République et canton de Genève

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PL 11870-B
Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Salima Moyard, Christian Frey, Nicole Valiquer Grecuccio, Florian Gander, Pascal Spuhler, Sandro Pistis, Magali Orsini, Boris Calame, Sarah Klopmann, François Lefort, Olivier Baud, Jean-Marc Guinchard, Sophie Forster Carbonnier, Jocelyne Haller, Marie-Thérèse Engelberts, Frédérique Perler, Mathias Buschbeck, Yves de Matteis, Lydia Schneider Hausser modifiant la loi sur la santé (LS) (K 1 03) (Pour garantir le droit au suicide assisté dans les EMPP et EMS)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XIV des 26 et 27 avril 2018.
Rapport de majorité de M. Christian Frey (S)
Rapport de minorité de M. Sandro Pistis (MCG)

Premier débat

Le président. Nous passons à la deuxième urgence, le PL 11870-B, que nous traiterons en catégorie II, quarante minutes. Je cède la parole à M. Thévoz.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission de la santé a étudié ce projet de loi durant cinq séances. Elle l'a étudié attentivement et sérieusement; vous en conviendrez, le sujet est sensible, délicat, puisqu'il parle de vie et de mort. Il s'agit donc de le traiter avec la plus grande attention. Ont été auditionnés les HUG, l'association Exit, la FEGEMS - Fédération genevoise des EMS - et l'association des médecins genevois. Il faut souligner la bonne qualité des débats et l'attention qui a été portée à l'étude de ce projet de loi. Il faut aussi rappeler que rien n'interdit actuellement l'assistance au suicide, qu'il n'y a pas de loi en la matière, et que cet objet s'adresse uniquement aux personnes dans les EMPP - établissements médicaux privés et publics - ou dans les EMS.

Les commissaires se sont posé, en tout cas selon la majorité, les bonnes questions. Ils se sont d'abord demandé s'il fallait légiférer sur ce point; s'il est important de légiférer. A cette question, une majorité a répondu par l'affirmative: il est important de légiférer. Pourquoi ? Parce que le principe d'équité n'est aujourd'hui pas garanti. C'est-à-dire que si vous êtes par exemple en fin de vie chez vous, rien ne s'oppose à ce que vous contactiez Exit et fassiez appel aux services de cette association. C'est évidemment plus problématique si vous êtes dans un EMS ou un EMPP puisque vous courez le risque que la direction de cet établissement ne facilite pas - voire mette un frein ou empêche - votre accès à cette association, et donc à la possibilité de mourir dans la dignité. Ce projet de loi - et donc la volonté de légiférer - vise à rétablir l'équité et à éviter qu'il y ait de fait un traitement différencié, ce qui contrevient aujourd'hui aux normes fondamentales du droit et de l'équité; je pense qu'il est important de le rappeler.

Un autre élément qui appuyait le fait de légiférer est évidemment celui du changement des moeurs, des changements culturels: +30% de demandes d'assistance au suicide en Suisse, pour un total de 286 actes. Vous le savez peut-être, Exit connaît une explosion du nombre de ses membres, de personnes qui adhèrent à l'association. Il a donc semblé à la majorité des commissaires qu'il ne peut pas demeurer un vide juridique sur un enjeu aussi important, massif. Une majorité de cette commission a donc été acquise à l'idée de légiférer.

Une deuxième bonne question que les commissaires se sont posée, c'est celle du droit de mourir dans la dignité. Il semble aujourd'hui important que la personne qui souhaite mourir dans la dignité puisse voir ce droit garanti et que celui-ci ne soit justement pas soumis à l'approbation d'un établissement public ou semi-public, ou parfois à celle de proches qui freineraient l'exercice de ce droit et empêcheraient la personne capable de discernement d'exercer cette volonté. Avec prudence et avec les cautèles nécessaires, la majorité des commissaires a bien sûr souhaité encadrer ce processus et ce droit de mourir dans la dignité. Elle a donc voté des amendements. Le premier réaffirme - j'attire votre attention sur ce point fondamental - que les établissements médicaux privés et publics et les établissements médico-sociaux ne peuvent refuser la pratique d'une assistance au suicide en leur sein à un patient ou à un résident si les conditions suivantes sont remplies - celles-ci sont d'ailleurs assorties, je dirais, d'une série de précautions.

Le président. Monsieur le député, vous parlez sur le temps de votre groupe à partir de maintenant.

M. Sylvain Thévoz. Merci. Les conditions sont les suivantes: le patient ou le résident est capable de discernement, il souffre d'une maladie ou de séquelles d'accident graves et incurables et des alternatives, en particulier liées aux soins palliatifs, ont été discutées avec lui. Les commissaires sont allés plus loin avec une deuxième mesure de protection: en cas de doute, le médecin directement chargé du patient hospitalisé ou le médecin traitant du résident en EMS peuvent solliciter l'avis d'un autre praticien. Enfin, une troisième mesure de précaution a été prise - une sorte de troisième ceinture de sécurité, je dirais - à savoir l'instauration d'une commission de surveillance en matière d'assistance au suicide, dont les dispositions ont été sous-amendées par le Conseil d'Etat et M. Poggia notamment. Cette commission est quelque part chargée de surveiller la pratique de l'assistance au suicide.

La commission de la santé a voté ce projet de loi ainsi amendé: il permet d'avoir une base légale sur le sujet, de rendre équitable la pratique du suicide assisté et de combler un vide juridique. Nous appelons bien sûr à l'adopter. Merci beaucoup. (Quelques applaudissements.)

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de minorité. La liberté de ne pas continuer à vivre doit être reconnue, personne ne le conteste. Les personnes résidant en EMS ou séjournant à l'hôpital - dans ce dernier cas exclusivement lorsqu'un retour à domicile n'est pas raisonnable - doivent pouvoir exercer cette liberté, qui n'a été contestée par personne. Le conseiller d'Etat chargé de la santé est venu nous apporter les explications et les assurances nécessaires à cet égard.

Ce projet de loi pose un problème, celui du risque d'une judiciarisation de l'exercice de cette liberté. Sur la base de cette loi, des procédures pourront être engagées à l'égard tant du personnel soignant que des proches de la personne qui décide de mettre fin à ses jours, rendant plus difficile ce que l'on voudrait simplifier. Ainsi, cet objet crée le risque d'une judiciarisation de ce processus puisque des proches, la famille ou des personnes tierces pourront s'y référer afin d'engager des procédures et de bloquer abusivement l'exercice de cette liberté. Aucune loi, aussi parfaite soit-elle, ne pourra répondre à la place des professionnels de la santé à la seule question centrale qui est celle de la capacité de discernement de celui ou celle qui veut mettre fin à ses jours. Et cette capacité de discernement exige empathie, écoute et compétence. Aucune loi ne pourra s'y substituer et certainement pas celle qui nous est soumise ce soir. Au final, la minorité estime que la loi n'est pas la meilleure manière de régler ce problème délicat et nous vous recommandons de la refuser, ce d'autant qu'aucune situation de blocage n'a été démontrée dans ce canton.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Salima Moyard pour trois minutes.

Mme Salima Moyard (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, en rédigeant pour le parti socialiste ce projet de loi touchant la question de l'autodétermination face à la mort, j'ai eu l'espoir d'en faire un projet consensuel et rassembleur sur un sujet ô combien délicat. J'ai toujours cet espoir ce soir. Pour rappel, cet objet a pour but qu'une assistance au suicide soit possible; les conditions en ont été énumérées par M. Thévoz. Il donne un cadre à toutes les institutions, prévoit des conditions - capacité de discernement nécessaire, maladie ou séquelles d'accident incurables et graves et soins palliatifs déjà discutés - et des cautèles pour éviter toute dérive, et clarifie les rôles des uns et des autres. La procédure doit être relativement courte et il ne doit pas y avoir d'implication, à titre professionnel, du personnel engagé dans les soins.

Ce projet de loi permet de garantir à chaque personne remplissant les conditions, quel que soit son lieu de domicile, la liberté d'accès à une assistance au suicide. Vous vous souvenez qu'après un premier échange dans ce plénum, une très large majorité l'a renvoyé en commission pour un examen approfondi. Cet examen a eu lieu et le parti socialiste s'en réjouit. De nouvelles auditions ont été fort intéressantes, notamment celle des HUG qui ont démontré les effets du texte avant même son adoption puisqu'ils ont admis les problèmes de leur procédure et ont souhaité remédier au manque d'uniformité d'application de celle-ci - actuellement, elle est kafkaïenne, il faut bien le dire, à tel point qu'ils ont décidé de la réviser.

La FEGEMS elle aussi a été assez claire dans ses propos. Elle a montré qu'elle n'a aucune vision globale sur la question quant aux pratiques des EMS qui en sont membres, et ses nouvelles recommandations vont même moins loin que les précédentes. En 2017, l'EMS qui refuse l'assistance au suicide doit simplement en informer le patient alors qu'elle devait, en 2010, proposer une solution acceptable - paraît-il - sans que cela soit d'ailleurs précisé. A la FEGEMS, c'est donc: circulez, il n'y a rien à voir ! De notre point de vue, c'est proprement inacceptable !

Le travail parlementaire a été fructueux; il y a eu de nombreux amendements. La place du médecin traitant a été renforcée, et surtout, on a instauré cette commission de surveillance. Pour ce débat, son rôle doit être clair dans la tête de chacun: il ne s'agit pas d'un conseil de cinq sages qui déciderait à la place du patient. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Elle ne statue pas sur les assistances au suicide, elle n'est pas un organe de recours, elle n'est pas un passage obligé pour une assistance au suicide ! Elle joue simplement le rôle de sonnette d'alarme - sans se substituer au ministère public - et agira vite s'il y a effectivement un abus, mais autrement, classera l'affaire. La commission permet donc de rassurer les personnes qui doutent d'une situation...

Le président. Il faut conclure, Madame la députée !

Mme Salima Moyard. Je vais le faire, Monsieur le président. ...qui craignent des épidémies de suicides; cette commission est un moyen de les rassurer. Ce projet de loi réaffirme le droit au suicide assisté, et j'espère que chaque député pourra le voter ce soir en son âme et conscience. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme la députée Marjorie de Chastonay.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a pour but de garantir un droit: le droit au suicide assisté, à l'autodétermination, pour les personnes concernées. Il vise de plus à garantir une égalité de traitement de ces personnes, et ce quel que soit le lieu où elles se trouvent: en EMS, en clinique privée, à l'hôpital ou à domicile. Actuellement, c'est l'EMS qui décide s'il autorise ou non une assistance au suicide en ses murs. Les cantons de Vaud et de Neuchâtel ont déjà légiféré en la matière et cela n'a pas produit une augmentation du nombre de suicides assistés. Les Verts sont convaincus que l'on devrait y avoir accès partout, sans inégalités selon les lieux. Nous pensons qu'il est important de donner un cadre légal à cette pratique. Bien que ce projet de loi ne soit pas parfait, les Verts le soutiennent et vous invitent à voter en sa faveur, parce qu'une réglementation précise permet d'éviter tout dérapage sur ce sujet délicat et parce qu'il est temps que Genève se modernise sur la question. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). En préambule, le parti démocrate-chrétien a décidé de laisser la liberté de vote sur ce sujet. J'ai été rapporteur de majorité lors du premier passage en plénière, il y a quelques mois, devant ce parlement; nous avions renvoyé ce texte en commission quasiment à l'unanimité parce que nous avions un doute sur la pratique de l'hôpital cantonal. Tous les travaux faits jusque-là en commission ont clairement démontré qu'il n'y a eu aucune difficulté ni aucun problème, que ce soit dans les EMS ou aux HUG. Nous avons toujours dit que nous voterions une loi s'il y avait des cas avérés de gens qui n'avaient pas pu choisir de mourir dans un EMS ou à l'hôpital cantonal. S'agissant du suicide assisté, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut que les gens puissent avoir le choix et décider du jour et de l'heure de leur mort, mais la question qui se pose - M. Thévoz l'a très bien dit - c'est de savoir s'il faut légiférer ou pas. La majorité a dit oui, mais la minorité ne croit pas que légiférer soit une bonne solution: ça ne règle pas les problèmes ! Lorsque quelqu'un décide de s'en aller, c'est sa relation avec le médecin traitant qui permet de savoir s'il y a cette possibilité ou pas. Ayant accompagné plusieurs suicides assistés de mes patients, ayant demandé plusieurs autorisations avec Exit, je peux vous dire que ce dialogue a lieu, ce dialogue est profond; il permet d'aplanir les difficultés, de discuter avec la famille et d'éviter tous les problèmes.

Ce qui me donne du souci, c'est qu'on a voulu faire une loi parfaite. Et en voulant faire une loi parfaite, on va augmenter les risques de plaintes, les risques que les gens soient empêchés de faire le choix de mourir. Ce qui me fait peur, c'est l'ajout de la commission dans le projet de loi. Cette commission, c'est un risque énorme ! Même si on dit: «Non, ce n'est pas possible, ce sont des sages qui de temps en temps donneront leur avis.» Non ! Ça veut dire qu'il y a de gros risques que des familles saisissent la commission ! Il y a de gros risques que des soignants saisissent la commission ! On l'a vu dernièrement avec un épisode à Loëx, où quelqu'un n'a pas pu faire le choix de mourir parce qu'on avait un doute sur sa capacité de discernement. Je crois que sur ces questions de société, concernant des problèmes moraux, soit le fait que chacun a le droit de décider du jour de sa mort - on peut être d'accord ou pas d'accord, selon ses convictions religieuses ou philosophiques - eh bien, il faut légiférer le moins possible ! Il faut laisser cette liberté de choix et ne pas légiférer. Sinon vous courez le risque de bloquer le système et d'avoir des gens qui ne vont pas pouvoir s'en aller parce qu'on va les en empêcher.

Vous savez, décider d'accompagner quelqu'un qui va mourir, être à côté de lui - je le vois, comme médecin - c'est une position difficile. Ce ne sont pas des moments faciles, ce sont des moments extrêmement durs. Eh bien, si vous voulez avoir une loi trop parfaite, il y aura toujours quelqu'un pour dire qu'il n'est pas d'accord: «Je ne suis pas d'accord parce que je ne suis pas sûr que cette personne soit capable de discernement.» Et ce n'est pas sûr que la personne puisse s'en aller ! Vous allez bloquer complètement la situation et vous obtiendrez le contraire de ce que vous visez, c'est-à-dire qu'en voulant permettre aux gens de s'en aller, vous allez les empêcher de le faire. Ne votez pas de loi sur ce sujet-là, je vous en prie ! Je vous remercie.

M. Thomas Bläsi (UDC). En préambule, je tiens à dire qu'au sein du groupe UDC, malgré notre opposition au fait de légiférer, nous ne sommes pas opposés à l'assistance au suicide et que nous n'en remettons absolument pas en cause le principe. Cependant, l'historique parlementaire de cet objet est particulièrement intéressant. Pour avoir participé à la Constituante, je peux dire que les travaux menés en commission ont été beaucoup plus poussés que ceux de notre commission de la santé. Au départ, 80% des constituants étaient favorables à l'idée de légiférer, mais à la fin de ses travaux, l'ensemble de la commission a estimé que ce serait une grave erreur de le faire, pour partie en raison des motifs donnés aujourd'hui par les uns et les autres.

Suite aux travaux de la Constituante, le projet socialiste est revenu à la commission de la santé où il a été étudié, travaillé. Finalement, la commission a décidé que légiférer n'était pas une bonne solution. Suite à des témoignages particulièrement émouvants qui nous sont parvenus et ont été lus au Grand Conseil, notre parlement a décidé de donner une deuxième chance à cet objet - un deuxième tour - et de le renvoyer à la commission de la santé. Au cours de ses travaux, comme vous l'a expliqué mon collègue, M. Buchs, celle-ci a pu constater que ces cas particulièrement émouvants qui nous avaient été décrits n'étaient pas basés sur des éléments solides et qu'elle ne pouvait pas les prendre en considération.

De plus, la commission a aussi pu constater qu'Exit prélève des cotisations annuelles d'environ 30 F par membre et que l'association recourt par ailleurs essentiellement, ou de manière quasiment systématique, à des bénévoles. Elle n'utilise donc pas l'argent de ces cotisations et se constitue ainsi un trésor de guerre d'environ 5 millions de francs par année. De la bouche même des membres d'Exit, ce trésor de guerre est utilisé à la seule fin de mener un combat sur la législation pour finalement assouplir et améliorer les lois concernant leur domaine d'activité. Sur cette thématique sensible, le fait qu'il puisse finalement y avoir aussi un intérêt commercial pour Exit et en tout cas des difficultés à expliquer ce qui est fait de l'argent a posé problème.

L'UDC vous le répète: nous ne sommes pas contre le principe de l'assistance au suicide, que nous soutenons, mais nous estimons que les zones d'ombre soulevées par les travaux de la commission nécessitent pour le moins de s'abstenir de légiférer. Laissons le système actuel, qui fonctionne, continuer à fonctionner de la manière la meilleure et ne mettons pas forcément tous nos oeufs dans le même panier concernant un sujet aussi sensible en confiant notre destin à une association dont les finances ne sont pour l'instant pas éclaircies. Merci, Monsieur le président.

M. Olivier Baud (EAG), député suppléant. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Ensemble à Gauche est évidemment en faveur de ce projet de loi et condamne un peu les tergiversations auxquelles nous assistons. Exit, c'est l'association pour le droit de mourir dans la dignité ! Essayer d'entamer son procès ici, comme le fait le député Bläsi, n'est pas tout à fait correct. La réalité, c'est qu'Exit a été empêché de mener son action dans les établissements hospitaliers, en particulier aux HUG. Je crois que la lettre écrite au directeur général, M. Levrat, qui figure à la page 75 du rapport, ne laisse aucune ambiguïté ! Elle n'est pas vieille, elle date du 8 mai 2017. Exit est une association à laquelle on peut adhérer ou pas - on peut être membre ou pas, c'est la liberté de chacun - mais en Suisse, et à Genève en particulier, on a le droit de mourir dans la dignité et d'être assisté dans cette mort, comme l'a dit la députée des Verts. On en a le droit, où que l'on soit, quel que soit le lieu où on est, même si ce n'est malheureusement pas une réalité dans le monde actuel, on est d'accord !

Ce que nous ne comprenons pas très bien à Ensemble à Gauche, c'est qu'à écouter les discours, tout le monde est d'accord. Le rapporteur de minorité dit que cette liberté doit être reconnue. La liberté de choisir de mourir et d'être assisté doit être reconnue, mais il ne faudrait pas légiférer ! Au prétexte que les lois, c'est embêtant, puisqu'une loi est évidemment un texte écrit et une fois qu'une chose est écrite, on peut pinailler, dire ceci ou cela, contester, etc. Mais c'est complètement absurde ! Excusez-moi, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes un organe législatif et nous essayons de faire des lois qui tiennent la route et qui seront respectées; des lois qui ont un sens ! Si elles sont chaque fois remises en question au prétexte qu'elles pourraient être attaquées, alors arrêtons là, levons la séance, Monsieur le président, tout cela est vain, c'est, disons, de l'agitation; ça ne sert à rien, arrêtons ! Non, vous n'êtes pas sérieux.

Le PDC a la liberté de vote; ça, c'est de la lâcheté. L'UDC commence par dire qu'elle est d'accord mais qu'il ne faut surtout pas légiférer; ça n'a aucun sens ! Je vous appelle à faire preuve d'un peu de bon sens, Mesdames et Messieurs les députés, à revenir à la raison et à voter ce projet de loi pour qu'à Genève on puisse mourir dans la dignité. Je vous remercie.

M. Charles Selleger (PLR). Ce que je viens d'entendre de la part du député d'Ensemble à Gauche est fort surprenant. Je pense qu'il ignore - s'il m'écoute, il va peut-être l'apprendre, mais il ne m'écoute toujours pas - que la plupart des assistances au suicide en Suisse ne se produisent ni dans les hôpitaux ni dans les EMS. Pourtant, vous n'avez pas réclamé de légiférer sur ces cas-là. La problématique qui nous occupe est bien précise: elle concerne les personnes qui résident en EMS ou qui séjournent à l'hôpital.

Lors de son premier examen en commission, le PLR avait refusé l'entrée en matière pour les raisons qui ont été expliquées, à savoir que l'assistance au suicide est un phénomène sociétal en cours d'évolution et qu'il n'est pas encore temps de figer les pratiques dans un carcan législatif. La situation du suicide assisté semblait par ailleurs correcte, à la fois dans les EMS et dans les hôpitaux. Le PLR avait néanmoins dit qu'il resterait vigilant au cas où il s'avérerait que ce n'était pas le cas. Lorsque nous avons été alertés par les cas qu'Exit nous a exposés, nous avons nous-mêmes demandé le renvoi de ce projet de loi en commission pour tirer l'affaire au clair. Du point de vue hospitalier - Exit nous l'a dit et les hôpitaux aussi - il n'y avait en fait pas matière à discussion: les choses étaient bien réglées et acceptées au niveau de l'hôpital. Exit nous l'a confirmé ! Toutefois, ce qui a fait vaciller le vote de notre groupe, c'est qu'une seconde audition de la FEGEMS est venue un peu contredire ce qui avait été dit lors du premier passage en commission, à savoir qu'il y a encore une différence entre EMS et que certains acceptent plus ou moins facilement Exit dans leurs murs. C'est pour ça que le PLR a voté l'entrée en matière lors de ce deuxième passage en commission.

Dès lors que nous étions entrés en matière, nous avons présenté toute une série d'amendements qui visaient principalement à éviter de désigner, de par leur fonction, des médecins ou d'autres professionnels de la santé pour qu'ils doivent obligatoirement se prononcer sur la légitimité et l'opportunité d'une demande d'assistance au suicide. Ça, pour nous, c'était exclu. Nous avons eu gain de cause sur tous nos amendements, y compris sur celui de la constitution d'une commission à laquelle on puisse s'adresser pour sonner l'alerte au cas où on suspecterait par exemple la famille d'essayer d'influencer une personne âgée. C'est ainsi que les commissaires PLR à la santé ont accepté de voter ce projet de loi. En revanche, l'ensemble de notre groupe n'est pas forcément du même avis; il s'agit d'une question extrêmement sensible, c'est pourquoi le PLR donnera la liberté de vote à chacun des membres de sa députation - et ce n'est pas par crainte, par paresse ou par peur de quoi que ce soit. Je vous remercie, Monsieur le président.

Mme Françoise Sapin (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, s'il existe une liberté individuelle fondamentale, c'est bien celle de mourir comme on le désire ou le souhaite, en fonction de ses convictions personnelles. Le MCG reconnaît parfaitement ce droit et n'est absolument pas contre Exit. Cependant, cette loi judiciarise le processus; elle va compliquer des cas qui aujourd'hui ne posent pas problème. Lors des auditions à la commission de la santé, le procureur général et Mme la cheffe de la police ont en effet été très clairs: il existe actuellement des procédures précises qui sont suivies et qui ne posent pas problème. En plus, cette loi ne traite que des EMS et pas des autres cas qui se présentent dans le canton. Pour toutes ces raisons, le MCG refusera ce projet de loi.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Christina Meissner pour quarante et une secondes.

Mme Christina Meissner (PDC), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Je tiens à rappeler - et je crois qu'il faut le souligner encore une fois - que le droit de mourir dans la dignité est un droit fondamental qu'il s'agit que nous respections tous. Personnellement, je rejoins la... Comment dire, je suis mal à l'aise, parce que le premier projet de loi, celui déposé par Mme Salima Moyard, était simple ! Il demandait simplement que «le médecin responsable [...] en concertation avec l'équipe soignante, le médecin traitant et les proches désignés par le patient ou résident, vérifie que celui-ci est capable de discernement [...] souffre d'une maladie ou de séquelles d'accident» et qu'il n'y ait pas d'autre possibilité.

Le président. C'est fini, Madame la députée.

Mme Christina Meissner. C'était suffisant ! Je ne peux pas judiciariser ce processus...

Le président. C'est terminé !

Mme Christina Meissner. ...et dès lors je ne pourrai pas accepter ce projet de loi, mais j'accepte le principe de... (Le micro de l'oratrice est coupé.)

Le président. C'est terminé, Madame la députée. La parole est à M. le député Marc Falquet.

M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. C'est vrai qu'on se pose des questions: pourquoi doit-on légiférer sur un thème au sujet duquel il y a eu, je crois, un problème dans un EMS ultra-catholique ? Et pour cela, on va donc faire une loi ! Alors vous parlez de liberté, de la liberté de se suicider. Mais il n'y a pas seulement la liberté de la personne qui souhaite se suicider, il y a aussi la liberté de ceux qui restent et la liberté de ceux qui ont une conscience... il y a la liberté de conscience de ceux qui ont décidé une autre approche face à l'adversité. Et c'est aussi ça qu'il faut voir: on ne doit pas imposer un suicidé à des gens qui ont une autre éthique face à la vie, qui ont peut-être décidé de défendre la vie face à l'adversité. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ça, je trouve que ce n'est pas normal !

Un autre problème: l'amendement du PLR. Là, c'est le sommet. L'amendement du PLR, c'est vraiment le sommet ! Vous voulez qu'une commission - donc des tiers - vienne s'immiscer et auditionne la personne qui souhaite mettre fin à ses jours pour lui demander ses vraies motivations, ses motifs de se suicider ! C'est complètement hallucinant ! Il va devoir déballer devant une commission pourquoi il veut se suicider...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Marc Falquet. ...pourquoi il veut en finir avec la vie. C'est complètement absurde, et je vous conseille de refuser cet objet.

Le président. Voilà, c'est terminé, je vous remercie. La parole est à Mme la députée Jocelyne Haller pour une minute vingt.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la liberté de mourir dans la dignité ne doit pas dépendre de l'établissement où vous êtes hospitalité ou de l'EMS où vous êtes placé. Selon le lieu où vous vous trouvez, vous pouvez effectivement avoir accès au suicide assisté mais vous risquez fort aussi de vous trouver face à une impossibilité. Pour nous, légiférer, c'est donc garantir ce droit à chacun. Il ne s'agit pas de heurter les consciences: le projet de loi prévoit qu'il n'est en aucun cas question d'obliger qui que ce soit à participer à ce processus à partir du moment où il heurte sa conscience. A nos yeux, les indispensables conditions de sécurité sont donc garanties par ce projet de loi et nous ne pouvons que vous encourager à le soutenir. Je vous remercie de votre attention.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le sujet est évidemment grave puisqu'il est question de vie, de mort, de liberté. On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions; je crains que ce soir une majorité d'entre vous n'ajoute une pièce de dallage. Vous l'avez dit, un premier projet de loi a été refusé - non pas par une majorité d'entre vous qui considérait qu'il n'était pas nécessaire de garantir la liberté de quitter notre monde lorsque ce souhait était exprimé par une personne capable de discernement, mais parce que le bon sens avait prévalu. Vous considériez en majorité qu'il était inutile de légiférer sur un sujet particulièrement délicat à propos duquel la société évolue et qui doit pouvoir trouver des solutions évolutives avec elle. Puis vous avez reçu un courrier de l'association Exit qui vous décrivait de manière particulièrement diabolique la situation existante à Genève, et logiquement - tout le monde l'aurait fait à votre place - vous avez renvoyé ce projet de loi en commission pour en avoir le coeur net.

Quand j'entends certains dire aujourd'hui que la possibilité de faire le choix de mourir dépend du lieu où l'on réside, je me demande si ces personnes font véritablement partie de la commission de la santé et si véritablement elles ont relu les procès-verbaux. Certains d'entre vous l'ont dit, les auditions ont établi que les cas exposés dans le courrier qui vous a amenés à décider le retour en commission ne concernaient absolument pas des situations dans lesquelles la personne n'avait pas pu exercer sa liberté. De nouveaux cas ont au contraire démontré qu'avec toute la sensibilité nécessaire, lorsque la solution exigeait que cette liberté s'exprime aux HUG, des patients ont eu accès à l'assistance au suicide. Chacun sait pourtant que la situation est différente en EMS ou à l'hôpital puisqu'on est domicilié à l'EMS mais pas dans un hôpital: on est censé avoir encore un domicile. Et lorsque l'on peut raisonnablement attendre de la personne qu'elle soit transportée jusqu'à chez elle pour y finir ses jours, c'est cette option qui doit être choisie. Dans un cas récent, les HUG ont considéré, après avoir consulté leur commission d'éthique, que la situation était telle que l'on ne pouvait raisonnablement exiger de la personne qu'elle retourne chez elle pour mourir. Il n'y a donc pas de problème. Vous êtes en train de bâtir une solution alors qu'il n'y a pas de problème - et avec cette solution, vous êtes précisément en train de bâtir des problèmes inexistants.

D'abord, le droit de mourir. Le Tribunal fédéral s'est déjà exprimé sur cette question: il n'y a pas de droit de mourir, il y a une liberté de mourir ! La liberté, c'est simplement la possibilité de faire valoir sa volonté sans entrave aucune de l'Etat. Et l'Etat doit tout mettre en oeuvre pour que cette liberté puisse s'exprimer et se réaliser. Le droit, c'est exiger de l'Etat, de la collectivité, des actions positives qui permettent d'exercer ce droit. Ici, on ne parle pas de droit de mourir; c'est une liberté de mourir. Or, avec cette loi, vous êtes en train de transformer une liberté en un droit, avec tout ce qui est pernicieux derrière cela. Parce que s'il y a un droit, il faut informer celles et ceux qui ont ce droit qu'ils peuvent l'exercer. A quand, Mesdames et Messieurs, une information destinée aux personnes qui entrent en EMS pour leur signaler qu'elles ont un droit - le droit de mourir - et que ce droit, elles peuvent l'exercer ? Est-ce dans cette société-là que vous voulez vivre ? Une société qui donne davantage les moyens de quitter notre monde que les moyens de surmonter les douleurs que nous pouvons toutes et tous à un moment éprouver ?

Ce n'est en tout cas pas ma vision de la société. Quand je dis cela, ce n'est pas contre une association largement citée ici ni contre cette liberté que je respecte profondément. C'est pour que cette liberté puisse s'exercer avec toute l'ampleur, avec toute l'empathie que nous connaissons aujourd'hui. Pour que les professionnels de la santé fassent leur travail, qu'ils proposent les alternatives - on sait à quel point les soins palliatifs ont évolué - et qu'on n'ait pas une société irresponsable dans le vrai sens du terme, c'est-à-dire une société qui se retire de ses responsabilités à l'égard de ses aînés. Aujourd'hui, on peut mourir dans la dignité, et on meurt exclusivement dans la dignité dans notre canton ! Nous n'avons pas besoin de légiférer pour cela.

Nous avons encore moins besoin d'une modification de la loi sur la santé qui instaure une commission de surveillance en matière d'assistance au suicide, à laquelle tout un chacun peut faire appel s'il a des doutes sérieux sur le fait que la personne se soit exprimée librement et sans influence. Commission qui peut saisir le ministère public avec les conséquences que vous savez: récemment, les médias ont en effet relaté le cas d'une personne qui s'est précisément vue empêchée d'exercer cette liberté parce que le ministère public, faute de pouvoir éclaircir la situation dans un délai très court, a tout simplement pris des mesures extrêmement coercitives.

Mesdames et Messieurs, je vous demande simplement de laisser la société, avec toute sa finesse, de laisser les professionnels, avec toute leur empathie et toutes les nuances de leur profession, régler ces problématiques. Ne judiciarisez pas ce processus, ne faites pas en sorte que chacun puisse dire tout simplement à la personne qui exprime le souhait d'avoir recours au suicide assisté: «La loi vous expliquera comment faire, vous n'avez qu'à suivre le vade-mecum si vous voulez nous quitter. Et finalement - pourquoi pas - tout cela réduira les coûts globaux de la santé !» Non, Mesdames et Messieurs, nous avons d'autres solutions. Je vous demande de les laisser ouvertes, et je vous demande de refuser ce projet de loi, précisément au nom du droit de chacun de mourir dans la dignité. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 11870 est adopté en premier débat par 62 oui contre 33 non et 2 abstentions.

Le projet de loi 11870 est adopté article par article en deuxième débat.

Mise aux voix, la loi 11870 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 60 oui contre 37 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 11870