas le cas, et il faut que le message passe ! Le système judiciaire est là pour punir les contrevenants et faire régner l'ordre et la justice: il n'a aucunement pour mission de remplir les caisses de l'Etat. C'est extrêmement important, et il faut que ce message soit transmis au Pouvoir judiciaire, même si la séparation des pouvoirs est ce qu'elle est et que ce dernier dispose de sa liberté, car il est nécessaire qu'on lui signifie qu'on n'a pas besoin qu'il nous aide à boucler le budget. Ce n'est pas son rôle, ni ce qu'on attend de lui.
Le deuxième problème, outre la question des amendes, concerne le tarif des émoluments - on l'a longuement évoqué. A ce propos, nous avons entendu avec une certaine satisfaction qu'on était revenu à une pratique plus raisonnable. Si cette problématique est importante, c'est parce qu'il y a quand même un certain nombre de citoyens qui finissent à la prison de Champ-Dollon suite à un défaut de paiement de leurs amendes. En effet, certaines personnes se retrouvent avec des amendes cumulées atteignant plusieurs milliers de francs, or vous savez que, lorsque le processus de recouvrement échoue, ces dernières font une journée de prison par tranche de 100 francs d'amende impayés. Songez que des gens passent donc dix, quinze, vingt ou trente jours en prison parce qu'ils ne sont pas parvenus à payer leurs amendes ! Et cela à quel coût pour l'Etat, Mesdames et Messieurs ? L'Etat doit débourser des centaines de francs par jour de prison au lieu d'encaisser l'argent des amendes, si bien qu'au final toutes ces amendes infligées - dont le montant est prohibitif - ne permettent pas du tout de faire entrer de l'argent dans les caisses de l'Etat. Au contraire, elles ont un coût ! Alors il est probable qu'en fin de compte il y ait quand même un gain, mais enfin on dépense de l'argent pour que les gens qui ne parviennent pas à payer leurs amendes puissent aller en prison. C'est une pratique qui devrait cesser. Il faut plus de proportionnalité ! En principe, vous le savez, les amendes devraient être proportionnelles au revenu, mais par facilité on envoie les mêmes amendes d'ordre à tout le monde et ceux qui ne sont pas d'accord avec le montant peuvent le contester en justifiant de leurs revenus et de leurs dépenses; un juge devrait alors pouvoir réduire le montant de l'amende, sauf qu'il facturera un émolument qui sera souvent plus élevé que l'amende elle-même. C'est la raison pour laquelle la plupart des gens renoncent à contester le montant de leurs amendes, même quand elles sont prohibitives.
On voit qu'il s'agit d'un système un peu kafkaïen dans lequel le serpent se mord la queue, il faut donc que le message passe et que le Grand Conseil affiche sa volonté d'y mettre fin. Personnellement, mon souhait - même s'il dépasse en quelque sorte le champ de cette motion, que l'on soutient - serait que le SAPEM cesse d'envoyer en prison les personnes qui ne peuvent pas régler leurs amendes. Mesdames les députées, Messieurs les députés, il est scandaleux qu'aujourd'hui ceux qui ne parviennent pas à payer leurs amendes d'ordre soient conduits à la prison de Champ-Dollon ! Mon groupe souhaiterait donc que cette pratique cesse également. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Rolin Wavre (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, pour le PLR les infractions routières doivent à l'évidence être punies, avec un accent particulier sur celles qui mettent en danger la vie et l'intégrité corporelle d'autrui. De son côté, le fédéralisme doit permettre différentes approches et sensibilités, mais certainement pas des mesures arbitraires ou discriminatoires en fonction du canton dans lequel elles se produisent. Pour être utile, une sanction doit être compréhensible et comprise par le citoyen ou l'auteur de l'infraction. Mon groupe se félicite que le barème des émoluments ait été révisé fin 2016 par le département et réponde donc en bonne partie aux motivations de la motion et de la pétition. L'émolument doit correspondre globalement au coût du traitement par l'Etat et ne doit pas représenter une punition supplémentaire ou un enrichissement pour celui-ci.
Ces deux objets ont conduit à des débats intéressants autour d'une vraie question: quelle punition pour quelle infraction routière ? C'est aussi le rôle du parlement de convoquer, d'héberger et de diffuser ce type de débat en commission, puis en plénière. Les 16 000 signataires de la pétition ont donc été écoutés et entendus. En conclusion, puisqu'elles ont d'ores et déjà déployé leurs effets, le PLR refusera la motion et votera le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie. Je signale que ce n'est pas le dépôt qui a été voté par la commission, mais le classement. Je passe maintenant la parole à Mme Marjorie de Chastonay.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les Verts persistent et signent depuis le départ, c'est pourquoi nous continuerons à nous opposer à cette motion, car il s'agit - je le répète - de contraventions à la LCR, la loi sur la circulation routière, et d'infractions que nous les Verts considérons comme graves. En effet, les auteurs de ces infractions mettent en danger les autres usagers et usagères, que ce soient les piétons, les personnes en situation de handicap, les cyclistes, les personnes âgées, les familles, les usagers des bus et des trams, etc. (Brouhaha.)
Des voix. Chut !
Le président. S'il vous plaît ! Je vais faire le professeur dont on s'est raillé la dernière fois en vous demandant un peu de silence, de façon qu'on puisse... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! (Le silence revient.) Merci. Vous pouvez poursuivre, Madame.
Mme Marjorie de Chastonay. A nos yeux, il s'agit d'un non-sens d'inciter les automobilistes et autres usagers qui enfreignent la LCR à mettre en danger la population à travers un signal positif vis-à-vis de leurs mauvais comportements. Nous continuerons donc à nous opposer à cette motion. Pour ce qui est de la pétition, elle est devenue sans objet s'agissant des émoluments, raison pour laquelle nous sommes favorables à son classement sur le bureau. Merci.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG est lui aussi satisfait qu'on soit revenu à la raison en ce qui concerne le tarif des émoluments. Nous pensons néanmoins qu'il serait tout de même utile de voter cette motion, raison pour laquelle nous la soutiendrons. Nous souhaitons par ailleurs que la pétition soit renvoyée au Pouvoir judiciaire. En effet, si les infractions au code de la route doivent être sanctionnées, elles doivent l'être à mon sens de manière proportionnée, or il me semble que dans certains cas il y a des abus. Nous ne voulons donc pas lâcher la grappe - si je puis me permettre cette expression - et desserrer la pression tant sur l'Etat que sur le Pouvoir judiciaire, qui a augmenté le montant de toute une série d'amendes relevant de sa compétence de façon totalement disproportionnée. En conclusion, nous continuerons à soutenir la motion et la pétition, dont nous demandons le renvoi au Pouvoir judiciaire. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité. Comme on le voit, on assiste encore à un débat dogmatique, alors que des vies humaines sont en jeu. Même les cyclistes peuvent être mis en difficulté par ces mesures tout à fait disproportionnées, parce qu'à force de réfléchir non pas en termes humains, mais de manière purement dogmatique, on aboutit à de véritables impasses, sans voir la réalité telle qu'elle est. Je crois qu'il faut donc retrouver un peu de bon sens et véritablement réexaminer toutes ces questions avec bienveillance.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Monsieur le président, je voudrais rectifier un point: c'est bien le classement de la pétition que l'on demande. Du reste, je tiens à signaler qu'elle mélangeait la question des émoluments et celle des amendes. Il y a eu une confusion dans la pétition !
M. Mettan a cité tout à l'heure le cas d'un cycliste, mais la personne en question ne roulait pas à vélo, Monsieur ! Il s'agissait d'un conducteur de moto qui avait franchi une double ligne blanche. Une double ligne blanche ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte ! C'est ce qui nous a été dit en commission.
Pour finir, Mesdames et Messieurs, j'aimerais relever que ceux qui n'enfreignent pas les règles de la circulation ne sont pas amendés. Il suffit de respecter le code de la route ! La voiture et la moto sont des objets qui peuvent causer la mort, tout simplement. Je vous demande donc de rejeter la motion et de classer la pétition. Merci.
Le président. Je vous remercie. La parole n'étant plus demandée, nous allons passer aux différents votes. Je mets d'abord aux voix la proposition de motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2349 est rejetée par 50 non contre 21 oui et 1 abstention.
Le président. Concernant la pétition, je vous invite à vous prononcer sur les conclusions de la majorité de la commission, à savoir le classement. Monsieur Wavre, vous avez demandé la parole ?
M. Rolin Wavre (PLR). Oui, merci, Monsieur le président. Je voulais confirmer que nous nous sommes bien prononcés en faveur du classement en commission.
Le président. Je vous remercie. Nous allons donc voter sur le classement de cette pétition, tel que la commission le préconise.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission judiciaire et de la police (classement de la pétition 1989) sont adoptées par 54 oui contre 18 non et 2 abstentions.