République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 30 août 2018 à 9h
2e législature - 1re année - 2e session - 15e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 9h, sous la présidence de M. Jean Romain, président.
Assistent à la séance: MM. Pierre Maudet, président du Conseil d'Etat, Antonio Hodgers, Serge Dal Busco, Mauro Poggia et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Allocution à l'occasion de la première séance à l'UIT
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président du Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, Mesdames et Messieurs, à l'occasion de cette première séance à l'Union internationale des télécommunications, permettez-moi tout d'abord de remercier chaleureusement la direction de l'UIT qui a accepté d'offrir l'hospitalité au Grand Conseil de la République et canton de Genève pendant les travaux à l'Hôtel de Ville. J'espère que ce changement de rive marquera aussi symboliquement notre attachement à la présence des organisations internationales à Genève. Je souhaite ainsi remercier M. Houlin Zhao, secrétaire général de l'UIT, M. Malcolm Johnson, vice-secrétaire général, M. Peter Ransome, chef de la division de la gestion des installations, ainsi que tout le personnel de l'UIT, qui nous ont réservé un accueil chaleureux.
Comme vous pourrez le constater, les salles du système onusien, avec traduction simultanée, n'ont pas de haut-parleurs très puissants. Je compte donc sur vous pour modérer le brouhaha que nous connaissions dans la salle du Grand Conseil afin de permettre une bonne qualité d'écoute pour tout le monde. Si tel ne devait pas être le cas, des oreillettes sont à votre disposition afin de vous offrir une audition optimale de nos débats.
J'en viens à quelques considérations pratiques. En premier lieu - et c'est un élément très important pour l'UIT - tous les espaces intérieurs sont strictement non fumeurs. Je remercie donc celles et ceux qui doivent aller fumer de se rendre sur l'esplanade devant le CICG, par là où vous êtes arrivés ce matin.
Les espaces que nous prête l'UIT sont la salle dans laquelle nous nous trouvons et le grand hall situé en antichambre. Nous n'avons pas accès à la tour, ni aux autres locaux administratifs. Je vous remercie de respecter ce périmètre.
Le badge qui vous a été remis doit être porté en permanence, sauf lorsque vous êtes dans cette salle. Dans ce cas, il vous est recommandé de le laisser dans la platine de vote devant vous. Si vous êtes rapporteur de commission et venez à la tribune, vous devez prendre votre badge avec vous afin de pouvoir prendre la parole et voter depuis votre place à la tribune.
Pour les prises de parole, le Bureau a convenu que les interventions debout restaient de mise. Je vous invite donc à parler assez près du micro et surtout à ne pas le rabattre ou le gifler à la fin de votre intervention, afin d'éviter de le casser. (Exclamations.)
En cas d'évacuation, vous voudrez bien vous conformer aux instructions du service de sécurité de l'UIT et de la police cantonale. Nous procéderons à un exercice d'évacuation lors de la session de septembre. La sortie de secours la plus proche est la porte rouge par laquelle vous êtes entrés. En cas d'évacuation, le lieu de rassemblement se situe derrière la tribune du stade de Varembé.
Avant d'aller plus loin, je vous propose de tester le vote électronique. L'insertion de votre badge actionne la platine de vote. A l'écran - je ne sais pas si c'est le cas - votre place devient blanche une fois que vous y avez glissé votre carte. (Brouhaha.) Non, ce n'est pas encore le cas, ça va arriver ! Lorsque le vote débute, toutes les places qui étaient blanches deviennent bleues à l'écran. Durant le vote, vous avez toujours sur la droite de l'écran un petit sablier qui indique le temps restant pour voter, et ce sont les couleurs habituelles que nous connaissions jusqu'à maintenant qui s'affichent. Pour les demandes de parole, vous devez utiliser le bouton situé juste à droite du micro.
Avant le vote, une sonnerie retentira dans le hall d'entrée principalement afin de prévenir les députés qui s'y trouvent. Je vais l'actionner - je l'ai fait tout à l'heure - pour que vous l'entendiez. (Le président actionne la sonnerie. Commentaires. Exclamations.) Je vois à tous ces murmures votre approbation à la douceur du carillon !
Si vous avez besoin de tirés à part ou d'imprimer un amendement, je vous remercie de vous adresser au comptoir dans le hall d'entrée.
Nous allons maintenant faire un premier test de vote. (Un instant s'écoule.) Il semblerait que le vote ne fonctionne pas en raison d'un problème de badges. (Plusieurs secondes s'écoulent. Brouhaha.) Mesdames et Messieurs, on m'informe que nous procéderons à l'essai du vote un peu plus tard dans la matinée.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes Anne Emery-Torracinta et Nathalie Fontanet, conseillères d'Etat, ainsi que Mmes et MM. François Baertschi, Diane Barbier-Mueller, Jean Batou, Jean-Marc Guinchard, Katia Leonelli, Fabienne Monbaron, Francine de Planta, Françoise Sapin, Stéphanie Valentino et Rolin Wavre, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Jacques Apothéloz, Olivier Baud, Christian Bavarel, Pierre Bayenet, Natacha Buffet-Desfayes, Florian Gander, Sylvie Jay, Souheil Sayegh, Vincent Subilia et Francisco Valentin.
Mesdames et Messieurs, je propose que nous procédions au point 4 «Discussion et approbation de l'ordre du jour» sitôt que le vote marchera, sachant que nous pourrions être amenés à voter sur des demandes de modifications. Nous sautons donc ce point et passons aux démissions.
Le président. Je vous informe que nous avons reçu la lettre de démission de Mme Sandrine Salerno de son mandat de députée et prie Mme Salima Moyard de bien vouloir lire le courrier 3772.
Le président. Merci, Madame la députée. Il est pris acte de cette démission avec effet immédiat.
Le président. Nous avons également reçu la lettre de démission de Mme Carole-Anne Kast de son mandat de députée. Je prie Mme Salima Moyard de bien vouloir lire le courrier 3782.
Le président. Merci, Madame la députée. Il est pris acte de cette démission avec effet immédiat.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de deux députés, Mme Xhevrie Osmani et M. Martin Staub. Je prie le sautier de les faire entrer, et l'assistance de bien vouloir se lever. (Mme Xhevrie Osmani et M. Martin Staub entrent dans la salle et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Madame Xhevrie Osmani et Monsieur Martin Staub, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de députés au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
Mme Xhevrie Osmani et M. Martin Staub.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée. Dès maintenant, vous pouvez siéger. (Applaudissements.)
Le président. Le rapport est de M. Pierre Eckert, qui se rend maintenant à la tribune avec son badge, comme demandé. Vous avez la parole, Monsieur le député.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Il s'agit donc d'un rapport oral de la commission des droits politiques qui s'est réunie le 29 août 2018, c'est-à-dire hier. Elle s'est d'abord penchée sur la compatibilité de M. Emmanuel Deonna. Aucun élément contraire n'ayant été constaté, la commission vous recommande à l'unanimité d'accueillir M. Deonna en tant que député suppléant.
Le même examen de compatibilité a été effectué pour Mme Helena Verissimo de Freitas. Aucun élément négatif n'a été mis en évidence, si bien que la commission vous recommande également à l'unanimité d'accepter Mme Verissimo de Freitas comme députée suppléante.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport oral.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. M. Emmanuel Deonna et Mme Helena Verissimo de Freitas vont prêter serment immédiatement.
Liens d'intérêts de M. Emmanuel Deonna (S)
Amis du Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG) - Membre du comité
Assemblée des délégués du parti socialiste suisse - Représentant du parti socialiste
Collectif de soutien aux sans-papiers (CSSP) - Membre du comité
Comité de l'Université Populaire Albanaise (UPA) - Membre du comité
Commission Migration, Intégration et Genève internationale du parti socialiste genevois - Président
Genève Zéro Pub: Libérons nos rues de la publicité commerciale - Membre du comité
Stop exclusion, coordination contre l'exclusion et la xénophobie (STOP EXE) - Membre du comité
Ville de Genève - Conseiller municipal
Liens d'intérêts de Mme Helena Verissimo de Freitas (S)
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de deux députés suppléants, M. Emmanuel Deonna et Mme Helena Verissimo de Freitas. Je prie le sautier de les faire entrer, et l'assistance de bien vouloir se lever. (M. Emmanuel Deonna et Mme Helena Verissimo de Freitas entrent dans la salle et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Monsieur Emmanuel Deonna et Madame Helena Verissimo de Freitas, vous êtes appelés à prêter serment de vos fonctions de députés suppléants au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
Ont prêté serment:
M. Emmanuel Deonna et Mme Helena Verissimo de Freitas.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est terminée, vous pouvez maintenant vous retirer ou siéger, selon les besoins de votre groupe. (Applaudissements.)
Correspondance
Le président. Vous avez trouvé sur vos places l'énoncé de la correspondance reçue par le Grand Conseil. Cet énoncé figurera au Mémorial.
Lettre de Mme SALERNO Sandrine annonçant sa démission du Grand Conseil pour le jeudi 30 août 2018 à 9h00 (C-3772)
Arrêt de la chambre constitutionnelle du 28 juin 2018 dans le cadre du recours de M. MELLINA Thierry et consorts contre la loi genevoise des institutions de droit public du 22 septembre 2017 (loi 11391) (transmis à la Commission législative) (voir correspondances C 3741, C 3746 et C 3747) (C-3773)
Arrêt de la chambre constitutionnelle du 28 juin 2018 dans le cadre du recours contre la loi 11923 du 12 mai 2017 accordant une indemnité de 28 331 637 F à la Fondation des parkings pour les années 2017 à 2019 pour la prestation de contrôle du stationnement en Ville de Genève (voir correspondances C 3744, C 3684, C 3712, C 3734 et C 3755) (transmis à la Commission des finances) (C-3774)
Arrêt de la chambre constitutionnelle du 28 juin 2018 dans le cadre du recours de M. MAURY André et consorts contre l'article 22 alinéa 2 de la loi genevoise des institutions de droit public du 22 septembre 2017 (loi 11391) (A/5011/2017 JMV ABST) (transmis à la Commission législative) (voir correspondances C 3741, C 3746, C 3747 et C 3761) (C-3775)
Arrêt de la chambre administrative du 26 juin 2018 dans le cadre du recours de Mmes BADDELEY Lauren et Margareta et consorts contre la loi 11985 modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Bernex / "Vailly Sud - Route de Chancy" (création d'une zone de développement 3 - Plan n° 29955-507) (transmis à la Commission d'aménagement) (voir correspondances C 3691, C 3718 et C 3740) (C-3776)
Arrêt de la chambre administrative du 26 juin 2018 dans le cadre du recours contre la loi 11985 modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Bernex / "Vailly Sud - Route de Chancy" (création d'une zone de développement 3 - Plan n° 29955-507) (transmis à la Commission d'aménagement) (voir correspondances C 3692, C 3719 et C 3748) (C-3777)
Décision de la chambre constitutionnelle du 28 juin 2018 suspendant la procédure concernant le recours de M. JIMAJA Bienvenu Laurent et consorts du 22.06.2018 accompagné de son chargé de pièces (L11764) (transmis à la Commission des droits de l'homme) (C-3778)
Lettre du Conseil d'Etat annonçant le retrait du PL 10305 (C-3779)
Arrêt de la chambre constitutionnelle du 30 juillet 2018 rejetant le recours de M. FOURNIER Luc contre l'arrêté du Conseil d'Etat statuant sur la validité de l'IN 164 "Pour un meilleur contrôle de l'expérimentation animale" (C-3780)
Arrêt de la chambre administrative du 26 juin 2018 relatif à la Sablière du Cannelet (voir point 42 de l'odj, PL 11976) (transmis à la Commission d'aménagement) (C-3781)
Lettre de Mme KAST Carole-Anne annonçant sa démission du Grand Conseil pour le jeudi 30 août 2018 à 9h00 (C-3782)
Annonces et dépôts
Le président. Vous avez reçu par messagerie la nouvelle version de l'IN 164, avec de nouveaux délais de traitement suite à un recours auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice. Elle portera dorénavant le numéro IN 164-CJ. Cette initiative est renvoyée à la commission de la santé.
Je vous informe que le PL 10305 du Conseil d'Etat ouvrant un crédit d'étude de 2 720 000 F en vue de la construction délocalisée à Bernex de nouveaux bâtiments pour l'office cantonal des automobiles et de la navigation et de la fourrière cantonale est retiré par son auteur.
Les pétitions suivantes, parvenues à la présidence, sont renvoyées à la commission des pétitions:
Pétition contre le projet de prise en charge des heures d'enseignement de l'informatique par la philosophie, sous forme de co-enseignement, dans le projet d'introduction de l'informatique proposé par les directrices et directeurs du collège de Genève (D11) (P-2047)
Pétition pour des balcons rapportés à l'AUREA (ancienne « Cité Familia ») (P-2048)
Le président. Est parvenue à la présidence la candidature de M. Olivier Droz (MCG).
Etant seul candidat, M. Droz est élu tacitement.
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons notre premier point fixe, les objets liés IN 159-C et PL 12366, classés en catégorie II, soixante minutes. Je prie les rapporteurs de s'installer à la tribune avec leur badge pour pouvoir utiliser les appareils. (Un instant s'écoule.) Ecoutez bien ce que je vais dire: les cartes ne fonctionnent pas, mais les demandes de parole, si. En revanche, j'ai uniquement les numéros de place sous les yeux et ne peux donc vous appeler qu'en fonction de ceux-ci pour vous donner la parole. Heureusement, je vous connais pour la plupart ! La parole revient tout d'abord à Mme Anne Marie von Arx-Vernon.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons traité ce projet de loi avec beaucoup de sérieux, et je tiens à rendre hommage à M. le député Pierre Conne qui a animé la sous-commission chargée d'élaborer un contreprojet à l'initiative. Les travaux se sont déroulés dans un respect et une qualité d'écoute qui sont à relever.
Le but de la commission judiciaire et de la police réunie en sous-commission était que nous nous mettions d'accord pour que les initiants retirent leur initiative. En effet, il s'agissait d'éviter, en cas de votation populaire, de soumettre aux citoyens deux objets risquant de créer une grande confusion. Nous avons discuté de la transmission d'informations au sein des établissements pénitentiaires, par exemple lorsqu'un soignant qui n'est ni un expert ni contraint de procéder à des examens quant à la dangerosité estime détenir des informations importantes à communiquer aux autorités ou à des tiers.
La principale qualité de ce contreprojet est d'avoir institué les règles dans la loi sur la santé, plutôt que de les laisser dans la loi d'application du code pénal. Durant les travaux, nous avons été accompagnés par le professeur Bernhard Sträuli, directeur du département de droit pénal et professeur de droit pénal à l'Université de Genève, le professeur Philippe Ducor, spécialiste de droit médical et consultant auprès de l'AMG, Mme Annick Pont Robert, directrice du SAPEM, et le Dr Michel Matter, président de l'AMG. Leurs compétences ont éclairé les travaux de la sous-commission, et nous les remercions tout particulièrement.
Dans sa grande majorité, la commission judiciaire et de la police a voté ce contreprojet et vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir en faire autant.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, s'il y a bien un principe auquel le MCG ne tolérera aucune exception, c'est celui de la sécurité de notre population. Sous prétexte de préserver le secret professionnel, certains en viennent à mettre en danger les citoyens, ce qui est intolérable.
Faut-il rappeler que les professionnels de la santé qui travaillent dans un établissement de détention du canton sont des médecins des HUG, rémunérés par les HUG et qui n'ont pas été choisis par les détenus, contrairement à un médecin de cabinet ? Oui, le secret médical s'applique en prison; oui, la relation de confiance se construit grâce à ce secret. Mais le respect de ce secret ne doit jamais mettre en péril la sécurité, la vie, l'intégrité corporelle ou sexuelle de qui que ce soit.
Le MCG peut accepter beaucoup de choses dans ce contreprojet qui, à bien des égards, va à l'encontre de la volonté des initiants. Alors que la loi actuelle ne concerne pas les personnes en détention provisoire en attente de jugement, le contreprojet les prend en considération. Quant aux dispositions qui sont actuellement intégrées dans une loi d'application du code pénal, marquant ainsi les limites des exceptions voulues au secret médical, le contreprojet veut les inclure dans la loi sur la santé, ce qui symboliquement est problématique. Par ailleurs, que l'article 27B laisse au thérapeute la faculté de garder pour lui des informations pouvant sauver une vie est non seulement inadmissible, mais gravement irresponsable.
Pour ce motif et dans la mesure où l'amendement du Conseil d'Etat rétablissant l'obligation d'annonce a été refusé, le MCG rejettera ce contreprojet qui compromet la sécurité publique.
M. Christian Zaugg (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche a âprement défendu l'initiative 159 de l'Association des médecins du canton de Genève intitulée «Garantir le secret médical pour tous protège mieux la société» à la commission judiciaire et de la police. L'initiative modifie l'article 5A de la loi relatif au devoir d'information, dans son alinéa 2 concernant l'état de nécessité et dans son alinéa 3 sur l'évaluation de la dangerosité. Elle établit une différence entre les médecins, les psychologues et tout autre professionnel pouvant communiquer un fait pertinent de nature à influencer la peine ou la mesure en cours, et les experts qui, eux, sont tenus d'en informer les autorités.
Dans sa disposition relative à l'évaluation de la dangerosité, l'initiative supprime l'obligation pour les professionnels de répondre impérativement à une requête de levée du secret professionnel en leur laissant un pouvoir d'appréciation, mais oblige ces mêmes personnes, lorsqu'elles sont mandatées en qualité d'experts, à informer les autorités en cas de danger. Dès lors, il n'y a plus de mélange entre les rôles respectifs des médecins, des thérapeutes et des experts mandatés - nous n'avions cessé, dès le début, de signaler cette situation confuse.
Je rappelle qu'en matière de dangerosité, la situation qui prévalait avant le vote de la loi en vigueur permettait à l'article 17 du code pénal de parer à tous les dangers. Cet article intitulé «Etat de nécessité licite» indique ceci: «Quiconque commet un acte punissable pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement [...] agit de manière licite s'il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.» Il est complété par l'article 15 qui peut également être invoqué en cas de menace ou d'attaque imminente. La situation était claire: rien n'interdisait - et n'interdit encore - à un médecin ou à un thérapeute de communiquer la présence d'un danger ou la menace d'une attaque imminente.
La loi cantonale d'application en vigueur énonce, quant à elle, que les médecins et les thérapeutes «informent» les autorités, et cela fait une énorme différence. Il n'y a là plus de choix devant le moindre risque, la moindre interprétation. «Informent» est un terme impératif qui interdit toute retenue, toute évaluation. Cette information généralement écrite ne peut que conduire à une confusion entre un médecin thérapeute et un expert dûment mandaté. Des situations antérieures de ce type ont d'ailleurs été dénoncées par la CEP, situations auxquelles je vous renvoie. Il faut donc impérativement informer, sans tenir compte des risques de saturation.
Or les médecins risquent de se sentir dans l'obligation de tout dire, ne serait-ce que pour se protéger des foudres de l'administration ou du Tribunal criminel, et de faire la queue devant le guichet de la commission du secret professionnel. Absurde ! Cela est de nature à compromettre gravement le processus thérapeutique, car comment imaginer dans ce contexte que les détenus communiqueront avec franchise et humilité tous leurs fantasmes relatifs à une évasion, à un gardien ou à une infirmière ? Ils se garderont bien de le faire afin de ne pas compromettre une libération anticipée, et leurs séances de psychothérapie risquent alors de se transformer en sessions mutiques qui compromettront sérieusement l'issue du traitement - un traitement, rappelons-le, fondé sur la relation de confiance établie entre un médecin et son patient.
Dans l'initiative, les choses sont claires: seuls les médecins intervenant en qualité d'experts sont dans l'obligation d'informer qui de droit. De plus, le dernier paragraphe de l'article 5A admet une cautèle: il autorise les médecins, dans le cas d'un patient qui s'opposerait à la révélation de faits patents en matière de dangerosité, à saisir la commission du secret professionnel. Dans son contenu, cet article ainsi formulé est parfaitement conforme à l'article 17 du code pénal concernant l'état de nécessité.
La commission a beaucoup travaillé et modifié quelques éléments de forme avec le plein accord de l'Association des médecins du canton de Genève. Elle a pu établir un lien entre la loi en vigueur et l'initiative. Le groupe Ensemble à Gauche, qui a défendu ladite initiative quant à son fond, accepte quelques précisions bienvenues dans le contreprojet, notamment... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...le nouvel article 27B. Celui-ci stipule que les médecins «ont la possibilité de s'affranchir du secret professionnel pour informer sans délai le département chargé de la sécurité, ses services, ou ses établissements de détention avant jugement ou ses établissements d'exécution des peines et mesures, pour autant que le danger soit imminent et impossible à détourner autrement d'une part, et que les intérêts sauvegardés par une telle information l'emportent sur l'intérêt au maintien du secret professionnel d'autre part».
Le président. C'est terminé, Monsieur. Je vous remercie et cède la parole à M. le député Pierre Conne.
M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, le groupe PLR votera le contreprojet, c'est-à-dire le projet de loi 12366. Je vais vous expliquer en quoi ce texte constitue une amélioration à la fois par rapport à la loi actuelle et par rapport à l'initiative. Tout d'abord, son contenu prend place dans la loi sur la santé. Ce qui avait essentiellement motivé le projet de loi initial déposé par le Conseil d'Etat, c'était le constat que les professionnels de la santé, d'une part, et de la sécurité et du domaine pénitentiaire, d'autre part, travaillaient en silos et qu'il était indispensable de rappeler dans la loi la nécessaire coopération entre les différents groupes professionnels. Voilà pour le premier point.
Le deuxième élément qu'il convient de relever figure à l'article 27A, intitulé «Echange d'informations». Dans le contreprojet, nous indiquons exactement quels patients sont concernés, ce que ni la loi ni l'initiative ne précisent. En effet, ces deux textes mentionnent les médecins, psychologues et tout autre intervenant thérapeutique sans évoquer le rôle de ces professionnels. Dans le projet de loi, nous précisons clairement: «Les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique agissant au profit d'une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure [...]» Il s'agit là d'un élément extrêmement important qui permet de définir le type de patientèle, en l'occurrence des patients détenus, concernée par les échanges d'informations nécessaires pour que les différents groupes professionnels puissent coopérer utilement en milieu pénitentiaire.
Pour des questions de logique dans ma présentation, je passe directement à l'article 27C, à savoir «Faits pertinents à l'évaluation de la dangerosité». En termes de sécurité publique - nous l'avons constaté dans le cadre de l'enquête parlementaire sur l'affaire de La Pâquerette - il est capital que tous les éléments concernant l'évaluation de la dangerosité soient clairement précisés, et c'est ce que fait le projet de loi à travers deux aspects. Tout d'abord, il sépare clairement le rôle de thérapeute de celui d'expert. Ensuite, il dispose que les médecins communiquent tout fait pertinent permettant d'évaluer le caractère dangereux d'une personne, alors que la loi actuelle se contente de: «peuvent communiquer aux autorités compétentes». Dans le fond, la loi actuelle est très permissive concernant l'évaluation de la dangerosité, et le contreprojet que nous vous proposons beaucoup plus exigeant.
S'agissant maintenant de la levée du secret professionnel, l'AMG, par la voix de son président lors des travaux de la sous-commission, est revenue à la disposition de la loi actuelle, considérant que dès lors qu'un patient détenu s'opposait à ce que des informations médicales soient transmises aux experts, le médecin devait saisir automatiquement la commission du secret professionnel, c'est-à-dire que le médecin thérapeute en milieu pénitentiaire n'avait pas la marge de manoeuvre pour décider s'il allait soumettre ou non la question à la commission du secret. On trouve dans cette disposition de l'article 27C ce qui permet vraiment de garantir la sécurité s'agissant de l'évaluation de la dangerosité des détenus.
Je vais conclure avec l'état de nécessité, parce que c'est là qu'il reste une pierre d'achoppement. La loi actuelle stipule que les médecins informent sans délai de tout fait dont ils ont connaissance et qui serait de nature à faire craindre pour la sécurité. Soit. Mais en fait, et mon préopinant en a parlé, le code pénal auquel fait d'ailleurs référence la loi ne dit pas ceci, il dit que pour donner l'alerte, on a le droit de transgresser le secret médical, et c'est ainsi que nous avons formulé l'état de nécessité dans le contreprojet. Il s'agit de dire que les médecins qui ont connaissance de faits de nature à laisser craindre pour la sécurité ont le droit de s'affranchir du secret professionnel. Cet élément doit être rappelé avec force, notamment aux thérapeutes, et c'est ce qui fait que ce projet de loi doit être soutenu.
Pour résumer, le contreprojet à l'initiative que nous vous proposons précise qui sont les patients concernés - les détenus - distingue clairement le rôle des thérapeutes de celui des experts médicaux, renforce la disposition sur l'évaluation de la dangerosité et, s'agissant de l'état de nécessité, respecte le droit supérieur en rappelant aux thérapeutes que pour donner l'alerte sur un danger imminent, ils ont le droit de transgresser le secret médical, ce qui place la sécurité au-dessus du maintien du secret médical. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je salue la présence dans la salle de notre ancien collègue Roger Deneys. (Applaudissements.) La parole est à M. le député Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Le parti démocrate-chrétien avait défendu l'initiative de l'Association des médecins du canton de Genève, mais est aujourd'hui satisfait des travaux de la sous-commission qui a proposé ce contreprojet. Tout a été dit par M. Conne. Ce qui est très important pour nous, c'est le fait qu'il y ait davantage de clarté dans le positionnement du médecin: maintenant, les professionnels qui interviennent en milieu pénitentiaire savent exactement ce qu'ils peuvent faire et ne pas faire, ce qui n'était pas le cas avant, il y avait une marge d'interprétation.
Autre point essentiel, c'est la distinction effectuée entre l'expert et le médecin thérapeute - nous avions déjà évoqué cet élément lors des travaux sur l'initiative: clairement, un expert qui intervient pour évaluer la dangerosité d'un détenu ne peut pas être tenu par le secret médical; face à un détenu qui refuse la transmission d'informations, il doit absolument déclarer qu'on ne peut pas prendre de décision à son égard. Je le répète: il n'y a pas de secret professionnel pour un expert, il est tenu de tout dire dans son rapport d'expertise.
L'AMG a déclaré - je vous le transmets, Mesdames et Messieurs - que si le contreprojet est accepté, elle retirera son initiative. Les choses sont claires: si vous votez maintenant le projet de loi, l'association retirera son initiative. Nous vous recommandons donc d'adopter ce contreprojet qui est excellent, qui a été élaboré en consensus avec tous les milieux concernés, et nous refuserons tout amendement qui serait proposé. Je vous remercie.
M. Alberto Velasco (S). Tout d'abord, Monsieur le président, je tiens à remercier ma collègue et ancienne députée Irène Buche qui avait participé aux travaux de la sous-commission...
Des voix. Plus fort !
M. Alberto Velasco. Ça va, comme ça ? (Remarque.) Plus fort encore ? Mais je n'y arrive pas ! On ne peut pas augmenter le volume ?
Une voix. Allez, Albert, vas-y !
M. Alberto Velasco. Monsieur le président, je tiens donc à remercier ma collègue Irène Buche pour le travail qu'elle avait effectué lors des travaux de la sous-commission.
Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais rappeler qu'à l'époque, cette loi est passée à une voix près, à une voix près ! Elle était déjà extrêmement contestée par ce Grand Conseil lors de son acceptation. Par ailleurs, il faut rappeler le contexte dans lequel elle a été votée, c'est-à-dire l'affaire Adeline. Lors des auditions des experts, ce qui est apparu, c'est que cette loi ne résolvait pas du tout les problèmes, mais en créait au contraire de nouveaux.
Les députés socialistes sont arrivés à la conviction - je ne reviendrai pas sur les tenants et aboutissants, déjà largement évoqués par mes préopinants - qu'il fallait abroger la loi avec un contreprojet, et nous avons donc adhéré aux travaux. Quand j'ai demandé au procureur général ce qu'il en pensait, il a répondu qu'il aurait fallu la laisser telle quelle, ce qui a été significatif pour moi et pour mon groupe.
Enfin, l'un de mes collègues qui a également participé à la CEP a confirmé que les travaux de celle-ci avaient démenti le fait que l'affaire Adeline avait un lien avec la question médicale. La proposition de notre groupe est claire, Mesdames et Messieurs: nous adhérons au contreprojet et nous allons voter à la fois le contreprojet et l'initiative, en espérant que les initiants la retirent. Voilà, merci.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, au début du processus législatif, les Verts étaient en faveur de l'initiative 159. Or celle-ci a échoué devant le Grand Conseil il y a un an en raison du contreprojet qui vient d'être élaboré par la sous-commission de la commission judiciaire et de la police. Les Verts soutiennent dorénavant le contreprojet. Pourquoi ? Tout d'abord, parce qu'il est le fruit d'un compromis acceptable: acceptable pour l'Association des médecins du canton de Genève, à l'origine de l'initiative, et acceptable pour presque tous les partis, à l'exception de l'UDC et du MCG. Sans entrer dans les détails, il permet d'éclaircir trois points importants.
L'un des changements les plus importants, c'est d'avoir ancré ce contreprojet dans la loi sur la santé, et non plus dans la loi d'application du code pénal. Pour nous, les Verts, c'est plus cohérent, puisque cela concerne les professionnels de la santé travaillant en milieu carcéral. Deuxième point, le champ d'application a été élargi: ce contreprojet s'appliquera aux personnes détenues ou aux personnes exécutant une peine ou une mesure. Il s'agit dans ce dernier cas de personnes qui ne sont pas détenues, mais qui font l'objet d'une mesure. Par conséquent, cela concerne aussi les personnes en détention avant jugement. Enfin, il y a la volonté de se mettre en conformité avec le droit fédéral: l'une des modifications les plus importantes - je cite la page 6 du rapport - est de «transformer le devoir d'information en un droit d'information des intervenants thérapeutiques».
Ce point est central et figure au coeur des préoccupations des médecins. Pourquoi ? Parce que le secret médical a pour but de protéger le patient. J'en cite la définition que donne le site officiel du canton de Genève: «Il garantit la confidentialité des informations entre le professionnel de la santé et son patient et est ainsi à la base de la relation de confiance qui doit s'établir entre eux.» Ce fameux secret médical ! Capital aux yeux des médecins et des intervenants thérapeutiques pour pouvoir exercer correctement. Ethique, car la thérapie en milieu carcéral est primordiale pour certains détenus, surtout dans le domaine psychique. Certains traitements ont pour objectif d'induire un changement dans la manière de penser et d'agir. Cela prend du temps, et il faut un lien de confiance. Grâce à ce lien, justement parce qu'il existe, les patients se confient à leur médecin, et des informations cruciales ou sur l'état de dangerosité peuvent ainsi être mises en lumière. Il y a donc une possibilité d'anticiper et de sécuriser.
La procédure pour lever le secret médical est modifiée, mais reste tout à fait possible, et elle est plus claire. Avec ce droit, le secret médical peut être levé, soit avec l'accord du détenu ou du patient, soit, en cas de refus, l'intervenant thérapeutique s'adresse à la commission du secret. L'intervenant thérapeutique fera suite à une demande des autorités ou des experts qui, au vu de l'état de nécessité, considéreraient que des biens juridiquement protégés supérieurs seraient concernés - on parle de la vie, de l'intégrité corporelle, etc. Cette solution permet de clarifier les différents rôles du traitant et de l'expert, ce qui n'était pas le cas dans la loi précédemment votée.
Pour nous, les Verts, l'obligation d'annoncer telle qu'elle figure dans la loi avant ce contreprojet ne facilite en rien l'évaluation de la dangerosité. Ce n'est pas un moyen d'améliorer la sécurité de la population, cela peut même la péjorer, car à défaut de soins, surtout dans le domaine psychique, par manque de confiance, un détenu qui aurait purgé sa peine et qui réintégrerait la société serait plus dangereux qu'un détenu ayant bénéficié d'un traitement.
En conclusion, les Verts soutiennent le contreprojet, car ce compromis permettrait le retrait de l'initiative, car ce serait se conformer au droit supérieur, car le secret médical pourrait être levé en situation d'état de nécessité sur demande, car bénéficier de thérapies en milieu carcéral est fondamental pour ceux qui y sont détenus, et enfin parce que le contreprojet est désormais ancré dans la loi sur la santé. Le secret médical fait partie du lien thérapeutique et du climat de confiance. Il est fragile. Je cite un extrait du «Petit glossaire de bioéthique» destiné aux étudiants en médecine à l'Université de Genève: «C'est justement parce que la confidentialité est fragile qu'elle doit être défendue.» Les Verts disent oui au contreprojet. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, voyant certains d'entre vous incliner les micros, je vous informe que vous n'avez pas besoin de modifier leur position. Laissez-les dressés comme quand vous parlez debout. Je sais que c'est la patine d'une longue et fâcheuse habitude mais, de grâce, ne touchez plus aux micros, s'il vous plaît ! Je laisse maintenant la parole à M. le député Patrick Lussi.
M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, à l'Union démocratique du centre - j'ai suivi personnellement le débat en sous-commission - il nous semble qu'on a perdu le fil rouge, le fil d'Ariane. J'ai écouté avec intérêt mes derniers préopinants qui ont toutes et tous des arguments très justifiés, bien sûr, mais de quoi parlons-nous, de quoi s'agit-il, que visait spécifiquement ce projet de loi ? Non pas de supprimer le secret médical s'agissant des détenus, non pas de supprimer le secret médical en général, mais de rectifier la donne s'agissant de prisonniers qualifiés de dangereux, incarcérés dans des unités spécialisées et qui font des demandes d'allégement de peine ou de sortie - tout le monde dit que c'est un amalgame, mais non, pour moi, c'est la conséquence d'un cas avéré. C'est uniquement dans cette optique que l'Union démocratique du centre est entrée en matière et a voté le projet de loi du Conseil d'Etat.
Evidemment, c'est toujours facile de déborder; ce qui est dommage, pour l'Union démocratique du centre - ou en tout cas en ce qui me concerne - c'est qu'on veuille faire une opposition entre le détenu et le corps des médecins. Certains sont-ils au-dessus des lois quand il s'agit de transmettre des informations pertinentes pour déterminer si une liberté doit être accordée ou non ? Le secret médical, c'est une inspiration philosophique, quasi divine ! Là, il nous semble que nous avons perdu le fil d'Ariane, le fil conducteur.
Les débats ont été intéressants, mais le but principal de ce projet de loi, la raison pour laquelle l'Union démocratique du centre estime qu'il est nécessaire, c'est la protection de nos concitoyens. Parce qu'en définitive, ça ne s'adresse pas à Monsieur Tout-le-Monde, ça ne s'adresse pas à - vous me passerez l'expression - Monsieur le détenu Tout-le-Monde, ça s'adresse à une catégorie très particulière de gens dangereux ayant été condamnés. On a voulu élargir le champ d'application à d'autres personnes faisant l'objet de mesures, mais ce n'est pas l'idée de départ de ce projet de loi. Voilà pourquoi l'Union démocratique du centre refusera le contreprojet, mais reverra sa décision si l'amendement du Conseil d'Etat que nous avons reçu ce matin se voyait accepté. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'aimerais apporter quelques éléments en complément de l'intervention de mon collègue Alberto Velasco. Je faisais partie des initiants, mais j'ai également signé ce contreprojet, parce qu'il améliore et précise un certain nombre de notions - cela a été dit par plusieurs préopinants - tout en préservant l'équilibre entre secret médical et préservation de la sécurité.
Ce qui est absolument central dans cette discussion, c'est de bien comprendre qu'il n'y a pas de sécurité sans secret médical. En effet, le traitement des personnes en détention ne serait tout simplement pas possible, ne pourrait pas être conduit correctement. M. Pistis a dit tout à l'heure que les médecins qui interviennent en milieu carcéral sont des fonctionnaires et qu'ils ne devraient pas avoir à appliquer le secret médical avec la même rigueur. Je réponds: et alors ? Les médecins qui officient au sein des HUG sont aussi des fonctionnaires, ils travaillent en tout cas pour l'Etat, donc on pourrait à ce moment-là aussi se dire que finalement, ils n'ont pas besoin d'appliquer le secret médical avec la même rigueur, ce qui serait évidemment totalement absurde.
Au fond, il s'agit avec la préservation de ce secret non seulement d'une question de droits fondamentaux, mais également d'un enjeu institutionnel, parce que les médecins, tout comme les avocats et avocates, ont besoin du secret professionnel pour faire leur travail. La société a besoin du secret médical de manière générale pour permettre aux médecins de faire leur travail, mais également in casu pour que les traitements se fassent afin de préserver la sécurité de l'ensemble de la population. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste vous invite à refuser l'amendement du Conseil d'Etat qui rompt l'équilibre trouvé grâce au travail intense de la sous-commission et à accepter le contreprojet. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). J'aimerais répondre à M. Lussi. La motivation principale qui a conduit à la loi attaquée par le référendum de l'AMG était la suivante: on se disait que si des détenus doivent être libérés, mais qu'ils sont potentiellement dangereux ou présentent un risque pour la société, alors il faut les laisser en prison. Dans ce cas-là, il y a une expertise, c'est une obligation lorsqu'on doit décider si quelqu'un peut sortir ou pas de prison, on procède à une évaluation de la dangerosité.
Je répète ici que le secret médical n'entre absolument pas dans le mandat de l'expert. Celui-ci a accès à tout et doit tout dire, et le thérapeute est contraint de donner des éléments au médecin expert: si l'expert demande à son collègue de lui fournir des renseignements concernant son patient, il doit les communiquer, il ne peut pas les taire ! Ce risque n'existe pas et n'existait même pas avant l'affaire Adeline, puisque tout est clair s'agissant de la transmission des données.
Maintenant, il peut arriver dans le milieu carcéral que des médecins soient au courant de certains risques, par exemple qu'un détenu leur confie vouloir faire une tentative d'évasion. Lors des travaux sur le projet de loi, la direction de la prison nous a dit très clairement qu'il n'y avait aucun problème, parce que la collaboration entre les médecins et la direction de la prison est excellente: si un médecin est au courant d'un risque avéré, il le transmet automatiquement à la direction. Ça ne pose aucun problème et ça n'entre pas dans le champ du secret médical. Aucun médecin ne prendrait la responsabilité de garder pour lui des informations relatives à un risque d'attentat, de meurtre ou d'agression, aucun médecin ! Mesdames et Messieurs, il faut voter le contreprojet qui amène beaucoup de clarté dans la situation actuelle, ça permettra de pacifier les choses. Merci.
M. Pierre Maudet, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il appartient au Conseil d'Etat de replacer toute cette discussion dans son contexte. Même si le dossier spécifique du secret médical n'est pas directement lié au drame de la Pâquerette, cette discussion a été générée par cet événement. C'est en effet la genèse de ces projets de lois, et pas seulement de celui-ci, mais aussi de ceux qui ont donné lieu à des débats dans la plupart des cantons latins, qui sont à l'origine de la discussion sur le secret médical. En effet, à l'automne 2013, après les différentes affaires qui ont défrayé la chronique en 2012 et 2013 - trois d'entre elles en particulier, Lucie, Marie et Adeline - les directeurs des départements de justice et police ont décidé, en étroite concertation avec les responsables de la santé, d'harmoniser leurs pratiques. Cette décision a été prise dans le cadre - c'est un argument important, Mesdames et Messieurs - de ce qu'on appelle l'espace pénitentiaire romand, car comme vous le savez, et nous aurons l'occasion d'en débattre plus tard dans la matinée, nous ne pouvons réaliser seuls les établissements pénitentiaires; il existe différents ordres, différentes institutions parmi lesquels nous nous répartissons les détenus. Nous avons décidé d'harmoniser nos pratiques pour faire en sorte, par exemple, que si un détenu valaisan doit, pour des raisons liées à la nature de sa peine ou de sa mesure, être incarcéré à Genève, il le soit sur le même niveau que les détenus genevois, respectivement que les détenus valaisans restés dans leur canton d'origine. C'est là le point de départ: un souci d'harmonisation des conditions - notamment médicales mais pas seulement, puisque à l'époque, il y avait aussi les conditions de sortie et de congé - dans lesquelles nous traitons de cette matière particulière, de ces personnes.
On ne parlait alors que des condamnés. Il faut souligner ici un premier changement majeur dans le contreprojet qui nous est soumis, celui d'élargir le périmètre de manière sensible, avec tous les problèmes que cela pourrait générer, mais aussi l'intérêt - que je ne veux pas taire - que cela représente de prendre l'ensemble des détenus: détention provisoire, administrative, personnes sous régime de mesure, personnes sous régime de peine. Le premier élément sur lequel le Conseil d'Etat veut insister, qui plaide en faveur de l'amendement déposé tout à l'heure, c'est d'avoir une harmonisation au niveau romand pour que nous puissions traiter de la même façon ces échanges de détenus, bien nécessaires, absolument indispensables, et garantir également à des offices d'application des peines d'autres cantons que nous assurons la sécurité.
La sécurité, justement: c'est le deuxième argument, et le point de départ, aussi, de ce projet de loi déposé à l'époque avec mon collègue Mauro Poggia. Il s'agit du souci de protéger la société ! J'évoquais il y a un instant que les condamnés constituent le périmètre de base. J'aimerais rappeler ici qu'en cas de doute, ce doute doit bénéficier à la société, non au condamné. L'accusé peut bénéficier du doute; le condamné, non. C'est un des enseignements que nous avons retenus de ces dramatiques affaires de 2013. Nous voulions ancrer dans la loi l'idée qu'il faut inverser la présomption et que, ma foi, celui qui a été condamné mais veut sortir doit autoriser son thérapeute à être libéré du secret médical.
Qu'avons-nous observé, Mesdames et Messieurs ? J'ai entendu ici des propos surprenants. On a observé, depuis dix-huit mois que la nouvelle loi est entrée en vigueur, qu'il n'y a pas de queue gigantesque devant la commission de levée du secret. On a en revanche - c'est nouveau, c'est appréciable, et c'est ce qu'il faudrait éviter de détruire avec un projet déséquilibré - un regain d'intérêt du monde médical pour le monde carcéral et réciproquement. Comme vous le savez - vous l'avez mis en lumière dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire - une des difficultés majeures auxquelles toutes les administrations pénitentiaires sont confrontées est la capacité de faire circuler l'information au sein des établissements, entre ceux-ci, mais aussi entre les différents ordres, médical, carcéral, qui cohabitent sur le même site. C'est pour cela qu'au départ, la loi avait un nom tel que «loi visant à améliorer la circulation de l'information» - je n'ai plus les termes précis en tête, mais elle portait précisément sur l'amélioration de la circulation de l'information. Aujourd'hui, à la lumière des cas dramatiques qu'on a connus, on ne peut plus se permettre d'avoir des ruptures d'informations, des cloisons qui s'érigent et génèrent des risques sécuritaires importants, aussi bien pour le personnel des établissements qu'évidemment pour la société; on ne rappellera pas ici les cas de sorties ou de congés pour lesquels l'expertise médicale, respectivement l'appréciation des thérapeutes - il s'agit de deux choses différentes - est fondamentale, lorsqu'on doit décider, pour quelqu'un qui un jour ou l'autre connaîtra le terme de sa peine, de prendre le risque, parce que c'en est toujours un, d'autoriser une sortie ou un congé.
Depuis dix-huit mois, Mesdames et Messieurs, cette loi fonctionne, et elle fonctionne bien. A notre connaissance, elle n'a pas généré d'engorgement, ni du côté médical, ni du côté carcéral. Elle a au contraire généré un accroissement de la circulation de l'information, un besoin réel pour les thérapeutes et pour le monde pénitentiaire, les gardiens, d'échanger et de collaborer.
Il faut ici relever - le Conseil d'Etat le fait volontiers - que le contreprojet améliore sensiblement la situation sur certains points. J'aimerais souligner les pas importants réalisés par le travail de la sous-commission et de la commission, et aussi, il faut le dire, avec l'Association des médecins de Genève, qui, eux aussi, ont fait leur chemin de Damas à propos de l'évaluation de la dangerosité. Le texte proposé est un bon texte. Sur l'évaluation de la dangerosité, une question clé de tout le dispositif, objectivement, nous ne pouvons qu'applaudir, parce que réellement, on se donne les moyens d'aller un pas plus loin que ce qu'on connaissait précédemment. Le problème principal, Mesdames et Messieurs, vous l'avez compris, est celui de l'état de nécessité. C'est pour cela que nous avons déposé un amendement visant à supprimer la formulation potestative, qui, objectivement, du point de vue du Conseil d'Etat, détériore la situation du thérapeute. En effet, précédemment, il y avait une présomption de culpabilité du thérapeute qui violait son secret médical: je viole mon secret médical, et, précisément parce que je le viole, je suis suspecté d'avoir enfreint les règles. De notre point de vue, le corps médical est désormais protégé - et c'est toute l'inversion qu'il s'agit d'expliquer - avec les dispositions légales actuelles, avec la disparition de la dimension potestative et donc l'obligation d'informer en cas d'état de nécessité. Il est protégé parce qu'il n'a plus à prouver qu'il a violé le secret médical dans le but de sauvegarder un bien juridiquement protégé. Cela peut sembler complexe, mais en réalité, c'est un point fondamental, un point qui, du point de vue du Conseil d'Etat, justifie l'amendement que nous avons déposé, car pour le reste de contreprojet, nous pouvons y souscrire. C'est une autre façon de dire et de faire ce que, depuis dix-huit mois, nous avons amélioré dans le monde pénitentiaire.
Je vais laisser mon collègue Mauro Poggia compléter et surtout appuyer les points relatifs à la santé, puisque - je m'arrête un instant encore là-dessus - vous avez décidé de transférer le siège légal du domaine pénal au domaine de la santé. C'est un choix qui nous est apparu un peu curieux, parce que c'est insister sur la dimension médicale, alors qu'on parlait vraiment de l'environnement carcéral; mais pourquoi pas, l'essentiel pour nous est qu'au terme de ce débat, nous retrouvions une certaine stabilité dans le monde pénitentiaire, une capacité de faire travailler réellement et concrètement les acteurs de ce milieu, et surtout, que nous puissions le plus possible éviter à l'avenir de créer ces ruptures sécuritaires dans la circulation de l'information.
Le président. Merci, Monsieur le magistrat. Je passerai la parole à M. Dimier au deuxième débat; on ne parle pas après les magistrats. Nous terminons le premier débat avec M. Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je ne répéterai évidemment pas ce qu'a dit mon collègue. Le Conseil d'Etat est uni sur ce sujet. Pour ceux qui pourraient en douter, je voudrais rappeler que le Conseil d'Etat, dans sa politique sanitaire, a toujours marqué son plus profond respect pour le secret médical et son attachement à celui-ci, et d'une manière générale, au-delà de la politique sanitaire, pour le secret en tant que tel, en faveur des personnes qui, selon nos lois, en sont les porteuses: que l'on pense au secret de l'avocat, au secret de l'ecclésiastique. Le secret fait partie des valeurs fondamentales de notre société; il faut bien évidemment qu'il y ait des personnes à qui on puisse à un moment donné se confier sans avoir à craindre que les confidences ne soient dévoilées.
Le Conseil d'Etat considère cependant - et il n'est pas le seul à le penser, le législateur l'a pensé avant lui - qu'il y a une échelle des biens juridiquement protégés et qu'à un moment donné, lorsqu'il s'agit d'arbitrer entre deux de ces biens, il faut choisir celui qui, selon nos valeurs sociétales, est au-dessus des autres. Indiscutablement, la sécurité, la vie, l'intégrité corporelle, psychique, sexuelle sont au-dessus du secret. Comment justifier qu'une personne perde la vie parce qu'on a souhaité protéger un secret ? Mais il y a une nuance - je répondrai là à une remarque selon laquelle les médecins des HUG sont des médecins comme les autres et ce n'est pas parce qu'ils travaillent dans une institution qu'ils ne sont pas porteurs d'un secret. Bien évidemment ! Ce n'est pas le statut de médecin avec un rapport de droit public qui fait la différence, mais la mission qui lui est donnée. Ce médecin intervient dans un milieu carcéral avec une mission spécifique, celle d'accompagner, de suivre, de soigner, de guérir bien sûr, des personnes détenues.
Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit. Ce contreprojet est bon en bien des points, même si on peut discuter le fait que l'on élargisse le champ d'application aux personnes détenues avant jugement ou encore qu'on ancre ces dispositions dans une loi sur la santé et non pas dans la loi d'application du code pénal, qui était un signe symbolique que voulait donner le Conseil d'Etat et qu'il donne dans la loi actuelle, selon lequel il s'agit d'une exception, mais clairement circonscrite à une situation particulière. Je dirais que nous pouvons vivre avec ces modifications, et nous ne pouvons que saluer d'autres précisions apportées qui manquaient certainement dans le texte initial en vigueur depuis un an et demi, je le rappelle.
Par contre, je reviens sur l'amendement à l'article 27B dont il a été question, qui se trouve sur vos tables et concerne l'état de nécessité. Je rappelle que l'article 17 du code pénal actuel permet à tout un chacun de violer un bien juridiquement protégé et qui impliquerait sa condamnation pénale s'il s'agit de protéger le bien juridiquement protégé supérieur d'un tiers, voire de lui-même. C'est la légitime défense pour soi ou pour autrui. Comme je l'ai dit, dans l'échelle de valeurs, la vie, l'intégrité corporelle, la sécurité de notre société sont des biens qui se situent au-dessus du secret professionnel de celui qui en est porteur, raison pour laquelle notre code pénal dit clairement que l'on peut violer le secret s'il s'agit de sauver, pour prendre cet exemple, la vie d'un tiers.
Dans la loi en vigueur depuis un an et demi, il est clairement indiqué que les thérapeutes «informent sans délai» dans ces situations, lorsqu'il y a un danger imminent pour la société et pour l'un des biens juridiquement protégés que je viens d'énoncer. L'initiative voulait, elle, inverser en revenant sur le texte normal qui s'applique à tout un chacun, soit celui de notre code pénal, avec les termes «sont habilités à informer». Dans le contreprojet, on exprime les choses un peu différemment, mais on dit un peu la même chose: «ont la possibilité de s'affranchir du secret professionnel pour informer». En d'autres termes, on se situe entre le «peut» et le «doit», et pour le Conseil d'Etat, c'est le «doit» qui doit primer, non pas parce que le détenu n'est pas un patient comme un autre, mais à un moment donné, lorsqu'un médecin a une mission spécifique que lui donne la société, et non pas son patient, celle de suivre des personnes détenues, a fortiori condamnées - c'est l'objet de la loi actuelle - eh bien ce médecin ne peut pas, en son for intérieur, être le seul arbitre pour savoir si la protection de la vie, de l'intégrité corporelle d'autrui doit prendre le dessus sur sa relation de confiance avec son patient détenu. Nous considérons que cet arbitrage est même dangereux puisque cela place le médecin lui-même dans un conflit intérieur qui consiste à devoir faire la part des choses entre ces deux intérêts, qui peuvent être contradictoires, et nous voulons précisément clarifier la situation.
Quant à dire qu'il y aurait la queue, parlez au présent: aujourd'hui, après un an et demi d'application, il n'y a pas de queue - et d'ailleurs, on donne ainsi une image peu reluisante des thérapeutes et des médecins, celle d'êtres couards qui iraient se protéger en allant tout dire dès qu'ils savent quelque chose. Evidemment, nous avons ici une autre vision de la médecine: le médecin sait quand les faits sont suffisamment graves pour qu'il doive en informer l'autorité, et nous souhaitons absolument que cet amendement qui vous est présenté soit accepté. Moyennant cet amendement, le Conseil d'Etat soutiendra le contreprojet. Ce serait une manière juste et élégante, je pense, de mettre fin à un débat qui, encore une fois, est un débat d'idées que l'on a placé très au-dessus de la problématique réelle et qui ne concerne qu'une partie infime de la population, c'est-à-dire les personnes détenues. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le magistrat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons faire une pause technique d'une vingtaine de minutes, jusqu'à la demie, de façon qu'on puisse régler le problème de vote électronique. Nous voterons ensuite sur l'entrée en matière sur le projet de loi. Je donnerai une trentaine de secondes aux groupes qui n'ont pas pu s'exprimer sur l'amendement et qui ont déjà épuisé leur temps de parole, de manière que les choses soient équilibrées et justes. Nous faisons donc une pause d'une vingtaine de minutes pour essayer de remettre le vote en marche. Il y a une buvette, la dame de la buvette qui d'ordinaire nous sert chez nous est ici, vous la retrouverez.
La séance est suspendue à 10h12.
La séance est reprise à 10h37.
Le président. Merci de rejoindre vos places ! Monsieur Mettan, Monsieur Aellen, s'il vous plaît ! Information technique: je pense que ça va marcher pour cette matinée. Nous n'avons momentanément pas besoin de badge pour voter. Je demande à toutes les personnes qui ont inséré leur badge de le retirer, il ne servira à rien ce matin. En revanche, nous allons changer les badges, car ils ne sont pas tous prévus pour les votes. A 13h30, à l'entrée, nous changerons l'ensemble des badges de manière à les adapter au système qui est le nôtre. Il n'y a pas besoin de refaire de photo.
Nous continuons notre débat. (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Je vous fais voter sur l'entrée en matière, à la suite de quoi je donnerai la parole pour trente secondes à ceux qui n'ont pas pu s'exprimer sur l'amendement, de façon que les positions soient claires.
Mis aux voix, le projet de loi 12366 est adopté en premier débat par 61 oui contre 27 non.
Deuxième débat
Le président. Je passe la parole à Mme la députée Marjorie de Chastonay.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Les Verts refuseront la demande d'amendement du Conseil d'Etat. Accepter cet amendement viderait le contreprojet de son sens et supprimerait l'acceptable compromis trouvé en sous-commission. Merci.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord, je souhaite souligner que mon groupe soutient le contreprojet et a soutenu l'initiative, ce que mon collègue n'a pas eu le temps de préciser auparavant.
S'agissant de la demande d'amendement, il faut la rejeter impérativement. J'ai entendu M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet dire que cette obligation d'informer servirait avant tout à protéger les médecins. Evidemment, ce n'est pas le cas: c'est plutôt une défiance que le parlement montrerait à l'égard des médecins en acceptant l'amendement. Avec le contreprojet, les médecins ont la possibilité de s'affranchir du secret professionnel pour informer les autorités. Il faut faire confiance aux médecins, les laisser choisir ce sur quoi il est nécessaire d'informer. Si on les obligeait à informer, il y aurait effectivement une queue à la commission, une masse d'informations très importante; cela reviendrait à ce que dans le cas où un médecin faillirait à son obligation d'informer, on pourrait le lui reprocher. Il y aurait donc le risque d'une avalanche de procédures dirigées contre des médecins quand on apprendrait qu'une personne vue par un médecin a commis un délit. On pourrait alors à chaque fois ouvrir une enquête contre le médecin en se demandant s'il a vraiment informé les autorités comme il le devait.
Il ne faut pas soumettre les médecins à la tutelle de l'Etat; ils doivent avoir le libre arbitre d'informer quand ils pensent que c'est nécessaire. Il faut donc rejeter cet amendement. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe démocrate-chrétien refusera l'amendement. Il a été dit très clairement que si l'amendement est adopté, l'association des médecins ne retirera pas son initiative. Si le contreprojet est adopté sans amendement, l'initiative sera retirée.
Je reviens sur les propos de M. Bayenet: je pense que cette volonté du Conseil d'Etat d'imposer la formule «doivent informer» est à nouveau une défiance face à la position des médecins. Un médecin qui devra informer ne saura pas sur quoi il devra informer; il informera donc sur tout et n'importe quoi. Il va se protéger, et là, vraiment, je suis M. Bayenet, il y aura la queue devant la commission de surveillance pour demander la levée du secret médical. Faites confiance, vous n'avez pas un seul cas en Suisse romande actuellement où, par la faute d'un médecin, quelqu'un a été mis en danger. Ça n'existe pas. Le cas d'Adeline est un mauvais exemple: on a démontré que le problème était qu'on n'a pas fait l'expertise qu'on aurait dû faire. Si une expertise de dangerosité avait été faite, le drame n'aurait pas eu lieu. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Raymond Wicky pour trente secondes.
M. Raymond Wicky (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais tout d'abord apporter une précision concernant ce qui a été dit sur les médecins et les autres professions soumises au secret de fonction. Ces médecins et autres personnes respectent l'article 321 du code pénal, contrairement aux propos tenus, ceci sous réserve des dérogations prévues à l'article 17. Je pense donc qu'on ne peut pas mettre en cause leur honnêteté dans tous ces domaines-là.
Deuxièmement, dans sa majorité, le groupe PLR soutiendra l'amendement du Conseil d'Etat, mais un certain nombre d'individus ne partagent pas ce point de vue... (Commentaires. Rires.) ...la liberté de vote a donc été laissée.
M. Cyril Mizrahi (S). Très rapidement... (Commentaires persistants. Le président agite la cloche.) ...je suis un peu étonné de ce qui vient d'être dit par le PLR au sujet de cet amendement... (Commentaires persistants.)
Le président. Une seconde, Monsieur le député ! C'est vraiment impératif qu'on fasse le plus de silence possible pendant que quelqu'un parle. Je repasse la parole à M. Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi. Merci, Monsieur le président. Je suis un peu étonné de ce que je viens d'entendre de la part du PLR. Pourquoi faut-il combattre cet amendement ? La première raison, pour le groupe socialiste, c'est qu'il ne faut pas revenir sur l'équilibre qui a été trouvé au fil des débats de la sous-commission; cet équilibre est délicat. En votant cet amendement, c'est clair qu'on va le rompre et que l'initiative sera maintenue, ce qui, à notre avis, n'est pas souhaitable, car on a ici un bon contreprojet. Mais il y a aussi une raison de fond: j'ai l'impression que le Conseil d'Etat se moque un peu des médecins en disant qu'il a confiance en eux, alors qu'en réalité, ce qu'il va faire si cet amendement est adopté, c'est transformer les médecins en fusibles qui seront pratiques à utiliser au cas où il y aurait le moindre problème. Nous, nous pensons qu'il faut avoir réellement confiance en les médecins et leur laisser une certaine marge de manoeuvre. C'est pourquoi nous voterons non à cet amendement. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Contrairement à ce que certains semblent vouloir dire, cet amendement est exactement ce dont nous avons besoin. Comment peut-on laisser croire qu'on défend l'intérêt d'une infimissime - infimissime - minorité en portant atteinte à l'intérêt plus que majoritaire, pour ne pas dire global ? Comme l'a dit le conseiller d'Etat Poggia tout à l'heure, cet amendement pose les règles de fonctionnement de la légitime défense, purement et simplement. Je ne suis pas là pour faire du juridisme, je suis là pour essayer de faire comprendre que ce qui compte ici, c'est l'intérêt général. Celui-ci impose la règle que propose l'amendement, et bien entendu, notre groupe soutiendra cet amendement, je dirais presque avec ferveur.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je vous l'ai annoncé tout à l'heure, l'Union démocratique du centre pense que cet amendement est nécessaire pour atténuer les dérives de ce projet de loi que j'ai décrites. J'ai entendu un de mes préopinants dire que nous allions subir la tutelle de l'Etat. Mon Dieu, quelle hérésie est-ce là, la tutelle de l'Etat ! Je dois payer des impôts, je dois respecter le code de la circulation, j'ai plein d'occupations au quotidien fixées par l'Etat, qui, que je sache, sont librement acceptées: ce sont les conditions pour vivre dans une démocratie, dans une société où un semblant d'harmonie règne. Mesdames et Messieurs les députés, quand on dit simplement «doivent informer», il s'agit peut-être d'enlever, comme l'a dit mon préopinant MCG, une certaine marge de liberté à quelques particuliers, mais pour le bien-être de l'ensemble. Je dirai davantage: vous avez vos appréciations personnelles, mais quelles sont les limites ? Chacun a des limites et des conceptions différentes. L'Union démocratique du centre estime qu'il est nécessaire que nous ayons un texte qui soit impératif, où la liberté d'informer n'est pas simplement laissée à l'appréciation de gens certes très instruits. On voit qu'au sein de cet hémicycle, si je prends les excellents députés de la gauche jusqu'au mauvais député de la droite que je suis, sur certains sujets, les conceptions diffèrent. Mesdames et Messieurs les députés, l'Union démocratique du centre accepte cet amendement; s'il passe, nous accepterons le contreprojet. Merci.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez compris, le MCG soutiendra cet amendement proposé par le Conseil d'Etat. C'est une condition sine qua non pour que le MCG soutienne le contreprojet. Il est en effet exclu que l'on mette dans la loi cantonale ce qui existe déjà dans le code pénal sur l'état de nécessité. Aujourd'hui déjà, notre code pénal permet à un médecin de violer le secret médical lorsqu'il s'agit de sauver une vie ou de protéger l'intégrité corporelle. Nous n'avons pas besoin d'une loi cantonale pour le répéter. La loi actuellement en vigueur a transformé le «peut» du droit fédéral en un «doit», et cela comme le permet l'article 321, alinéa 3, du code pénal. Mesdames et Messieurs, la minorité vous invite à soutenir cet amendement. S'il est adopté, le MCG soutiendra le contreprojet. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à Mme le rapporteur de majorité, Mme von Arx-Vernon.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de majorité. Mme la rapporteure vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, je tiens à revenir à l'esprit du contreprojet, qui a été travaillé de manière extrêmement sérieuse et approfondie avec les représentants de l'initiative. Je tiens aussi à rappeler que si cet amendement qui nous ferait revenir à la situation précédente était adopté, l'initiative ne serait pas retirée, ce qui serait dommage, parce que cela renforcerait des clivages, des tensions qui n'ont absolument pas lieu d'être.
Pourquoi cet amendement n'a-t-il pas de sens ? Nous avons souhaité élargir le nombre de personnes concernées, cela a pour but justement d'augmenter la sécurité. Garantir la sécurité des thérapeutes en contact avec des personnes dangereuses, des détenus dangereux, et garantir la sécurité de la population est une préoccupation partagée par toutes et tous. Il n'y a pas un parti qui peut s'attribuer le fait de savoir et vouloir mieux protéger la population ou les soignants. Je pense que nous devons nous en souvenir. Mais nous savons que la sécurité est meilleure et renforcée quand existe la garantie du secret médical dans la relation thérapeutique. Vous pensez bien que les médecins n'ont pas besoin de ce «doivent» pour connaître leurs responsabilités et les assumer. Ils l'ont toujours fait, il n'y a aucune raison que cela change; nous ne devons pas nous mettre en situation de placer le médical sous les ordres du sécuritaire. A ce titre, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de rejeter l'amendement et de soutenir le contreprojet tel que sorti de commission. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat aimerait exprimer sa surprise face à la méconnaissance inquiétante exprimée par certains à l'égard d'un texte de loi qu'ils s'apprêtent à voter. (Commentaires. Rires.) A plusieurs reprises, nous avons entendu des députés dire que si cet amendement est voté, il y aura la queue devant la commission du secret. Or, lisez le texte qui sort de commission, Mesdames et Messieurs, l'article 27B ne parle pas d'annonce à la commission mais d'information directe à l'autorité sécuritaire. C'est d'ailleurs l'expression exacte de ce que dit le législateur fédéral pour l'état de nécessité: en cas d'état de nécessité, il y a précisément une situation grave avec une menace imminente; dans ces cas-là, il n'y a évidemment pas à saisir la commission du secret, sinon, le crime qu'on essaie d'éviter sera largement réalisé quand la commission se sera prononcée ! Arrêtez de dire qu'il y aura la queue devant la commission du secret. D'abord, si c'était le cas, après dix-huit mois, on le saurait; ensuite, il ne peut pas y avoir de queue devant une commission à laquelle on n'a pas à s'adresser en présence d'un danger grave et imminent. Il est ici question de situations véritablement exceptionnelles, lorsque la vie, la sécurité, la santé, l'intégrité corporelle sont en danger; là, le professionnel de la santé n'a pas à discuter, n'a pas à réfléchir: il doit informer l'autorité sécuritaire. Il s'agit d'une question d'urgence. Je ne comprends pas que dans ce parlement, on réfléchisse pour répondre à une question aussi claire, à laquelle n'importe qui dans la rue répondrait par l'affirmative. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le magistrat.
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 27A (nouveau).
Le président. L'amendement sur l'article 27B est projeté sur l'écran dans mon dos. Je vous le lis: «Les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique qui ont connaissance de faits de nature à faire craindre pour la sécurité d'une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure, la sécurité de l'établissement, du personnel, des intervenants et des codétenus ou la sécurité de la collectivité, doivent informer sans délai le département de la sécurité [...]» La suite est inchangée. Je vous invite à vous prononcer sur cet amendement.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 58 non contre 34 oui et 2 abstentions.
Mis aux voix, l'art. 27B (nouveau) est adopté, de même que l'art. 27C (nouveau).
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12366 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 76 oui contre 17 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 159-C.
Premier débat
Le président. Nous passons au point suivant, que nous traitons en catégorie II, nonante minutes. Je prie les rapporteurs de bien vouloir venir à la tribune. La parole est à M. Marc Falquet, rapporteur de majorité.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, si la technique fonctionne aujourd'hui, c'est un peu grâce à M. Popov qui, vous le savez, est l'initiateur de la radio. C'était juste un petit rappel ! (Exclamations.) Nous allons donc maintenant traiter le rapport de la commission de la santé chargée de rédiger un contreprojet à l'initiative populaire 160 «Pour le remboursement des soins dentaires», mais je souhaite tout d'abord faire un récapitulatif succinct des travaux qui ont été effectués dans le cadre de cette initiative, car ce n'est pas tout à fait simple.
L'initiative populaire 160 «Pour le remboursement des frais dentaires» a été lancée le 4 mars 2016 - soit il y a environ deux ans et demi - par M. Martin Schwartz, qui est le mandataire du comité d'initiative. Cette initiative, qui a bien entendu abouti, a été prise en considération par le Conseil d'Etat, lequel a invité le Grand Conseil à la rejeter. Elle a ensuite été étudiée à la commission de la santé, et la majorité de la commission a proposé le refus de l'initiative et le principe d'un contreprojet - cela figure dans le rapport IN 160-B. Le 31 août 2017, le Grand Conseil a traité le rapport IN 160-B et l'a renvoyé à la commission de la santé dans le but justement que soit rédigé un contreprojet. Le 8 décembre 2017, la commission de la santé a voté la constitution d'une sous-commission de la santé afin d'élaborer ce contreprojet. Cette sous-commission, composée d'un commissaire par groupe politique, a siégé durant onze séances, sous l'excellente présidence de M. Buchs. (Commentaires.) Et l'on peut également relever le travail - que l'on trouve dans le rapport - du rapporteur de sous-commission, qui ne parlera pas, je crois, en tout cas pas comme rapporteur.
La sous-commission de la santé a proposé deux variantes de contreprojet à la commission de la santé et finalement, au vu des diverses auditions, du rapport du Conseil d'Etat et des différentes enquêtes menées, cette dernière a choisi d'adopter la deuxième variante, qui consiste à ce que l'Etat mette en place un dispositif cantonal gratuit de prévention et de dépistage en matière de santé bucco-dentaire. La sous-commission avait également, dans sa majorité, proposé un système qui se rapprochait de l'initiative: il s'agissait de financer en partie l'assurance de soins dentaires de base par une taxe sur les boissons sucrées, les jus de fruits ainsi que les aliments transformés par l'industrie agroalimentaire et qui contiennent du sucre libre, de même que par une augmentation du centime additionnel.
Pourquoi la commission de la santé a-t-elle finalement décidé de ne pas soutenir le premier projet qui prévoyait un financement basé sur le sucre ? Tout d'abord, au vu des nombreux débats menés et des renseignements obtenus, il est fort probable qu'une assurance dentaire ressemblerait à une nouvelle assurance-maladie, avec des conséquences désastreuses en matière de finances. Selon le Conseil d'Etat, il n'est pas exagéré de considérer que cette assurance coûterait entre 260 et 300 millions de francs par année à la charge du contribuable. Cet élément fondamental nous a donc effectivement fait refuser la première proposition. De plus, d'après le président de la commission, qui est médecin, il y aurait certainement encore des augmentations annuelles qui ressemblent fort à ce qui se passe avec la LAMal. Rappelons également que la population vaudoise a refusé à 60% une assurance dentaire qui proposait elle aussi un système avec une taxation des boissons sucrées.
Il existe encore d'autres raisons qui ont amené la commission à refuser le système prévu dans cette initiative. Par exemple, le catalogue des prestations remboursées est très difficile à établir et il faudrait finalement mettre tous les soins dentaires dans l'assurance, sauf l'esthétisme, ce qui engendrerait des coûts vraiment exorbitants à la charge de l'assurance. La problématique du sucre raffiné a été étudiée mais n'a pas abouti, selon la majorité de la commission. Cette dernière a donc finalement décidé de ne pas entrer en matière sur une proposition d'assurance avec un financement par une taxe sur le sucre et les produits sucrés; cela dit, c'est une bonne idée en soi, qui fera certainement l'objet d'un projet séparé.
Evidemment, la question fondamentale de base qui s'est posée en commission était déjà de savoir si une assurance dentaire permettrait d'améliorer la santé bucco-dentaire de la population.
Une voix. Oui !
M. Marc Falquet. Il se trouve que c'est clairement non, évidemment... (Exclamations.) ...sinon nous aurions voté cette assurance. Et pourquoi est-ce clairement non ? Qui dit que ce n'est pas le cas, que ce n'est pas une bonne idée ? Eh bien les six médecins-dentistes qui ont été auditionnés par la sous-commission ont bien expliqué qu'une assurance dentaire ne ferait qu'aggraver la situation, et ce ne sont pas forcément des médecins privés, puisqu'on a entendu par exemple le docteur Jean-Pierre Carrel, directeur médical de l'unité d'action sociale de la Clinique universitaire de médecine dentaire. On a également entendu le docteur Jambrec, et donc six médecins qui travaillent pour l'intérêt général et pas forcément pour leur intérêt personnel ont indiqué que dans leur pratique la déresponsabilisation des gens ne faisait qu'aggraver la situation bucco-dentaire de la population et que ce n'était pas une bonne idée d'instaurer une prise en charge généralisée des soins dentaires.
La majorité de la sous-commission a donc finalement renoncé au principe d'une assurance et vous propose de voter la deuxième solution, qui consiste à développer une politique de santé globale prenant également en compte les problèmes bucco-dentaires, parce qu'on sait très bien que les problèmes de dents sont souvent dus à une mauvaise santé globale et qu'ils ne se limitent pas seulement à la bouche. Il faudra donc développer une véritable politique de santé, car une politique préventive mais également curative, bien entendu, prenant en compte la santé dans son ensemble, pourrait vraiment améliorer l'état de santé global de la population. Voilà ce que je voulais dire pour l'instant.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, aujourd'hui le système de l'assurance-maladie ne couvre pas les soins dentaires, or pour nous c'est une aberration qu'une partie du corps humain ne soit pas comprise dans ce système. L'initiative populaire 160 «Pour le remboursement des soins dentaires» part du constat de la mauvaise santé dentaire chez certains Genevois et souhaite améliorer la santé publique. En effet, de nos jours une grande majorité de personnes n'ont pas les moyens d'aller chez le dentiste et délaissent donc leur santé pour des raisons financières. Ce n'est pas acceptable, et comme élus du peuple nous devons en avoir conscience. Il y a également des citoyens et des citoyennes qui, placés dans certaines circonstances, ne peuvent tout simplement pas se payer des soins dentaires élevés ou font le choix d'accepter de péjorer leur santé dentaire pour maintenir leur budget à l'équilibre, ce qui à terme aggrave leurs problèmes de santé et finit par coûter plus cher à la collectivité. La dentition et ses problèmes constituent évidemment un enjeu de santé publique, et non pas un enjeu purement individuel, mais il s'agit surtout d'un problème social important, avec des soins qui seront pris en charge et assumés d'une manière différente en fonction des revenus et des classes.
De plus, la profession de dentiste n'étant pas conventionnée aujourd'hui, les tarifs des dentistes ne sont pas régulés. On doit d'ailleurs se demander pourquoi une profession échappe ainsi à la réglementation et au contrôle, et si cela est juste. Les dentistes que la commission a auditionnés - M. Falquet l'a rappelé - ne veulent clairement pas modifier leur façon de travailler et de facturer. A nos yeux, leurs réticences démontrent surtout qu'il va être compliqué de les faire changer d'avis sans l'appui d'une loi, sans une intervention de l'Etat, alors qu'il est pourtant important de limiter les tarifs et d'encadrer les pratiques des dentistes afin d'avoir des tarifs identifiables. Vous l'avez compris, une assurance permettrait donc de fixer un tarif maximal pour chaque prestation, pour le bien de la collectivité.
Tout au long de la vie, les soins dentaires coûtent environ - il s'agit d'une estimation - 40 000 à 50 000 F par personne. L'élément déterminant est donc maintenant de savoir comment ces coûts doivent être répartis et qui doit les assumer. Bien sûr, la prévention et la responsabilité individuelle jouent un rôle, mais tout axer sur la prévention, comme le contreprojet le propose, est trop léger à nos yeux. Cela conduit à rendre responsable de ses problèmes dentaires uniquement la personne souffrant d'une dent, alors qu'il existe des conditions génétiques, sociales et surtout économiques. On a pu entendre des énormités durant les auditions; j'en rapporte une ici, à savoir qu'une dent qui appartiendrait à l'Etat ne serait plus entretenue correctement par le patient... (Exclamations.) ...car il serait alors déresponsabilisé et abandonnerait l'hygiène de base.
Une voix. C'est vrai ?!
Une autre voix. Bien sûr que c'est vrai ! (Exclamations.)
M. Sylvain Thévoz. Qui oserait dire la même chose d'un estomac cancéreux ou d'un lymphome ? Vous voyez qu'il y a là un vrai débat de fond sur la responsabilité individuelle ou la responsabilité sociale collective d'une assurance de base, et certains dans ce parlement pensent encore que les soins dentaires relèvent uniquement de la responsabilité individuelle de bien se laver les dents, ce qui n'est évidemment pas le cas, puisqu'il y a des déterminants sociaux et génétiques.
Le constat concernant les problèmes que posent les soins dentaires est assez largement établi. Le point sur lequel la commission a achoppé, c'est bien entendu le financement et l'éventuel coût que pourrait occasionner une assurance obligatoire pour les soins dentaires. Mais les chiffres que M. Falquet a rappelés sont évidemment purement fictifs; ce sont des estimations. On a surtout vu qu'il était difficile de chiffrer l'éventuel coût que cela pourrait engendrer, on est donc dans l'ordre du spéculatif.
La commission a oeuvré pour proposer un contreprojet crédible à cette initiative populaire, et une sous-commission s'est réunie dans des délais très courts. C'était pour nous une belle opportunité d'élaborer les principes d'un système le plus large et rassembleur possible pour la santé dentaire. Malheureusement, le contreprojet voté par la commission s'éloigne beaucoup trop de cette approche universelle et d'une assurance obligatoire. Il y avait une deuxième variante plutôt innovatrice avec une taxe au sucre et la possibilité de maintenir une assurance obligatoire en cherchant à diversifier les sources de financement, mais elle n'a hélas pas passé la rampe, et le contreprojet actuel s'éloigne beaucoup trop de l'initiative pour qu'on puisse l'accepter.
Une petite note à l'intention de M. Poggia qui, dès le début, s'est positionné contre l'initiative: à nos yeux, il n'a vraiment pas beaucoup alimenté les travaux de la commission avec des propositions innovantes; il n'a pas non plus fait preuve d'une grande force de persuasion pour défendre la santé publique, mais s'est plutôt placé dans une position de défense des coûts. En effet, cette espèce de cache-sexe consistant à dire que le contreprojet va faire uniquement de la prévention n'oblige que très peu l'Etat et le fait aux dépens de la santé publique. Pour M. Poggia - je reprends ses termes - chacun doit prendre ses responsabilités et l'Etat ne peut pas être la voiture-balai de toutes les problématiques individuelles. Eh bien je pense qu'il est extrêmement problématique qu'un conseiller d'Etat chargé de la santé pense aujourd'hui, en 2018, que les soins des dents et le fait de pouvoir avoir des dents en bonne santé sont uniquement une question individuelle personnelle. De plus, cette conception de l'Etat comme voiture-balai me semble aussi extrêmement inquiétante pour le rôle redistributif de l'Etat dans le cadre de la santé. Je l'entendrais donc volontiers sur ces points-là. A notre avis, on doit déplorer qu'un ministre chargé de la santé ait si peur des coûts et se soucie finalement si peu des soins et de la santé en général. Essayez de voir l'effet qu'aura sur vous le coaching en soins dentaires quand vous aurez des caries... Et je pense surtout aux personnes âgées: quel impact pourrait avoir la prévention sur elles ? Il s'agit d'un public aîné et économiquement fragilisé qui ne se voit, si on accepte le contreprojet, proposer aucune aide à la prise en charge, mais simplement ce mot «prévention», qui est à nos yeux insuffisant. La santé est un bien inaliénable, et il revient à l'Etat de le maintenir comme tel. Mesdames et Messieurs, ce contreprojet «light», qui est selon nous inique, doit donc être refusé afin de renforcer devant le peuple la position de l'initiative et ainsi pouvoir avoir une vraie assurance obligatoire de soins dentaires. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, selon l'OMS, la carie est le quatrième fléau sanitaire mondial après les cancers, les maladies cardiovasculaires et le sida. Or, en Suisse, cette problématique n'entre pas dans le système de protection de la santé. Toutes les études épidémiologiques confirment l'influence déterminante du statut social sur le risque de carie dentaire. Son incidence est d'ailleurs devenue aujourd'hui l'un des meilleurs indicateurs épidémiologiques permettant d'identifier les populations à risque. Dans les pays industrialisés, 80% des caries des enfants se concentrent sur un quart de la population et touchent en majorité des sujets pauvres ou presque pauvres. En Suisse, selon une étude de la «Revue médicale suisse» - qui date de 2009, je vous le concède - 60% des caries se concentrent parmi les 20% des enfants des ménages les plus défavorisés. Faut-il encore le rappeler, selon une enquête suisse sur la santé beaucoup plus récente, une personne sur cinq dans notre pays renonce à des soins. Et plus affligeant encore, près d'une sur trois se prive de soins dans les milieux les plus modestes. Or une grande partie de ces personnes, je le précise, n'émarge pas aux systèmes de prestations sociales.
La prévention, nécessaire, précieuse, ne suffit pas. Les indicateurs sociaux de la santé ont une forte incidence sur la santé bucco-dentaire, de même qu'il est avéré que certains facteurs génétiques déterminent des prédispositions à des pathologies dentaires et à leurs corollaires. Dès lors, considérer que les problèmes dentaires ne seraient imputables qu'à un manque de soins, une absence de responsabilité, et en faire supporter les coûts par les patients est erroné et conduit à promouvoir un système injuste qui ne garantit pas à tous l'accès aux soins. Cette manière de penser est de surcroît insultante et culpabilisante pour ceux qui voudraient bien se faire soigner les dents mais ne le peuvent pas, n'en ayant pas les moyens. La santé bucco-dentaire est une problématique de santé publique qui engage la responsabilité de l'Etat et nécessite, au-delà des efforts individuels, une réponse collective de la société. L'assurance dentaire avancée par l'IN 160 en est une. Seulement voilà, l'initiative s'est trouvée d'emblée deux types de détracteurs: les milieux patronaux, qui ne voulaient pas participer au financement de l'assurance dentaire par le biais d'une cotisation paritaire, et un grand nombre de dentistes, qui étaient réfractaires au fait d'entrer dans le système de régulation et de contrôle qu'induirait une assurance dentaire. Ceux-là ont trouvé en commission une majorité pour dénaturer et vider l'initiative 160 de sa substance, faisant sans vergogne fi de la volonté exprimée par 18 000 signataires.
Des députés, mais également le conseiller d'Etat Poggia, l'ont énoncé sans ambages, leur but était de proposer un contreprojet à une initiative dont ils craignaient l'acceptation par le corps électoral. La parade utilisée a été de faire l'apologie de la prévention, d'ailleurs par ceux-là mêmes qui généralement sont prompts à refuser les moyens d'en assurer la possibilité. Plus pernicieuse encore a été la mise en opposition de la prévention et de la couverture des soins par une assurance, comme si ces deux éléments n'étaient pas complémentaires, comme si, par exemple, les campagnes de dépistage du cancer du sein ou du côlon rendaient caduque la nécessité d'une couverture des soins de ces pathologies.
Il n'est pas utile de gloser pour le moment sur les modes de financement de cette initiative, car la chose n'a pas été sérieusement étudiée en commission, et le travail pour opposer une alternative crédible à la proposition égalitaire et proportionnelle aux revenus présente dans l'initiative reste encore à accomplir. Il faut cependant relever les affirmations du département, qui invoque des relations de cause à effet qui laissent songeur: la mise en place d'une assurance dentaire, par exemple, générerait des coûts en raison d'une plus grande prise de risque et donc de traitements plus lourds, voire d'une surconsommation des dentistes. Parce qu'il est évident que tout le monde apprécie le fait d'aller chez le dentiste... (Exclamations.) Cela alors que l'on peut raisonnablement et de bonne foi présumer que dès lors que les soins seraient plus accessibles, les gens y recourraient en temps requis, ce qui induirait non seulement une réduction des coûts, mais plus encore une amélioration de la santé bucco-dentaire de la population, ce qui n'est de loin pas négligeable.
En acceptant un amendement qui rayait de l'initiative le principe d'une assurance dentaire au profit d'un dispositif cantonal de prévention et de dépistage en partie déjà existant, la majorité de la commission s'est assise sur les besoins, mais aussi sur la volonté démocratiquement exprimée de 18 000 personnes. Pire encore, elle a feint d'ignorer les effets dramatiques et lourds de conséquences de la difficulté, voire de l'impossibilité pour une partie de la population d'accéder aux soins dentaires. Et l'on ne parle pas là des personnes prises en charge par l'aide sociale ou par les prestations complémentaires, mais de tous ceux qui en sont exclus ou qui se trouvent à leur marge, notamment la classe moyenne. C'est pourquoi, afin que les problématiques bucco-dentaires entrent véritablement dans le système de santé et d'accès aux soins, mais aussi pour respecter la volonté exprimée par les 18 000 signataires de l'initiative 160, le groupe Ensemble à Gauche vous invite à refuser le contreprojet. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai l'honneur de faire le plaidoyer du contreprojet. Le but de la sous-commission était de trouver une solution pouvant rallier une majorité parce que, tout le monde l'a dit et les trois rapporteurs l'ont rappelé, il y a un problème de santé bucco-dentaire et qu'il faut y trouver une solution pour la population genevoise. Il est certain que d'avoir séparé la santé bucco-dentaire du reste de la santé est un pur scandale. Des dentistes sont même venus nous dire il y a longtemps en commission que pour dix francs par année on n'avait plus de problèmes dentaires, car il suffisait de se brosser les dents et d'acheter du fil dentaire. Mais c'est complètement faux ! Il y a un problème de santé, on s'en rend compte, et en tant que médecin je remarque que la qualité buccale des gens est de plus en plus catastrophique, ce que je ne voyais pas il y a vingt ou vingt-cinq ans.
Alors comment faire ? Il est sûr que le parti démocrate-chrétien est échaudé par le système actuel d'assurance-maladie, qui est ingérable et voit une augmentation des coûts chaque année. Il a donc fallu se demander comment financer une assurance dentaire. C'est sur ce point qu'on a dû trouver une solution qui soit possible, parce que nous sommes contre le fait de payer l'assurance par le biais des charges sociales, comme le proposait l'initiative, de même que nous sommes contre le fait de payer l'assurance au moyen d'une augmentation des impôts. Il faut donc trouver une solution, et lorsqu'on écoute les médecins-dentistes qui sont venus nous parler, lorsqu'on lit la littérature, on se rend compte que l'idée de la prévention n'est pas un cache-sexe, comme je l'ai entendu tout à l'heure, ce n'est pas une idée saugrenue ou élaborée au terme d'une nuit courte après s'être demandé ce qu'on allait faire pour que cette initiative soit assurément rejetée par le peuple. Non, l'idée de la prévention est une idée juste, et toutes les études - je suis retourné dans la littérature médicale - ont démontré qu'il fallait faire de la prévention au niveau dentaire. Pourquoi ? Parce qu'il ne suffit pas de se laver les dents ou d'utiliser du fil dentaire pour échapper aux gros problèmes dentaires, dans la mesure où il y a aussi une composante génétique. D'ailleurs, les personnes qui sont venues nous parler et qui ont travaillé à l'étranger - dont une femme dentiste qui a travaillé dans les pays nordiques - ont démontré que la solution qui avait le mieux fonctionné dans les pays nordiques, ce n'était pas une assurance dentaire, mais une prise en charge du dépistage et de la prévention; à ce moment-là, il y avait une diminution des problèmes dentaires.
Alors c'est vrai - je rejoins Mme Haller - ça ne va pas changer les problèmes actuels des gens qui ont un certain âge, mais on fait un pari sur l'avenir: on fait le pari de dire que si on commence à faire une bonne prévention, un bon dépistage, on va obligatoirement diminuer les frais dentaires et permettre aux gens de ne pas avoir de gros frais dentaires au cours de leur vie. A Genève, on pratique un très bon dépistage chez les enfants jusqu'à la fin de l'adolescence, mais une fois cette période terminée, on remarque que les gens ne vont plus faire de détartrage deux fois par année comme il faudrait pour pouvoir éviter tous les problèmes. En effet, vous savez très bien que la bouche n'est pas séparée du reste du corps et que si on néglige ces problèmes de bouche, on peut avoir des problèmes cardiaques ou d'autres ennuis beaucoup plus graves. Il faut donc commencer par là, par éduquer les gens et leur montrer ce qu'il faut faire, et à ce moment-là on peut faire le pari qu'on aura moins de frais dentaires - et moins de gros frais dentaires.
D'autre part, c'est vrai que quand on a discuté de la création d'une assurance et qu'on s'est posé la question de savoir ce qu'elle allait couvrir, personne n'a été capable de nous dire ce qui pouvait être remboursé ou pas. On a aussi demandé ce qu'il était obligatoire ou non de mettre dans une assurance. Réponse: on ne sait pas. On nous a indiqué que dans certains cantons, par exemple le Valais, on mettait des prothèses aux personnes lorsqu'elles avaient des problèmes graves. A Genève, on dit qu'on ne fait plus de prothèses: on met des implants. Or il est clair que le prix d'une prothèse et celui d'un implant ne sont pas du tout au même niveau. Donc on ne sait pas ! Même pour l'esthétique on n'a pas de réponse: on ignore si certains traitements esthétiques ne sont pas pris en charge de temps en temps pour une raison ou une autre, etc. On est dans un flou complet ! Sans compter que cette assurance dentaire coûterait entre 300 et 400 millions, une somme qui risque d'augmenter chaque année et qui n'est pas gérable ni payable par l'Etat.
Aujourd'hui, il y aurait la solution consistant à dire qu'on vote l'initiative sans contreprojet, mais dans ce cas on ne lance pas le débat, alors que je pense que le contreprojet est là pour ouvrir le débat et mettre une première pierre dans la construction d'une nouvelle maison concernant les soins dentaires. Après cela on discutera probablement d'une taxe sur les produits sucrés: elle est importante, il faudra donc en reparler et revenir avec un projet de loi durant cette législature, et à partir de là on pourra peut-être élaborer petit à petit quelque chose de plus par rapport à ce qu'on vous propose actuellement. Mais commençons par la prévention et le dépistage, comme on l'a fait pour le cancer du sein et le cancer colorectal. C'est important et on ne néglige pas la suite, car en faisant une bonne prévention, un bon dépistage, on évite les catastrophes bucco-dentaires qu'on peut voir chez les personnes de 40, 50 ou 60 ans.
S'agissant maintenant des personnes qui n'ont pas les moyens, vous savez qu'à Genève un système existe: elles sont prises en charge et les frais payés. Cela dit, c'est vrai, et je rejoins Mme Haller, toute la classe moyenne n'a pas d'assurance et elle se retrouve avec des frais dentaires élevés, mais ce n'est pas l'initiative qui va régler le problème, parce qu'elle sera tellement difficile à mettre en place et coûtera tellement cher à l'Etat qu'on risque de ne rien avoir du tout au bout du compte. Commençons simplement et faisons du dépistage une prévention bien faite car on sait qu'au niveau médical, c'est la base pour toutes les maladies. Il faut prévenir et dépister, savoir qui doit faire attention, qui doit se faire traiter, etc. (Remarque.) Oui, c'est vrai ! J'entends dire que ce n'est pas vrai, mais si, c'est vrai ! C'est le dépistage et la prévention. On sait de plus en plus qu'on peut être prédisposé génétiquement à certaines choses, on sait que pour des raisons génétiques certaines femmes doivent être dépistées beaucoup plus précocement pour le cancer du sein, et il en va de même pour le cancer colorectal. On sait aussi qu'on fait des progrès au niveau du dépistage génétique, grâce auquel les gens pourront être dépistés beaucoup plus tôt. C'est ça, l'avenir de la santé publique, alors commençons par là, et Genève sera un Etat novateur s'il le fait. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Je suis un peu atterré par ce qu'on entend dire autour de cette problématique. Il y a un consensus sur l'importance des soins dentaires, sur l'importance de la prévention, mais au-delà on entend des bêtises sans nom. On a entendu cette idée de déresponsabilisation au travers d'une assurance, ainsi qu'une opposition: le contreprojet qu'on nous propose met en opposition d'une part la prévention prévue dans l'initiative et d'autre part l'assurance et les soins, or cette opposition est une construction purement artificielle et les arguments invoqués à l'appui de celle-ci sont idiots. En effet, nous avons dans ce pays la SUVA, par exemple: cette assurance couvre les accidents professionnels - c'est-à-dire les gens qui se font mal, qui se cassent, qui s'abîment en travaillant notamment sur les chantiers et qu'on répare grâce à cette assurance - mais ça ne l'empêche pas d'effectuer un travail remarquable et systématique de prévention des accidents professionnels sur le fond, puisque les deux choses vont évidemment ensemble. Eh bien si on suivait les arguments de ceux qui opposent la prévention et l'assurance, on devrait supprimer la SUVA dans son rôle d'assurance en disant qu'il faut qu'elle se consacre essentiellement au travail de prévention et qu'il convient de responsabiliser tous ces ouvriers, tous ces travailleurs sur les chantiers qui sont déresponsabilisés en étant assurés et qui feront donc plus attention une fois qu'on aura supprimé la SUVA... Ce sont des raisonnements absurdes, idiots et inadmissibles. Mais vraiment absurdes, idiots et inadmissibles ! Tout le monde sait que ce contreprojet n'est qu'un moyen de tenter de couler une initiative qui s'impose par le bon sens et par les votes, y compris à Lausanne et dans d'autres endroits. On nous a cité l'avis de six médecins-dentistes, mais il y a quand même aussi l'avis des 18 000 citoyens qui se sont exprimés en faveur de cette solution à leurs problèmes !
Le rapporteur de majorité, M. Falquet, nous dit que si on prend ce chemin-là, on s'orientera vers les problèmes que connaît l'assurance-maladie avec la LAMal, notamment, et qu'il y aura les mêmes difficultés, c'est-à-dire des hausses, etc. Mais, Mesdames et Messieurs, nous ne l'avons pas caché, nous sommes évidemment preneurs d'une assurance-maladie qui serait unique, publique et financée selon un modèle de prélèvement analogue à celui de l'AVS. Bien sûr que c'est ce qu'il faut ! Donc vous avez raison d'évoquer cette analogie, mais elle doit marcher dans l'autre sens: c'est à travers l'introduction de ce type d'assurance en matière dentaire qu'on va faire la démonstration d'un modèle - dont la SUVA est déjà une démonstration - qui devrait être étendu à l'assurance-maladie.
Puisqu'on parle de modèle, j'aimerais dire que j'ai passé une partie de la soirée d'hier à lire un document - plus précisément un rapport d'enquête - sur l'organisation des soins bucco-dentaires en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas. Eh bien le modèle allemand, par exemple, encourage très fortement ces deux visites d'hygiène dentaire dont parlait notre collègue Buchs à l'instant. Il existe un système où les services indispensables en matière de prévention et de soins sont intégralement remboursés par l'assurance de base obligatoire, et deux consultations annuelles chez le dentiste sont effectivement recommandées et gratuites en Allemagne. Vous avez donc des modèles de santé publique, d'assurance, qui précisément combinent la prévention et les soins. Et le fait que les frais des soins soient pris en charge constitue évidemment une première mesure et la première condition d'une prévention adéquate. Ça signifie qu'on casse les reins aux situations où des gens, pour des raisons financières, par manque de moyens, ne vont pas se faire soigner et multiplient massivement les coûts finaux des soins qu'ils auront - ou qu'ils n'auront pas, le cas échéant.
En conclusion, du point de vue de la politique en matière de santé publique, du point de vue de la solidarité sociale élémentaire... Parce que vous avez raison de dire que tout ça coûte très cher, mais ça coûte d'autant plus cher que les gens reportent les soins ! C'est donc précisément parce que ça coûte cher qu'il faut un système de prise en charge solidaire et sociale de ce qui représente un impératif de santé publique. Pour toutes ces raisons, il faut à l'évidence refuser le contreprojet et voter cette initiative, et je ne doute pas que c'est ce que fera le peuple. Merci, Mesdames et Messieurs.
M. Thomas Bläsi (UDC). Chers collègues, l'UDC ne soutiendra pas l'initiative 160. En effet, l'évaluation faite par le département des coûts qui découleraient de son application - à savoir entre 250 et 300 millions de francs - est inquiétante et cela grèverait le salaire des personnes cotisant à l'AVS. Cette masse financière significative étant appelée de surcroît à augmenter chaque année, elle ferait écho aux augmentations annuelles continues et détestées des primes des caisses maladie à cause desquelles il est difficile, voire impossible pour de nombreux foyers de s'en sortir sans recourir à la subvention. Refuser cette initiative revient donc à éviter la création d'une usine à gaz inefficace et coûteuse. Pour ces raisons, l'UDC la refusera, en appelant de ses voeux un dispositif cantonal gratuit de prévention et de dépistage, seul à même d'améliorer la santé bucco-dentaire de nos citoyens. J'ai écouté mon préopinant d'Ensemble à Gauche mais, contrairement à ce qu'il dit, il suffirait de regarder l'expérience allemande pour voir la réalité de l'explosion des coûts liée à une assurance dentaire obligatoire, ainsi que son très faible effet sur la santé bucco-dentaire des citoyens. L'UDC votera donc la deuxième version du contreprojet. Merci, Monsieur le président.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Le groupe PLR ne soutiendra pas l'initiative 160 et a décidé de se prononcer contre son contreprojet, le PL 12369, malgré un avis positif sur ce dernier de la part des députés PLR siégeant à la commission de la santé. Pour rappel, il n'a pas pu être démontré qu'une assurance dentaire améliorait la santé bucco-dentaire d'une population. Dans les pays qui l'ont mise en place, c'est même le contraire qui s'est produit: la santé bucco-dentaire s'est détériorée car les patients, se sentant déresponsabilisés - et je suis la première à le regretter - ont eu tendance à abandonner l'hygiène de base, ce qui engendre des problèmes accrus à moyen et long terme. C'est ce qu'on appelle en réalité l'aléa moral. C'est malheureusement un fait avéré, contrairement à ce qui a pu être dit; c'est peut-être absurde et idiot, comme le relevait l'un de mes préopinants, mais c'est malheureusement vrai. A cela s'ajoute la question des coûts: l'estimation d'une telle assurance dentaire se situe entre 260 et 300 millions de francs par année.
Le contreprojet à cette initiative propose un dispositif cantonal gratuit de prévention et de dépistage en matière de santé bucco-dentaire. Il a obtenu les faveurs de la majorité de la commission de la santé, puisqu'il est avéré que 80% des soins bucco-dentaires peuvent être évités grâce à la prévention. Cela fonctionne extrêmement bien dans ce domaine, et donc agir en amont n'est pas de la poudre aux yeux. C'est vraiment un moyen efficace de maintenir le niveau de santé bucco-dentaire à Genève, où il est par ailleurs déjà très bon dans l'ensemble. On peut cependant se questionner sur la nécessité d'un tel programme et sur ses coûts, qui seraient d'environ 40 millions de francs par année. C'est en effet une somme conséquente dans une période où il est urgent de contenir les dépenses, ce d'autant plus que les personnes en difficulté à Genève disposent déjà de soutiens, voire de la gratuité pour la prise en charge des frais dentaires. C'est ainsi le cas pour les personnes au bénéfice de prestations complémentaires, par exemple. De plus, tous les élèves du cycle d'orientation reçoivent des bons pour effectuer gratuitement un contrôle dentaire et, si nécessaire, des radiographies, or seuls 3% de ces bons sont utilisés - 3% ! - ce qui fait douter de l'utilité et de la nécessité d'un système de prévention. Enfin, des contrôles sont d'ores et déjà effectués dans les écoles du canton; un système de dépistage et d'éducation à l'hygiène bucco-dentaire pour les enfants existe donc déjà. Pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous invite à rejeter le contreprojet. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, on s'inscrit ici dans un débat sur la création de l'assurance-maladie qui a commencé au début du XXe siècle. Il a fallu nonante ans pour arriver à la faire passer devant le peuple - avec un certain nombre de carences qui mettent en lumière que ce débat séculaire est conditionné par la puissance des lobbies patronaux et des médecins-dentistes. La LAMal ne couvre pas les soins dentaires, ce qui est problématique et ne se justifie pas d'un point de vue scientifique ou médical ! C'est dû à la capacité de ces lobbies à peser sur les décisions du Parlement fédéral - ils ont également pesé il y a une décennie sur sa décision de refuser la mise en place d'une assurance cantonale inscrite dans la LAMal.
L'initiative, soutenue par les 18 000 personnes qui l'ont signée, permettrait d'instaurer un système de prise en charge des soins, mais également de prévention. Je crois qu'on ne l'a pas assez rappelé: il y a les deux aspects dans l'initiative 160, tant la prévention que la prise en charge des soins. En votant ce texte, Genève pourrait jouer un rôle pionnier, ce que le canton de Vaud n'a pas pu faire puisque le peuple a refusé un tel projet en mars dernier.
L'initiative est aussi excellente parce qu'elle évite les écueils de la LAMal. Le premier écueil, c'est celui dont on débat régulièrement, à savoir le coût des primes. Pourquoi ? Parce qu'en Suisse, les coûts de la santé, qui ne sont pas plus élevés en proportion du produit intérieur brut que ceux d'autres pays européens, et qui sont d'ailleurs nettement moins élevés que ceux que l'on trouve par exemple aux Etats-Unis, ne sont pas répartis en fonction de la masse salariale mais par tête. C'est un système absurde, qui pèse beaucoup plus lourd sur des personnes à faible revenu. L'autre aspect, c'est que ces coûts - je crois qu'on ne le répétera jamais assez - sont supportés exclusivement par les personnes, pas par les entreprises. Or le travail génère des problèmes de santé importants: plusieurs milliards pour le stress au travail, mais les entreprises ne paient rien pour l'assurance-maladie, ce qui est vraiment problématique. L'autre aspect, vous l'avez vu, c'est qu'il y a une volonté d'augmenter considérablement les coûts de la santé en intégrant la prise en charge des cliniques privées - ça, c'est le fait du lobby des cliniques privées. Cela a coûté des centaines de millions de francs, notamment dans le canton de Zurich, qui se reportent évidemment aussi sur les primes d'assurance-maladie. On l'a relevé, et je salue le combat qu'a mené le conseiller d'Etat Mauro Poggia sur cet aspect en luttant contre les velléités de lobbyisme des cliniques privées.
Je crois que le système prévu par l'initiative est également bon parce que la masse salariale a augmenté ces dernières années en Suisse, ce qui permet d'avoir une assise suffisante pour couvrir les soins dentaires. Ce ne serait que justice. Pourquoi ? Parce que, selon les chiffres de l'Office fédéral de la statistique, la productivité du travail a augmenté de 1% par année depuis 1990, et même de 1,7% pour le secteur tertiaire, un secteur important à Genève, alors que ces dernières années les salaires réels baissent en Suisse. En somme, les patrons pourraient faire un effort supplémentaire - ce ne serait que justice - pour que ces soins dentaires, qui sont essentiels pour la population, puissent être pris en charge.
La sous-commission a, je crois, fait un travail sérieux. Ces aspects l'ont dans un premier temps amenée à analyser les choses sous un angle médical mais aussi économique, avec une certaine ouverture puisque la sous-commission avait prévu une couverture universelle, certes non financée par une cotisation sur les salaires mais par le centime additionnel - ce qui aurait permis d'inclure aussi les entreprises - et par une taxe sur les boissons sucrées. Et puis il y a eu un tournant ! Quel est ce tournant ? C'est mars 2018. Le canton de Vaud a refusé l'initiative sur les soins dentaires et l'Entente genevoise a du coup vu le couteau s'éloigner un petit peu. On a alors abandonné un pan essentiel - la couverture des soins - pour s'axer sur la prévention. Ce n'est donc plus une assurance qui vous est proposée aujourd'hui, mais une légère amélioration d'une politique sociale qui, si elle a le mérite d'exister, est largement insuffisante.
Pour couvrir ce choix qui, comme je l'ai dit, découle de l'influence de lobbies économiques et de dentistes, on avance des arguments d'un autre âge, qu'on entendait au début du XXe siècle voire à la fin du XIXe. C'est en fait une approche de dame patronnesse; je crois qu'il n'y a pas d'autre terme ! On a cité le docteur Carrel: il a expliqué que cette sorte de nationalisation des dents amènerait une déresponsabilisation. C'est de la fumisterie ! Je ne crois sincèrement pas qu'on peut faire l'insulte à ces personnes, qui sont par ailleurs professeurs d'université, d'imaginer deux secondes qu'elles pensent réellement que c'est ce qui va se passer ! D'autres personnes ont été plus honnêtes lors de leur audition et ont indiqué que peu de personnes recherchaient les soins dentaires pour des raisons psychologiques évidentes. Les gens ne courent pas après les soins dentaires, ils ont peur du dentiste ! Mais lorsqu'il y a nécessité d'y aller, une assurance pourrait répondre à ce besoin et faire en sorte que la dimension sociale ne soit pas l'élément de rupture. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste ne peut pas accepter le contreprojet et soutiendra l'initiative. (Applaudissements.)
M. Francisco Valentin (MCG), député suppléant. Je suis l'auteur du premier rapport de majorité, du 6 juin 2017, qui recommandait le non à l'initiative 160; nous voilà repartis au combat contre cette même initiative ainsi que contre la première version du contreprojet.
Comme on l'a déjà évoqué, cette idée d'assurance est excellente ! Mais c'est une excellente fausse bonne idée ! Contrairement à ce qui a été dit, la Suisse est parmi les trois pays au monde où l'hygiène bucco-dentaire est la meilleure. Il y a effectivement des cas dramatiques, des cas épouvantables, mais qui sont une très petite minorité. Ce n'est pas une raison pour les mettre de côté et ne pas s'en occuper, mais la plupart des gens qui sont traités pour des cas génétiques ou de maladies lourdes sont déjà pris en charge. Cette assurance ne les aidera donc pas plus.
Il y a un deuxième problème: Genève veut toujours être à la pointe de tout, Genève est meilleure que tout le monde. Ça fait cent trente-six ans qu'une assurance-maladie obligatoire a été inventée à Berne et ça fait cent trente-six ans que les conseillers nationaux et fédéraux refusent l'assurance dentaire ! Il y a certainement une bonne raison. Bien sûr, nous avons créé l'assurance-maternité sur une base solidaire, en prélevant un petit peu sur les salaires de tout le monde - et c'est une excellente chose. Mais quant à se féliciter de la qualité d'une assurance dentaire qui serait calquée sur le modèle de l'AVS ou autre, tout le monde est sans doute au courant de la situation des caisses de l'AVS... (Rires.) ...et je ne pense pas qu'on puisse parler d'une bonne gestion. (Commentaires.) C'est donc un très mauvais exemple.
On a entendu qu'un professeur a reproché aux gens qui voudraient soutenir cette initiative de créer une société de consommateurs - il n'avait pas forcément tort, et ça pouvait être une pointe d'humour pour dédramatiser un peu le débat. On serait tous consommateurs de l'assurance dentaire ! Ce n'est plus l'assurance d'une médecine à deux vitesses; ce qu'on va faire là, c'est du rétropédalage ! Parce qu'un médecin-dentiste qui va recevoir un bon de l'assurance va faire exactement ce qu'il doit faire comme acte pour la valeur du bon et rien de plus. Et la personne assurée ne va pas mettre de sa poche vu qu'elle paie déjà une assurance. C'est donc vraiment un rétropédalage.
On a pu constater - ça a été prouvé moult fois - qu'il y a une dégradation absolue de l'hygiène bucco-dentaire chez tous les Français depuis que l'assurance dentaire est prise en charge par la Sécurité sociale ! D'ailleurs, de plus en plus de Français de la région frontalière viennent se faire soigner en Suisse car les actes y sont beaucoup mieux faits - vous pouvez le demander à n'importe quel dentiste ! Le fait de mettre en place une assurance alors qu'on ne sait pas encore très bien ce qu'elle va ou ne va pas prendre en charge, quelle sera la franchise, qui va payer et comment on va payer... Tout à l'heure, un député, rapporteur de minorité, a dit qu'affirmer que ça coûtera 200 ou 300 millions, c'est de la pure spéculation; certes, c'est de la spéculation. C'est une estimation ! Vous, par contre, vous nous demandez un chèque en blanc ! Et vous allez le payer comment ? Votre politique, c'est: «Donne-moi ta montre et je te donnerai l'heure» ? C'est formidable, j'adore !
Si Genève veut être à la pointe et créer une assurance dentaire qui serait une première en Suisse, pourquoi pas ? C'est assez flatteur d'être innovant. L'Etat fédéral se décharge de plus en plus sur les cantons, et je trouve que ce n'est pas très acceptable. Il y a des choses qui reviennent au niveau fédéral, des choses qui reviennent au niveau cantonal et des choses qui reviennent au niveau municipal - chacun dans son pré et les vaches seront bien gardées ! Sur ce, je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Alexandra Oriolo.
Mme Alessandra Oriolo (Ve). Merci, Monsieur le président. C'est Alessandra ! Mesdames et Messieurs les députés, selon l'Office fédéral de la statistique, 7,4% des Romands renoncent à consulter un dentiste pour des raisons financières, et ces chiffres sont probablement sous-évalués. Quand nous savons que la santé buccale a des conséquences importantes sur la santé générale, nous comprenons que l'Etat a le devoir d'intervenir afin que tous puissent être traités de manière égale, sans distinction socio-économique.
La commission de la santé a travaillé pendant plus d'un an et demi sur ce dossier; une sous-commission a été créée dans le but de présenter à cette initiative un contreprojet qui proposerait un meilleur financement à l'assurance dentaire. Les commissaires sont arrivés à deux propositions. La première consiste en un financement double, d'une part via le centime additionnel et d'autre part à travers une taxe sur les boissons sucrées. La deuxième proposition consiste à mettre en place un dispositif de prévention. Les Verts ont toujours soutenu une taxe sur les boissons sucrées, et plus généralement une taxe sur le sucre. En effet, cette dernière permettrait le financement partiel de l'assurance dentaire en taxant une des causes des caries: le sucre. Nous avons soutenu cette proposition en soulignant toutefois la nécessité de l'accompagner par de la prévention, car ce sont les populations au niveau socio-économique bas qui sont les plus touchées par la taxe. Les alternatives, tout comme les raisons de la taxe, doivent être bien expliquées.
L'idée d'une taxe sur les produits sucrés n'a finalement pas passé la rampe de cette sous-commission, Mesdames et Messieurs les députés. Les commissaires ont préféré voter un contreprojet qui se focalise uniquement sur de la prévention et du dépistage gratuit, ce qui se fait déjà partiellement à Genève. Certes, la prévention est un élément essentiel d'une politique de santé publique qui permet la responsabilisation individuelle. Mais elle ne peut suffire à elle seule ! Il est très décevant pour les Verts de constater que l'initiative a été vidée de sa substance et que ce contreprojet se cantonne à inscrire un principe dans la constitution sans mettre en place une réelle assurance - donc sans aucune garantie.
Dans un contexte où les primes maladie explosent et où les ménages défavorisés n'arrivent plus à payer leurs frais de santé, assurer la prise en charge des soins dentaires relève d'une action politique minimale et fondamentale. Les Verts regrettent le manque de volonté politique en faveur d'une réelle politique de santé publique en matière de soins dentaires. Ils vous invitent, au vu des considérants, à accepter l'initiative dans son texte initial et à rejeter le contreprojet. Nous reviendrons avec des propositions pour une taxe sur le sucre parce que celui-ci est non seulement néfaste pour les dents mais favorise aussi l'obésité - il s'agit donc d'une mesure de santé publique primordiale. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame Alessandra Oriolo, et je passe maintenant la parole à M. le député Philippe Morel.
M. Philippe Morel (PLR). Merci, Monsieur le président. Ma préopinante PLR a déjà exposé la position de notre parti sur l'initiative et le contreprojet; je ferai quelques commentaires.
Les dents nous préoccupent de la naissance au décès: par les douleurs qu'elles créent, par la fréquentation du dentiste que nous espérons tous la moins assidue possible et bien sûr par les coûts qu'elles engendrent ! S'agissant des dents, on est cependant dans une situation très différente par rapport à d'autres pathologies ou d'autres maladies puisque l'on sait que, dans nos civilisations - en Occident - nous naissons tous avec des dents en bonne santé, hormis quelques problèmes génétiques.
Ces dents en bonne santé doivent être préservées et il s'agit donc de faire de la prévention ! C'est un sujet beaucoup plus vaste que celui de la médecine dentaire. La prévention est un élément que l'on néglige beaucoup trop souvent dans nos sociétés et en particulier en Suisse puisque seulement 2% du budget fédéral de la santé est attribué à la prévention. On sait que la prévention et la détection précoce sont importantes dans bien des domaines; on va le voir maintenant pour le cancer du côlon, ici, à Genève. Il faut donc complètement repenser le programme de prévention dans notre pays - s'attaquer non seulement aux problèmes dentaires, qui, tout en revêtant de l'importance, ne sont qu'un petit aspect de la question, mais considérer également l'ensemble de notre organisme pour que l'on ne parle plus d'assurance-maladie mais d'assurance-santé. La santé doit être préservée. La santé dentaire peut être préservée, et on sait que la détection précoce et les conseils donnés avant l'âge de 18 ans préviennent une grande partie des problèmes dentaires ultérieurs - plus de 80% d'entre eux, nous disent les spécialistes. Or, à Genève, ces programmes de prévention sont menés dans les écoles; il serait donc souhaitable qu'ils soient élargis à d'autres secteurs.
Nous avons beaucoup parlé de l'alimentation. Oui, même l'alimentation anténatale de la mère peut influencer la situation dentaire de l'enfant ! On sait très bien que les aliments sucrés, extrêmement nombreux dans notre société, sont corrosifs pour les dents. Mais ils sont corrosifs bien au-delà des dents, une préopinante l'a dit: ils sont également un problème de santé majeur ! L'obésité, qui fait des ravages, dont l'incidence augmente de manière dramatique dans notre société, est un problème passablement lié à l'apport excédentaire en sucre. Il faut donc se préoccuper de l'alimentation des gens et faire une prévention plus large que celle en faveur des dents: elle doit passer par les dents mais concerner aussi l'ensemble de notre organisme. L'adage le dit: mieux vaut prévenir que guérir !
Je l'ai déjà dit: seulement 2% de nos investissements dans la santé sont alloués à la prévention. Oui, il faut s'occuper de la prévention ! Oui, il faut vivement se préoccuper de l'alimentation et des différents endroits où des aliments riches en sucre et en graisse - anormalement riches en sucre et en graisse - sont mis à disposition de tous et essentiellement, vous le savez, des adolescents. Aucune mesure n'est prise et il faut peut-être réfléchir de manière plus active dans ce domaine-là.
Enfin, il est vrai que les soins dentaires personnels permettent de conserver le plus longtemps possible des dents en bonne santé et de faire en sorte que la première carie arrive le plus tard possible dans la vie. Les gestes en matière d'hygiène dentaire sont quand même un domaine bien connu de tous, que ce soit le rinçage et le lavage des dents après les repas ou l'utilisation du fil dentaire. Oui, la question des dents est importante ! Elle s'inscrit dans un contexte plus général de santé, de maintien de la santé et d'assurance-santé. Le PLR, vous l'avez déjà entendu, se prononcera contre l'initiative et contre le contreprojet. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. La parole est pour cinquante et une secondes à M. Marc Falquet, rapporteur de majorité.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, je voudrais juste souligner que la commission de la santé, au début de ses travaux, était dans son ensemble plutôt favorable à cette initiative. Ce n'est qu'après l'étude vraiment approfondie de l'objet que nous avons changé d'avis. Concernant la LAMal, ce n'est pas... On va effectivement se retrouver dans le même système que la LAMal, avec des coûts qui vont augmenter. Le problème de la LAMal, ce n'est pas un problème de modèle mais un problème de coûts de la santé - d'augmentation du coût des soins. Ça n'a donc rien à voir avec le système de la LAMal. Merci ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Pour nous déterminer sur le vote, nous avons pris l'avis de six médecins, dont un qui est responsable de l'unité d'action sociale de la clinique universitaire de médecine dentaire et reçoit tous les jours des personnes défavorisées, des personnes fragilisées. C'est lui qui nous a dit que c'était une mauvaise idée ! Les médecins ont été unanimes à nous dire que c'est une mauvaise idée de déresponsabiliser les gens en leur donnant une assurance tous risques. Les expériences faites dans d'autres pays montrent que la santé bucco-dentaire s'est détériorée !
Le président. Voilà, Monsieur le député, c'est fini.
M. Marc Falquet. Déjà ? Merci.
Le président. Oui, déjà ! L'écran montre que votre temps de parole est écoulé. Je repasse la parole à M. François Valentin... Francis Valentin !
M. Francisco Valentin (MCG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. A entendre les arguments des uns et des autres... Soyons sérieux ! L'idée de base était bonne, mais l'application est simplement impossible ! On le voit bien, et il faut absolument développer et soutenir la prévention, l'éducation - pas seulement chez les enfants mais également chez les adultes. L'excellent député Morel l'a dit: notre alimentation est une véritable catastrophe pour la santé en général et pour les dents en particulier. Pour ces raisons, je vous invite à refuser l'initiative 160 qui est malheureusement inapplicable et à soutenir le contreprojet dans sa deuxième variante. Je vous remercie.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, l'aléa moral évoqué par Mme Kämpfen ne manque pas de surprendre: si on écoute les opposants à l'IN 160, les gens négligeraient leur santé sous prétexte qu'une assurance couvrirait les conséquences de cette prétendue négligence. Foutaises ! Ce sont généralement les mêmes milieux qui accusent les gens, inversement, de surconsommer des soins. Il faudrait en finir avec ces spéculations oiseuses et surtout cette manière de déconsidérer les assurés pour masquer les bénéfices que d'autres font dans ces situations. La situation socio-économique d'une grande partie de la population se détériore et celle-ci n'est plus en mesure de faire face aux soins extrêmement coûteux que nécessite leur état bucco-dentaire. Il est vrai que la sécurité sociale s'est construite laborieusement dans notre pays. C'est indéniable, mais ce n'est pas un motif pour ne pas agir avec diligence et pertinence lorsque cela est nécessaire.
Un député a évoqué le fait que la prétendue lacune du système de la sécurité sociale française a amené un certain nombre de patients hexagonaux à venir se faire soigner les dents à Genève. J'aimerais quand même rappeler qu'on a régulièrement rencontré l'inverse: non seulement une partie des Genevois va se faire soigner les dents en France parce que c'est moins cher, mais également en Hongrie ou dans d'autres endroits ! Il faut donc cesser avec ce genre d'affirmations ! La question des soins dentaires constitue un problème financier pour une grande partie de la population et nous devons trouver une solution. L'assurance en est une.
J'ai entendu tout à l'heure que le PDC se dit conscient du problème, de même que d'autres ici, mais qu'il a malheureusement été échaudé par l'expérience de la LAMal; faut-il pour ce motif rejeter tous les systèmes d'assurance ? Cela n'a aucun sens ! Enfin, aucun des partisans de l'initiative n'a prétendu à un quelconque moment que la prévention n'est pas nécessaire. Au contraire: elle est contenue dans le texte de l'initiative, comme l'a rappelé M. Dandrès ! Nous avons affirmé qu'elle est non seulement précieuse et nécessaire, mais aussi complémentaire à la prise en charge des soins. Qu'on ne nous fasse pas dire l'inverse de ce que nous affirmons ! La prévention est indispensable, mais il nous faut aussi aller vers un autre système, celui de l'assurance.
L'initiative 160 ne prétend pas livrer une assurance clés en main, de loin pas. Si elle propose d'inscrire ce principe dans la constitution, il est vrai que le travail - une grande partie du travail - restera à faire. Elle livre des pistes concernant le financement; il y en a d'autres, mais elles méritent néanmoins d'être discutées et pesées. Faire semblant de croire qu'on peut opposer la prévention à la couverture des soins par une assurance est un mensonge politique, et c'est surtout une manoeuvre lamentable pour essayer de détourner la volonté de ceux qui ont signé cette initiative. C'est pourquoi je vous appelle encore une fois à renoncer à ce contreprojet et à soutenir l'initiative. Je vous remercie de votre attention. (Quelques applaudissements.)
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. J'avoue avoir été étonné par certains avis mettant en doute la LAMal ou le progrès social que constitue l'assurance-maladie obligatoire. Je crois qu'il faut revenir à 1995, à cette période où il n'y avait pas d'obligation de s'assurer. Des pans entiers de la population renonçaient aux soins par manque de moyens, ou simplement face à des assurances privées qui fixaient les tarifs comme bon leur semblait. Elles pratiquaient par exemple des tarifs plus chers pour une femme de 30 ans parce qu'elle avait des probabilités supérieures de tomber enceinte et représentait donc un risque de coût supérieur. Elles variaient aussi le montant des primes en fonction de l'héritage social d'une personne, si elle venait de tel ou tel milieu. On adaptait les primes d'assurance-maladie en fonction de la personne, si vous voulez.
Je pense sérieusement que nul ne souhaite revenir à la situation antérieure à 1995, à un moment de l'histoire où des personnes se voyaient traiter différemment quant à leur prime d'assurance-maladie, en fonction de leur héritage génétique ou de leur classe sociale. Encore que je n'en suis pas sûr - et ça m'a étonné de certains députés - vu qu'il y a régulièrement des demandes pour faire par exemple payer leurs frais médicaux aux personnes qui ont un problème d'alcool. M. Morel a parlé de l'obésité. On pourrait dire aux personnes obèses, au nom d'une hygiène sociale: vous mangez trop donc votre prime d'assurance-maladie augmentera, ou alors on ne vous remboursera plus tel ou tel soin. Vous voyez donc que là derrière, il y a cette question fondamentale de la santé.
Or sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, les soins dentaires, on est comme dans un temps pré-LAMal. C'est quand même étonnant qu'on revienne avec des arguments qu'on ne pourrait plus utiliser aujourd'hui, par exemple: si vous avez un cancer, vous l'avez bien cherché ! Vous n'aviez qu'à prendre soin, dès l'adolescence, de manger cinq fruits et légumes par jour. (Rires.) On le sait très bien: cette mesure de prévention en faveur d'une bonne hygiène de vie contribue pour partie au maintien en bonne santé, bien qu'elle ne constitue évidemment pas une garantie absolue. Et les dents faisant partie du corps, comme tout autre organe, il serait pour le moins surprenant qu'elles soient traitées autrement.
Cette initiative exprime quelque part la volonté de rétablir un équilibre, de ramener les soins dentaires dans le domaine de la santé. Il est donc important que ce texte signé par plus de 18 000 personnes, on l'a dit, puisse aboutir devant la population. Le contreprojet prévoit de la prévention mais - et on l'a dit plusieurs fois - il ne sert finalement qu'à dédouaner l'Etat de sa responsabilité quant à une protection de la santé plus large. Il faut donc à notre avis le refuser, et je vous remercie d'aller dans ce sens.
M. Pierre Vanek (EAG). Je ne voulais pas intervenir après les rapporteurs mais je n'ai pas vu passer le temps. Deux mots quand même, en conclusion de ce débat. Défendre cette initiative, c'est défendre la majorité de la population. C'est défendre surtout les plus pauvres, les gens qui n'ont pas accès ou qui pour des raisons économiques n'ont pas les moyens d'avoir accès à des traitements dentaires adéquats. C'est un acte de solidarité sociale élémentaire et indispensable. A travers cette initiative, nous défendons la majorité de la population et en particulier les couches les plus défavorisées. C'est notre rôle ! De ce point de vue là, je me félicite que le PLR ait renoncé à soutenir le contreprojet parce que ce contreprojet est une manière d'embrouiller le débat, de tenter de détourner les gens de l'initiative en proposant une piste présentée comme alternative. Mais tout ça est complètement bidon et une majorité des députés du PLR l'a sans doute compris.
Il y a un choix à faire ! Il y a un choix à faire entre le développement d'une assurance sociale - entre le fait de consacrer des moyens de la collectivité à cette redistribution proportionnelle au revenu à travers un système de cotisations analogue à celui de l'AVS - et puis le fait de mettre l'accent sur la responsabilité individuelle et les moyens que chacun a de se soigner dans son coin. C'est l'opposition qu'il y a entre nous, de ce côté-ci de la salle, et eux, de l'autre côté. Tout le reste de cette histoire de contreprojet, c'est du baratin ! D'autant plus que, je le rappelle - il faut le rappeler encore une fois avec beaucoup de fermeté - l'initiative prévoit non seulement la mise en place d'une assurance obligatoire pour les soins dentaires de base mais aussi, en son alinéa 1, un dispositif de prévention en matière de santé bucco-dentaire. L'articulation nécessaire entre la prévention et les soins était présente dès le départ dans l'esprit des initiants et évidemment aussi dans celui des 18 000 citoyennes et citoyens qui ont signé ce texte; c'est un argument qui a contribué à faire signer l'initiative. J'espère qu'ils seront bien plus nombreux encore à voter en faveur de cet objet. Merci.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je remercie M. Vanek pour son baratin mais on a quand même fait onze séances de sous-commission; alors ça veut dire que tout le travail qui est fait en sous-commission ne sert strictement à rien ! C'est vrai que je suis très triste de voir un groupe politique qui a voté à l'unanimité le contreprojet changer d'avis et décider de ne plus le voter en plénière. C'est son droit le plus strict, mais ça veut dire que tout le travail qui est fait en commission ne sert pas à grand-chose.
C'est vrai que la LAMal nous a échaudés. Vous êtes tous d'accord sur le fait que la LAMal est arrivée à un stade de mort clinique; à partir d'un projet fantastique de solidarité, on arrive à quelque chose qui n'en est plus du tout un. C'est là notre préoccupation au PDC. Nous sommes entièrement d'accord qu'il faut prendre en charge les frais dentaires ! Nous sommes entièrement d'accord que les gens doivent pouvoir se faire rembourser leurs frais dentaires ! Mais comment ? Comment ? Nous n'avons pas eu la réponse ! Nous n'avons pas eu la réponse des coûts, nous n'avons pas su combien ça allait coûter ni comment nous allions le financer. On s'est rendu compte que la taxe sur les produits sucrés, que le PDC soutient à cent pour cent, ne rapporterait pas assez d'argent pour financer une assurance. Donc au lieu d'aller droit dans le mur, comme on va droit dans le mur avec la LAMal, attendons peut-être que celle-ci soit réformée - elle devra obligatoirement l'être. Plusieurs projets sont en cours au niveau fédéral; au niveau cantonal, faisons ce qu'on peut faire, c'est-à-dire de la prévention pour commencer.
M. Vanek nous a très justement dit tout à l'heure qu'un pays comme l'Allemagne pousse à la prévention dans les soins dentaires puisqu'il prend en charge deux fois par année ce qu'on demande, à savoir un passage chez l'hygiéniste dentaire. Commençons par là et les coûts induits par ce système, qui se situeraient entre vingt et trente millions par an, pourraient être pris en charge par une taxe sur les produits sucrés et ne rien coûter à l'Etat. Nous avons là une solution qui ne coûterait pas grand-chose à l'Etat moyennant une taxe sur les produits sucrés, pour permettre un dépistage et une prévention. A partir de là, avançons tranquillement sur une base saine: bâtissons d'abord les fondations et puis voyons ce qu'on peut faire après. En refusant tout aujourd'hui, eh bien, on va avoir un gros problème de financement si l'initiative est acceptée ! Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est au rapporteur de majorité, M. Marc Falquet, qui prend sur le temps de son groupe.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Juste un mot... (Remarque.) ...sur la question de la LAMal, qui serait la panacée. Il faut quand même expliquer qu'une majorité de la population renonce aujourd'hui aux soins: tous les gens qui ont pris des franchises maximales renoncent aux soins. Ce sont donc des centaines de milliers de personnes de la classe moyenne qui aujourd'hui renoncent aux soins. A Genève, 60 000 personnes font l'objet de poursuites; ce sont en majorité des gens qui ne paient pas leur assurance-maladie, et ils sont quand même couverts.
On a parlé du respect des 16 000 signatures ! Mais qu'est-ce que ça change qu'il y ait 16 000 ou 100 000 signatures ? (Remarque.) Est-ce qu'on va voter un projet de loi parce qu'il a récolté 100 000 signatures en sachant que... (Remarque.) Moi je l'ai signée ! (Commentaires. Rires.) Est-ce qu'on va voter un projet de loi qui aggrave la situation de la santé publique parce qu'il a été signé par 16 000 personnes ? (Commentaires.) On a étudié... Je respecte les signataires et j'en fais partie; on était tous d'accord au début. Il s'avère que les professionnels - et pas seulement les professionnels dans le business mais les professionnels du social aussi... (Commentaires.) ...nous expliquent que cette initiative va aggraver les problèmes de santé publique... (Commentaires. Rires.)
Une voix. Je réfute ! (L'oratrice rit.)
M. Marc Falquet. Exactement, tout le monde réfute ! Les signataires réfutent donc ces arguments pour des raisons dogmatiques et non pas pour des raisons scientifiques ! A un moment donné, il faut quand même regarder les choses en face. Concernant les coûts, ils vont de nouveau augmenter, exploser, parce que les coûts des soins dentaires sont exorbitants. Simplement, ça ne touchera pas les personnes fragilisées, qui font déjà l'objet d'une prise en charge. Ça va toucher la classe moyenne. Et là, on ne parle pas du coût des soins - pas seulement - on parle de l'efficacité de l'assurance-maladie.
Rappelons quand même ce qu'ont dit les médecins, sinon il est inutile de les auditionner. Ça ne sert à rien d'auditionner les médecins; la prochaine fois, on tirera des gens au sort et puis on fera le rapport en fonction de ceux qui voudront bien venir témoigner ! Le médecin de l'unité sociale dit que lorsque le patient est déresponsabilisé, il n'entretient plus correctement ses dents et abandonne l'hygiène de base. Ce n'est pas un médecin commercial, c'est le médecin qui reçoit des patients fragilisés ! D'autres médecins ont expliqué que c'est une excellente réflexion mais que son application produirait l'effet contraire à celui voulu - il faudrait donc savoir ce qu'on veut ! Les pays qui ont effectivement mis en place un système de prise en charge ont vu la santé bucco-dentaire de la population se détériorer. Un autre médecin dit que la gratuité engendre un taux d'absentéisme élevé. C'est-à-dire que dès que c'est pris en charge, ça n'intéresse plus les gens et ils ne se sentent plus motivés vu que c'est payé par les autres. Le renoncement aux soins n'est pas une affaire économique. On nous a expliqué, notamment les médecins sociaux, que le renoncement aux soins n'était pas forcément une question économique mais surtout dû à des phobies.
Une autre chose intéressante, c'est que seulement 3% des bons offerts pour les jeunes sont utilisés. Il y a une politique préventive qui est mise en place et c'est celle-là qu'il faut développer puisque les jeunes utilisent uniquement 3% des bons gratuits qui leur permettent de se faire soigner les dents. Seulement 3% sont utilisés ! Il y a donc déjà là une bonne piste en matière de prévention bucco-dentaire.
Quelque chose d'intéressant aussi: un médecin nous a indiqué que, contrairement aux idées reçues, tous les gens naissent avec de bonnes dents. Ça, c'est très intéressant. En fait, c'est une question d'éducation: la carie du biberon pourrait être évitée par une prévention prénatale, comme l'a dit notre collègue, et une éducation des parents. Tout est à développer au niveau de la politique de prévention en matière de santé publique.
Finalement, le bon sens, ce n'est pas une question de dogme. Je veux bien voter une assurance mais si elle ne sert à rien, si elle aggrave la santé bucco-dentaire et globale de la population, je ne vois pas l'intérêt de dépenser 300 millions de francs. La majorité de la commission vous propose donc de voter un dispositif cantonal gratuit de prévention et de dépistage en matière de santé bucco-dentaire ! C'est un dispositif gratuit qui serait mis en place et non pas une usine à gaz qui aggravera la santé de la population. La majorité de la commission propose de se référer aux nombreuses études et aux nombreux témoignages des professionnels qui mettent l'accent sur les éléments de prévention et d'éducation des parents avant et après la naissance. Les médecins-dentistes sont en effet totalement défavorables à une assurance dentaire qui démotive et déresponsabilise les gens. La majorité de la commission de la santé, après avoir étudié soigneusement cette initiative, vous suggère de voter la deuxième proposition de contreprojet. Merci beaucoup.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je préconisais de terminer à midi et quart, mais on n'y arrive pas. Je vais donc lever la séance; nous continuerons à 14h avec ceux qui se sont inscrits.
L'initiative 164-CJ est renvoyée à la commission de la santé.
Nouveaux délais pour le traitement de l'IN 164 suite à l'arrêt de la Cour de justice reçu le 2 août 2018.
Le projet de loi 10305 est retiré par son auteur.
Le président. Je vous souhaite un bon appétit !
La séance est levée à 12h10.