République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 mars 2018 à 17h15
1re législature - 4e année - 12e session - 71e séance
PL 11566-B-I
Premier débat
Le président. Nous abordons le point suivant de notre ordre du jour, le dernier que nous traiterons aujourd'hui. Il s'agit du PL 11566-B-I dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. M. Edouard Cuendet, rapporteur de majorité, est remplacé par M. Murat Julian Alder, à qui je passe la parole.
M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous avons été saisis une première fois de ce projet de loi il y a quelque temps. Il avait été reproché à la commission législative d'écarter celui-ci des débats sans autre forme de procès puisque nous n'avions pas auditionné l'exécutif. Raison pour laquelle le plénum a renvoyé le dossier en commission, avec l'injonction d'entendre à tout le moins le président du Conseil d'Etat, présent parmi nous ce soir. Cela a été fait: le président du Conseil d'Etat est venu confirmer les raisons qui ont amené la majorité de la commission législative à ne pas vouloir entrer en matière sur ce texte.
Le gouvernement a en particulier estimé qu'une base légale pour la procédure de consultation n'est pas nécessaire, dans la mesure où les dispositions constitutionnelles existantes sont parfaitement suffisantes et peuvent s'appliquer directement. La majorité de la commission partage pleinement cette opinion et constate d'ailleurs avec grand plaisir que le Conseil d'Etat, comme il l'a lui-même relevé, auditionne d'ores et déjà les personnes et les associations concernées avant de déposer un projet de loi. Cela a par exemple été le cas avec la réforme de l'imposition des entreprises III ou avec la loi sur l'organisation des institutions de droit public. Il convient également de relever que Genève est probablement le canton où l'on compte le plus de commissions consultatives, dans pratiquement tous les domaines de la politique, contrairement à ce qui existe au niveau fédéral ou dans d'autres cantons, de sorte qu'un processus aussi lourd que celui proposé par ce projet de loi ne s'impose absolument pas. Ce qui est dommage, c'est que pour une fois nous avons là un texte rédigé de main de maître par un excellent juriste...
Des voix. Ah !
M. Murat Julian Alder. ...il faut le relever. Néanmoins, la procédure proposée est beaucoup trop lourde et rigide. Elle empêche aussi le Conseil d'Etat de renoncer à la consultation dans les cas où elle ne s'avère pas indispensable. Pour l'ensemble de ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vous invite à confirmer le choix de la commission législative et à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de minorité. Merci au rapporteur de majorité d'avoir rappelé quelques éléments sur le processus et les raisons du premier renvoi en commission. Merci aussi pour ses gentilles paroles; dommage qu'elles n'aient pas eu le poids que j'aurais souhaité. Cela étant, il faut absolument accepter à tout le moins l'entrée en matière sur ce projet de loi. C'est le principal reproche que je fais à la commission: de ne même pas avoir examiné cet objet.
Que demande le projet de loi ? Il demande tout d'abord la transparence, Mesdames et Messieurs. C'est un élément sur lequel je reviendrai, parce que la proposition de motion 2423 déposée par Boris Calame et d'autres signataires - dont je fais partie - va exactement dans le même sens. Le PL 11566 reprend en fait le modèle du droit fédéral. Un collègue me disait tout à l'heure que la loi, au niveau fédéral, est légère; en fait, le texte qui vous est soumis reprend véritablement ce qui figure dans la loi fédérale sur la consultation. Il pose des principes et fait preuve de souplesse. On nous dit tout le temps qu'on est allé trop loin, que le projet de loi est rigide, etc., mais on n'argumente jamais ! En réalité, ce texte prévoit une consultation systématique uniquement pour les lois de portée générale et pour les modifications de la constitution. Et encore, Mesdames et Messieurs, des exceptions qui permettent de renoncer à la consultation sont prévues pour ces cas-là. Cet objet n'est peut-être pas parfait, on peut certainement l'amender, mais il est quand même nécessaire d'avoir une loi.
C'est vrai qu'il y a eu un changement de pratique, et ce texte a probablement eu un certain effet. On revenait de très loin, mais certains progrès ont été faits, par exemple avec la consultation assez remarquable menée dans le cadre du projet de loi sur les lanceurs d'alerte. J'en ai déjà félicité les fonctionnaires du département présidentiel - le magistrat ne m'écoute pas trop, mais ce n'est pas grave, j'en fais quand même le compliment au passage. Il y a par contre aussi de mauvais exemples, comme le projet de loi visant à revenir en arrière sur la question des droits politiques des personnes sous curatelle. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je prendrai sur le temps de mon groupe, Monsieur le président. Ce texte, le PL 11969, est arrivé en commission sans même qu'il y ait eu une consultation, et a finalement été retiré par le Conseil d'Etat. On aurait pu s'éviter tout cela, Mesdames et Messieurs, si on avait consulté en amont: les problèmes posés en commission auraient pu sortir avant et on aurait économisé les deniers du contribuable si les commissaires n'avaient pas eu à siéger. Idem pour le projet de loi sur les commissions officielles...
Le président. Vous parlez sur le temps du groupe.
M. Cyril Mizrahi. Je prends bien volontiers sur le temps de mon groupe, Monsieur le président. ...il n'y a pas eu non plus de consultation et c'est en commission que nous avons dû faire tout ce travail.
Bien entendu, il n'y a pas de transparence ! Même cette consultation exemplaire dont j'ai félicité tout à l'heure le président du Conseil d'Etat s'est faite sur invitation, contrairement à ce que demande la proposition de motion de mon collègue Boris Calame. Il y a bien sûr ceux qui ne veulent pas du tout de consultation - et on comprend qu'ils s'opposent à ce projet de loi - au premier rang desquels le parti libéral-radical, représenté par mon éminent collègue. Il est contre la consultation, sauf, évidemment, quand il s'agit d'en prendre prétexte pour s'opposer au PAV, alors qu'une large consultation a été menée il y a quelques années: c'est ce qu'on appelle la consultation à géométrie variable. L'opposition de l'exécutif n'est pas une opposition de principe. Le gouvernement nous dit: «Oui, nous sommes d'accord. Nous avons d'ailleurs amélioré certaines choses, simplement nous ne voulons pas légiférer.» L'autre argument du président du Conseil d'Etat, c'est de démolir la procédure en vigueur au niveau fédéral, et je trouve quand même ça un peu curieux. Le Conseil d'Etat participe régulièrement aux procédures de consultation fédérales, mais quand il s'agit de faire la même chose, de se soumettre au même type de procédure et de passer de l'autre côté de la barrière - d'être celui qui consulte - eh bien, là, il n'y a plus personne. C'est bien dommage !
Puisque j'ai un petit peu de temps, je finirai en vous citant un extrait de la proposition de motion de M. Boris Calame qui est soutenue non seulement par les Verts, mais également par les socialistes, par des signataires du parti démocrate-chrétien et même du MCG et d'Ensemble à Gauche, donc finalement par une majorité de ce parlement. Que nous dit ce texte ? (Remarque.) Oui, c'est une majorité du parlement, c'est pourquoi ça vaudrait quand même la peine de se mettre d'accord sur une loi ! La M 2423 «invite le Conseil d'Etat à informer les parties intéressées, le public et les médias de l'ouverture de toute consultation» - ce qui n'est pas fait aujourd'hui - «à publier sur une page dédiée du site internet de la République et canton de Genève toutes les informations relatives aux consultations [...]; à accuser réception de leurs contributions à toute personne ou structure ayant participé à la consultation»... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) J'arrive au terme, Monsieur le président. ...«à publier, au terme de chaque consultation, un rapport public synthétisant l'ensemble des contributions reçues». Je vous passe les deux dernières invites, qui vont dans le même sens: ancrer justement l'ensemble de ces propositions dans un acte législatif ou réglementaire. Eh bien, c'est de cela qu'il s'agit ici, Mesdames et Messieurs ! C'est pourquoi il nous semble sensé que tous les partis qui ont soutenu cette motion votent le renvoi en commission de ce projet de loi: simplement pour préparer un amendement général qui reprend les différents considérants de cette motion. Comme ça, nous atteindrons plus rapidement notre but. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. Mesdames et Messieurs les députés, je vous ferai voter sur cette demande de renvoi en commission après avoir passé la parole à M. Alder.
M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. La majorité s'oppose au renvoi en commission. Je rappelle que ce projet de loi a déjà fait l'objet d'un premier traitement: il est venu en plénière et a été renvoyé en commission avec l'injonction très claire d'entendre le président du Conseil d'Etat. La commission législative a fait ses devoirs et a donné suite à cette exigence du plénum; le travail a été effectué. Cette demande de renvoi en commission m'apparaît davantage relever du baroud d'honneur que d'une demande sérieuse d'examiner ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le président du Conseil d'Etat, voulez-vous prendre la parole sur le renvoi en commission ? (Remarque.) Non, très bien. Nous passons au vote sur la demande de renvoi à la commission législative.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11566 à la commission législative est rejeté par 49 non contre 17 oui et 10 abstentions.
Le président. Nous continuons notre débat et je cède la parole à M. Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, tout le monde soutient et défend la démocratie directe. Il est évidemment souhaitable d'impliquer au maximum les citoyens dans la gestion de nos institutions et l'élaboration des lois, mais il est question, avec cet objet, d'alourdir et de compliquer la procédure de consultation. Il est question de réglementer, de légiférer et de pratiquement fixer - je dis bien: de pratiquement fixer - comment et qui doit être consulté, et comment et qui doit être convoqué par les commissions parlementaires. Un modèle de fonctionnement de ce type amènerait plus de problèmes que d'avantages. Le groupe UDC est favorable à une large consultation des citoyens et des associations, mais il s'oppose au blocage du travail législatif. Pour cette raison, nous refusons ce projet de loi. Merci de votre attention.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Vous aurez constaté que l'ensemble de la commission a estimé que ce projet de loi risquait de complexifier inutilement le processus législatif sans ajouter audit processus une valeur déterminante, ce d'autant plus qu'une procédure de consultation n'a pas toute sa pertinence dans chaque cas. Si l'on compte une trentaine de procédures de consultation par année, cela obligerait par ailleurs le département à centraliser ce processus dans un seul et unique service, ce qui supposerait bien évidemment d'engager du personnel à plein temps afin d'effectuer ce travail supplémentaire. Il faut d'autre part ajouter qu'en général, une consultation est systématiquement organisée par le département chargé du dossier lors de la présentation de projets importants. Il sied également de préciser que les commissions ont toute la latitude voulue - et elles ne s'en privent pas - pour auditionner les personnes, les associations, les institutions ou les autorités susceptibles d'être intéressées par ces travaux parlementaires. A l'issue de leurs travaux, les commissaires ont pu constater que ce projet de loi n'a convaincu que son auteur - le vote est assez significatif - et même si celui-ci est une fine plume juridique, il s'est retrouvé extrêmement isolé. Le groupe démocrate-chrétien se permet de vous demander de refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, le PL 11566 pose la question de l'effectivité du principe de consultation prévu par la constitution. En cela, il est particulièrement opportun. Les dispositions qu'il propose ne nous satisfont cependant pas, parce qu'il s'agit précisément de systématiser la consultation, ce qui ne nous paraît pas judicieux. Cette pratique rallonge et alourdit le processus parlementaire, et présente de surcroît le risque de réduire le recours aux auditions et d'affaiblir les commissions consultatives. Nous ne pouvons en aucun cas souscrire à cela, attachés que nous sommes au fonctionnement de ces outils démocratiques beaucoup plus dynamiques et interactifs que la consultation et les rapports qui en découlent. Aussi, même si le groupe Ensemble à Gauche est favorable à la consultation, cette adhésion n'implique malheureusement pas de soutenir cet objet qui risque de mettre en péril les modalités de la consultation. Notre groupe ne peut pas accepter cela, c'est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
M. Sandro Pistis (MCG). Tout a été dit... (Remarque. Applaudissement.) Merci, Monsieur le député. ...sur ce projet de loi: il est de qualité mais ne pourra jamais atteindre le but voulu, bien au contraire. C'est pour ça que le groupe MCG ne votera pas l'entrée en matière. Il soutient pourtant de manière très active les consultations, qui sont un élément nécessaire dans le système démocratique. Le principe marche aujourd'hui assez bien - pour ne pas dire très bien - et dès lors, soutenir ce genre de texte, c'est également rendre les choses plus difficiles dans le futur. Pour ces motifs-là, le groupe MCG refusera l'entrée en matière. Merci.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous avait indiqué lors du passage en commission qu'il avait quelques doutes sur le monstre bureaucratique qui était en train d'être imaginé. Vous votez deux cents lois par année, dont environ les quatre cinquièmes sont d'origine gouvernementale. Imaginez: une procédure de consultation dans de si nombreux cas aboutira inévitablement à ce que votre parlement traite ces objets avec des retards encore plus importants. J'attire votre attention sur le fait que ce n'est que la troisième fois de la législature que je prends la parole devant vous sur un sujet abordé selon sa place dans l'ordre du jour; nous sommes en train de traiter des projets de lois qui ont, pour certains d'entre eux, plus de deux ans d'âge et attendent depuis tout ce temps de passer devant le parlement. Le rapport sur ce projet de loi date, lui, du 11 juillet 2017. Mesdames et Messieurs, si l'on rajoute au processus législatif - déjà complexe, long et embourbé pour un certain nombre de points - quelques mois de consultation supplémentaires et quelques fonctionnaires habilités à dépouiller les réponses reçues...
Monsieur Mizrahi, vous avez récemment rendu hommage à une consultation que le Conseil d'Etat a menée; cela prouve que, quand elle est nécessaire, l'exécutif sait juger de l'utilité d'une telle procédure. Mais j'attire aussi votre attention sur le fait que ces consultations demandent des forces humaines qui peuvent être importantes et qui seraient totalement déraisonnables pour des projets d'une importance relative. Pour des projets essentiels, le Conseil d'Etat a par contre l'habitude de passer par des processus de consultation. La loi les lui impose d'ailleurs pour certains projets dont l'impact sur les communes est déterminant. Nous pratiquons déjà la consultation; de grâce, n'étendez pas ce processus à toutes les lois que nous sommes amenés à déposer, faute de quoi ce parlement s'autobloquera.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de vous prononcer sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11566 est rejeté en premier débat par 51 non contre 16 oui et 10 abstentions.