République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2535
Proposition de motion de Mmes et MM. Jean Burgermeister, Jocelyne Haller, Olivier Baud, Jean Batou, Christian Zaugg, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Adrienne Sordet, Delphine Klopfenstein Broggini : Pas de sanction pour les jeunes qui se mobilisent en faveur de l'environnement !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 21 et 22 mars 2019.

Débat

Le président. Nous passons à l'urgence suivante, qui sera le dernier point de notre soirée. Il s'agit de la M 2535, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à son auteur, M. Jean Burgermeister, pour qu'il nous la présente.

M. Jean Burgermeister (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ces derniers mois, des dizaines de milliers de jeunes ont secoué la Suisse et de nombreux autres pays et, il faut bien le reconnaître, le discours parfois méprisant qu'on pouvait entendre à leur égard - certains disaient par exemple qu'ils faisaient ça uniquement pour ne pas aller à l'école - a vite disparu devant la capacité de cette mobilisation à s'inscrire dans la durée, à monter en puissance et à se structurer. Et il ne s'agit pas seulement de grèves étudiantes et de manifestations massives, il y a également beaucoup de réflexions collectives et de débats dans les écoles. Si les jeunes se mobilisent en aussi grand nombre et aussi fortement, c'est avant tout parce que les représentantes et les représentants politiques ont démontré leur incapacité totale à prendre au sérieux la crise environnementale, à l'image de ce parlement, d'ailleurs, qui relègue systématiquement au second plan les réponses concrètes à cette crise et qui n'est d'accord de les voter qu'à condition qu'elles ne contreviennent à aucune activité économique. Il faut en outre rappeler que ce sont les jeunes qui seront les plus touchés par le réchauffement de la température et le saccage de l'environnement du globe; ce sont eux qui vivront le plus durement les conséquences de cette crise environnementale, il est donc normal et important qu'ils se mobilisent, car c'est pour leur avenir qu'ils le font. Je pense que, étant donné l'incapacité prouvée de ce parlement - du moins celle de la majorité - à prendre au sérieux cette crise, il est en tout cas important que nous permettions à cette préoccupation, à ce cri d'alarme, de s'exprimer démocratiquement. Personnellement, je n'ai plus beaucoup d'espoir de changer les choses au sein de ce parlement, mais je continuerai à essayer, bien sûr. Il faudrait évidemment voter des projets de lois allant dans le sens de zéro émission de carbone d'ici 2030, mais malheureusement je doute qu'une majorité du parlement soit prête à le faire... (Brouhaha.)

Le président. Une seconde, Monsieur le député ! Il y a trop de bruit ! (Remarque. Rires.)

Une voix. C'est pas gentil ! (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît ! (Un instant s'écoule. Le silence revient.) Merci ! Vous pouvez poursuivre, Monsieur.

M. Jean Burgermeister. Je vous remercie, Monsieur le président. Je disais donc qu'il faudrait voter des projets de lois allant dans le sens de zéro émission de carbone, mais que je doutais que ce parlement soit prêt à le faire. Je vous engage cependant à être attentifs, car les jeunes - qui se mobilisent en nombre - ont été clairs: s'il n'est pas possible de changer les choses dans le cadre de ce système, eh bien c'est le système tout entier qu'il faudra changer. C'est un vrai message révolutionnaire... (Exclamations. Commentaires.) ...qui est porté par des dizaines de milliers de jeunes en Suisse et dans de nombreux pays, il est donc important que nous puissions au moins entendre et prendre au sérieux ces préoccupations justes et légitimes - à l'inverse de la droite, qui se livre à des clowneries de l'autre côté de la salle. Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter cette motion, Mesdames et Messieurs. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Katia Leonelli (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, à quoi sert-il d'aller à l'école si nous n'avons pas d'avenir ? C'est une question qui a été posée par Greta Thunberg lors du dernier World Economic Forum à Davos. Cette phrase n'est pas le fruit d'un caprice d'enfant gâté: c'est le reflet d'une prise de conscience de l'ampleur du problème environnemental auquel nous faisons face. Si les élèves et les étudiants sortent dans la rue, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas envie d'aller à l'école. Si nous sortons dans la rue, c'est parce que nous avons compris que trier le papier et accomplir d'autres petits gestes du quotidien, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Si nous sortons manifester, c'est parce que nous ne comprenons pas que le sujet de la crise climatique ne rallie pas une majorité des parlements. Nous ne comprenons pas que les gouvernements n'aient pas la volonté de mettre en oeuvre des mesures simples pour appliquer les innombrables traités que nous avons ratifiés. Greta Thunberg a fait la grève tous les vendredis, et aujourd'hui la communauté internationale la récompense en la proposant pour le prix Nobel de la paix 2019. Les élèves du canton de Genève font également la grève, et on les récompense en les sanctionnant: on leur demande d'accomplir du travail supplémentaire absurde, on les empêche de passer des examens, on leur interdit parfois de les rattraper. C'est une sanction arbitraire, mais il s'agit surtout d'un moyen de dévaloriser l'engagement de ces élèves en leur faisant croire qu'il y a plus important au monde que ce qu'ils s'appliquent à faire. A quoi l'école sert-elle ? Je défie l'un ou l'une d'entre vous de venir à la fin de la session résoudre une équation à trois inconnues. A quoi l'école sert-elle ? Elle sert à nous faire réfléchir et à forger notre esprit critique. Dès lors que les élèves se mobilisent pour des causes qui leur sont chères, l'école a réussi son travail. Le corps enseignant - comme l'administration et le gouvernement - devrait donc s'en réjouir, mais aussi les féliciter et les encourager en facilitant leur participation à la grève et en leur donnant des espaces de discussions au sein de leurs écoles respectives. Au vu de ces arguments, je vous encourage à voter en faveur de cette excellente motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Marion Sobanek (S). Mesdames et Messieurs les députés, je le répète - et il faudra probablement le faire souvent - le climat est en danger. Dans une grande majorité d'endroits sur cette planète, il devient de plus en plus difficile de jouir de bonnes conditions pour les activités et la vie des humains. Imaginons une seule seconde la vague de migrations que provoquerait la montée du niveau des océans. Imaginons quelle serait la situation si l'air ici était aussi irrespirable qu'il l'est déjà à Pékin ou dans d'autres métropoles... Quand j'avais 16 ou 18 ans, je n'aurais jamais pensé que les jeunes de cet âge devraient un jour manifester pour quelque chose qui constitue la base de la vie, à savoir un environnement sain. Actuellement, chacun de nous utilise au moins deux, trois, quatre, cinq, voire dix fois les ressources dont la planète dispose pour un être normal. Alors maintenant les jeunes se réveillent et manifestent, et en tant que grand-mère je peux dire que je m'en réjouis... (Exclamations.) Eh oui, je suis grand-mère ! J'ai une petite-fille, et j'aimerais bien qu'elle puisse vivre correctement sur une planète encore saine. Or ici nous sommes vieux, et que font les vieux ? Eh bien pas grand-chose ! Ils se déplacent toujours en bagnole, ils veulent toujours construire des autoroutes et même des traversées ! Ils n'ont pas encore compris que les générations futures n'utiliseront peut-être plus du tout la voiture, et surtout qu'on ne pourra sans doute plus se permettre d'avoir recours à des modes de déplacement de ce genre. Les jeunes brandissent donc un carton rouge à notre intention, nous qui sommes des décideurs et qui hésitons à prendre des décisions, et il faut les soutenir. Il faut les soutenir en disant oui à cette motion et en votant enfin des mesures concrètes et précises en faveur du climat. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Je vous remercie. La parole est à M. Olivier Cerutti.

Une voix. T'es pas encore grand-père, c'est bête !

M. Olivier Cerutti (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, le parti démocrate-chrétien entend la jeunesse. Les manifestations de ces jeunes sont tout à fait légitimes. Je me rappelle quels étaient les débats à la sortie des classes quand je suis entré en apprentissage. Les débats étaient déjà là ! Aujourd'hui à Genève, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, mais certaines choses ont été faites, je pense notamment à la loi sur l'énergie de 2013. Je rappelle à ce titre que ces vingt dernières années nous avons vécu avec un conseiller d'Etat Vert: il s'appelait Robert Cramer, Michèle Künzler... (Commentaires.) Ou Antonio Hodgers, mais il est encore là ! Ces gens ont participé à la défense énergétique de notre canton et mis en place un certain nombre de mesures qui nous permettent aujourd'hui d'être fiers de Genève. Nous disposons par exemple d'une véritable cartographie des indices de dépense de chaleur dans notre canton, Mesdames et Messieurs, et savons désormais quels sont les bâtiments qui consomment trop. Cela dit, maintenant nous savons également construire des bâtiments à très haute performance énergétique. Oui, Mesdames et Messieurs, ce sont de petites choses qui se font au quotidien et qui vont dans la direction recherchée par la jeunesse actuelle. Je l'entends, je le comprends, et je souhaite qu'on puisse continuer sur cette voie, même si elle est difficile. Le chemin vers la société à 2000 watts telle qu'elle a été imaginée par certains politiciens sera long, et il doit s'agir d'un chemin non pas de division, mais de solidarité les uns envers les autres. J'ai entendu que l'on évoquait les migrations consécutives au réchauffement climatique. Nous devons malheureusement prendre acte de ce réchauffement climatique et savons que sans les pays qui produisent beaucoup d'émanations de CO2, nous ne pourrons rien faire. Nous ne parviendrons pas à inverser la tendance ! Je suis malgré tout persuadé que nous pouvons rester optimistes, que nous devons continuer dans cette direction et que nous aurons peut-être le plaisir de retrouver un jour notre terre. Je vous remercie.

Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme Delphine Bachmann pour trente secondes.

Mme Delphine Bachmann (PDC). Merci, Monsieur le président. Ce sera très bref ! J'aimerais juste dire que le parti démocrate-chrétien a proposé une table ronde sur le climat: une première rencontre a eu lieu et il y en aura d'autres. Contrairement à ce qu'a sous-entendu un député d'Ensemble à Gauche, la droite se préoccupe du climat, mais elle pense qu'il est faux de croire que le dépôt systématique d'objets parlementaires à chaque session pour en rajouter une couche constitue la réponse à donner aux jeunes s'agissant du climat. Alors travaillons ensemble en vue d'aboutir à des propositions constructives, mais aussi concrètes ! Je vous remercie, Monsieur le président.

Une voix. Bravo !

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je dois vous dire mon étonnement face à cette motion, parce que j'imaginais que la question de savoir comment le département gérait les absences des élèves pendant la grève du climat ne faisait pas partie des principales prérogatives du Grand Conseil. Vous m'offrez cependant une tribune magnifique pour expliquer ce que le département a mis en place depuis plusieurs semaines, et je vais la saisir ! Nous avons élaboré une politique pragmatique et que nous avons voulue respectueuse aussi bien des institutions que des jeunes qui se préoccupent du climat - une cause juste, puisqu'il en va de notre avenir à toutes et à tous, et du leur en particulier. Je crois du reste être la seule parmi les conseillers et conseillères d'Etat de Suisse à avoir rencontré les jeunes avant la première grève. En effet, le 15 janvier, soit trois jours avant cette grève, je rencontrais une délégation de jeunes, qu'il a fallu trouver, parce qu'ils n'étaient pas encore vraiment organisés et qu'il n'existait pas de mouvement avec une association faîtière. J'ai donc rencontré une quinzaine de jeunes, issus tant du secondaire II - des filières professionnelles comme des filières généralistes - que du cycle d'orientation, et nous nous sommes mis d'accord sur un point: ce qui importait, c'était que le département applique une politique cohérente, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas dans certaines écoles une attitude extrêmement stricte et dans d'autres, par hypothèse, une attitude particulièrement laxiste. Le but étant de donner une cohérence à la politique qui serait menée face aux absences lors de la première manifestation.

Depuis lors, je les ai revus trois fois - nous nous sommes donc rencontrés à quatre reprises déjà - et une prochaine séance est prévue le 16 avril, en présence des directrices et directeurs d'établissement, puisque l'objectif consiste désormais à transposer les choses dans la pratique, sachant que les jeunes ont formulé des propositions très concrètes, qui concernent notamment des tables rondes, des ateliers et des journées qui auraient lieu durant la prochaine année scolaire. Qu'avons-nous essayé de faire ? Nous avons voulu montrer qu'il y avait un cadre institutionnel et que faire la grève n'était pas un acte innocent. Les discussions ont d'ailleurs été assez intéressantes: j'ai expliqué aux jeunes que lorsque les adultes faisaient la grève, ils devaient au préalable déposer un préavis et qu'ils subissaient des retenues de salaire. A ce propos, je dois vous dire que j'ai vu beaucoup de jeunes écarquiller les yeux quand ils ont appris qu'il y avait notamment des retenues de salaire au moment des grèves ! Mon objectif était donc de leur rappeler qu'il existe un cadre institutionnel à respecter, même s'il peut être modulé, tout en leur montrant que j'accordais beaucoup d'importance à leur parole. En effet - et vous en avez vous-mêmes été témoins - nous avons voté l'année dernière un projet de loi sur l'enfance et la jeunesse, dans lequel vous avez accepté un article sur la participation qui demande au canton et aux communes de faire en sorte que les jeunes puissent participer aux débats lorsque les sujets les concernent. Dans toute la politique que nous avons menée, avec l'aval du Conseil d'Etat, nous avons donc cherché à être pragmatiques et respectueux de leur parole mais aussi d'un cadre.

Alors qu'en a-t-il été de la dernière grève et de la dernière manifestation ? Après discussion avec les jeunes - nous n'étions du reste pas d'accord sur tout - voici ce qui a été décidé: l'école aurait lieu normalement lors de la manifestation, et les élèves souhaitant participer à cet événement ou à une autre activité devraient s'excuser préalablement - ils avaient jusqu'au 14 mars pour le faire, soit la veille - en rédigeant une lettre motivée. Du moment que la lettre serait signée - par eux-mêmes, mais également par les parents, bien sûr, pour les mineurs - l'excuse serait acceptée, à une restriction près: si une épreuve annoncée ne pouvait pas être déplacée, elle aurait quand même lieu, et les élèves qui ne se présenteraient pas obtiendraient la note 1.

Je n'ai pas encore eu de retours concernant tout ce qui s'est passé dans les écoles, mais apparemment les choses se sont plutôt bien déroulées: des épreuves ont eu lieu ici ou là, et certains élèves sont restés pour les faire puis sont partis manifester. Tout s'est passé dans le calme, ce qui montre que lorsqu'on est pragmatique et respectueux des institutions, on peut satisfaire et prendre en compte la parole des jeunes tout en respectant un cadre institutionnel. Le département se doit du reste de le respecter, puisque je rappelle que la mission première de l'école consiste quand même à enseigner. Et je crois que c'est bien ce qui ressortait des propos tenus par la jeune députée Verte tout à l'heure, puisqu'il s'agissait de dire que c'était aussi à l'école que les élèves devaient prendre conscience de certaines choses. C'est en effet par l'enseignement qu'ils reçoivent qu'ils deviennent conscients des réalités ! Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver le sort que vous voulez à cette motion, puisqu'elle ne changera en rien la politique du département qui est à la fois pragmatique et respectueuse de nos institutions. Je vous remercie de votre attention. (Brouhaha.)

Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. (Remarque.) Monsieur Cruchon, s'il vous plaît ! Nous allons maintenant nous prononcer sur cette proposition de motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2535 est rejetée par 51 non contre 41 oui et 3 abstentions.