République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 mai 2018 à 18h
2e législature - 1re année - 1re session - 6e séance
RD 1229
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, deux magistrats nous quittent à la fin de cette législature. Il s'agit de M. Luc Barthassat, conseiller d'Etat, et de M. François Longchamp, conseiller d'Etat et président du gouvernement.
Hommage à M. Luc Barthassat, conseiller d'Etat
Le président. Monsieur le président du gouvernement,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame et Messieurs les magistrats,
Monsieur le conseiller d'Etat, cher Luc,
Le 10 décembre 2013, devant le Grand Conseil réuni en séance extraordinaire à la cathédrale Saint-Pierre, vous avez prêté serment en tant que conseiller d'Etat. Aujourd'hui, vendredi 25 mai 2018, ce même Grand Conseil prend congé de vous, à quelques jours de la fin de votre mandat. J'ai l'honneur de vous saluer à cette occasion.
S'il existe plusieurs définitions de l'honneur, toutes le voient généralement comme le fait de mériter la considération, l'estime d'autrui et de soi-même. Sachant que vous êtes précisément un homme d'honneur, je voudrais ce soir que ce mot retrouve un instant le sens noble qu'il a d'ordinaire.
Pendant les 1633 jours qu'aura duré votre mandat, votre action aura permis de rectifier des erreurs du passé, d'améliorer le quotidien des Genevois et de préparer l'avenir de ce canton. Pour ce qui est du passé, vous avez en particulier réussi, en 2014, à mettre un terme à la «guerre des transports», après avoir lancé les états généraux des transports, entreprise mémorable qui a permis de débloquer le dossier.
En ce qui concerne le présent, bien des mesures initiées par le DETA améliorent aujourd'hui la qualité de vie des habitants du canton. J'en veux pour preuve que, grâce à des campagnes de sensibilisation percutantes, vous avez réussi à sensibiliser encore plus les Genevois au tri des déchets, pour atteindre le seuil crucial des 50% permettant d'éviter de devoir introduire la taxe au sac, comme c'est le cas partout ailleurs ou presque. Qui, aujourd'hui, n'a pas à la maison son Sakatri ou sa «p'tite poubelle verte» ? Autre axe: grâce à vous, les Genevois savent maintenant que GRTA n'est pas le sigle d'un jeu vidéo, mais que ce sigle désigne des produits de l'agriculture locale et de saison.
Quant à l'avenir, celui de la mobilité genevoise, il a fait plusieurs pas d'importance sous votre présidence: l'arrivée du Léman Express pour 2019, la loi pour une mobilité cohérente et équilibrée votée en 2016 ou encore le vote sur le principe d'une future traversée du lac, adopté à près de 63% la même année.
Peut-être avez-vous eu raison trop tôt, Monsieur le conseiller d'Etat. Peut-être le peuple genevois n'a-t-il pas reconnu en vous le novateur, l'homme au franc-parler, celui qui bouscule traditions et manières de travailler, celui qui ose emprunter parfois des chemins de traverse.
Le philosophe américain Ralph Waldo Emerson disait: «N'allez pas là où le chemin peut mener. Allez là où il n'y a pas de chemin et laissez-y une trace.» Je ne serais pas étonné, Monsieur le conseiller d'Etat, que ce canton reconnaisse la vôtre dans un avenir plus proche qu'on ne pourrait l'imaginer. Au nom du Grand Conseil, je vous remercie pour l'énergie que vous avez dépensée au bénéfice de ce canton et je vous salue avec tout le respect que mérite un homme d'honneur. (Longs applaudissements. L'assemblée se lève.)
Hommage à M. François Longchamp, conseiller d'Etat et président du Conseil d'Etat
Le président. Monsieur le président du gouvernement, cher François,
Le monde vient à Genève pour tenter de gagner la paix au lieu de perdre des guerres. Nombreux sont ceux qui ont, ici, travaillé à cette aspiration à la paix; multiples sont les voix et les actions de responsables qui se sont jointes à ce dessein; l'une de ces forces est la vôtre, Monsieur François Longchamp.
L'homme François Longchamp aime à dire que celui qui a plus de trois priorités n'en a aucune. Il faut donc se concentrer sur les projets réalisables au lieu de s'essouffler dans de vaines prétentions.
M. François Longchamp est habité par un idéal: l'Etat doit servir chaque individu, lui offrir la chance de «poursuivre son bonheur», comme le dit le préambule de la constitution des Etats-Unis. Et pour que cet Etat serve vraiment ses citoyens, il faut que certains d'entre eux, de leur côté, choisissent de servir l'Etat. C'est cet idéal qui l'a conduit au parti radical, dont il a assuré le secrétariat général dès l'âge de 23 ans. Cet idéal de service l'a, ensuite, porté au Conseil d'Etat.
Habiter cette haute fonction implique une discrétion et une dignité particulières. On lui a parfois reproché un excès de discrétion, une pudeur toute protestante. On a eu tort: François Longchamp ne mélange jamais l'homme et la fonction. Et quand on est au sommet de l'Etat, la fonction est bien plus importante que tout le reste.
Il est aussi un homme respectueux de chaque personne, parce qu'il aime sincèrement les êtres humains. Les conseillers d'Etat sont quotidiennement sollicités par des inconnus sous n'importe quel prétexte. François Longchamp prend toujours le temps de les écouter. Il s'assure qu'ils aient reçu une réponse complète et sincère. Avec lui, chaque citoyen est pleinement respecté. Avec lui, chaque collaborateur, même le plus humble, est habité par la confiance et le respect. Avec lui, chaque adversaire politique sait qu'il trouvera un contradicteur redoutable, certes, mais respectueux.
Le politique François Longchamp a été la cheville ouvrière de la refondation du parti radical genevois; les choses déclinaient lorsqu'il a repris en main un parti fatigué, et il lui a permis de redresser la tête. En effet, les maisons familiales sont plus douées que les autres pour une relance efficace. Pourquoi ? Parce qu'elles oeuvrent dans le temps long et gardent une mémoire.
Elu au Conseil d'Etat, ministre des affaires sociales et de l'économie, puis ministre de l'urbanisme et des constructions, et enfin à deux reprises président, dans chacune de ces fonctions, en douze ans, il n'a ménagé ni son temps ni sa peine. Voyez plutôt.
Plus d'une fois, il s'est placé du côté des plus faibles; que ce soit au sujet de la loi sur les assurances-maladie ainsi que de la loi sur le chômage, le principe de dignité a prévalu avec le succès qu'on lui connaît.
Permettre à ceux qui travaillent et qui ne parviennent pas à nouer les deux bouts de conserver leur dignité ! Le système de prestations complémentaires familiales fut créé. Cela leur garantit un revenu supérieur à l'aide sociale ainsi que la dignité, pour eux et pour leurs enfants.
Garantir que les règles du jeu soient respectées, tel est le rôle de l'Etat. Il a donc été aussi, en Suisse, le plus ferme dans la mise en oeuvre de la loi contre le travail au noir, le plus ferme encore dans la lutte contre les fraudes à l'aide sociale, le plus ferme enfin dans la lutte contre la sous-enchère salariale.
Le vent du radicalisme a toujours soufflé dans son coeur, avant et après la fusion du parti radical avec le parti libéral. Il est des filiations qu'on reconnaît: James Fazy a fait abattre les murailles pour permettre à Genève de souffler et de grandir, François Longchamp a réalisé le plan directeur cantonal en vue d'un développement préservant la qualité de vie et la zone agricole. Georges Favon avait avant lui jadis développé des politiques sociales fortes et solides. Comme Carteret, il a défendu la laïcité de notre république. Comme James Fazy encore, aux heures de l'école républicaine, il a défendu aux côtés de l'ARLE les notes à l'école. Comme Louis Casaï, qui a créé la piste de l'aéroport, il a compris et soutenu le rôle de notre aéroport, ce poumon de l'économie régionale.
Je viens d'évoquer ici, Mesdames et Messieurs, le nom de grands boulevards genevois. Il faudrait y ajouter encore l'action de François Longchamp en faveur des ports francs; la transformation de Palexpo en société anonyme, capable d'investir sur ses propres deniers sans peser sur ceux de l'Etat. Enfin, une des récentes réalisations est ce qu'on a appelé la loi Longchamp: il s'est agi de briser certains scandales dans les ventes d'appartements. Après trois ans d'une bagarre politique acharnée, l'initiative anti-spéculation est devenue une loi. Cela n'a pas été aisé, y compris au sein de son propre parti. (Commentaires.)
Mais les résultats sont là; les bilans sont clairs. Le Grand Conseil, par ma voix, vous remercie, François Longchamp, d'avoir oeuvré pour le bien de la population genevoise et vous souhaite une bonne route pour la suite. A vous-même qui m'aviez fait venir devant vous, ici, pour une sorte de curieuse bénédiction, je n'ose pas souhaiter «une sainte route pour la suite» ! (Très longs applaudissements. L'assemblée se lève. Le président descend de l'estrade et remet à MM. François Longchamp et Luc Barthassat le stylo souvenir du Grand Conseil.)
M. Pierre Vanek (EAG). J'ai un peu le trac avant de m'exprimer sur ce sujet périlleux - l'exercice est en effet périlleux, Monsieur le président, tout d'abord parce qu'il s'agit d'enchaîner après votre brillante éloquence par un discours qui porte sur le même sujet, puis parce que ce genre d'exercice s'apparente toujours un peu à un hommage funèbre, quand même ! C'est un peu affreux ! Et comme on le dit à propos des hommages funèbres, «de mortuis nil nisi bonum», on ne doit dire que du positif sur les défunts. Pour que mon discours ne soit pas un hommage funèbre seulement, il faudrait que je réussisse à trouver au cours des trois minutes qui viennent des paroles méchantes ou critiques. Je ne sais pas si j'y arriverai - vous ne le prendrez pas mal, Monsieur le président, Monsieur Barthassat, si je n'y arrive pas ! Mon groupe m'a désigné au lieu de notre chef de groupe, parce qu'ils se sont dit: «C'est une sombre brute, il trouvera bien quelque chose de méchant à dire !» Mais je ne suis pas sûr d'y arriver.
Je vais quand même dire le plaisir que j'ai eu à débattre avec l'un et avec l'autre de nos deux sortants, dans des styles évidemment différents. En escrime, il y a le fleuret et le sabre, ce n'est pas toujours exactement la même chose, ce sont deux disciplines qui ont leurs mérites, leurs qualités et leurs vertus respectifs à la fois pour les participants et les spectateurs. J'ai eu du plaisir à m'opposer à Luc Barthassat, par exemple sur les TPG et la question de la diminution des tarifs. On a bataillé ferme là-dessus ! J'ai aussi eu du plaisir à voir confirmées dans les urnes quelques idées que j'avais, non pas à une, mais à trois reprises concernant les tarifs des TPG. (Rires.) Ça, c'est un hommage que je... (Remarque. Rires.) Ah, je suis en train de faire mon propre hommage ? Désolé ! Pour ce qui est de François Longchamp, il s'agit plutôt des droits politiques. Là aussi, nous avons eu sur la question de l'abaissement du nombre de signatures nécessaire pour les initiatives et les référendums une contradiction qui a été débattue dans cette enceinte puis tranchée dans les urnes. Mais comme ce n'est pas moi qui m'en vais, je ne vais pas dire que j'ai eu raison là-dessus ! On va donc laisser la chose ouverte.
Les deux sortants ont des points communs: leurs carrières politiques se sont un peu arrêtées, celle de Luc Barthassat suite à l'élection que l'on sait; j'espère qu'il se réinventera et repartira d'un bon pied dans d'autres domaines. Quant à François Longchamp, ce n'est pas tout à fait la même chose, mais quand même ! Son activité de conseiller d'Etat s'est un peu arrêtée à travers une espèce de préretraite... (Rires.) ...liée au fait qu'il n'a eu que - si j'ose dire - le département présidentiel. Il a assumé sa fonction avec toutes les qualités qu'a décrites Jean Romain. Le costume était un peu petitement taillé, mais quand même, du côté d'Ensemble à Gauche, nous sommes favorables aux préretraites... (Rires.) ...et nous défendons les acquis sociaux ! (Rires.) Nous avons même été jusqu'à déposer hier une proposition de résolution pour que cet acquis social soit pérennisé pour le prochain président du Conseil d'Etat... (Rires.) ...et qu'il n'ait pas la charge supplémentaire d'un département avec toutes sortes d'affaires qu'il comporte.
Voilà ce que j'avais à dire grosso modo. Je ne sais pas si j'ai réussi à être un peu méchant - peut-être pas, tant pis ! Tant pis, Monsieur le président, j'en resterai là, et je souhaite de tout coeur, bien sûr, bon vent et bonne poursuite de leurs activités diverses à ces deux personnes pour qui j'ai de l'estime et du respect. (Applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). Chers collègues, c'est évidemment avec regret que le parti démocrate-chrétien prend congé de Luc Barthassat et de François Longchamp. Ce regret est toutefois tempéré par le sentiment que ces deux éminents magistrats quittent leurs fonctions avec la satisfaction du devoir accompli.
Pendant la campagne électorale, certains ont fait beaucoup de reproches à Luc Barthassat. Ils ont eu tort, car il y a deux points au moins sur lesquels il mérite notre reconnaissance. Le premier tient à son style. On l'a beaucoup critiqué sur ce plan, mais nul ne niera que tout au long de ces quatre ans et demi, Luc Barthassat ait su rester authentique. Contrairement à d'innombrables magistrats que la fonction rend acratopèges ou insignifiants, Luc Barthassat n'a jamais abdiqué sa personnalité. Du premier au dernier jour, il est resté lui-même, et cela mérite considération.
Sur le fond ensuite, non seulement il s'est chargé du département le plus risqué de tous, mais il a su, en matière de transports, le faire entrer dans le XXIe siècle en mettant en place une vraie politique d'intermodalité des transports. Je m'explique. Ces dernières décennies ont été marquées par les partisans du «tout-bagnole» qui ne souffraient pas l'idée qu'on puisse investir massivement dans les transports publics et la mobilité douce. Plus tard, ce sont les partisans du «tout-collectif» ou du «tout-vélo» qui ne supportaient pas l'idée qu'on puisse dépenser un franc pour le transport individuel privé. Or, Luc Barthassat a su casser ces luttes stériles et mettre fin à ces deux utopies néfastes, celle du «tout-bagnole» et celle du «tout-antibagnole», pour tenter une synthèse entre les deux et opérer un rééquilibrage qui correspond mieux à la volonté des Genevois. C'est lui qui a lancé les états généraux des transports au début de son mandat, c'est lui qui a osé - ô sacrilège ! - réhabiliter les deux-roues et les scooters en ville, c'est lui qui a ouvert le chantier de la route des Nations, fait voter le crédit pour le barreau sud, et surtout, qui a rouvert le chantier de la traversée du lac initié dans les années 50 déjà, et qu'il va bien falloir réaliser un jour. Pour cela, il a même obtenu une bénédiction populaire.
J'ai assisté hier au Forum des 100, consacré aux transports du futur, avec tout ce que la Suisse compte d'experts dans ce domaine. Il apparaît que l'avenir des transports appartient à ce qu'on peut appeler l'intermodalité. Dans un monde aussi individualiste que le nôtre, il est illusoire de penser que les transports publics régleront tout, comme il l'est de penser que le transport individuel volant ou autopiloté résoudra tout. Nous sommes tous tour à tour des usagers de la route, du rail, des airs, des pistes cyclables ou des trottoirs. En rappelant cette évidence à toutes et à tous, Luc Barthassat a joué un rôle pionnier en faveur d'une véritable intermodalité à Genève, et pour cela, il mérite toute notre reconnaissance.
J'en viens maintenant à François Longchamp. A lui aussi, on peut faire des reproches, et pas un, cent ou mille, mais des millions de reproches; quand, comme lui, on a été pendant cinquante-six mois président des 499 700 râleurs et râleuses qui forment la population de ce canton, on ne peut qu'accumuler des millions de reproches, puisque tout est toujours de la faute du gouvernement. Mais voilà, mais voilà, celui qui «étivé patron dé Genevouai», comme dit le «Cé qu'è lainô» - et, je précise, un patron laïc et républicain - François Longchamp, donc, aura rempli son rôle avec tellement de brio, tellement d'élégance et d'humour qu'il a réussir à faire fondre tous ces reproches comme neige au soleil et qu'à l'heure du bilan, il ne reste plus que des éloges à lui adresser. J'en retiendrai cinq.
Le premier tient à la forme, et d'abord à sa forme à lui: vous aurez tous constaté qu'en douze ans et demi de Grand Conseil, il n'a pas pris un gramme ! Ça, ça mérite quand même un éloge. (Rires.) Le deuxième éloge - je viens sur le fond - porte sur le fait qu'il a pu remettre de l'ordre dans la maison sociale. En 2005, nous étions en pleine crise, et le social aussi; les caisses étaient vides, il y avait des urgences partout. En quelques années, François Longchamp a réussi à rétablir la situation, à créer les emplois de solidarité et à remettre de l'ordre sans faire de vagues. Le troisième éloge concerne sa gestion du département des travaux publics ou des infrastructures, lors de son bref passage à ce poste: là aussi, il aura servi de pompier, d'ingénieur efficace pour rendre ce département plus efficient, plus rapide et moins aléatoire dans ses procédures. Le quatrième éloge tient à son action en faveur de la Genève internationale à la tête du département présidentiel. Là aussi, à sa manière discrète et apparemment peu spectaculaire, il aura magistralement réussi à ancrer les organisations internationales dans notre canton pour les décennies à venir. Cela n'est peut-être pas encore visible aujourd'hui, mais Genève, sans nul doute, s'apercevra rapidement de ce qu'elle doit à François Longchamp dans ce domaine.
Le cinquième éloge, le plus important à mes yeux, évidemment, est celui qui le fera entrer dans l'histoire: c'est naturellement le sauvetage du Club suisse de la presse... (Rires.) ...au moment du budget 2018 !
Une voix. Evidemment !
M. Guy Mettan. Parce que quand le club a été attaqué par un député qui nous disait à chaque budget pendant douze ans qu'il fallait détruire le Club suisse de la presse, c'est uniquement grâce à l'action providentielle du président Longchamp qu'il aura pu sauver sa peau. C'est dire que notre président mérite non seulement dix, cent ou mille éloges, mais plusieurs millions d'éloges, et qu'il peut s'attirer de ma part en tout cas une reconnaissance éternelle.
Le parti démocrate-chrétien se fera un plaisir de vous offrir à tous les deux, Messieurs Barthassat et Longchamp, un petit pot de vin genevois. Merci. (Applaudissements. M. Guy Mettan remet à MM. François Longchamp et Luc Barthassat des bouteilles de vin.)
M. Cyril Aellen (PLR). Monsieur le président, c'est à moi qu'il revient de vous rendre hommage aujourd'hui. Le président du Grand Conseil m'avait dit qu'il ferait un petit bilan des éléments qui ont parsemé votre parcours politique; permettez-moi, au nom du groupe PLR, mais aussi en mon propre nom, de prendre un peu plus de liberté et de vous adresser quelques mots plus personnels. Il semblerait que vous n'aimiez pas les hommages: nous avons là un point commun, mais il se trouve qu'il m'appartient à moi de prononcer quelques mots, et aussi de les adresser à vous. Je vais prendre mon temps, parce que ça fait cinq ans que j'attends... Vous ne savez pas quoi ! Cinq ans que j'attends de pouvoir prendre la parole en dernier sans que vous commentiez en bien ou en mal ce que je vais vous dire ! (Rires.)
Mes collègues du PLR prétendent qu'il aurait été plus judicieux que quelqu'un d'autre que moi vous rende hommage; non que j'en sois incapable, non que vous ne l'acceptiez pas, mais il paraît que vous aviez un vrai département au cours des deux législatures précédentes et que, par voie de conséquence, il aurait été plus facile à quelqu'un qui était déjà député alors de dire quelques mots. Pour ma part, j'aimerais parler de ce que j'ai pu vivre lors de cette dernière législature.
Lorsque j'ai été élu en 2013, je me suis demandé si nous allions nous entendre et si nous pourrions travailler ensemble. J'avoue que ce n'était pas gagné. Vous, fils d'entrepreneur dans le domaine du bâtiment, avec un héritage libéral évident; moi, fils de fonctionnaire avec un ADN ancré sur le rôle de l'Etat: vous conviendrez qu'il y avait un écart qui faisait qu'il était peut-être plus difficile de nous entendre vu nos deux partis d'origine. En fait, très rapidement, j'ai acquis la conviction que nous pourrions faire un bout de chemin ensemble et collaborer. Il faut dire que l'actualité politique de l'automne 2013 a fortement contribué à notre entente. Un sujet qui nous était cher aux deux était à l'ordre du jour, un sujet qui allait occuper des heures de débat au Grand Conseil: vous l'avez reconnu, il s'agissait de la PPE en zone de développement. Nous avions là, tout trouvé, un thème qui nous était cher à l'un et à l'autre ! Quel bonheur, une occasion unique pour vous et moi pour faire en sorte qu'une loi puisse enfin porter un illustre nom, le vôtre. (Rires. Remarque.) J'y viens, j'y viens !
Je crois, Monsieur le président, qu'il est temps - car c'est de cela que j'aimerais parler aujourd'hui - de rendre publique la méthode que nous avons mise au point ensemble pour parvenir à ce résultat. (Rires.) Je vais expliquer à l'assemblée comment nous y sommes parvenus et comment nous avons réussi à nous mettre d'accord sur ce point. J'espère que vous ne m'en voudrez pas de divulguer quelques secrets des caucus du PLR.
Nous faisions un constat partagé, c'était déjà un bon point: vous aviez alors proposé une loi bien sûr totalement inacceptable, chacun le sait; mais après des heures et des heures de débat au caucus du PLR, sereins, consensuels, conviviaux, comme on en a largement l'habitude, mais tout de même avec quelques échanges contradictoires, vous avez eu une idée brillante. Au nom du Conseil d'Etat, vous nous avez donc proposé une loi sur laquelle, je l'avoue, mon jugement n'était pas sans nuances. Vous aviez dit qu'il fallait vraiment accepter cette loi du Conseil d'Etat, parce que si nous ne l'acceptions pas, l'ASLOCA allait se saisir du sujet et rédiger la pire des lois possible. Là, j'ai tout de suite deviné que vous et moi, nous allions trouver un début d'accord, un vrai, un accord sincère qui allait sceller un travail constructif durant les cinq années de la législature.
La loi présentée par le Conseil d'Etat a, comme prévu, été refusée; c'était annoncé d'avance. L'ASLOCA, comme vous l'aviez prédit, s'est évidemment saisie de ce sujet, elle a évidemment présenté une loi - mot pour mot la vôtre. Le pire était donc bien arrivé, j'avais raison, l'ASLOCA s'était saisie de cette loi, vous aviez également raison et nous étions donc tombés d'accord sur ce point-là. Nous avions gagné, ce faisant, ce que nous avions d'emblée cherché, à savoir une loi qui, grâce à cette méthode, a pu enfin porter votre nom.
Monsieur François Longchamp, Monsieur le président, plus sérieusement, la politique que vous avez menée discrètement, mais avec détermination et conviction, aura des effets dans le temps. Progressivement, ce parlement, mais aussi tous les Genevois, réaliseront ce que vous avez fait ainsi que ce que vous n'avez pas réussi à faire - mais que nous ferons quand même - parce que vous avez été probablement un peu plus rapide dans la réflexion et l'analyse que la plupart d'entre nous. C'est à cela que nous devrons oeuvrer, en pensant à ce que, souvent, vous nous avez dit, qui, souvent, commençait à nous faire douter. En particulier, vous m'avez habitué à me remettre en question à chaque fois, à travailler toujours, et je l'ai beaucoup apprécié. Vous nous avez enseigné qu'il faut travailler discrètement, puis éventuellement communiquer, quand le travail est enfin réalisé, mais jamais l'inverse.
Vous prenez maintenant congé de nous. A titre personnel, puisque nous sommes entre nous, je me permets une confidence, que vous ne répéterez pas, s'il vous plaît: cela m'arrange. Cela m'arrange, parce que ça commence à se voir, que nous sommes dans le même parti et que, finalement, nous partageons, pour beaucoup, les mêmes valeurs. Alors merci, Monsieur le président, merci pour Genève, merci pour le parlement, merci de la part du PLR, et bon vent pour la suite. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Romain de... (Commentaires.) Ah !
M. Cyril Aellen. J'aimerais quand même dire quelques mots au sujet de M. Barthassat, Monsieur le président.
Le président. Je vous en prie.
M. Cyril Aellen. J'abuse, j'abuse ! Monsieur le conseiller d'Etat, ce n'est pas de votre plein gré que vous quittez vos fonctions. Ça doit être difficile. Mais j'aimerais, au nom du PLR, vous adresser nos plus vifs remerciements pour le travail accompli. Le paradoxe, c'est que vous avez peut-être, mieux que personne, et rapidement, adopté le système suisse consensuel: vous avez tout de même réussi à conclure un accord sur les transports avec Daniel Zaugg et Lisa Mazzone ! Il fallait le faire !
Malgré cela, vous n'avez pas réussi à convaincre la population de vous reconduire dans vos fonctions. La politique, c'est faire, et vous avez fait. La politique, c'est aussi être, et vous avez été un conseiller d'Etat entier, transparent, tout à fait apprécié. Mais la politique, c'est aussi paraître, et le style que vous avez adopté, malheureusement, n'a pas plu: c'est pour cela qu'aujourd'hui, vous quittez vos fonctions.
A titre personnel, à intervalles réguliers - je sais que vous le savez - j'ai beaucoup échangé avec la population sur la politique des transports, mais pas seulement avec elle: le dimanche matin, dans un établissement de l'un des nouveaux députés PLR, j'ai aussi croisé quelques membres de votre famille. Nous avons eu des échanges, toujours constructifs. J'aimerais vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat, venez avec eux; nous boirons un café, nous mangerons quelque chose et nous ferons de la politique à l'abri de toutes les critiques. Ce sera un vrai plaisir. Bon vent à vous, Monsieur le conseiller d'Etat, et merci pour tout ce que vous avez fait pour la république. (Applaudissements.)
Le président. Mes excuses pour vous avoir coupé la parole. Je la passe maintenant à M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. Monsieur Luc Barthassat, conseiller d'Etat, Monsieur François Longchamp, notre premier président de la république sous cette nouvelle constitution, c'est un honneur pour moi de vous adresser les hommages du groupe socialiste. Ce n'était pas nécessairement décidé d'avance que vos départs seraient simultanés. Quand on pense à vous, on ne peut s'imaginer toutes les ressemblances que vous pouvez avoir: vous semblez avoir dans votre manière de faire de la politique des styles complètement différents, et pourtant, j'ai cherché et je suis arrivé à la conclusion qu'il y a quand même beaucoup de points communs entre vous deux. Bien sûr, pas dans l'amour que vous portez aux tatouages, aux motos ou encore à la musique... (Rires.) ...encore qu'on ne sait peut-être pas !
Mais vous avez de réels points communs: le fait d'être de mauvais élèves tous les deux, par exemple. Si l'un, sur ce banc, passe son temps sur Facebook, l'autre lit «Le Canard enchaîné» à longueur de séances du Grand Conseil et porte le même intérêt à nos débats parlementaires. (Rires.) On a pu encore l'observer aujourd'hui, vous portez tous les deux un amour certain aux autres cantons et au pays: l'un a attendu tant bien que mal des fonds provenant de Berne, qui n'arrivaient pas, l'autre a encore fait preuve aujourd'hui de cet amour en parlant d'«obscurs cantons suisses» à propos du reste de notre pays et malgré sa fonction de représentation auprès de ces «obscurs cantons».
Enfin, ce sont tous les deux des hommes de réseau: naturellement, l'un est le président du Conseil d'Etat, c'est un homme de réseau, il appartient à l'élite, à la bourgeoisie genevoise, l'autre est un homme de réseaux sociaux. On l'aura compris, c'est un point qu'ils ont en commun.
Mais il faut également remarquer leur esprit d'équipe naturel. Si, d'un côté - on le sait, pour M. Barthassat, c'est un véritable slogan - «on se rassemble, on bosse, on avance», de l'autre côté, on le sait aussi, la philosophie est exactement la même, mais les mots sont quelque peu différents: ce serait plutôt quelque chose comme «on se côtoie, on oeuvre, et en route vers la suite».
Messieurs Barthassat et Longchamp, on l'aura compris, vous avez vraiment des points communs. Dans ces derniers jours encore, je crois qu'on a pu observer que vous avez tous les deux de la grandeur. Je pense à M. Barthassat qui a vécu un destin politique peu évident. Vous avez fait preuve d'une véritable grandeur durant ces cinq années, tout comme d'esprit d'équipe, d'une volonté d'agir, parfois maladroite, mais couplée à une véritable gentillesse qu'il faut reconnaître en tant que socialiste. Monsieur Longchamp, cette grandeur, vous l'avez aussi eue: on l'aura compris, votre fait marquant, en tout cas pour les socialistes, c'est la loi qui porte votre nom - malheureusement, l'effet d'annonce est quelque peu raté. Nous vous avons grandement aidé dans ce sens-là, vous nous avez inspirés, pourrons-nous dire.
Monsieur Barthassat, Monsieur Longchamp, pour la suite, nous ne pouvons vous souhaiter que du bonheur, QDB ! (Applaudissements.)
M. Mathias Buschbeck (Ve). Chères et chers collègues, c'est à présent aux Verts de faire leur hommage. Je vais commencer par le président Longchamp, le premier président de la nouvelle constitution, qui aura totalement incarné cette fonction voulue par les constituants, l'intérêt général, l'intérêt de Genève au-delà des clivages, depuis votre discours de Saint-Pierre jusqu'à l'adoption de la LOIDP avec son dernier étage hier. Vous êtes allé jusqu'à défendre - cela a été dit - une initiative portant votre nom, une première, en vous opposant subtilement à votre camp. La suite des événements vous a donné raison.
On connaît votre tiède passion pour les communes genevoises. Tel le Sisyphe de la tour Baudet, vous avez tenté de désenchevêtrer leurs compétences et celles du canton. Vous avez assumé durant ces cinq dernières années la haute et sourcilleuse surveillance des communes, ces élèves un peu paresseuses que vous grondiez de ne pas avoir fait leurs devoirs d'été. On vous aurait cru en froid avec elles; il n'en est rien, puisque, illumination ou rachat, dans l'une de vos dernières prises de parole aujourd'hui, sur la péréquation intercommunale, vous avez cité deux fois une commune, celle de Vernier, et sa taille qui en imposerait à bien des cantons suisses. L'évocation réitérée de la grandeur de Vernier nous a fait croire un instant que ce n'est pas un maire, un Conseil administratif ou un bailli onésien qu'il lui faudrait, mais bel et bien un conseiller d'Etat. Merci, merci de vous être mis au service de notre canton, merci d'avoir oeuvré à son rayonnement, plus international que jamais, et bon vent.
Monsieur Barthassat, ce n'est un secret pour personne, nous avons été adversaires, les Verts ont combattu votre politique, mais aujourd'hui, ils voudraient saluer votre engagement et votre détermination à trouver des solutions, votre courage, le courage de vos idées, que vous avez défendues jusqu'au bout, et votre volonté de trouver des solutions en dehors des clivages pour réconcilier des positions qui manifestement étaient irréconciliables. Je voudrais aussi saluer votre accessibilité: vous n'avez jamais refusé de rencontrer les gens, de débattre, et pour ma part, j'ai eu beaucoup de plaisir à débattre avec vous. Je vous souhaite bon vent également et vous remercie. (Applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Vous me pardonnerez d'être protestant dans la parole, c'est-à-dire bref. Monsieur le conseiller d'Etat, cher Luc, au cours de votre magnifique parcours politique - il a été peu souligné - qui vous a permis de siéger sur nos bancs, puis à Berne, pour enfin arriver à celui de l'exécutif, le passage du législatif cantonal au fédéral fut, à cause d'un autre destin cruel, un coup de maître; et celui du législatif fédéral à l'exécutif cantonal fut un coup de la Providence, qui vous a valu de commencer la route vers Lourdes, sans eau, bien entendu. Nous étions, à cette occasion, avec le président Longchamp, et nous nous sommes regardés. Les deux, nous nous sommes dit: «Si le PDC va jusqu'à Lourdes, c'est que ce sont vraiment des PDC !»
L'arrivée à l'exécutif fut, disons-le, une révolution dans le Landerneau politique genevois. Alors que la démocratie chrétienne - ou DC - perdait du terrain législatif, elle croissait à l'exécutif. Cela fit inévitablement jaser, pour ne pas dire croasser, certains oiseaux de mauvais augure. Votre exercice du pouvoir fut, à votre image, franc, honnête et direct; tout ce que la Rome protestante peine à apprécier, comme certaines factions de la démocratie chrétienne parfois très orthodoxes. Résultat, comme souvent, les contraires se sont alliés, et même la DC a donné du canon, plus habituée à la stratégie dans les «buchs» que sur le terrain, avec le résultat que l'on sait. Pour ce qui nous concerne, au groupe MCG, nous gardons de vous le souvenir d'un homme loyal, ouvert à la discussion et prompt à la négociation, des valeurs qui sont essentielles à la gouvernance telle que nous la concevons, dans le système de concordance bénéfiquement éloigné de celui des coalitions.
Ce qui est certain, Monsieur le conseiller d'Etat, cher Luc, c'est que vous avez amené de l'eau au moulin s'agissant de la fluidité du trafic, en réussissant à marier la carpe et le lapin dans une loi sur la mobilité qui fera date, comme disent les caravaniers qui laissent les chiens aboyer sur leur chemin. Merci d'avoir apporté ce vent de fraîcheur et merci pour ce que vous avez fait pour notre république.
Monsieur le président, cher François, quelle coïncidence de la vie que celle qui me voit arriver dans cette enceinte au moment où vous quittez le gouvernement ! Il faut dire que nous nous connaissons de longue date, de cette époque où vous étiez au service du conseiller d'Etat Segond, dont la puissance de travail vous mettait sans doute dans un état proche de son patronyme. Le service d'un homme d'Etat aussi zélé dans l'approche, radical dans les solutions, ne pouvait offrir à la république qu'un successeur digne de cette pensée fazyste qui nous est commune: un Etat fort, mais pas puissant, arbitre et non fouineur; un Etat au service de l'ensemble des citoyens et non pas des seules élites; un Etat qui promeut la responsabilité individuelle et non l'irresponsabilité collective. Genève peut être fière d'avoir parmi celles et ceux qui la servent des élus de votre stature.
Une nouvelle étape de votre chemin de vie s'ouvre. Ce qui vous était égal hier aura de l'importance demain, sur les terres de Pagnol ou ailleurs. Vous auriez pu vous retirer chez vous, en Tarentaise, à Saint-François-Longchamp, confortablement installé, charentaises aux pieds. Mais vous avez choisi, je crois, la parenthèse de l'Orient, peut-être parce que c'est de là que vient la lumière. Il est vrai aussi que la route de la soie est à n'en pas douter le meilleur moyen de faire un retour sur soi. Espérons que le collège que vous quittez, ayant perdu son «longchamp» d'espérance, ne se retrouvera pas face à une morne plaine dévastée par des oppositions stériles. Au nom du MCG, je vous dis merci, Monsieur le président et cher François, d'avoir si bien servi la république qui vous avait, comme à chacun de nous, confié sa destinée, et de vous appliquer cette règle essentielle dans notre système: servir et partir - non pas, comme certains, se servir et rester. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)