République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 novembre 2018 à 15h30
2e législature - 1re année - 6e session - 36e séance
PL 12168-A
Premier débat
Le président. Nous en sommes au PL 12168-A. Le rapport de deuxième minorité est de Mme Isabelle Brunier, ancienne députée, remplacée par Mme Salima Moyard. Le débat se tient en catégorie II, quarante minutes. Je passe la parole au rapporteur de majorité.
M. Georges Vuillod (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, depuis 2005, la loi genevoise sur la promotion de l'agriculture prévoit en son article 8 un soutien étatique des modes de production respectueux de l'environnement et des espèces animales. Le présent projet de loi propose d'inclure un alinéa supplémentaire rédigé ainsi: «Sont en particulier favorisées les reconversions d'exploitations à l'agriculture biologique.» La commission de l'environnement et de l'agriculture s'est réunie à quatre reprises et a auditionné les acteurs principaux du secteur agricole, soit Bio Genève, groupement des producteurs biologiques - dont un délégué est membre du comité d'AgriGenève, je tiens à le préciser - AgriGenève, faîtière de l'agriculture genevoise, Uniterre, syndicat agricole dont les membres sont également actifs en culture biologique et conventionnelle, et Bioromandie, opérateur commercial créé par les maraîchers pour valoriser les productions auprès des grandes surfaces et de la restauration collective.
Point de situation de la production biologique genevoise: 30 exploitations pour 1161 hectares de cultures, dix fois plus qu'à l'entrée en vigueur de la loi. Cela représente 12% des surfaces cultivées. La consommation de produits biologiques progresse chaque année de 8% à 10% et représente environ 12% du marché. Les aides et soutiens à la production biologique actuellement existants sont: au niveau fédéral, un paiement direct complémentaire pour la culture biologique - cette contribution est indispensable économiquement parlant; au niveau cantonal, une aide à la reconversion biologique, en plus des montants fédéraux, en application de l'article 8 actuellement en vigueur. Ces aides sont délivrées par l'Etat, elles sont plafonnées à 30 000 F par année de reconversion biologique, soit un maximum de deux fois 30 000 F par exploitation, selon la surface et le nombre de collaborateurs.
Les points de convergence des auditionnés: le canton a toujours soutenu financièrement la reconversion biologique; les montants alloués à la vulgarisation agricole sont indispensables pour que les agriculteurs mesurent les défis d'un transfert en production biologique, tant au niveau agronomique qu'au niveau économique; des signaux inquiétants de surproduction apparaissent dans presque tous les secteurs de production biologique; l'activité agricole est multiple, et chaque mode de production a sa place et son utilité pour répondre aux attentes des consommateurs; la production et la consommation locales sont essentielles pour l'agriculture genevoise, tous modes de production confondus; la production biologique n'est pas la seule à être respectueuse de l'environnement.
Les points de divergence: Bio Genève soutient ce projet de loi essentiellement par crainte d'une défaillance de l'Etat - ce qui n'est jamais arrivé - dans la délivrance des montants d'aide à la reconversion biologique selon l'article 8 actuel. AgriGenève et Uniterre ne soutiennent pas ce texte qui distingue les modes de production, créant une scission entre les agriculteurs, qui tous sont préoccupés par leur impact sur l'environnement. Le département, quant à lui, précise que toutes les aides à la reconversion ont toujours été attribuées depuis l'existence de la loi, que la loi a été élaborée avec la volonté de ne pas interférer entre les modes de production.
En conclusion, il apparaît clairement des auditions que la loi actuelle permet déjà de soutenir les entreprises qui font le choix de changer de mode de production, que tous les montants sollicités par des entreprises ont été honorés, que le marché biologique est en progression constante et que les agriculteurs suivent la demande sans avoir besoin d'y être plus incités, et enfin que ce sont les consommateurs qui décident, n'en déplaise à certains. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous recommande de refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je me permets une petite rectification d'entrée de jeu: Uniterre soutient naturellement ce projet de loi, ainsi que les paysans bio, Bio Genève.
Il y a à peine deux mois, la population genevoise acceptait haut la main les deux initiatives pour des aliments équitables et pour la souveraineté alimentaire, avec respectivement 64% et 60% de oui. La population genevoise plébiscitait ainsi l'agriculture biologique et de proximité: un signal très clair en faveur de celle-ci, dans le sillon du présent projet de loi.
Nous l'avons entendu durant cette dernière campagne de votation de la bouche de tous les bords politiques - il ne s'agit pas ici de polémiquer: nous voulons une agriculture respectueuse de notre santé, de notre environnement et des animaux. Nous voulons des aliments de proximité, de saison, sans pesticides ni OGM. Nous voulons des revenus équitables et des conditions de travail dignes pour les familles paysannes d'ici et d'ailleurs. Ces propos, on les a entendus durant deux mois - c'était en septembre, en août aussi - de la bouche de nombreux militants.
Ce discours, que naturellement nous partageons, doit s'accompagner d'un cadre légal adapté. On peut combattre les pesticides, soutenir les circuits courts entre consommateurs et consommatrices et producteurs, développer le bio, mais en parallèle, il faut favoriser le terrain des producteurs, c'est-à-dire celui de nos agriculteurs et agricultrices. Ce projet de loi va clairement dans ce sens. Que demande-t-il ? Il veut soutenir les exploitations qui souhaitent - celles qui le souhaitent ! - passer de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique.
Il faut le rappeler, à Genève, sur les 350 exploitations agricoles, seules 10% sont en mode de culture biologique. La situation va évoluer l'année prochaine, mais il y a un énorme retard à rattraper. Alors oui, passer de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique, c'est bien, mais ce n'est pas facile, et c'est précisément pour cette raison que ce projet de loi vient aider les agriculteurs et agricultrices qui souhaitent passer au bio. On le sait, les périodes de transition sont difficiles pour les agriculteurs et ce projet de loi vise à les soutenir dans leur reconversion. Même si un fonds d'aide aux reconversions existe, nous estimons que nous devons les accompagner et renforcer ces aides.
Donnons la réplique aux grands groupes d'intérêts sectoriels puissants comme les industries agrochimiques et agroalimentaires, en soutenant à Genève une agriculture à échelle humaine, sans pesticides, en favorisant les circuits courts, la proximité entre consommateurs et producteurs, les ventes à la ferme sans intermédiaire, où, naturellement, l'érosion des prix n'est pas constatée.
Loin d'opposer un mode de production à un autre et d'ériger l'agriculture biologique contre l'agriculture conventionnelle - je tiens à le préciser et à souligner qu'il ne s'agit pas d'opposer un mode d'agriculture à un autre - il s'agit de proposer d'être soutenus à celles et à ceux qui souhaitent passer au bio. Ce projet de loi s'inscrit pleinement dans la mission de l'Etat. Nous vous encourageons, chères députées, chers députés, à le soutenir, à la suite du signal que la population genevoise nous a envoyé il y a à peine deux mois. Je vous remercie.
Présidence de M. Jean-Marie Voumard, premier vice-président
Mme Salima Moyard (S), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, un projet de loi ancrant le principe de soutien du canton à l'agriculture biologique, voilà ce que nous pouvons voter tout à l'heure. Je reprends ici le rapport de minorité de mon ancienne collègue députée Isabelle Brunier qui avait déposé un rapport très personnel relevant quelques dysfonctionnements intervenus à son sens dans le travail de commission, que je cite brièvement: des prises de position jugées trop politiques de la part de certains représentants du département et une influence très forte - trop forte - des députés connaissant professionnellement la problématique. Je n'y étais pas, bien entendu, mais il est vrai qu'à la lecture du rapport, aux pages 3 et 4, on lit qu'un député fait une très longue intervention politique et de positionnement alors que Mme Klopfenstein Broggini était auditionnée, sans lui poser la moindre question. C'est effectivement peut-être un peu regrettable. Enfin, Mme Brunier relevait que le titre auquel l'un des auditionnés intervenait n'était pas très clair, puisqu'il avait plusieurs casquettes; il est d'ailleurs parmi nous aujourd'hui comme député.
Ce qui est plus important, c'est le fond du sujet. Comme l'a dit la rapporteure de première minorité, bien entendu, ce projet de loi doit être soutenu. D'une part, il ne mange franchement pas beaucoup de pain, il n'est de loin pas révolutionnaire, mais il va dans la bonne direction. D'autre part, il est suffisamment général pour permettre une mise en oeuvre souple par le département. Et puis, il ne fait que remonter un élément réglementaire dans la loi et il est conforme au droit supérieur, à savoir la constitution, comme cela a été démontré en commission. Ainsi, franchement, comment pourrait-il rencontrer la moindre opposition ?
A la lecture du rapport, on voit les vraies raisons de l'opposition de la majorité. Bien sûr, sous couvert d'un soutien général au bio - en 2018, ce n'est pas très politiquement correct d'être contre le bio - on refuse d'inscrire le soutien dans la loi; en filigrane, on retrouve bien sûr la peur d'interférer sur le sacro-saint marché, la peur de toucher la sacro-sainte liberté économique. Pour cela, on est prêt à toutes les pollutions. Non merci, ce n'est pas la vision de l'agriculture qu'a le parti socialiste !
Certes, l'agriculture conventionnelle est régulée par des normes, bien plus qu'avant, et les engrais, pesticides et autres produits phytosanitaires toujours utilisés dans l'agriculture conventionnelle sont mieux contrôlés et en diminution, c'est un fait; mais qu'importe, le passage au bio est pour le parti socialiste une nécessité à moyen terme, car l'agriculture actuelle n'est pas soutenable sur le long terme et la part du bio aujourd'hui, c'est-à-dire 13% des terres cultivées, est bien trop faible. Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de produits bio. Il faut donc encourager les reconversions, mais aussi - même si c'est un thème connexe et non directement lié à ce projet de loi - travailler sur les prix pratiqués par les grandes surfaces, qui se sucrent copieusement sur les prix du bio et font augmenter le prix bien au-delà du surcoût lié à la production. Mais c'est une autre histoire !
Concrètement, les montants actuels versés par le canton sont utiles et nécessaires, mais pas énormes non plus: c'est un maximum par exploitation de 60 000 F sur deux ans, bien moins que dans le canton de Vaud. Ce sont finalement de toutes petites sommes. Il n'est pas question dans ce projet de loi de les augmenter. C'est bien pour cela que je disais que ce texte n'est pas révolutionnaire; simplement, il ancre le principe de ce soutien dans la loi, ce qui, pour le parti socialiste, est une bonne chose.
En conclusion, au nom du parti socialiste, je vous invite à entrer en matière sur ce projet de loi raisonnable et symbolique mais optimiste quant à l'avenir de notre agriculture genevoise. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Delphine Bachmann (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, une majorité du PDC soutiendra ce projet de loi qui vise à mieux encourager l'agriculture biologique. En effet, on constate actuellement qu'une reconversion vers l'agriculture bio exige une mise aux normes durant plusieurs années avant que l'exploitation soit reconnue bio et rémunérée comme telle. Plutôt que de fixer un forfait avec un plafond, ce projet de loi permettrait notamment de compenser la perte réelle engendrée par le surplus de travail durant les deux premières années, alors que la vente des produits ne peut pas encore être labellisée bio et donc rémunérée au juste prix.
Nous souhaitons simplement attirer l'attention sur le fait que nous ne devons à aucun prix opposer l'agriculture biologique aux autres modes de production. Nous aimerions éviter que les aides financières apportées par l'Etat ne soutiennent davantage le bio que l'agriculture conventionnelle. Cela signifiera peut-être une enveloppe globale plus importante, mais nécessaire pour encourager une agriculture de proximité qui réponde aux besoins de la population, notamment celui d'avoir des produits bio genevois et non européens, ou pire, d'encore plus loin, qui au final ne respectent pas les normes suisses - bien plus strictes que celles d'ailleurs - et qui constituent un non-sens en tout cas aux yeux de la population genevoise qui a plébiscité récemment les deux initiatives sur la souveraineté alimentaire. Pour toutes ces raisons, dans sa majorité, le PDC acceptera ce projet de loi et vous invite à faire de même. Merci.
M. Jean Burgermeister (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai parlé il y a quelques semaines dans ce parlement de la disparition de 30% des oiseaux dans les campagnes suisses et genevoise: je m'étais trompé, une nouvelle étude est sortie, ce sont 40% des oiseaux qui ont disparu des zones agricoles en Suisse. Les scientifiques ont pointé du doigt le fait que l'agriculture intensive cause cette disparition; non pas seulement les pesticides - un sujet que nous aurons l'occasion de traiter tout à l'heure - mais aussi l'engraissement et l'épuisement des sols, la multiplication des fauches, etc. Cette disparition massive, cet écroulement du nombre et de la diversité des oiseaux dans les campagnes ne vient pas de nulle part: ils sont le résultat de la diminution du nombre d'insectes, qui elle-même est le symptôme de la disparition de beaucoup d'espèces de plantes en bordure des champs.
Il y a donc réellement une urgence du point de vue de la lutte pour la protection de l'environnement; une urgence à accélérer le basculement vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement. C'est le sens de ce projet de loi qu'Ensemble à Gauche naturellement soutient. D'autant plus que ce basculement - la rapporteure de première minorité l'a dit - répond aussi aux exigences d'une grande majorité de la population genevoise, qui l'a exprimé clairement lors des votations sur la souveraineté alimentaire et pour des aliments équitables.
La majorité de la commission a raison, et le rapporteur de majorité a raison de le rappeler, il y a des efforts, des éléments sont mis en place par l'Etat pour aider les paysannes et paysans qui souhaitent se reconvertir en bio; mais on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, le chiffre de 10% d'exploitations bio ne doit en aucune manière nous satisfaire, il est important d'accélérer ce processus de reconversion. Et puis il y a des améliorations possibles, pas uniquement financières d'ailleurs - ça plaira sans doute à la droite: on peut pratiquer des aménagements administratifs qui permettraient à des agriculteurs, notamment celles et ceux qui ont beaucoup de terrain en France, de se tourner vers le bio.
Finalement, c'est surtout l'opposition de la majorité en commission qui nous renforce dans l'idée que ce projet de loi est important et qu'il est important de renforcer les dispositions légales en faveur de l'agriculture biologique, car qu'entend-on comme arguments contre ce texte ? On nous dit qu'il correspond aux pratiques actuelles de l'Etat de Genève. Mais alors, justement, Mesdames et Messieurs les députés, c'est une raison supplémentaire pour le voter ! Que la loi soit conforme à la pratique, personne ne peut s'en offusquer ! Si la majorité en commission s'y oppose, c'est bien qu'elle continue à défendre une agriculture intensive et qu'elle a un certain nombre de réticences envers l'agriculture biologique. C'est pourquoi Ensemble à Gauche soutiendra fermement ce projet de loi. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Hulliger (UDC), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi demande que soit ajouté ceci dans la loi sur la promotion de l'agriculture: «Sont en particulier favorisées les reconversions d'exploitations à l'agriculture biologique.» Nous sommes clairement dans un sujet à la mode où tout le monde intervient sans forcément connaître suffisamment la matière. Nous entrons malheureusement dans des discussions manichéennes, et le bio devient une véritable religion: vous faites du bio ? Vous êtes un juste qui veut le bien. Vous n'avez pas le label bio ? Vous êtes un pollueur inconscient.
Les choses ne sont pas si simples. D'abord, toutes les entreprises agricoles du canton travaillent dans le respect des PER, les prestations écologiques requises. Les différences entre culture traditionnelle et culture dite bio s'estompent; bien des produits semblables sont utilisés par tous les paysans. La différence qui se veut fondamentale est que le bio n'utilise pas de produits de synthèse, ce qui est fort discutable: les produits bio sont proposés par les grandes entreprises chimiques et les intrants comme le cuivre et le soufre sont largement transformés. La culture bio présente aussi son revers de médaille: les produits sont peu rémanents, et en cas de fortes précipitations, les traitements sont répétés, avec un tassement des sols problématique. D'ailleurs, un grand domaine viticole du Bordelais vient de quitter le bio suite à ces constatations. Une saine complémentarité entre différents systèmes de culture, tirant le positif de chacun, devrait être la règle. Beaucoup de paysans genevois adoptent cette position pragmatique proche du bio, mais sans label, pour laisser la porte ouverte à d'autres interventions en année climatique difficile. La science agricole n'est pas une religion. Si des agriculteurs veulent obtenir un label bio, qu'ils le fassent par conviction et en étant conscients qu'ils ne détiennent pas la vérité absolue en ce qui concerne l'environnement.
Le bio n'est pas si bien défini: il y a une trentaine de labels sur le marché, avec des cahiers des charges qui peuvent présenter des différences étonnantes. Il faut garder l'esprit ouvert sur la diversité des méthodes de culture, ce que les producteurs bio commencent aussi à réaliser, suite à la propagation du virus Gumboro dans les élevages de poulets. Ils viennent d'autoriser l'utilisation du seul vaccin efficace, le Vaxxitek, qui est - ô horreur ! - un OGM.
Mesdames et Messieurs, ce sont tous vos paysans de proximité, qui entretiennent une magnifique région, qui méritent d'être soutenus. L'UDC refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi et vous demande de faire de même. Merci de votre attention.
Une voix. Très bien, Patrick !
Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, quelle joie d'entendre que les mentalités ont changé ! Quelle joie d'entendre que la majorité des agriculteurs et agricultrices tendent vers des productions respectueuses de l'environnement ! Lorsque j'étais enfant, passer à une agriculture biologique était perçu comme une idée folle, ceux qui s'y essayaient s'entendaient traiter d'idéalistes, de fous en Birkenstock, nombreux étaient ceux qui leur prédisaient bien des débâcles et un avenir peu reluisant. Ils se sont trompés, heureusement, Mesdames et Messieurs. C'étaient les prémices du Bourgeon Bio Suisse.
Quarante ans plus tard, la Suisse compte près de 6400 exploitations biologiques, et leur nombre continue d'augmenter. Malheureusement, dans le canton de Genève, nous sommes encore très loin d'une forte production biologique. Ce projet vise simplement à ancrer dans la loi un principe déjà en vigueur dans la pratique réglementaire. Et cela est nécessaire, même si on cherche à nous faire croire que le règlement suffit: il est nécessaire de soutenir le développement d'une agriculture respectueuse de l'environnement, qui fait sens aujourd'hui plus que jamais, et d'ancrer ce soutien dans la loi.
Passer à l'agriculture biologique, c'est, encore aujourd'hui, comme par le passé, prendre des risques: c'est risquer de ne pas trouver tout de suite la bonne manière de protéger ses récoltes, risquer de devoir apprendre sur le tas de nouvelles pratiques, de se distancer des fonctionnements connus, de se remettre en question, de devoir trouver des solutions créatives pour écouler les produits et ouvrir de nouveaux marchés. Et prendre des risques, Mesdames et Messieurs, cela demande du courage.
Il est mentionné dans le rapport, et on l'a entendu dans la bouche de mon préopinant, que «les producteurs qui se lancent en culture biologique doivent le faire par conviction». Mais se tourner vers l'agriculture biologique n'est ni une idéologie ni un sacerdoce, c'est prendre à bras-le-corps les enjeux environnementaux et miser sur un système écologiquement, socialement et économiquement durable, qui doit être soutenu. Faisons donc aujourd'hui le pas d'ajouter dans la loi ce soutien à l'agriculture biologique et de soutenir le courage de ceux qui veulent prendre le risque d'un retour vers le futur. Le groupe socialiste soutiendra ce texte. (Applaudissements.)
Mme Céline Zuber-Roy (PLR). La question qui se pose n'est pas de savoir si on soutient ou non l'agriculture biologique: évidemment, celle-ci présente des avantages; la question est de savoir si on soutient la modification proposée de la loi sur la promotion de l'agriculture. La loi actuelle est déjà claire: elle permet de soutenir des reconversions. L'objectif que l'Etat doit poursuivre est clairement indiqué: il s'agit de respecter l'environnement. Il y a plusieurs moyens pour cela, et ce n'est pas seulement à travers un label particulier, le label bio, qu'il est possible de le faire. Cette modification vise à soutenir un label principalement, sans tenir compte des réalités du marché. En effet, les agriculteurs vivent d'abord de leur production et sont aidés par des subventions. S'il y a une surproduction de bio, ils ne pourront plus vendre: il faut donc d'abord s'occuper d'assurer que les consommateurs veuillent acheter du bio au prix où il est avant d'inciter une surproduction; sinon, on se retrouvera avec des invendus, ce qui n'est à l'avantage de personne.
Ensuite, ce projet de loi ne tient absolument pas compte du fait que certains agriculteurs ne peuvent pas passer au label bio. En effet, les producteurs qui pratiquent la polyculture, par exemple, ne peuvent pas faire passer l'ensemble de leur production sous ce label. Ils seraient donc privés de cette aide, alors qu'ils font peut-être des efforts en faveur de l'environnement.
En conclusion, le groupe PLR vous invite à refuser cette modification. Certes, l'objectif est louable, mais à notre sens, le moyen est contre-productif. La loi suffit pour protéger l'environnement. Nous pensons qu'il faut laisser la marge de manoeuvre au département pour qu'il accomplisse la mission qui est la sienne. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Le peuple s'est prononcé à plusieurs reprises, en particulier très récemment, sur la souveraineté alimentaire: ce n'étaient pas seulement quelques petits pourcents, c'était au-delà de soixante. Le message est donc extrêmement clair. Quand j'entends tant d'arguments qui sont plutôt des pinaillages d'opposants un peu attardés que de vrais raisonnements, je me dis - et nous nous disons - qu'il est temps de passer le pas. Mais passer le pas, ça veut dire qu'on ait une vision globale de la question à laquelle on a envie de s'attaquer. Celle-ci ne touche pas seulement l'agriculture: elle touche l'environnement d'une manière générale, elle touche la faune d'une manière assez sérieuse, puisqu'on sait que depuis une dizaine d'années, des espèces d'oiseaux ont disparu et d'autres, pourtant extrêmement courantes sous nos latitudes, ont diminué de 40%, que les insectes, qui sont certainement les meilleurs alliés des agriculteurs pour faire des cultures biologiques, ont été décimés par la chimie. Je pars donc de l'idée qu'il faut sérieusement prendre cette problématique en main.
Vu les imperfections soulignées ici et là, la logique voudrait que ce projet de loi soit renvoyé en commission. Mais nous, MCG, ne souhaitons pas faire cette proposition: elle appartient à ceux qui ont créé et soutenu ce projet de loi. Des questions doivent être reprises, approfondies. Selon nous, ce serait donc la bonne solution, mais encore une fois, ce n'est pas une demande du groupe MCG, c'est de la pure logique. Notre groupe optera soit pour l'abstention, soit pour le refus.
Mme Isabelle Pasquier (Ve). Chers collègues, on l'a déjà dit, ce projet de loi propose d'ajouter une précision dans la loi sur la promotion de l'agriculture. Cette précision est peu contraignante, mais elle donne un signal qui va dans le sens de ce que les citoyens et les consommateurs genevois demandent. Comme rappelé, récemment, la population genevoise a voté deux fois oui, de manière très claire, à des objets liés à la souveraineté alimentaire. D'autres initiatives arrivent, nous voterons déjà ce week-end sur un projet. Toutes ces initiatives viennent de la population. Elles demandent une extensification, une écologisation de la production.
Cela a été dit, la production en agriculture biologique augmente: oui, mais la demande également. Le marché des produits biologiques augmente de manière constante. Il est à plus de 1,7 milliard à l'heure actuelle. Les consommatrices et les consommateurs souhaitent acheter des produits locaux, ils sont prêts à payer plus cher pour cela; mais ils ne devraient pas avoir à choisir entre privilégier des produits locaux, GRTA, ou des produits bio, ce qui est quand même souvent le cas, malheureusement.
On a déjà parlé aussi de la détérioration de notre environnement. Un tiers des espèces est en danger, la moitié des milieux naturels est menacée, la diversité génétique diminue. L'OFEV indique que les efforts consentis jusqu'à maintenant sont insuffisants. Je sais que les familles paysannes sont bien plus que nous en contact avec cette détérioration et qu'elles déplorent et craignent aussi ces changements.
La loi sur la promotion de l'agriculture a été adoptée il y a quatorze ans. Elle a été rédigée avec la volonté d'améliorer la souveraineté alimentaire à Genève, d'améliorer les bases de la production; elle a permis de développer une véritable politique cantonale de l'agriculture, qui est normalement une prérogative plutôt fédérale. Elle a créé le label GRTA dans le but de rapprocher les familles paysannes et les familles consommatrices. Actuellement, 250 producteurs sont affiliés à ce label. Qu'en est-il du bio ? J'aimerais juste préciser une chose. Le bio, bien sûr, ce sont des labels; mais pas seulement: c'est aussi une ordonnance sur l'agriculture biologique qui définit un mode de production. Cette ordonnance a été adoptée il y a vingt ans. Alors qu'en quatorze ans, 250 familles ont adopté le label GRTA, en vingt ans, seulement 30 producteurs genevois se sont convertis à l'agriculture biologique. Il y a donc franchement une marge de progression. Il ne s'agit pas d'opposer les différentes pratiques et types de production agricoles, mais de donner un signal clair pour l'encouragement du bio. Nous voulons donner ce signal aujourd'hui. (Applaudissements.)
Mme Claude Bocquet (PDC). Messieurs les députés, Mesdames les députées, j'aimerais juste remettre les pendules à l'heure en ce qui concerne la disparition des oiseaux. J'ai entendu deux députés en parler et dire qu'on ne fait rien. J'aimerais qu'ils se renseignent un peu, j'aimerais qu'on arrête d'extrapoler à la Suisse ce qui se passe au niveau européen et de modifier des lois genevoises, alors qu'à Genève, le travail se fait. Si vous lisez le rapport de M. Longet sur la biodiversité, vous verrez qu'il a encore remercié les agriculteurs d'avoir mis en place avec l'Etat tout un dispositif pour améliorer celle-ci. Renseignez-vous quand même avant de parler ! C'est une attaque frontale contre les agriculteurs qui fournissent un gros travail, et c'est vraiment désagréable. Je suis agricultrice à la retraite, disons, et franchement, c'est désagréable d'être toujours attaqué alors qu'un énorme travail est fait ! Genève est le seul canton qui a de nouveau des oiseaux qui avaient disparu et qui reviennent. Merci d'en tenir compte. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Philippe Poget (Ve). J'aimerais demander le vote nominal sur ce projet de loi.
Le président. Etes-vous soutenu ? (Des mains se lèvent.) Vous l'êtes. Nous continuons le débat. Je passe la parole à M. Burgermeister Jean pour quarante-deux secondes.
M. Jean Burgermeister (EAG). C'est court ! Merci, Monsieur le président. Je voulais intervenir pour dire qu'il ne me semble pas avoir attaqué qui que ce soit dans ce parlement. Je soulevais simplement l'ampleur du problème, qui nécessite que nous prenions des mesures fortes. En l'occurrence, il s'agit encore d'une mesure insuffisante, puisqu'elle est très largement symbolique. Je soulignais que face à l'ampleur de la crise environnementale, il nous faut prendre nos responsabilités. Ça commence en votant ce texte, parce que, Mesdames et Messieurs les députés, encourager et renforcer l'agriculture biologique est une nécessité cruciale pour les années à venir. Je suis désolé si ça a touché quelqu'un. Ce n'est ni une attaque personnelle ni une attaque envers quelque paysanne ou paysan que ce soit. Cette disparition est un fait, je suis désolé. Il faut accélérer dans cette direction, nous n'avons pas d'autre solution. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). La majorité attend tout de la loi du marché: pour elle, le consommateur doit librement choisir entre bio et non bio. Je suis navré de la contredire, voire de l'attrister, c'est l'habituelle vision d'épicier, la vision libérale épicière dans laquelle le sacro-saint marché fait tout. Pourtant, le consommateur ne sait pas que nous avons à disposition des dizaines de variétés de fruits et de légumes résistants aux maladies mais qui ne sont pas cultivés pour le marché. Le consommateur ne le sait pas car il ne les trouve pas sur le marché. Le consommateur ne sait pas que l'agriculture biologique est aussi rentable que l'agriculture non pas conventionnelle mais chimiquement assistée. Cette agriculture chimiquement assistée, elle n'est concurrentielle que pour des raisons de marché; le prix des produits chimiques ne couvre pas les dégâts causés par ces produits. Nous devons aider les agriculteurs, qui sont, eux, les premiers concernés par la reconversion vers l'agriculture biologique - et ils sont surtout les premiers convaincus de la dangerosité des produits qu'ils utilisent. C'est ce que ce projet de loi demande. Merci de le voter. (Applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). En deux secondes, je répondrai à ma préopinante, Mme Bocquet, je crois: je l'invite à prendre connaissance de plusieurs émissions de la RTS sur ce sujet. Je l'invite aussi à s'abonner à la revue «La Salamandre», où elle apprendra que ce ne sont pas seulement des rumeurs de presse, mais des statistiques. La majorité des espèces en voie de disparition sur notre territoire le sont à cause de la chimie et pas d'autre chose.
M. Georges Vuillod (PLR), rapporteur de majorité. J'entends bien le rappel du résultat des derniers votes populaires. Mais la réalité est claire: seulement 12% de la consommation va actuellement aux produits biologiques. Ce sont les chiffres de l'économie, ils ne sont pas contestables, c'est la réalité. Rien que pour cette raison, il serait extrêmement dommageable et dangereux d'augmenter l'offre, sans que la demande existe.
Concernant les canaux de vente, ce projet de loi n'en traite pas. Bien évidemment, on pourrait largement développer des canaux de vente alternatifs. Mais je tiens à relever que les grandes surfaces, qui sont quand même les clientes principales des agriculteurs, acceptent de vendre des produits issus de la reconversion biologique, ce qui est une forme de soutien très important aux entreprises qui font le choix de passer en mode de culture biologique.
Quant aux oiseaux, la députée Bocquet l'a dit, il faudrait regarder ce que les dernières études ont démontré: effectivement, on observe une perte forte et préoccupante en Europe. Mais Genève a agi en partenariat avec les agriculteurs depuis de nombreuses années pour lutter contre ce phénomène et rencontre actuellement de grands succès. Je vous remercie.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Je voulais ajouter quelque chose au débat. On entend beaucoup de la part de la gauche et des Verts qu'ils veulent protéger la nature, ce dont je les remercie: c'est important d'avoir un environnement sain. Mais ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que... On est en train de parler de beaucoup de sujets différents. A l'UDC, nous nous sommes battus pour ne pas avoir une Genève à 100 000 habitants de plus. On est en train de parler de petits détails agricoles, mais imaginez ce que ce sera avec 100 000 habitants de plus d'ici quinze à vingt ans ! On sera sous une pollution tant chimique qu'autre qui sera bien pire. C'est là que je n'arrive pas très bien à comprendre: on avance et on recule en même temps. J'espère qu'on arrivera à se mettre d'accord un jour sur la Genève qu'on veut: une Genève de qualité, ou, finalement, rien qu'une mégalopole bien polluée comme toutes celles du reste du monde.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve), rapporteuse de première minorité. Loin d'être un petit détail, évidemment que l'agriculture biologique est l'agriculture de demain. Nous ne sommes pas seuls à le dire, ce n'est pas une question de bord politique: les consommateurs et consommatrices sont les premiers à le dire. L'augmentation de la demande de produits bio est notoire.
Le plan biodiversité, qui est positif, montre à quel point on se situe dans le trend. Ce projet de loi est clairement dans une tendance actuelle. Je me réjouis d'entendre le PLR dire que ce texte n'est peut-être pas complet, qu'il faudrait aussi parler d'autres types d'agriculture: je me réjouis que d'autres textes arrivent pour compléter celui-ci. En effet, il représente un pas - non un pas de géant, mais un pas tout de même. Comme précisément il n'est pas si ambitieux, il pourrait largement faire la majorité dans ce parlement. Nous demandons simplement un coup de main à tous les agriculteurs et agricultrices qui souhaitent passer du conventionnel au bio. A Genève...
Le président. Votre temps de parole est terminé, Madame Klopfenstein !
Mme Delphine Klopfenstein Broggini. ...on est en retard: 10% de nos exploitations sont bio. Il y a du chemin à faire. Je vous remercie de soutenir ce projet de loi. (Quelques applaudissements.)
Mme Patricia Bidaux (PDC). Je ne parlerai pas d'émissions de télévision ou d'articles de journaux, mais de la pratique. Etant moi-même paysanne et ayant fait le cours de reconversion bio, je peux vous annoncer que la reconversion concerne aussi les grandes cultures, on ne parle pas que du maraîchage ou des fruits. La betterave sucrière cultivée en mode que vous appelez traditionnel est payée 350 F la tonne; en mode bio, même en période de reconversion, elle est payée 850 F la tonne. Je n'ai rien à rajouter, merci.
Le président. Merci. Personne ne demandant plus la parole, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12168 est adopté en premier débat par 56 oui contre 30 non et 1 abstention (vote nominal).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 1 (souligné) et l'art. 2 (souligné).
Le président. Nous pouvons passer au troisième débat... (Commentaires.) Mme Zuber-Roy demande la parole.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR). Merci, Monsieur le président. Je demande le renvoi en commission. (Protestations.)
Le président. Merci. Les rapporteurs ont-ils quelque chose à dire ? Madame Klopfenstein Broggini ?
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. C'est une très mauvaise idée ! Nous avons travaillé le texte en commission, nous avons fait des auditions. Le projet de loi est complet, il demande un soutien aux reconversions, il n'y a rien à ajouter. Par contre, j'invite chaleureusement le PLR à faire des projets complémentaires, que je me réjouis de voir ! Par pitié, ne renvoyez pas ce projet de loi en commission, votez-le aujourd'hui ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Salima Moyard (S), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Il est en effet parfaitement inutile de renvoyer ce projet de loi en commission. Ces manoeuvres dilatoires de la part d'un certain bord de ce parlement commencent à devenir une habitude. L'expression démocratique peut avoir lieu également quand elle ne convient pas à cette majorité qui peut-être, je l'espère, va devenir une minorité afin que nous donnions un signal fort en faveur de l'agriculture biologique. Je vous remercie d'aller jusqu'au bout et de voter le troisième débat ce soir. (Quelques applaudissements.)
M. Georges Vuillod (PLR), rapporteur de majorité. On pourrait en effet se poser la question du renvoi en commission: quand j'entends mes préopinantes dire que le sujet est traité de manière incomplète, ce serait peut-être l'occasion justement de le traiter de manière complète et d'ajouter ce qui manque. (Exclamations. Rire.) Mais ce sera votre choix ! Je vous remercie. (Rires. Commentaires.)
Une voix. Tu nous tends la perche !
Le président. Merci. Nous passons au vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12168 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejeté par 49 non contre 41 oui et 2 abstentions.
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12168 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 49 oui contre 39 non et 6 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)