République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 12 octobre 2018 à 18h
2e législature - 1re année - 4e session - 27e séance
M 2377-A
Débat
Le président. Nous poursuivons notre ordre du jour avec la M 2377-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Les rapporteurs rejoignent la tribune ventre à terre... Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Les auteurs de cette proposition de motion affirment avoir appris avec stupéfaction l'annonce dans la presse du lancement de l'opération Papyrus. Ils incriminent la discrétion des longues tractations entre le Conseil d'Etat et le Conseil fédéral et arguent que ni le Grand Conseil ni même les parlementaires fédéraux n'étaient informés d'éventuelles négociations relatives au projet Papyrus. Cela étant, ils se félicitent tout de même que, si la procédure de régularisation des sans-papiers a été légèrement assouplie, le Conseil fédéral l'ait néanmoins conditionnée de manière assez stricte: cela a eu l'heur de plaire aux motionnaires, ce qui n'est pas le cas de la majorité.
J'aimerais relever qu'il est apparu au cours des travaux que le titre de cette proposition de motion, «Pas de régularisation de masse sans débat démocratique !», est particulièrement malvenu: d'une part, parce que le débat démocratique a bel et bien eu lieu dans ce parlement, qui, à plusieurs reprises, a pris des positions très claires sur la nécessité de sortir de l'hypocrisie de l'économie grise que représente le travail des personnes sans statut légal et sur le besoin de favoriser la régularisation. Le débat a donc bel et bien eu lieu, et il ne s'agit de loin pas de régularisation de masse, puisqu'on parle de régularisation au cas par cas, après un examen très strict des situations.
D'autre part, selon les indications fournies par la directrice de l'OCIRT et par l'adjoint de la direction générale de l'OCPM chargé de la conduite du projet pilote, il ne s'agit pas, comme je viens de l'expliquer, de régularisation collective, encore moins de masse, mais de l'examen au cas par cas de demandes de régularisation pour des personnes répondant à des critères très stricts d'éligibilité.
Je le répète, le débat démocratique a largement eu lieu. J'aimerais juste rappeler que depuis 2001, la question de la régularisation des personnes sans statut légal a régulièrement occupé ce Grand Conseil. En 2005, sur demande d'une majorité de cette assemblée, le gouvernement genevois était intervenu auprès des autorités fédérales pour obtenir la régularisation de cinq cents personnes, notamment dans le secteur de l'économie domestique. Jusqu'ici, ces démarches étaient restées sans suite. L'opération Papyrus, avec toutes les limites qu'elle peut présenter, a au moins l'avantage d'avoir répondu à cette volonté politique extrêmement claire du parlement. Dès lors, l'intention des motionnaires a paru particulièrement malvenue, c'est pourquoi nous vous invitons à refuser ce texte.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. L'opération Papyrus a été lancée sans aucun débat parlementaire, sans aucune consultation populaire, et de facto, n'a évidemment aucune légitimité démocratique. Commencé en 2017, le projet devrait se terminer en décembre 2018, avec, à cette date, la régularisation d'environ 2500 personnes. Certes, il existait déjà auparavant des projets de régularisation, notamment en l'an 2000, et surtout en 2005, avec la démarche manquée de Mme l'ex-conseillère d'Etat Brunschwig-Graf. Cependant, il est très étonnant que dans notre démocratie semi-directe, un tel projet soit établi et exécuté après avoir été traité exclusivement dans les bureaux feutrés du Conseil d'Etat.
Le canton de Genève utilise depuis des décennies la loi sur les étrangers et la possibilité de délivrer des permis de séjour pour des cas individuels d'une extrême gravité. Genève use de cette loi avec beaucoup de laxisme et de largeur d'interprétation. Aucun autre canton ne procède ainsi. De 2001 à 2016, Genève avait déjà régularisé 2030 clandestins, soit les deux tiers de toutes les régularisations effectuées en Suisse. L'opération Papyrus négociée avec Mme Sommaruga, conseillère fédérale, a transformé la pratique genevoise en amnistie. Cinq critères ont été déterminés et tous les clandestins qui les remplissent sont régularisés d'office. Ces régularisations ne sont conformes ni à la lettre ni à l'esprit de la loi. Aucune disposition dans notre droit des étrangers n'autorise la régularisation collective de personnes sans statut. Ces dispositions dérogatoires revêtent un caractère exceptionnel et s'appliquent avec des conditions strictes. Le droit suisse n'autorise que des régularisations individuelles, et pour des étrangers qui se trouvent dans une situation de grave détresse personnelle. Vu ces éléments, il est absolument inacceptable que l'opération Papyrus n'ait jamais été débattue au Grand Conseil ni soumise à un scrutin populaire.
Cette situation est d'autant plus inexplicable que le projet n'a jamais été étudié ou évalué correctement. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Pour rappel, le nombre de clandestins concernés était estimé à 13 000 personnes. Ce chiffre a été annoncé par Berne, Genève n'en avait aucune idée. L'impact sur le marché n'a pas été évalué. Les secteurs de l'hôtellerie-restauration et du nettoyage ont des taux de chômage de 13% et 12%, pourtant, ces deux branches sont aussi concernées par l'opération Papyrus. L'augmentation des coûts et des dépenses de l'aide sociale n'a jamais été estimée. Le risque d'appel d'air ne l'a pas été non plus.
Dernier manquement flagrant: l'absence de l'établissement d'une évaluation finale. Celle-ci a été accordée à l'Université de Genève, qui devait rendre un rapport au printemps de cette année. Ce rapport stipule simplement, je le répète, qu'il faut attendre quelques années de manière que l'Université de Genève puisse suivre ces personnes sur une longue durée. En matière de gestion, le constat est catastrophique et démontre une multitude de lacunes.
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.
M. André Pfeffer. Merci. Il est également surprenant que cette opération Papyrus provienne des rangs du PLR. Encore une fois, elle a été décidée sans débat parlementaire ni suffrage populaire. Je m'arrête là pour l'instant, merci.
Mme Xhevrie Osmani (S). Chers collègues, chers députés, d'emblée, la motion et son intitulé essaient de nous tromper: ils essaient de créer une crainte sur une prétendue régularisation de masse. Or, un examen de dossiers au cas par cas ne peut en aucun lieu être défini comme une opération collective menée à tour de bras, à une opération usant d'un pouvoir discrétionnaire. On ne peut légitimement pas concevoir que des dossiers examinés sur la base de critères spécifiques puis préavisés pour enfin être validés par une instance supérieure - ici le SEM - puissent faire l'objet d'un pouvoir discrétionnaire.
Il aura fallu à plusieurs reprises, mais en vain, rappeler les tenants et aboutissants de cette opération, mais aussi ses bénéfices pour la société; rappeler que les sans-papiers ne sont pas des profiteurs des infrastructures, je cite. Ce sont pour la plupart des familles comme tant d'autres dont les enfants vont à l'école et s'intègrent à travers nos institutions. On a aussi rappelé que ces profiteurs, comme vous les nommez, ont le souci comme vous et moi de financer notre sécurité sociale. Ce n'est certainement pas la seule contribution ou dépense à laquelle ils sont astreints, rassurez-vous.
Quelles sont les conséquences désastreuses à vouloir régulariser la situation d'une personne contribuant à la vie sociale et économique du canton, surtout quand on parle de résidents depuis plus d'une dizaine, voire quinzaine d'années ? Les conséquences désastreuses à long terme seraient surtout le fait de ne pas prévenir et résoudre des situations dramatiques, dont l'exploitation d'individus, faisant ainsi perdurer une économie parallèle, occulte, avec tous les méfaits qu'elle comporte.
Enfin, et j'aurais peut-être dû commencer par cet élément, le débat lié à cette problématique des sans-papiers avait préoccupé ce parlement il n'y a pas plus de deux ans à travers la proposition de motion 2192, qui visait la régularisation des employés de l'économie domestique sans statut légal: le groupe UDC même, qui aujourd'hui revient avec stupeur sur ce sujet, avait affirmé être très favorable à sa prise en considération, mais aussi à un traitement des dossiers au cas par cas, ce qui est justement inhérent à cette opération.
Vous comprendrez par mes propos que le groupe socialiste votera bien évidemment contre cette motion. Merci. (Applaudissements.)
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, les prémices du principe de Papyrus datent du 27 octobre 1986, quand le conseiller d'Etat Dominique Föllmi a accompagné une petite fille clandestine à l'école pour que plus jamais des enfants clandestins ne soient privés de scolarité. Depuis, le parti démocrate-chrétien, que ce soient ses conseillers nationaux, ses conseillers municipaux ou ses députés, n'a eu de cesse de s'engager pour la régularisation des sans-papiers installés durablement, dont la plupart ont effectué leur scolarité à Genève, comme les apprentis sans-papiers qui, après avoir été acceptés à Genève, l'ont été au Conseil national grâce à Luc Barthassat. En 2005, nous nous sommes réjouis lorsque M. Dominique Föllmi et Mme Brunschwig Graf ont fait un travail extrêmement fouillé pour que cette régularisation soit amenée à Berne. A l'époque, sous M. Blocher, ce projet n'avait bien évidemment pas reçu l'accueil que nous aurions souhaité. Déjà alors, il était important que ces personnes soient reconnues comme citoyens à part entière pour notre économie et notre vie quotidienne et puissent quitter la clandestinité ainsi que les risques d'exploitation - car 70% des personnes faisant l'objet de traite d'êtres humains sont exploitées dans l'économie domestique, l'hôtellerie, la restauration et l'agriculture; il y a aussi une exploitation scandaleuse dans le domaine de la construction.
En 2014, le parti démocrate-chrétien, avec des signataires socialistes, des Verts et d'Ensemble à Gauche, a déposé une proposition de motion, la M 2192 «pour la régularisation des employés de l'économie domestique sans statut légal». Ce texte a été retiré quand l'opération Papyrus a été déclenchée. Merci à M. Maudet et au Conseil d'Etat d'avoir eu ce courage, Mesdames et Messieurs les députés, pragmatique et réaliste, qui réconcilie l'humanisme et l'économie et rend la dignité aux personnes concernées. De plus, l'UDC devrait être très contente: si cette négociation a pu aboutir à Berne, c'est parce que Genève est le canton qui renvoie le plus de criminels étrangers. Alors on se pose des questions: si Papyrus vous dérange, c'est que vous avez encore besoin de clandestins. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Stéphane Florey pour une minute cinquante-trois.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Papyrus, c'est un affront aux Genevois évincés du marché de l'emploi. Papyrus, c'est l'illégalité récompensée. Avec Papyrus, Genève a commencé à accorder des autorisations de séjour à un grand nombre d'étrangers séjournant illégalement dans le canton. Sous le prétexte de l'accueil humanitaire, Papyrus prévoit la régularisation d'un nombre indéterminé de migrants sans papiers. A Genève, le nombre de personnes sans statut est estimé à 13 000, et notre canton connaîtrait le taux de personnes en séjour illégal le plus élevé de Suisse. Il est probable que le nombre réel de personnes sans statut dépasse toutes les estimations. Personne n'est en mesure de chiffrer précisément le nombre de clandestins, y compris les instigateurs du projet Papyrus. Celui-ci entraîne aussi un appel d'air et une augmentation du nombre de clandestins. Sans contrôle aux frontières, d'autres personnes seront attirées par la perspective d'un meilleur avenir à Genève. Les clandestins régularisés seront, pour certains, attirés par des emplois mieux rémunérés ou par l'aide sociale, et, de ce fait, seront remplacés par une nouvelle vague de sans-papiers. Il faut aussi mentionner que le Conseil d'Etat a publiquement déclaré... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...que la priorité n'est pas la chasse aux clandestins, particulièrement de l'économie domestique. Toutes les régularisations ont entraîné un appel d'air: l'Espagne avait régularisé 700 000 sans-papiers en 2005; l'année suivante, l'immigration illégale a massivement augmenté.
Le président. C'est terminé, Monsieur le député !
M. Stéphane Florey. Une fois de plus, l'UDC est le seul parti à se préoccuper du sort des habitants de ce canton. Nous vous invitons à adopter cette motion.
M. François Baertschi (MCG). C'est vrai que c'est une question complexe et difficile à propos de laquelle il ne faut pas jouer les hypocrites, c'est-à-dire tout dénoncer et ne rien faire, accepter les clandestins et dans le même temps accepter tous les clandestins: on se trouverait dans une situation infernale et impossible. Pour le MCG, une régularisation ponctuelle de cas humanitaires peut se justifier: il y a des cas très particuliers qui existent dans notre société genevoise et qu'on peut accepter, qu'on doit même accepter pour certaines de ces personnes, qui font partie de notre société. En revanche, l'opération Papyrus est en soi dangereuse. Au début, on intègre des personnes tout à fait raisonnables, qui méritent d'être intégrées parce qu'en fait elles le sont déjà dans notre société, mais sans statut légal. Mais au fur et à mesure, on va se retrouver avec un emballement: le mécanisme du système ne va plus être gérable, on va intégrer de manière systématique, de manière presque obligatoire, un certain nombre de personnes, et créer un appel d'air.
C'est pour cette raison que nous soutenons la présente motion: il faut à tout prix prendre ce problème au sérieux, il faut lui donner une bonne réponse et faire attention non pas au début de l'opération - au début, qu'est-ce qu'on va faire ? On va donner des papiers à de braves personnes, des gens tout à fait intégrables; mais on va se retrouver dans une logique où on bradera la naturalisation, dans une situation qui est... Il faut quand même voir le monde dans lequel on est actuellement: une pression migratoire gigantesque, des trafics d'êtres humains. Nous ne devons pas être complices de cela. Nous voterons la présente motion.
Mme Isabelle Pasquier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, quand l'opération Papyrus a été lancée, les Verts se sont réjouis de ce premier pas. Papyrus ne propose pas une régularisation de masse: cette opération permet de mettre fin à une hypocrisie, de donner un statut, des droits et des perspectives à des personnes qui travaillent et sont intégrées dans notre société. De qui parle-t-on ? 70% à 80% de ces situations relèvent de l'économie domestique, des emplois peu visibles mais essentiels au fonctionnement de nombreuses familles, des personnes à qui nous confions nos clés, nos enfants ou nos aînés. Les places de garde pour les enfants manquent, les horaires d'accueil ne sont pas toujours compatibles avec les horaires de travail, les proches aidants sont peu soutenus: il ne faut pas se le cacher, de nombreuses familles ont recours à ce type d'aide. Et comme de nombreuses mères qui travaillent, Monsieur Pfeffer, Monsieur Florey, cela a aussi été mon cas: j'ai dû faire appel à des personnes de ce type.
Ces personnes à qui nous confions nos enfants ou nos aînés, il est juste de leur donner la possibilité de sortir de la clandestinité, de défendre leurs droits, de leur accorder une perspective pour régulariser leur situation et envisager un avenir. Voilà ce que propose l'opération Papyrus. La régularisation de toutes ces personnes qui travaillent et séjournent en Suisse doit devenir la règle au lieu de l'exception. Nous nous opposons donc fermement à cette motion.
Notre inquiétude porte aujourd'hui plutôt sur la suite: alors que Papyrus a été annoncé comme un projet pilote, nous profitons de cette prise de parole pour adresser au Conseil d'Etat notre souhait que les voies ouvertes avec ce projet soient durablement utilisées et j'interpelle directement le conseiller d'Etat pour qu'il nous dise ce qui est prévu pour la suite. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, tout d'abord, le groupe PLR trouve particulièrement juste la réponse à ce problème. Dans ce mot, il y a le mot «justice». Parlant de justice, il faut considérer l'ensemble de ces personnes qui ont fourni un travail dans des conditions difficiles, et surtout, dans une liberté qui n'était pas totale. Pourquoi ? Parce que leurs rapports contractuels étaient déséquilibrés en faveur, entre guillemets, de l'employeur, qui ne prenait pas en compte des éléments de salaire. Il y a deux façons de voir les choses: d'un côté, le chèque service avec le fonctionnement qu'on appelle «au gris», dont bénéficient les personnes régularisées grâce à l'opération Papyrus; l'autre élément est la responsabilité que tout un chacun a par rapport au travail au noir. Quand vous prenez un menu, un plat du jour à quinze francs, réfléchissez à ce qui se passe derrière, dans la cuisine; réfléchissez quand vous demandez un devis pour un déménagement et que vous avez des offres à moitié prix; réfléchissez, dans les collectivités publiques, ou dans la construction, pour le gros oeuvre, à des secteurs comme le ferraillage, où on propose des prix qui ne sont pas admis: nous avons tous nos responsabilités. Derrière cela, il y a des gens qui travaillent au noir, dans des filières mafieuses ou avec des employeurs véreux - je pèse mes mots. Nous avons donc tous une responsabilité.
Du moment où ces personnes sont régularisées, on équilibre le rapport contractuel: ces gens sont libres. Liberté égale contrat de travail. Du moment où on gagne sa liberté, on est responsable et on peut évoluer dans la vie. Ça me semble un élément fondamental pour le PLR: la prise en compte de cette notion de responsabilité et de liberté. A l'époque, je m'étais battu pour intégrer les sans-papiers en apprentissage; ce n'était pas possible, parce qu'ils n'avaient pas l'autorisation de séjour nécessaire pour le contrat de travail. Maintenant, le fait d'avoir des jeunes qui peuvent entrer dans une formation professionnelle est, comme je l'ai dit, quelque chose de juste et de responsable. C'est donc avec cette vision qu'à mon avis, et de l'avis du groupe, le Conseil d'Etat a pris ses responsabilités, a pris une mesure juste, a fait du cas par cas, et n'a pas récompensé des personnes, mais a remis au centre la notion de justice au sens large. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Alder, vous avez quatorze secondes; je vous en accorde quinze, pas une de plus.
M. Murat Julian Alder (PLR). Merci, Monsieur le président. J'aimerais simplement dire que non, Papyrus n'est pas une opération de régularisation collective de sans-papiers; on ne peut pas traiter de la même manière un délinquant en situation irrégulière et une famille. Papyrus concerne plusieurs familles qui ne sont pas dans une situation de délinquance. Je vous remercie de votre attention.
Mme Léna Strasser (S). La situation infernale, Monsieur le président - et vous transmettrez à mes préopinants - n'est pas celle du projet Papyrus en soi ou d'un possible appel d'air; la situation infernale est celle que vivent ceux et celles que vous appelez clandestins, qui travaillent ici mais sont des invisibles, des sans-droits. J'aimerais profiter de ce débat pour féliciter les associations qui ont porté ce projet et qui ont soutenu ces personnes dans leurs démarches. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Pfeffer pour quinze secondes.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Comme déjà dit, l'opération Papyrus est pratiquement terminée. Pour cette raison, certaines invites restent particulièrement actuelles et pertinentes, notamment celle de rendre un rapport complet au Grand Conseil portant notamment sur les incidences sociales, fiscales et économiques.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, il y a un instant, M. Pfeffer disait que l'opération Papyrus n'avait pas de légitimité. Or, j'affirme que sa légitimité est issue de nos travaux, dans ce parlement, depuis 2001. Comme l'a répété Mme von Arx tout à l'heure, en 2015 encore, nous avons gelé les travaux sur la M 2192, dans l'attente, précisément, de l'issue des discussions avec les autorités fédérales. Il n'y a donc pas eu de mystère. Nous étions informés sur ce qui était en train de se préparer.
Tout à l'heure, on a dit que... Enfin, un député UDC s'est exclamé en disant que Papyrus était une offense à la population; alors si Papyrus est une offense à la population, je demande: qu'est-ce qui serait respectueux de la population ? Serait-ce la perpétuation du travail au noir en pleine conscience d'une économie souterraine qui échappe au droit ? Est-ce cela qui serait respectueux de la population ?
Après avoir parlé de régularisation individuelle, j'aimerais qu'on parle d'un autre aspect peu évoqué jusqu'ici à propos de Papyrus. C'est ce pilier, finalement, que représente la mise en place d'un dispositif de contrôle et d'assainissement des secteurs économiques particulièrement touchés par le travail au noir et la sous-enchère salariale. Parce qu'enfin, outre qu'elle permet la régularisation de certaines personnes sans statut légal, l'opération Papyrus permet aussi de détecter des zones où les employeurs se comportent d'une manière inadmissible, où ils ne respectent pas la loi sur le travail. Aujourd'hui, Papyrus permet d'identifier aussi ces employeurs et de les obliger à se mettre en conformité avec la législation sur le travail et à respecter les droits des travailleurs.
Enfin, nous faisons face à une réalité: ces gens sont ici depuis des années, certains parfois depuis plus de vingt ans. Leurs enfants sont nés ici, sont scolarisés ici, et nous voudrions les maintenir dans ce statut particulièrement révoltant, leur nier le droit de vivre à Genève, d'exister à Genève et d'y travailler, alors qu'ils sont dans une situation de précarité extrême ? Si c'est cela que vous voulez perpétuer, j'espère qu'une majorité de ce parlement vous dira non. C'est pourquoi j'invite cette assemblée à refuser cette motion. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous demande de refuser cette proposition de motion, même si l'on peut parfaitement comprendre certaines des questions posées, qui sont pertinentes: on est en droit de savoir quelles ont été les conséquences de cette opération Papyrus quant à l'insertion et à l'intégration. Il n'en demeure pas moins qu'il s'est agi d'une réponse pragmatique, novatrice, à un problème ancien. C'est une réponse à l'hypocrisie ambiante qui consiste à fermer les yeux face à la situation existante. A celles et ceux qui considèrent que la régularisation est un problème, je dirai que c'est le cas jusqu'à ce que vous rencontriez quelqu'un qui a été régularisé et qui a pu montrer à quel point la situation qu'on lui imposait du fait de l'hypocrisie ambiante était inhumaine et inacceptable.
Papyrus ne repose pas sur une régularisation globale, de masse: au contraire, même si les dossiers ont été groupés pour leur examen à Berne, l'opération repose sur un processus individuel de normalisation. Chaque cas a été examiné pour lui-même et il fallait que chacun remplisse les conditions posées; il ne s'agissait évidemment pas de récompenser une situation illégale qui a perduré avec des infractions au système autres qu'à la loi sur les étrangers. Il est évidemment facile de dire que la loi a été violée parce que ces personnes ont résidé en Suisse sans autorisation de séjour, mais on sait très bien dans quelles conditions elles sont venues ici, dans quelles conditions elles ont été amenées à travailler, à rendre des services, comme on l'a très justement décrit, à des familles qui - il faut bien le dire, et c'est toujours le cas aujourd'hui - ne trouvaient pas sur le marché local une aide dans des situations tout à fait particulières.
Ensuite, cette opération Papyrus repose sur un dispositif de contrôle et d'assainissement de secteurs économiques particulièrement exposés au travail au noir, bien sûr, mais aussi à la sous-enchère salariale. Il s'agit de faire en sorte qu'il y ait une arrivée à la surface de ce marché gris que tout le monde connaît mais que personne ne veut voir.
Enfin, il y a un dispositif d'insertion et d'intégration. C'est là qu'il faut être attentif; c'est là que j'ai voulu personnellement porter une attention particulière. Il ne s'agit évidemment pas - c'est peut-être la crainte qu'on peut avoir, et elle est légitime - que ces personnes régularisées quittent du jour au lendemain leur emploi, ce qui est encore leur droit, pour laisser la place à d'autres personnes qui viendraient les remplacer, toujours au noir, alors qu'elles-mêmes iraient s'inscrire à l'aide sociale. A ce jour, selon les services concernés, aucune des personnes régularisées ne s'est inscrite à l'aide sociale. Bien évidemment, nous suivrons cela de près, mais je pense que c'est réjouissant par rapport à des craintes qu'on pouvait avoir et que j'ai moi-même partagées.
Voilà pourquoi, si évidemment nous comprenons vos réticences sur l'opération, nous soutenons qu'elle a clairement plus d'avantages que d'inconvénients. Elle a en tout cas le grand avantage de redonner une visibilité et donc une dignité à ces personnes qui ont largement contribué à l'économie de notre canton et de permettre ainsi à ces personnes d'avoir une couverture sociale qui leur était jusqu'ici interdite. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. J'invite l'assemblée à se prononcer sur ce texte.
Mise aux voix, la proposition de motion 2377 est rejetée par 71 non contre 18 oui. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)