République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2411-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Guy Mettan, Anne Marie von Arx-Vernon, Jean-Luc Forni, Jean-Marc Guinchard, Bertrand Buchs, Salika Wenger, Magali Orsini, Christian Frey, François Lance, Pierre Vanek, Nicole Valiquer Grecuccio pour une presse locale forte et indépendante

Débat

Le président. Nous continuons avec la M 2411-B, et je donne la parole à M. Yvan Rochat.

M. Yvan Rochat (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, cette motion qui date de septembre 2017 connaît aujourd'hui une actualité cruelle. Rappelons-nous ce qui s'est passé cette année-là, lors d'un été meurtrier pour les médias romands: Tamedia s'engageait violemment, sans consultation et sans respect pour ses employés, dans une politique de licenciement et de réorganisation irrationnelle.

Cette stratégie semble se poursuivre à l'heure actuelle. Licenciements, disparition du «Matin», mesures d'intimidation et de répression à l'égard des journalistes - qui doivent défendre non seulement leur emploi, mais également la survie d'une information locale, indépendante et de qualité - constituent autant de méfaits perpétrés par Tamedia ces derniers mois, en particulier lors du nouvel été meurtrier 2018. Et ce n'est pas terminé, la série continuera, il n'y a pas de doute là-dessus.

Notre colère, notre détermination, notre soutien à cette information si proche de nous, si imparfaite - comme nous-mêmes, d'ailleurs - n'y feront rien, car de la réponse du Conseil d'Etat, même si nous en prenons acte, suinte aussi un parfum de résignation. Bien entendu, le gouvernement a fait part à Tamedia, et nous le croyons, de sa vive réprobation quant à la manière dont ce groupe travaille, il a saisi la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale de cette préoccupation, mais tout cela ne semble pas faire sourciller Tamedia.

L'entreprise poursuit sa politique de démantèlement. La perspective d'une intervention des Chambres fédérales est très lointaine, le soutien public à des entités privées, fussent-elles d'information, semblant déplaire à M. et Mme Bill et Melinda Gates - c'est en tout cas ce qu'en dit le rapport du Conseil d'Etat. Bref, l'avenir s'annonce sombre, malgré le maintien d'un certain nombre de médias indépendants tels que «Le Courrier». Combien de temps encore la «Tribune de Genève» tiendra-t-elle ? Les saignées qu'elle connaît ces derniers jours semblent constituer le prélude à ce qui pourrait être une agonie.

A cet égard, il n'y a pas trente-six mille solutions: il faut aimer la presse qui traite correctement les journalistes et les lecteurs, aimer la diversité de cette presse, aimer son indépendance, et le faire savoir en s'engageant pour elle et contre le cynisme d'entreprise tel que celui de Tamedia. Est-ce que le portail d'accès MyPressGE, annoncé le 28 août par le président du Conseil d'Etat - c'est un élément de réponse qu'il apporte - sera suffisant ? Certainement pas, mais l'idée doit être encouragée, comme doivent être encouragées toutes les initiatives consistant à chérir ce type d'information et à ne jamais oublier qu'elle n'est pas gratuite. Merci.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Romain de Sainte Marie (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion tout comme celle sur l'ATS que nous traiterons au point 150 ont été déposées dans un grave moment de crise qui, hélas, n'est de loin pas terminé. On assiste en effet à un véritable massacre de la presse genevoise et plus largement romande par Tamedia. Notre pouvoir politique semble impuissant, et la réponse du Conseil d'Etat est regrettable.

Si on peut saluer sa tentative d'action, celle-ci n'a visiblement pas abouti ni réussi à opérer un changement dans le processus initié par Tamedia. Dans sa réponse, que ce soit à ce texte ou à celui concernant l'ATS, le Conseil d'Etat fait part d'une position qui ne donne que peu d'espoir quant à l'avenir et aux possibilités d'action ou de négociation des gouvernements - même si les démarches ont été entreprises, on l'a vu avec le Conseil d'Etat vaudois.

Je tiens à souligner, Mesdames et Messieurs, qu'il y a un peu plus d'une année - en décembre, me semble-t-il - les différents chefs de groupe de ce parlement avaient rencontré la direction de Tamedia - plusieurs d'entre vous étaient présents, notamment notre nouvelle conseillère d'Etat qui était à l'époque cheffe de groupe du PLR. C'est l'entreprise elle-même qui avait sollicité cette rencontre, et l'ensemble des partis de ce parlement avaient naturellement accepté, considérant comme positif le fait que Tamedia souhaite expliquer ses agissements, voire nous rassurer quant à la suite.

Tout à l'heure, je me retournais encore vers Pierre Vanek, alors chef de groupe d'Ensemble à Gauche, en lui demandant si, tout comme moi, il avait bien eu les mêmes retours et si je n'avais pas rêvé à ce moment-là - et je m'adresse aussi à Nathalie Fontanet - car les représentants de Tamedia nous avaient regardés dans le blanc des yeux et promis de stopper la vague de licenciements, de s'arrêter là s'agissant de la «Tribune de Genève» - la situation était déjà bien trop grave - et de prendre tous les engagements pour maintenir ce titre à l'avenir, pour préserver les emplois ainsi que l'indépendance genevoise de la rédaction.

Une année plus tard, force est de constater que le groupe Tamedia nous a menti droit dans les yeux, nous a caché le sombre avenir qu'il réserve à la «Tribune de Genève» et à la presse romande, et il nous faut maintenant rapidement agir. Nous ne pouvons pas prendre acte de ces rapports, c'est pourquoi je vous propose de renvoyer cet objet de même que le point 150 à la commission de l'économie, de traiter le projet de loi socialiste en urgence, car urgence il y a, afin de réagir de façon forte et si possible unanime à l'encontre de Tamedia et du massacre des médias en Suisse romande et à Genève. (Applaudissements.)

M. Guy Mettan (PDC). Chers collègues, voilà une année presque jour pour jour que j'ai déposé cette motion. Beaucoup de choses ont été dites, je ne vais pas les répéter. Ce qui est triste, c'est que nous sommes un peu responsables - coresponsables ! - de ce qui arrive à cette motion, puisqu'elle a été désarmée, privée de ses dents lors de son traitement en commission. En effet, dans le but d'obtenir une unanimité, la commission a supprimé de la motion originelle ses deux invites les plus significatives, notamment celle visant à créer un fonds de soutien à la presse, ou du moins à examiner la possibilité de création d'un fonds dont l'Etat aurait pu être partie prenante. Il ne s'agissait pas d'investir des millions là-dedans, mais simplement de jouer un rôle moteur pour la création de ce fonds. Malheureusement, il ne reste aujourd'hui plus que deux invites; elles sont certes sympathiques, mais on voit que la motion originale a été privée de son élément le plus combatif.

Quant à la réponse du Conseil d'Etat, elle est un peu à l'avenant, c'est-à-dire qu'elle manque de nerf. Après une année, on s'aperçoit que tout ce qui avait été anticipé lors du dépôt de cette motion et des discussions en commission se révèle vrai, comme l'a rappelé M. de Sainte Marie. Il est urgent que nous prenions le taureau par les cornes afin de sauver ce qu'il reste de la presse genevoise. Hier encore, le rédacteur en chef de la «Tribune de Genève» a été évincé par son éditeur ! La rédaction poursuit son combat, mais n'est guère épaulée par les autorités politiques. Ainsi, la proposition faite par M. de Sainte Marie de renvoyer cette motion en commission afin qu'elle y soit traitée avec les autres me paraît sage, quitte à ce qu'on revienne en arrière ou qu'on ajoute des invites, puisque la situation actuelle est encore plus dramatique que l'année dernière.

Je profite de l'occasion pour saluer le projet du Conseil d'Etat intitulé MyPressGE - M. Maudet en a parlé hier dans «Le Temps» - qui consiste à mettre à disposition une plate-forme regroupant l'ensemble des contributions journalistiques des divers journaux genevois pour les restituer au public sous forme payante et dont les bénéfices seraient ensuite redistribués aux rédactions. C'est une initiative qui ne manque pas d'intérêt et qui pourrait, elle aussi, être examinée à l'occasion d'un retour en commission des deux autres motions. Nous nous rallions donc au renvoi en commission de ce rapport. Merci de votre attention.

M. Pierre Vanek (EAG). Très brièvement, Romain de Sainte Marie en a appelé à mon témoignage concernant l'entretien que nous avons eu avec Tamedia, et je confirme tout ce qu'il a dit. Les uns et les autres, de tout bord, nous étions intervenus sur l'importance, du point de vue du fonctionnement démocratique dans notre canton, de disposer d'une presse avec un réel ancrage local, qui soit à l'écoute des préoccupations des citoyennes et des citoyens, qui noue un dialogue avec les différentes autorités. Or la situation ne fait que se dégrader sur ce plan.

Au nom de mon groupe et tout comme M. Mettan, j'appuie le renvoi de cette motion en commission pour que nous prenions la mesure de la situation et des solutions qui pourraient lui être apportées. En effet, le texte a été très fortement limé avant de passer, grâce à un unanimisme dont je ne suis pas forcément le promoteur le plus constant dans cette salle, mais enfin, ça partait d'une bonne intention. Je crois qu'il faut rouvrir ce dossier, comme il faut traiter dans la foulée la M 2444-A sur l'ATS qui figure au point 150 de l'ordre du jour et qui relève de préoccupations relativement identiques. Aussi, Mesdames et Messieurs, comme l'ont soutenu mes deux préopinants, je vous propose de voter le renvoi en commission de ces deux objets. Merci.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission que je mets aux voix.

Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2411 à la commission de l'économie est adopté par 64 oui contre 18 non.

Le président. Avant de passer au point suivant, j'ai une communication à vous faire: l'UIT rappelle que les boissons et la nourriture ne sont pas autorisées dans la salle. (Remarque.) Comme dans notre propre salle, oui !