République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 12 octobre 2018 à 18h
2e législature - 1re année - 4e session - 27e séance
M 2391-A
Débat
Le président. Nous passons à la M 2391-A que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de M. André Python - qui voudra bien gagner l'estrade - et celui de minorité de M. Christian Zaugg, remplacé par M. Pierre Bayenet. Je donne immédiatement la parole à M. Python.
M. André Python (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Cette motion est intéressante, mais pour les prisons comme pour les EMS et les hôpitaux, la question de l'approvisionnement reste essentiellement liée aux coûts. Si on suit ce texte, il faudrait interdire tous les produits exotiques, c'est-à-dire les poissons, fruits et légumes qui viennent de loin. Les détenus ne se soucient pas de la provenance des aliments, pourvu qu'ils soient bons, notamment la viande. D'ailleurs, une majorité de la population achète la nourriture en regardant le prix, en choisissant toujours le moins cher, les gens n'hésitent pas à prendre du poulet de Chine ou d'autres produits venant d'ailleurs. Cette motion est inutile, et nous proposons de la refuser. Je vous remercie.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de minorité ad interim. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion n'est pas du tout anecdotique, même si elle peut en donner l'impression à première vue; en réalité, elle aborde un problème fondamental qui n'est pas que local, mais de portée globale. Peut-être que certains parmi vous ont vu un film sorti en 2005 intitulé «We Feed The World», «Le Marché de la faim». Ce documentaire comprend de larges interventions de M. Jean Ziegler, alors rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, qui évoque les difficultés auxquelles font face les peuples des pays exportateurs de nourriture, ces mêmes pays où il y a le plus de problèmes de faim.
Ce qui m'a particulièrement frappé, c'est l'exemple du Brésil, qui est d'ailleurs concerné par cette motion, puisque le poulet consommé à la prison de Champ-Dollon vient de là-bas. Le film montre très bien comment, au Brésil, on détruit la forêt vierge primaire afin de produire du soja utilisé pour faire grandir des poulets dont le blanc est ensuite exporté en Europe et en Suisse et finit dans nos assiettes. Parallèlement à l'exportation massive de nourriture et de protéines issues de la destruction de la forêt vierge, des enfants brésiliens ne mangent pas à leur faim, parce que c'est justement cette forêt vierge qui leur apportait la subsistance.
Je me souviens notamment d'une scène dans laquelle une mère explique que pour aider ses enfants à s'endormir le ventre vide, elle fait bouillir une casserole d'eau et leur dit: «Je suis en train de préparer une soupe, elle sera bientôt prête.» Elle fait bouillir l'eau jusqu'à ce que ses enfants s'endorment, c'est la seule manière de calmer leur angoisse d'aller au lit sans manger. Je vous invite à regarder ce film dont je répète le titre: «We Feed The World».
Cela vous semble peut-être un peu décalé, mais c'est en lien direct, c'est bien de ça qu'on parle aujourd'hui dans cette motion: on parle de l'absurdité de faire venir de la nourriture de pays qui en manquent juste pour économiser quelques francs par jour sur les plats qu'on sert à nos prisonniers; en plus, ces aliments sont de moins bonne qualité. Alors je vous en prie, Mesdames et Messieurs les députés, pensez aux conséquences globales de nos petits actes locaux.
L'Etat de Genève doit montrer l'exemple; c'est bien joli de créer un label Genève Région-Terre Avenir, si c'est pour acheter finalement du poulet brésilien... Mieux vaudrait commencer par choisir du poulet suisse pour les détenus, quitte à laisser tomber ce label ! Non, bien sûr, il ne faut pas le laisser tomber, mais enfin, soyons cohérents: on ne peut pas prétendre promouvoir le local d'une part et acheter des produits de mauvaise qualité qui viennent de loin et créent de la faim d'autre part. Parce que c'est ça, la réalité: ces aliments créent de la faim, engendrent des migrations forcées, conduisent les populations au désespoir et détruisent l'environnement. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés. (Quelques applaudissements.)
M. Pierre Conne (PLR). Je reviens à la motion qui, comme diraient nos amis québécois, est un peu croche: il faut vraiment lire tout le rapport pour comprendre de quoi on parle. Le texte invite le Conseil d'Etat à augmenter le budget de Champ-Dollon afin d'offrir aux détenus des repas composés de viande achetée localement. C'est précisément en raison de cette dissociation entre l'invite et la thématique, à l'image de l'intervention précédente, que la motion a été rejetée par la majorité, et le groupe PLR vous recommande de la refuser aujourd'hui encore, Mesdames et Messieurs.
La thématique est importante, certes, elle consiste à promouvoir l'alimentation en cycle court, c'est-à-dire produite et consommée localement, notamment dans les institutions qui fournissent des repas aux personnes qu'elles hébergent - on pense aux hôpitaux, aux EMS et, évidemment, au milieu carcéral. Or la motion vise une population restreinte et cible spécifiquement la viande, qui est probablement la moins concernée par le label GRTA. Les personnes sensibles à ce sujet devraient se mobiliser pour proposer un texte qui cadre bien la problématique, mais pas sous l'angle de la petite lorgnette, si vous me passez l'expression, des visiteurs de prison et des détenus de Champ-Dollon. Pour ces raisons, je le répète, le groupe PLR vous invite à refuser cette motion. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Je vous remercie. Monsieur le député Vuillod, c'est à vous pour une minute vingt-six.
M. Georges Vuillod (PLR). Merci, Monsieur le président. Cette motion est intéressante, mais son champ trop axé sur les prisons. Elle pose de bonnes questions qui devraient être reprises pour traiter le sujet dans l'ensemble des établissements publics et des régies autonomes.
Pour étayer mon propos, je me permets de citer la loi sur la promotion de l'agriculture, votée par ce parlement, qui dit, à son article 13 «Commercialisation», alinéa 1: «Le canton favorise le placement et l'écoulement des produits agricoles genevois, lesquels doivent être distinctement identifiés, notamment en vue de l'obtention de prix équitables.» Puis, l'alinéa 2 précise: «La consommation de produits agricoles genevois dans la restauration est encouragée. Le canton veille, en particulier, à ce que ces derniers soient proposés prioritairement par les collectivités publiques, ainsi que lors de manifestations ayant bénéficié de subventions cantonales.»
Ce sujet devra être repris de façon plus globale dans un autre projet, et c'est la raison pour laquelle nous refuserons cette motion, aussi intéressante soit-elle. Nous déposerons un texte permettant un traitement plus général de cette thématique. Je vous remercie.
M. Pierre Eckert (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aurais aimé présenter ce sujet un peu plus tôt, à l'occasion des initiatives fédérales sur l'alimentation sur lesquelles nous avons voté le 23 septembre; malheureusement, elles sont déjà passées, mais vous aurez remarqué que le canton de Genève les a largement acceptées, ce qui va donner un peu de force à mon propos.
Je relève d'abord que la nourriture dans les prisons constitue une question spécifique, puisque les détenus sont de gros mangeurs et tiennent à la viande. Le budget des repas est limité à 10,50 F par jour et par personne incarcérée. Les services de l'Etat sont d'autre part tenus de respecter les principes de l'Agenda 21, qui préconise de ne pas servir de denrées provenant de l'autre côté de la planète, notamment les viandes. A ce propos, il est vrai que la motion aurait pu s'appliquer à l'ensemble de l'Etat, comme on l'a indiqué tout à l'heure, mais - je viens de le dire - ailleurs, la problématique est différente. Restons-en donc, selon l'objectif de cette motion, à Champ-Dollon.
La commission a constaté que les HUG arrivent à tenir une enveloppe budgétaire semblable en s'approvisionnant uniquement en produits régionaux; les Verts sont ainsi convaincus qu'il est possible d'acheter des viandes locales pour un surcoût faible à nul. Si cela se révélait toutefois plus cher, les principes environnementaux devraient primer, nous devrions pouvoir attribuer les budgets nécessaires. En ce sens, nous vous encourageons à soutenir la motion qui vous est présentée.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, à la commission des visiteurs officiels, nous avions trouvé cette motion intéressante; à titre personnel, je l'ai soutenue. Cela dit, il faudrait élargir un peu le champ d'application. Son but est de soutenir le commerce local et de lutter contre l'importation d'aliments de mauvaise qualité, produits dans des conditions souvent inacceptables - je pense notamment à la détention des animaux, les normes étrangères ne sont évidemment pas celles de la Suisse.
Après, on peut modérer ce propos: hors du milieu carcéral, beaucoup de Genevois sont carrément contraints d'acheter des denrées bon marché, car ils n'ont pas les moyens de s'en offrir des locales. Or ils devraient pouvoir le faire, car les produits de qualité nourrissent mieux, nous devons en consommer moins pour satisfaire nos besoins alimentaires.
L'UDC soutiendra ce projet qui a trait à notre souveraineté alimentaire. Pour ma part, aux dernières votations, j'ai soutenu la souveraineté alimentaire, même si notre parti était partagé sur la question - de nombreuses personnes à l'UDC ont quand même voté en faveur de cette initiative. Il est en effet très important de développer le commerce local. Un collègue a évoqué le dépôt d'une motion avec un champ d'application plus large pour favoriser la consommation de produits régionaux, on s'en réjouit. Merci.
Mme Marion Sobanek (S). Je remercie mes préopinants, car ils ont présenté l'essentiel des arguments que je voulais avancer. J'aimerais quand même ajouter quelque chose. Mon grand-père disait toujours qu'un calcul bien fait tient compte de tous les détails. L'alimentation au sein d'une prison peut sembler un détail, mais cela fait partie d'un grand calcul qui inclut l'ensemble des rapports que nous entretenons d'une part avec les producteurs de nourriture, d'autre part avec les marchands. Il y a la question de la globalisation: quelles denrées est-ce que nous choisissons, quel commerce nous privilégions ? Il est évident que nous devons penser et manger local, aussi dans les établissements pénitentiaires. Dans une prison, les repas revêtent une tout autre importance que si on se trouve en liberté.
Je voudrais encore dire, en complément à ce qu'a mentionné mon excellent collègue Pierre Eckert concernant les aliments, que l'éventuel surplus occasionné n'est que de deux francs, c'est relativement peu et nous ferions enfin un pas dans la bonne direction.
Quant à mon préopinant du PLR, il a évidemment raison: cette motion aurait dû englober l'ensemble des entités étatiques telles que les HUG, l'Université de Genève, les écoles, car nous devons manger régional partout et faire attention à ne pas consommer trop de produits carnés - mais nous avons déjà parlé de ça. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous vous demandons d'accepter cette motion. Je vous remercie de votre attention.
Mme Patricia Bidaux (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, pas plus tard qu'hier, une partie de ce parlement a voté un projet de loi pour la fin du glyphosate en Suisse, et nous nous permettrions aujourd'hui de passer sur ces beaux principes en proposant aux détenus de ce canton une alimentation venue d'outre-mer ? Il va falloir faire des choix cohérents, ne serait-ce que par respect pour ceux qui sont incarcérés.
Je rejoins M. le député Vuillod lorsqu'il dit que cette motion est trop limitée, car l'hôpital, les EMS, nos institutions sont tout autant concernés par le label GRTA. Il ne faut pas oublier que Genève produit 200 000 poulets GRTA à l'heure actuelle, dont 100 000 sont élevés à côté de la prison, dans la zone de Puplinge. Les choses ont changé depuis le dépôt de cette motion, et je vous encourage à l'accepter. Le PDC a laissé la liberté de vote sur ce sujet et m'a laissé la liberté de parole, je tiens à l'en remercier.
Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant et rapporteur de minorité ad interim. Je souhaiterais brièvement répondre à quelques arguments. Premièrement, j'ai entendu des reproches... Est-ce que je dispose encore d'un peu de temps, Monsieur le président ?
Le président. Oui.
M. Pierre Bayenet. Je vous remercie. Il a été reproché à cette motion... J'espère que mon groupe ne m'en voudra pas d'accaparer le temps ? (Remarque.) Non, c'est bon, d'accord. Il a donc été reproché à cette motion de regarder les choses par le petit bout de la lorgnette des visiteurs de prison. Eh bien, pour ma part, je trouve que c'est une chance que des députés de ce parlement aillent voir ce qui se passe dans les établissements pénitentiaires et y constatent les problèmes ! Ce n'est pas du tout regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, c'est au contraire remplir notre mission que de relayer devant cette assemblée les dysfonctionnements relevés sur le terrain, c'est justement à ça que nous servons: à servir de lorgnette et à vous informer de ce que nous observons.
Ensuite, la situation des prisons est particulière. Bien sûr, les HUG réalisent un effort très important, mais leur budget est autrement plus conséquent, presque le double, puisqu'ils dépensent 20 F par repas quand Champ-Dollon dispose de 10 F par jour. Il y a une très grande différence entre ces deux institutions, et c'est pour ça que les HUG parviennent à confectionner des repas en grande partie avec des produits locaux.
L'autre différence, c'est que les personnes dans les hôpitaux, les crèches ou le parascolaire ont une voix politique dans cette république, ils peuvent s'exprimer, ils peuvent se plaindre de la nourriture servie, alors que les détenus de Champ-Dollon, ma foi, leur voix ne vaut pas grand-chose. Voilà pourquoi il importe que nous prenions particulièrement leur défense dans ce Grand Conseil, parce qu'ils font partie des gens qui n'ont pas de voix pour s'exprimer dans ce canton ou dont la voix n'a que très peu de valeur.
Je ne suis pas à l'origine de cette motion, mais je pense qu'elle a toute sa valeur, et quand j'entends des personnes dire qu'elles la refuseront sous prétexte qu'elle n'apporte pas de solution globale, je m'interroge: dans ce cas, pourquoi n'ont-elles pas déposé un amendement pour remplacer la prison de Champ-Dollon par l'ensemble des lieux d'hébergement de l'Etat de Genève dans lesquels on propose de la nourriture ? Rejeter un texte parce qu'il n'est pas suffisant, c'est absurde, il faut tenter de l'améliorer. Cette motion existe, c'est un premier pas - un petit pas, peut-être, mais chaque petit pas dans la bonne direction est le bienvenu.
M. André Python (MCG), rapporteur de majorité. J'aimerais préciser que cette motion ne va pas résoudre les problèmes du Brésil ! Manger local, c'est bien, mais ça a un coût, et c'est justement le problème du coût qui est important. Le cuisinier de Champ-Dollon nous a dit: «Donnez-moi plus de moyens, j'utiliserai des produits locaux.» Pour moi, il faut refuser cette motion. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je mets le texte aux voix.
Mise aux voix, la motion 2391 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 46 oui contre 31 non et 4 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)