République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 835-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier la proposition de résolution de Mmes et MM. Frédérique Perler, Sophie Forster Carbonnier, Delphine Klopfenstein Broggini, Mathias Buschbeck, Boris Calame, Emilie Flamand-Lew, Olivier Baud, Bertrand Buchs, Sarah Klopmann, Guillaume Käser, Christian Frey, Claire Martenot, Jocelyne Haller, Delphine Bachmann, Anne Marie von Arx-Vernon, Geneviève Arnold, Vincent Maitre, Christian Zaugg, Jean-Marc Guinchard : La détention administrative d'enfants doit cesser ! (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 24 et 25 mai 2018.
Rapport de Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC)

Débat

Le président. Notre objet suivant est classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de Mme la députée Anne Marie von Arx-Vernon qui s'assoit et à qui je passe immédiatement la parole.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution a eu pour avantage de permettre d'approfondir des travaux sur ce thème qui en inquiétait beaucoup et qui peut effectivement être problématique si l'on imagine un seul instant qu'il y ait une détention administrative d'enfants à Genève. Les travaux de la commission ont permis d'évoquer des réalités qui font que, non, il n'y a pas d'enfants ou de mineurs détenus de manière administrative à Genève ! Lors des travaux et du partage d'informations, c'était très intéressant de voir qu'au sein de la commission, il y avait finalement très peu de divergences, si ce n'est sur la forme, parce que certains commissaires étaient persuadés que les résolutions genevoises envoyées à l'Assemblée fédérale sont au mieux accueillies avec condescendance puis oubliées, au pire considérées comme arrogantes puis rejetées. Nous, la majorité de cette commission, nous sommes persuadés qu'il y a un intérêt à renvoyer cette résolution au Conseil d'Etat, non pas pour l'accabler, mais au contraire pour qu'il nous explique encore mieux qu'il n'y a effectivement aucun risque à Genève que des enfants soient retenus de manière administrative; cela doit être entendu ensuite à Berne. Au nom de la commission, je vous remercie d'accepter de renvoyer au Conseil d'Etat cette résolution.

Mme Frédérique Perler (Ve). Quelques mots pour rebondir sur ce que vient de nous exposer la rapporteure de majorité. Effectivement, la commission a approuvé le renvoi de cette résolution au Conseil d'Etat. Il s'agissait de divergences plutôt sur la forme que sur le fond. J'en profite pour faire observer ici à ceux qui divergent sur la forme que la commission de gestion du Conseil national a justement publié en juin dernier un rapport qui relève à ce niveau une grande gabegie dans le traitement des données; le Conseil fédéral est prié d'y mettre de l'ordre. Ce rapport souligne de plus que la détention administrative est une grave atteinte aux droits fondamentaux et à la liberté des personnes concernées; dans le cas de mineurs, un problème de légalité peut être posé. Cette commission ajoute qu'il existe une trop grande divergence de pratiques entre les cantons et qu'il s'agit donc de trouver une harmonisation.

J'en profite aussi pour rappeler qu'un texte émanant de Mme la conseillère nationale Mazzone est actuellement en traitement sur le même sujet et que toute approbation des cantons est la bienvenue, avec le rapport qui vient d'être déposé par ce Grand Conseil, pour donner cette fois-ci un signal extrêmement positif à l'Assemblée fédérale - et non pas donner des leçons. Cette résolution a donc toute sa pertinence et montrera que si Genève arrive à le faire, d'autres cantons le pourraient aussi.

M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, le groupe PLR vous encourage vivement à refuser le renvoi de cette résolution à l'Assemblée fédérale pour deux raisons. Premièrement, on l'a déjà dit très clairement, les Chambres fédérales et le Conseil fédéral sont déjà saisis de cet objet et ne nous ont pas attendus pour considérer que des actions devaient être menées pour faire en sorte que les détentions administratives de mineurs cessent dans tous les cantons. Deuxièmement, Genève est un bon élève en la matière, puisqu'il n'y a aucun mineur détenu sur notre territoire; de quel droit est-ce que nous irions, nous, donner des leçons sur ce point à d'autres cantons ? Est-ce que nous apprécierions que d'autres viennent nous donner des leçons ? Je pense que les cantons doivent garder leur souveraineté.

Autre argument: si, effectivement, il s'agit de faire en sorte que chaque canton renonce à la détention administrative de mineurs, cela doit constituer un travail interne propre à chaque canton - qui s'assimilera ensuite à un travail de mémoire - et, pour qu'on atteigne ce but de manière sereine et équilibrée, cela suppose qu'il n'y ait aucune pression extérieure d'aucun donneur de leçon, rôle que certains ici voudraient avoir avec ce texte. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, je vous invite à le refuser.

Mme Xhevrie Osmani (S). Monsieur le président, je ne vais pas répéter tous les éléments soulevés dans ce rapport, notamment ceux qui ont trait aux dommages psychologiques et aux troubles de la santé importants que peuvent subir des mineurs qui se retrouvent en détention administrative. Je voudrais plutôt reprendre un argument cité par la députée des Verts, à savoir ce rapport de la commission de gestion du Conseil national: on sait qu'en vertu du principe de proportionnalité, la détention doit être appropriée, nécessaire et raisonnablement exigible. C'est dire donc qu'elle n'est pas interdite, mais qu'elle doit répondre à des principes de proportionnalité stricts. L'état des lieux nous a montré qu'à ce jour un nombre de deux cents mineurs a fait l'objet d'une détention administrative et que plus de la moitié d'entre eux n'avait pas l'âge légal requis, à savoir quinze ans. C'est plutôt dramatique et cela ne respecte pas la loi. Pour rappel, la détention de personnes mineures pose problème pour diverses raisons, à savoir que la Convention relative aux droits de l'enfant prévoit explicitement la privation de liberté pour un enfant uniquement en dernier ressort. Dans le cas contraire, cette privation doit être aussi brève que possible. Ces dispositions ont été reprises dans les directives de l'Union européenne, lesquelles valent pour la Suisse au titre du développement de l'acquis de Schengen.

Il a souvent été invoqué que la détention de mineurs accompagnés se justifie en raison du bien-être de l'enfant, mais là aussi, le rapport souligne que des conditions plus strictes doivent être appliquées au principe de proportionnalité de la détention. Pourquoi ? Parce que l'on constate tout simplement qu'avant l'étape du «dernier ressort», les cantons peuvent par exemple tout simplement déployer plus d'efforts pour mettre en place des espaces d'accueil provisoires plus réconfortants et certainement moins sévères plutôt que de privilégier les espaces de détention qui ne respectent pas le principe de légalité.

Il ressort de ces quelques déclarations qu'à ce jour, le dialogue engagé avec les cantons par le Secrétariat d'Etat aux migrations n'a pas permis d'harmoniser les pratiques cantonales. Je ne dirai pas juste qu'il s'agit de différentes pratiques cantonales, mais il y a une vraie différence dans la conception et l'interprétation de la détention administrative dans les cantons en Suisse alors que la pratique cantonale - de tous cantons - est subordonnée au droit fédéral en la matière. Je signale qu'il est certainement dramatique que des mineurs accompagnés de moins de quinze ans aient pu faire l'objet de détentions administratives pendant la période indiquée. La plupart des détentions de mineurs, tous cas confondus, ont été reconnues comme partiellement opportunes.

Alors que faire quand une norme n'est que peu scrupuleusement justifiée quand elle est utilisée - et qu'en plus elle est utilisée à mauvais escient ? Cette résolution tombe plutôt bien ! Par conséquent, le groupe socialiste vous invite à l'accepter. Merci !

M. François Baertschi (MCG). Ce problème ne concerne pas Genève, il concerne d'autres cantons. Est-ce que c'est au Grand Conseil du canton de Genève de donner des leçons aux autres cantons, mais aussi de donner des leçons au Conseil national ? Je vous rappelle que nous avons des représentants au Conseil national et au Conseil des Etats: ils peuvent eux aussi intervenir par voie directe. De toute manière, si nous soutenons cette résolution, elle va finir à la corbeille. Donc, nous vous proposons tout simplement de la refuser.

M. Patrick Lussi (UDC). Difficile de s'exprimer car, cette fois-ci, on a bien une résolution qui vise notre sensiblerie, nos âmes sensibles. Comment est-il possible qu'on puisse incarcérer des enfants ? Mesdames et Messieurs les députés, le message est trompeur parce que ce n'est pas ce qui se passe à Genève. Est-ce que ça se passe dans d'autres cantons ? Quand on voit actuellement les moyens des médias, on en a parlé tout à l'heure, pour dénoncer des situations scandaleuses, ça ne se fait pas ! Mesdames et Messieurs les députés, oui, il y a eu un problème, on en parle souvent. Des établissements ont d'ailleurs été mis en place et un effort particulier est fait avec ces enfants migrants qui viennent sans papiers - oui ! Est-ce que le fait de voter cette résolution va écarter le problème d'un revers de la main ? Non, le problème existe, il faut le régler et on peut dire qu'à ce jour, le Conseil d'Etat et les institutions ont pris ça à coeur et font le maximum possible pour rendre cette situation tolérable et supportable. C'est la raison pour laquelle l'Union démocratique du centre vous demande de rejeter cette résolution.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, la question de l'accueil et des leçons données aux uns et aux autres est manifestement à géométrie variable, dans cette enceinte. Je vous proposerai donc d'éviter de nous appesantir sur cet argument parce que finalement, il est vain. Le Conseil d'Etat n'est pas favorable à la détention administrative des mineurs et c'est une excellente chose dont nous ne pouvons que nous réjouir. Cela étant, le fait que nous ne soyons pas aujourd'hui en mesure d'être incriminés sur cet aspect-là ne nous positionne pas encore comme les champions du respect et de la défense des droits des migrants.

Quant à savoir si nous avons quelque chose à dire aux autres cantons ou à la Confédération, le groupe Ensemble à Gauche pense que oui ! Le fédéralisme n'est pas un exercice facile, mais la Confédération n'est pas qu'une addition de cantons; c'est aussi une entité, une entité dans laquelle il convient de défendre un certain nombre de principes importants et qui doivent guider l'action de la Confédération. En l'occurrence, nous voulons signifier un message très clair aux cantons qui, aujourd'hui, pratiquent encore la détention administrative des mineurs: nous les invitons à renoncer à cette pratique - parce qu'elle est indigne, parce qu'elle ne correspond pas aux valeurs que nous défendons et parce qu'elle ne correspond pas non plus au respect des droits humains ! A ce titre, nous estimons que nous sommes habilités à appeler les autres cantons - mais aussi la Confédération - à veiller à ce que de telles pratiques soient proscrites dans notre pays ! Je vous remercie de votre attention.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote.

Mise aux voix, la résolution 835 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat et à l'Assemblée fédérale par 49 oui contre 43 non.

Résolution 835