République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 octobre 2018 à 20h30
2e législature - 1re année - 4e session - 24e séance
PL 12126-A
Premier débat
Le président. Nous passons à l'examen du PL 12126-A classé en catégorie II, trente minutes. Pour commencer, la parole va à la rapporteure de majorité, Mme Beatriz de Candolle. (Un instant s'écoule. Remarque.) Je vous remercie, Monsieur le député; nous essayerons de faire sonner la cloche un peu plus vite... (Remarque.) Oui, le grand âge est évidemment une difficulté ! (Rires.) Allez-y, Madame de Candolle.
Mme Beatriz de Candolle (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi permettra de créer près de 13 000 mètres carrés de surfaces d'activités. L'extension du siège de Richemont International SA ne peut que nous réjouir, car elle va de pair avec la création d'emplois et la présence durable de cet important groupe à Genève. Même si le plan directeur cantonal 2030 n'avait pas prévu cette modification de zone, le projet répond à trois objectifs fondamentaux inscrits dans plusieurs de ses fiches: implantation d'activités en lien avec des dessertes TC, développement du centre de la commune de Bellevue et gestion d'un secteur soumis au bruit des avions. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, la majorité de la commission d'aménagement vous invite à accepter ce projet de loi. Merci.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, l'objectif de ce rapport de minorité est de dénoncer un certain nombre de décisions et pratiques qui tordent le bras aux normes usuelles en matière d'aménagement du territoire. Ce projet de loi propose le déclassement d'une zone villas en zone de développement 4B exclusivement destinée à des activités. En ce qui concerne la localisation, il s'agira d'une enclave d'activités en plein milieu d'une zone villas, ce qui représente un aménagement du territoire non seulement peu cohérent, mais également contraire au plan directeur cantonal qui prévoit dans ce secteur une densification modérée de la zone villas, sans modification de zone.
Ce que pointe ensuite du doigt la minorité, c'est la justification assez hypocrite du Conseil d'Etat dans son exposé des motifs, qui nous affirme qu'il s'agit d'un secteur favorable au développement d'activités, parce qu'il est d'une part proche des voies de chemin de fer et bénéficie donc d'une bonne desserte en transports publics, d'autre part soumis à des nuisances sonores en raison du passage des avions. Alors oui, c'est juste, mais puisque c'est le cas, ça aurait dû être réfléchi et discuté dans le cadre de la planification territoriale, donc du plan directeur cantonal, ce qui n'a pas été fait. Quant à la question des nuisances sonores, la minorité souhaite souligner que l'on construit aujourd'hui dans des zones bien plus fortement touchées par le bruit des avions - je pense notamment aux communes de Vernier et du Grand-Saconnex.
Mesdames et Messieurs les députés, il y a à Genève une offre excédentaire de bureaux et de locaux commerciaux alors que, dans le même temps, nous nous trouvons dans une situation de pénurie de logements. Pour la minorité, la priorité doit être donnée aux logements.
Les règles d'aménagement du territoire doivent s'appliquer à l'ensemble de la population. Or, dans le cas présent, on constate un choix d'aménagement au cas par cas, à la tête du client, peut-être pourrait-on même dire selon la taille du porte-monnaie, ce qui pose des problèmes d'égalité devant la loi et pourrait faire jurisprudence. En effet, il est un peu trop facile, pour une grande entreprise qui pèse lourd par les recettes fiscales et les emplois... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...d'acheter une parcelle en zone villas et de demander ensuite son déclassement. Normalement, c'est impossible pour qui que ce soit, mais sous prétexte qu'il s'agit d'une grande société, ce serait possible ? On se retrouve au final dans une situation de mitage et d'incohérence territoriale.
Soit, l'erreur a probablement été commise non pas aujourd'hui, mais en l'an 2000, lors du premier déclassement de la parcelle voisine, propriété du groupe Richemont qui souhaite aujourd'hui s'agrandir; mais aux yeux de la minorité, la question mérite toutefois d'être posée et débattue démocratiquement: est-il acceptable de renier nos principes structurants d'aménagement du territoire pour satisfaire les désirs d'une entreprise, fût-elle créatrice d'emplois ? L'aménagement du territoire doit-il être mené selon des principes cohérents basés sur une réflexion autour des besoins de la population et suivre une logique de continuité territoriale, ou bien doit-il être conduit au cas par cas, selon les exigences des grandes compagnies ?
Pour la minorité, les règles d'aménagement doivent s'appliquer de la même façon à tous et le développement territorial répondre à l'intérêt général. C'est la raison pour laquelle il doit être mené de manière neutre et indépendante des intérêts particuliers. La minorité espère que nous saurons nous en souvenir à l'avenir.
Le président. Merci, Madame la députée. Vous avez utilisé un peu du temps de votre groupe. Je donne maintenant la parole à M. François Lance.
M. François Lance (PDC). Oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'objectif de cette modification de zone est de permettre l'extension du siège de Richemont International SA ainsi que la préservation des qualités paysagères et patrimoniales du site que cette société occupe depuis les années nonante. Un premier bâtiment y avait été construit en 2007 après une modification de zone acceptée par le Grand Conseil le 17 octobre 2000.
Le projet soumis en demande de renseignement prévoit la création d'environ 13 000 mètres carrés de surfaces d'activités, il a reçu l'aval à la fois du département et de la commune de Bellevue sous condition de procéder à une modification de zone et à un PLQ valant plan de site. Il consiste en l'implantation de deux longs bâtiments en verre entre deux poches paysagères en ménageant la vue sur le grand paysage, le littoral et les Alpes.
Il est vrai que cette modification de zone n'a pas été prévue au plan directeur cantonal 2030 ni au plan communal de 2004, et on peut le regretter; de telles situations ne devraient plus se reproduire dans un contexte d'aménagement du territoire de plus en plus contraignant. Mais le projet répond à des objectifs centraux, cela a été dit, comme l'implantation d'activités en lien avec la desserte de transports publics, le développement du centre local de Bellevue et la gestion d'un secteur soumis au bruit des avions. Le site se trouve à quelques minutes de la gare de Genthod-Bellevue. La zone de développement 4B permet de fixer des gabarits avec des mesures de planification telles que le plan de site.
Il subsiste trois villas dans ce périmètre à déclasser, qui sont utilisées actuellement par l'entreprise pour des réunions et qui seront préservées. Le propriétaire désire développer ses activités dans le cadre d'une intégration dans la commune de Bellevue. Pour ces raisons, le groupe PDC votera ce projet de loi.
M. André Pfeffer (UDC). Ce déclassement visant la création de 13 000 mètres carrés de surfaces d'activités est soutenu par le Conseil d'Etat et la commune de Bellevue. Le projet permettra au groupe Richemont International SA d'étendre son siège et d'y créer environ trois cents nouveaux emplois. Le département a précisé que malgré les futurs travaux, les qualités paysagères et patrimoniales seront préservées.
Actuellement en zone villas, le périmètre abrite trois maisons et n'est pas propice à la construction de logements en raison des nuisances liées aux avions ainsi qu'aux voies de chemin de fer. Toutefois, s'agissant du développement d'activités commerciales, le secteur est bien desservi: la gare CFF de Bellevue se trouve à proximité et il y a un accès à l'autoroute.
Au vu de ces éléments, le groupe UDC acceptera le projet de loi, même si certains d'entre nous souhaitent protéger les zones villas et trouvent leur densification problématique. Merci de votre attention.
M. François Lefort (Ve). Pour les Verts, ce projet de déclassement ne pose pas de problème majeur, puisqu'il s'agit d'une zone impropre à la construction de logements. L'extension du siège de Richemont International SA se fera sur son propre site, à proximité d'une gare et d'une voie verte, ce qui nous rassure quant aux questions de mobilité - pour autant que la société fasse la promotion des modes de déplacement doux auprès de ses employés, bien sûr. Le périmètre étant déjà le siège de Richemont, l'endroit n'est pas mité, et on peut difficilement imaginer y créer d'autres activités, en particulier du logement.
Par ailleurs, les arbres remarquables de ce site ne seront pas touchés par la modification de zone et les bâtiments patrimoniaux seront entièrement conservés - on parle notamment d'une serre exceptionnelle - ils seront même valorisés de façon paysagère dans l'ensemble du projet. Les préavis des différents services cantonaux sont favorables. Dans ce type de projet, il est rare que tous les feux soient au vert, et parce que les Verts aiment passer au vert, ils voteront ce projet de loi de déclassement. Merci.
M. Thierry Cerutti (MCG). Je ne vais pas répéter ce que mes préopinants qui sont favorables à ce projet de déclassement de zone ont déjà dit. Bien que nous soyons pour la préservation des zones villas, dans ce cas précis, il faut prendre en compte le bruit et les contraintes qui vont de pair. Il est donc fort judicieux d'installer des activités économiques dans ce périmètre, et non des logements. Le MCG soutiendra ce projet de loi. Merci.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, tout en tenant compte des arguments invoqués dans l'excellent rapport de minorité de notre collègue Caroline Marti, le groupe socialiste a décidé de s'abstenir sur ce point. En effet, nous devons aussi prendre en considération le fait que, comme l'a reconnu la rapporteure de minorité, l'«erreur», entre guillemets, si erreur il y a eu, a été de commencer à déclasser dans cette zone en 2000. Aujourd'hui, il y aurait peu de cohérence à stopper le mouvement.
Certes, le plan directeur cantonal prévoyait une zone villas à cet endroit, mais d'un autre côté, s'il commence à prévoir des logements en prolongement de la piste de l'aéroport, il faut à un moment donné se poser des questions et faire évoluer cette conception de l'aménagement. Comme cela a été indiqué par certains intervenants, construire des logements dans une zone exposée à des nuisances importantes ne constitue pas une bonne politique. Aussi, compte tenu à la fois de ces éléments et de ceux donnés par Caroline Marti, le groupe socialiste s'abstiendra sur ce projet de déclassement. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean Batou (EAG). Le groupe Ensemble à Gauche va voler au secours de Caroline Marti et s'opposer à ce projet de déclassement. Tout d'abord, nous avons affaire ici à l'extension du siège d'une multinationale... (Exclamations.) Mais oui, c'est tout à fait horrible ! C'est tout à fait horrible de déclasser une zone consacrée à du logement pour y construire 13 000 mètres carrés de bureaux alors que, à l'heure actuelle, 150 000 mètres carrés de surfaces économiques ne trouvent pas preneurs à Genève ! Continuons comme ça, demain ça sera le Pré-du-Stand, on construit sans arrêt des bureaux alors qu'on n'arrive pas à les louer.
Dans le cas d'espèce, me direz-vous, l'entreprise Richemont va élargir son site, développer sa surface et créer des emplois; mais n'oublions pas ce que cette compagnie a fait à Genève en 2016: elle a licencié cent personnes, annoncé trois cents licenciements, il y a eu une mobilisation, c'est l'un des groupes qui profitait le plus du PF 17. Aujourd'hui, on nous passe sous le nez le doux parfum d'une extension de bureaux qui, par magie, va créer des postes ! Non, Richemont mène une politique féroce de restructuration, de réduction des emplois, et nous n'avons rien à attendre d'une nouvelle surface commerciale.
A tout le moins, on aurait pu avoir la décence de prévoir une compensation en logements, puisqu'il s'agit de consacrer une zone habitable en surface d'activités: faisons l'inverse et trouvons une surface d'activités à transformer en zone habitable. Sur tous les points, que ce soit au niveau du logement ou de l'emploi, nous n'avons rien à attendre de ce déclassement. C'est la raison pour laquelle nous le refusons. Merci. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de voter.
Mis aux voix, le projet de loi 12126 est adopté en premier débat par 71 oui contre 9 non et 16 abstentions.
Le projet de loi 12126 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12126 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 72 oui contre 9 non et 15 abstentions.